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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Pouliquen, Joseph-François-Marie
Article mis en ligne le 4 mai 2013
dernière modification le 14 juillet 2021

par Guengant, Jean-Yves

Né le 23 août 1800, à Morlaix (Finistère), décédé le 31 août 1884, à la Colonie de Condé-sur-Vesgre (Yvelines). Greffier puis juge de paix dans le Léon finistérien. Militant fouriériste de la première heure et organisateur du réseau fouriériste de la région de Landivisiau, correspondant de l’Ecole sociétaire. Créateur d’une boulangerie sociétaire en 1847. Colon de l’Union agricole d’Afrique, à Saint-Denis-du-Sig, en 1849. Créateur et membre résident du Ménage sociétaire, à Condé-sur-Vesgre, en 1850. Président de la société de secours mutuels de la commune.

Le père de Joseph-François-Marie Pouliquen est aubergiste à Morlaix lors de sa naissance. Sa famille commercialise les fils, dans une région où les tisserands sont nombreux. Joseph-François-Marie entame sa carrière judiciaire comme greffier en février 1834 [1], où il fréquente Yves Caroff, huissier de justice (voir sa notice), et devient juge de paix en août 1840, à Plouzévédé (Finistère). Son premier contact avec les fouriéristes est l’achat du Traité de l’association domestique-agricole, de Charles Fourier en 1834. [2]

Portrait de Pouliquen, sans date
Archives de la Colonie de Condé-sur-Vesgre
Portrait de Pouliquen, sans date
Archives de la colonie de Condé-sur-Vesgre

Construction d’un premier réseau fouriériste dans le Léon

C’est à Plouzévédé, commune du Léon finistérien, située au centre d’un triangle constitué par les villes de Saint-Pol-de-Léon, Plouescat et Landivisiau qu’il constitue son premier réseau de sympathisants fouriéristes. Ce sont essentiellement des hommes de loi (Yves Caroff, à Plouescat, Pierre-François Miorcec à Saint-Pol), et des propriétaires, agriculteurs, Jean-Baptiste de Kersaint-Gilly (1779, Loguivi, Côtes d’Armor – 1856, Plouescat) à Plouescat, Jean Foucault et Etienne-René Contant, à Guipavas et Brest (voir leurs notices). A Landerneau, il abonne l’instituteur du collège municipal, Le Goff à La Phalange. Seul, Contant est dans une situation précaire, comme l’indique le soin que Pouliquen apporte à lui trouver un emploi dans les futurs essais sociétaires. Il recueille les abonnements pour La Phalange, dès le lancement du journal en juillet 1836 et fait office de correspondant. Répondant aux consignes du journal, il se procure les ouvrages de la Librairie de l’École sociétaire et essaie de créer des dépôts. Cette activité reste modeste, et il est obligé de constater que les ouvrages s’écoulent difficilement. Il développe une autre stratégie : il s’agit de confier quelques ouvrages, expédiés par la Librairie à des sympathisants [3]. En juillet 1836, il prend contact avec la figure la plus connue du fouriérisme en Bretagne, Louis Rousseau, entrepreneur agricole de Tréflez, qui essaie de développer à Keremma un projet d’exploitation semi-coopératif. Venu du Saint-simonisme, celui-ci s’est converti au fouriérisme à l’automne 1832, mais déjà, il prend ses distances. Il semble ne pas vouloir développer ses relations avec Pouliquen.
Au total, en cette année 1836, trois lieux d’implantation se dégagent : la ville de Saint-Pol-de-Léon, la région de Landivisiau, Brest enfin. Les quelques militants disposent de quelques collections d’ouvrages qu’ils prêtent, et commencent la diffusion de La Phalange.

Un milieu réticent ou sceptique

En ce début de juillet 1836, l’effort reste modeste : une poignée d’abonnements et une dizaines d’ouvrages placés, dont le premier volume de Destinée sociale, de Victor Considerant. La Phalange confie à Pouliquen en dépôt neuf exemplaires de Nécessité d’une dernière débâcle politique en France, écrit par Victor Considerant, qu’il place à Brest, dans les cercles littéraires de la ville, et à Morlaix, où il ne trouve pas acheteur. Il se résout à étendre ses dépôts à Lannion et Guingamp, en septembre 1836. Il transmet aussi les remarques des lecteurs du journal, qui en attendent plus de variété et moins de dogmatisme.

