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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Forest, Prudent
Article mis en ligne le 21 décembre 2012
dernière modification le 28 juin 2021

par Desmars, Bernard

Né le 25 novembre 1813 à Saint-Boil (Saône-et-Loire), décédé le 23 avril 1890 à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire). Avocat, rédacteur de journaux républicains. Animateur du groupe phalanstérien de Chalon-sur-Saône dans les années 1840.

Fils d’un propriétaire, Prudent Forest fait des études de droit. Dès 1837 au moins, il est un disciple de Fourier : en août, il est l’un des signataires d’une lettre envoyée par les fouriéristes de Mâcon, qui déclarent participer à la souscription lancée en juillet par Considerant dans La Phalange et destinée à financer les plans d’un future phalange d’essai. [1].

Du fouriérisme dissident à l’Ecole sociétaire

Les signataires de la lettre de 1837 expriment avec enthousiasme leur foi dans la possibilité d’une « réalisation immédiate de la théorie sociétaire », ce qui n’est pas tout à fait la voie suivie par Considerant. Aussi retrouve-t-on d’abord Forest du côté des dissidents qui se réunissent en août 1839 à Cluny autour de Stanislas Aucaigne. Le Journal de Saône-et-Loire ayant publié un article très ironique sur « le congrès phalanstérien » de Cluny et la théorie fouriériste, Forest proteste vivement contre ce compte rendu et défend la doctrine phalanstérienne : « pour réaliser la fraternité, l’accord entre les hommes, il faut donc réaliser l’association, associer les familles entre elles, les peuples entre eux, c’est-à-dire les unir d’intérêt, et non seulement d’intérêt matériel, ms aussi d’intérêt moral. Or, la loi de cette association, ne vous en déplaise, c’est Fourier qui l’a découverte. Il en recommande l’application à tous les hommes, à tous les peuples ; et il est certain que, dès que les peuples auront suivi ses recommandations, et mis en pratique ses enseignements, la fraternité sera réalisée sur la terre ». Le Journal de Saône-et-Loire ayant refusé d’insérer dans ses colonnes les lettres d’Aucaigne et de Forest, ce dernier se charge de les publier [2].

Forest publie en 1840 son premier ouvrage, Organisation du travail, d’après les principes de Charles Fourier, dans lequel il critique les conditions de travail des ouvriers, ainsi que le mépris dans lequel la société tient les travailleurs, avant de proposer la solution phalanstérienne comme remède à ces maux. Cet ouvrage est réédité cinq ans plus tard par la Librairie de l’École sociétaire. En effet, en 1842 au plus tard, Forest s’est rallié au courant « orthodoxe » dirigé par Victor Considerant auprès duquel il a été recommandé en ces termes par Jean-Claude Oudot, de Dijon : « Vous avez dû avoir la visite de P. Forest, au nom de notre cause je vous prie de bien l’accueillir, il va à Paris avec la ferme intention de se réunir à vous, et de travailler à la rédaction de La Phalange ce que je verrais avec plaisir [...] » [3].

D’ailleurs, il fait partie des collaborateurs réguliers de La Phalange à partir de janvier 1842 ; il écrit sur les questions politiques et débat avec des journaux parisiens, mais publie aussi de nombreuses critiques sur les spectacles parisiens pendant le premier semestre de 1842, ce qui suggère, sinon une résidence complète, du moins des séjours fréquents dans la capitale ; il est alors un familier des bureaux de La Phalange rue de Tournon [4]. Ces critiques théâtrales cessent dans le second semestre 1842, et l’on ne trouve plus ensuite dans le périodique fouriériste que des articles politiques ainsi que des comptes rendus d’ouvrages. En 1843, l’École sociétaire publie La Démocratie pacifique  ; Forest figure dans la liste des rédacteurs jusqu’en 1845. Il fait paraître cette même année une seconde brochure fouriériste, Défense du fouriérisme, où il répond à divers auteurs (Louis Reybaud, Michel Chevalier, Lamartine, etc.) ayant critiqué la doctrine phalanstérienne ; comme dans d’autres textes, il met en avant les liens entre christianisme et fouriérisme, et récuse les affirmations selon lesquelles la théorie de Fourier saperait la famille et la propriété [5].

Fouriériste à Chalon-sur-Saône

Inscrit au barreau de Chalon-sur-Saône, mais séjournant aussi à Saint-Gengoux-le-Royal, dans l’arrondissement de Mâcon [6], Forest apparaît comme l’un des principaux correspondants de l’École sociétaire du département de Saône-et-Loire. Il est en relations avec Cantagrel auquel il indique le nombre d’électeurs phalanstériens sur lesquels un éventuel candidat de l’École pourrait compter en Saône-et-Loire [7].