Pouliquen traduit l’attente des militants finistériens : « Quelque soin qu’on mette à s’observer dans une discussion, il est difficile de pas éveiller les susceptibilités. Tous ces inconvénients n’existent pas dans le système de lecture : aussi avec quel bonheur nous avons accueilli le Journal [La Phalange, en juillet 1836] que nous attendions avec tant d’impatience ! ». [4]

Les rares militants se sentent isolés. La question sociale a peu d’écho : « on nous trouve l’air de visionnaires, d’illuminés. Nous aurons aussi plus tard à essuyer les foudres de l’Église. Votre discours de l’Hôtel de Ville a eu du retentissement et l’on s’en est ému. Un des nos amis a été admonesté pour avoir fait circuler de mauvais livres » [5], poursuit Pouliquen, dans son compte rendu à Considerant. Pouliquen estime à une vingtaine, le nombre de personnes intéressées par la science sociale et cinq, tout au plus, celles qui sont engagées à la promouvoir. A Landivisiau même, Pouliquen reconnaît être bien seul et ses résultats restent maigres. L’année suivante, dans une lettre datée du 17 août, il indique : « Nous gagnons, il est vrai du terrain, mais c’est si péniblement et avec tant de lenteur que nous cherchons tous les moyens d’accélérer notre marche ! » [6]

L’attente du phalanstère

Les militants sont cependant enthousiastes, et Pouliquen peut annoncer dans une lettre du 14 octobre 1836 le début d’une collecte pour hâter la création du premier phalanstère : « j’ai reçu une somme de 18 F. pour être placés en une caisse d’épargne et affectée plus tard à une fraction d’action d’1er phalanstère ». En juillet 1837, un début systématique de collecte est mis en place sur la région, même si les résultats restent modestes. Pouliquen est manifestement devenu proche de Considerant, dont il tient le livre Destinée sociale comme l’outil essentiel de propagation des idées fouriéristes. Il lui répète son soutien, après la crise qui secoue le mouvement à l’été de 1837 : « Nous espérons en vous, convaincus que vous ayant à notre tête, nous arriverons bientôt à l’objet de tous nos vœux : à la réalisation de l’essai ». [7] A Guipavas, Foucault a la même réaction. En décembre 1836, Pouliquen fait paraître dans La Phalange, un article intitulé « Les véritables utopistes » [8] Il semble bien ancré au sein de l’École sociétaire, et pourtant en 1838, il apparaît comme le correspondant de l’Union harmonienne, de Jean Czynski, comme ses amis Foucault et Caroff [9]. Il faut y voir, sans doute, la volonté de ne pas se couper du groupe brestois, qui est réputé proche de la dissidence. En 1840, il fait paraître, dans L’Écho de Morlaix, un article consacré à la science sociale : Il y présente la création des salles d’asile, des caisses d’épargne, des fermes-modèles, des comices agricoles ou la réforme pénitentiaire, comme des acquis de la science sociale [10] Le lien entre Pouliquen et l’École sociétaire se renforce au fil des années : en 1841, il demande expressément à Pellarin de remédier aux problèmes de non-réception de brochures et journaux : désormais, il faudra lui adresser systématiquement toutes les brochures de la librairie. En septembre 1841, il plaide auprès de Pellarin la cause d’Édouard de Pompéry qu’il voit « éloigné de votre groupe » [11] Ses amis Contant, Bourguignolle et Foucault, sont partis depuis l’automne à Cîteaux, constituant le noyau du groupe finistérien au sein de la colonie sociétaire. En décembre 1844, son souhait d’union des phalanstériens aboutit avec la création du « Groupe de Brest et de ses environs », animé par Paul de Flotte. Il en est l’un des fondateurs.

Le temps des essais

Son arrivée comme juge à Landivisiau lui permet d’asseoir son réseau. Il prend en charge la justice de paix de Landivisiau en octobre 1843, où il exerce jusqu’en mars 1849. En 1847, il concrétise l’idée de « comptoir municipal » qu’il avait suggérée en 1837, en favorisant la création d’une « boulangerie garantiste ». En septembre 1847, se met en place une société par actions afin de créer une boulangerie sociétaire : 4 000 francs sont réunis. Trente-neuf sociétaires constituent la société, parmi lesquels le conseiller général, Guillaume Le Roux, un homme riche et influent [12] Pouliquen est le principal initiateur de la boulangerie. Le soutien des minotiers industriels est un atout essentiel pour la création des boulangeries : la famille Bazin [13], acquise aux idées fouriéristes, peut fournir en farine de qualité les boulangeries brestoises et landivisiennes. La boulangerie prend le nom de « boulangerie garantiste », mais le ministère de l’Agriculture estime que la boulangerie n’est pas une coopérative, elle ne peut porter le nom choisi [14]. La société regroupe les notables de la ville mais aussi des artisans, petits industriels, propriétaires, commerçants. Son existence est éphémère, la crise frumentaire étant passée.
Le 10 mars 1849, Pouliquen est remplacé à son poste. Il quitte la magistrature, et s’engage dans le projet de l’Union agricole d’Afrique, à Saint-Denis-du-Sig (Algérie). Il s’y installe, aux côtés de Jules Duval [15]. Il y reste dix mois, le climat algérien ne lui convenant pas il doit rejoindre la métropole. Il arrive à la colonie de Condé-sur-Vesgre en 1850 et participe à la fondation de la nouvelle société, le Ménage sociétaire.