À Chalon même, Forest semble être le principal animateur du groupe phalanstérien local, avec des conférences et des réunions de propagande. En 1846, il envisage la création d’un hebdomadaire fouriériste à Chalon-sur-Saône ; Le Patriote de Saône-et-Loire, généralement accueillant pour les articles fouriéristes, vient de refuser le compte rendu d’une conférence faite par Victor Hennequin à Chalon. Notant l’essor des forces fouriéristes dans le département (trois ou quatre phalanstériens il y a une dizaine d’années, une cinquantaine en 1846, « sans parler des personnes assez nombreuses dont les sympathies nous sont acquises »), Forest et quelques condisciples souhaitent alors disposer de leur propre organe, « soit pour augmenter le nombre des adhérents à l’Ecole, et celui des abonnés à la Démocratie [pacifique], soit pour appuyer une librairie sociétaire locale, soit enfin pour intervenir nous-mêmes dans toutes les questions qui intéressent la localité » [8]. D’ailleurs, ajoutent les auteurs de l’Appel, certains groupes locaux disposent d’un journal phalanstérien (à Lyon) ou de journaux sympathisants à la cause (L’Impartial à Besançon).

L’on ignore la réaction de Considerant et des dirigeants de l’École sociétaire à cette initiative, qui, d’une certaine façon, renoue avec la volonté de certains dissidents de l’École de consolider l’activité des groupes de province. De toute façon, ce projet de publication n’a pas de suite.

Républicain et socialiste

En juillet 1847, Forest est l’un des commissaires du banquet organisé à Mâcon en l’honneur de Lamartine [9]. Mais c’est surtout la chute de la monarchie de Juillet et l’avènement d’un régime républicain qui lui permettent d’accroître son influence et son rôle à Chalon et en Saône-et-Loire. Avec ses amis chalonnais, il fonde un bi-hebdomadaire, La Démocratie de Saône-et-Loire, publié sous sa direction, mais qui cesse de paraître en juillet 1848, à la suite du rétablissement du cautionnement [10].Il intervient également dans le cadre des clubs : il est l’un des membres du club du salon d’Idalie (dit aussi club d’Idalie), club socialiste dont il est élu vice-président en janvier 1849 [11].

Après la disparition de La Démocratie de Saône-et-Loire, il collabore au Patriote de Saône-et-Loire, l’organe du parti montagnard à Chalon, puis en 1850 au Démocrate de Saône-et-Loire, qui prolonge Le Patriote pendant quelques mois. La police le recense parmi les « individus suspects de l’arrondissement de Chalon » et le met en tête d’une liste indiquant les « noms des individus signalés particulièrement comme les principaux meneurs du parti démagogique à Chalon » [12].

En 1850, il s’éloigne de Chalon et de l’activité politique et s’installe à Saint-Gengoux-le-National, dans l’arrondissement de Mâcon ; il ne figure pas parmi les victimes de la commission mixte installée en Saône-et-Loire après le coup d’État du 2 décembre 1851. Le commissaire de police de Saint-Gengoux le considère pourtant avec suspicion, et en fait « le plus chauffeur [sic] démocrate du département » sous la Seconde République ; « cet individu doit être surveillé comme il l’a était [sic] par moi pendant son séjour à Saint-Gengoux », écrit-il au préfet en 1855, quand Forest quitte la commune pour retourner à Chalon (ou « s’installer à Paris pour y rester », croit savoir, à tort, le même commissaire) [13].

De surcroît, Forest a sans doute rompu toute relation avec ses anciens amis fouriéristes ; en 1868, il dit vivre « dans l’isolement […] depuis plus de quinze ans », isolement qu’il essaie de rompre en cette fin de Second Empire [14].

Soutien à la librairie des sciences sociales

A ce moment, Forest vient de se réinstaller à Chalon-sur-Saône, avec sa mère et ses deux sœurs, après un séjour à Charolles (il y réside lors du recensement de 1866). En 1867, il a repris contact avec ses condisciples parisiens ; le Centre sociétaire lui ayant expédié les premiers numéros de La Science sociale, il les a « lus […] avec le plus vif intérêt » et décide de s’y abonner [15]. Lui-même envoie à la Librairie des sciences sociales plusieurs exemplaires d’une brochure qu’il vient de publier sur la méthode d’apprentissage musical Galin-Paris-Chevé, très appréciée dans les milieux fouriéristes. En 1869, La Science sociale publie un long article de lui [16]. Parallèlement, il collabore de juin 1869 à février 1870 au Progrès de Saône-et-Loire. Dans les Annuaires et les recensements, il est toujours mentionné comme avocat.

Vers 1870-1872, il prend une action de la Société anonyme qui exploite la Librairie des sciences sociales, et, alors que certains s’interrogent sur l’utilité de la Librairie, il se prononce pour son maintien, malgré ses déficits chroniques et les sacrifices financiers que cela demande aux militants [17]. Mais en 1880, il annonce que sa subvention sera faible car il est dans une grande gêne (dans les recensements, on ne voit pas de domestique à son domicile) ; comme beaucoup de ses condisciples, il cesse son versement en 1883, alors que la Librairie est à la veille de sa fermeture définitive [18].

Son décès en 1890 n’est pas mentionné dans La Rénovation. Et à Chalon même, où il était une figure connue dans les années 1840 et sous la Seconde République, son décès semble passer inaperçu. Il ne fait l’objet d’aucune nécrologie dans la presse locale.