La Colonie de Condé-sur-Vesgre

Pouliquen fait partie des fondateurs du Ménage sociétaire et de la Société civile immobilière, avec son ami Jean Foucault. Il est l’un des syndics élus en 1861 et devient alors le secrétaire du conseil syndical. La Colonie est un lieu de résidence et une maison d’hôtes ; le Ménage loue à ses résidents les locaux et les terrains, qui sont embellis au fil des ans. Aux termes des statuts de la société immobilière rédigés par Foucault, les adhérents doivent « avoir satisfait aux trois conditions suivantes :

1°) adhésion écrite aux statuts, au but de la société, aux règlements du ménage ;
2°) location d’une ou plusieurs chambres existantes ou à faire ;
3°) acquisition d’un nombre de parts calculées sur le prix de la location.

Le vaste bâtiment central permet de louer des chambres aux colons ou aux invités ; il abrite les espaces communs, salles à manger, salons et salles de jeux, la cuisine et la buanderie… Les repas se prennent en commun et les charges sont partagées, de la nourriture aux impôts. Ce bâtiment est l’âme du Ménage. Bientôt, de manière dérogatoire, quelques maisons sont construites, suffisamment éloignées pour assurer l’indépendance des sociétaires. Les transports s’améliorant, des amis fouriéristes de passages sont souvent reçus. Les enfants bénéficient d’un environnement agréable et on note la présence d’une institutrice dénommée Rose Adrienne Faucheroux, veuve et âgée de 45 ans ; elle est inscrite au recensement de 1861, au titre de La Colonie – c’est la seule fois où le recensement note la présence d’enfants en nombre conséquent. Si la communauté se réduit en hiver à une quinzaine de personnes, elle peut atteindre les quarante en été ; les visiteurs doivent toujours être invités par l’un des sociétaires. La Colonie a ses rites, dont le plus important est la fête annuelle, et ses moments d’agitation, quand arrivent de Paris les visiteurs, lors des vacances de Pâques ou d’été. L’anniversaire de la naissance de Fourier est dignement fêté en avril : en 1868, d’après La Science sociale, soixante-douze personnes, dont une vingtaine d’enfants y participent, dans une ambiance agréable ; Pouliquen termine le banquet en chantant une ode composée par Béranger : « L’Humanité » [16].

Condé-sur-Vesgre représente l’œuvre de la vie de Pouliquen. Prudent, il souhaite assurer la pérennité « d’un lieu sympathique, où il est possible de vivre la vie collective » [17]. Considérant le Ménage sociétaire comme une réussite, Pouliquen souhaiterait multiplier l’expérience sans publicité et à petite échelle, au lieu de s’enferrer dans des projets grandioses, qui échouent les uns après les autres. En 1855, il montre son scepticisme face au projet de Réunion, au Texas [18], estimant que Cantagrel, le directeur du projet, met la charrue avant les bœufs, lançant l’opération avant d’avoir choisi la terre. Plus tard, il reproche à l’École sociétaire, d’avoir abandonné la Colonie à elle-même, concentrant ses efforts sur le Texas. Il lui reproche son inaction, la perte de la foi phalanstérienne en un idéal commun [19] et l’oubli des « saints-lieux des phalanstériens ».
Pouliquen est l’un des administrateurs du Ménage sociétaire. Il est élu au conseil municipal de Condé-sur-Vesgre en 1860 et il y siège jusqu’en 1871 [20]. Il fonde la société de secours mutuels de la commune, en juillet 1864 [21]. Administrateur, il en est nommé président en octobre 1864, puis élu sous la République jusqu’à sa mort en 1881 ; son ami Chassevant, qui fut professeur au lycée de Brest, lui succède [22].
La petite colonie fouriériste connaît très peu d’apports nouveaux, et devient un agréable lieu de retraite comme le souligne Jules Duval en 1867 [23]. Pouliquen réside jusqu’à la fin de sa vie à la colonie, qui accueille, au début des années 1880, une communauté réduite. C’est son ami Julien Chassevant âgé de 76 ans, signalé comme « ancien professeur, pensionné de l’État », habitant la Colonie, qui déclare le décès à la mairie.

Sociétés de secours mutuels, récompense honorifique pour Pouliquen, 12 juillet 1884
Archives de la colonie de Condé-sur-Vesgre