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Gengembre (ou Gingembre), Charles Antoine Colomb
Article mis en ligne le 3 octobre 2013
dernière modification le 5 octobre 2013

par Desmars, Bernard

Né en 1790 à Paris, décédé en 1863 à Allegheny City (Pennsylvanie, États-Unis). Architecte et ingénieur. Auteur des plans du phalanstère de Condé-sur-Vesgre, en 1833. Etabli aux Etats-Unis à partir de 1849.

Colomb Gengembre est le fils de Philippe Gengembre, ingénieur mécanicien et fondateur à Paris d’une usine de machines à vapeur, pionnier des bateaux à vapeur et nommé en 1828 à la direction des machines à vapeur, à l’usine d’Indret, près de Nantes [1]. Lui-même, âgé de seulement 19 ans, aurait construit l’hôtel des monnaies de Cassel ; en 1814, il aurait obtenu la seconde place au grand prix de Rome d’architecture, et serait parti en Italie où il aurait visité de nombreux monuments, en rapportant beaucoup de croquis et de dessins [2].

En 1826, il entreprend pour le gouvernement d’importantes constructions au port de Saint-Ouen, travaux interrompus puis abandonnés à la suite de la révolution de 1830. Parallèlement, il s’intéresse aux machines à tisser et à filer, au gaz d’éclairage, à un « appareil portatif propre à faire la cuisine par la vapeur » et à un « appareil destiné à cuire le pain et à recueillir l’esprit de vin qui s’en dégage pendant cette opération », déposant pour certaines de ces techniques des « brevets d’importation » d’inventions britanniques. Il est lui-même l’inventeur en 1832 d’une « nouvelle construction de roues » [3]. Il effectue un séjour d’à peu près une année en Angleterre, en 1831, où il s’intéresse aux chemins de fer.

Baudet-Dulary, qui conduit la réalisation de l’essai sociétaire de Condé-sur-Vesgre, annonce en 1832 dans Le Phalanstère que « M. Colomb Gengembre, architecte connu par de grands travaux (entre autres la Monnaie de Nantes et le port Saint-Ouen) et ami des principaux actionnaires, donnera tous ses soins aux constructions et se contente, pour tous honoraires, de 2 p. 100 sur les 300 000 francs portés au devis, quand même, ce qui n’est pas probable, la dépense irait plus haut » [4]. Cet ami commun de Baudet-Dulary et Devay est donc chargé d’élaborer les plans du phalanstère de Condé-sur-Vesgre. Fourier se montre très sévère à son égard ; il doute de ses compétences et critique la façon dont il dilapide l’argent ; il dénonce ses procédés « pour essayer de nous faire adopter ses plans qu’il renouvelait sans cesse et dont lui-même aujourd’hui confesse le ridicule ; mais l’orgueil le tourmentait. C’est un ergoteur qui veut rond si l’on veut carré, et carré si on veut rond ; j’ai opiné à le congédier et prendre un maître maçon qui exécutera fort bien nos constructions toutes rurales » [5]. Fourier en vient même à se demander si Gengembre n’a pas pour but de « faire avorter la campagne, en dissipant les capitaux à des folles constructions, à des babioles » [6]. Ainsi, selon Fourier, l’architecte aurait proposé la construction d’une porcherie, aux épais murs de bonne pierre (« les cochons seront trois fois mieux logés que les messieurs »), et en négligeant d’y placer une porte, « de sorte qu’il faudra hisser les cochons matin et soir avec des poulies pour les faire entrer et sortir » ; il aurait aussi « construit un atelier à menuiserie en plaçant les fenêtres si haut que les ouvriers disent qu’ils ne verront pas sur leurs établis. Mais il prétend que les fenêtres élevées ornent mieux le dehors » [7]. Un autre disciple, Maurize, lui-même architecte, n’est pas plus tendre avec son collègue : « C’est une chose vraiment malheureuse que dès le début, notre affaire soit tombée en des mains comme celles de M. Gengembre […]. On ne saurait se faire une idée de l’incapacité de cet l’homme, et pour mon compte, je vais jusqu’à le croire atteint d’aliénation mentale. Quant à son dévouement, ce n’est qu’une pure comédie, dont M. Dulary est dupe, car on ne se dévoue guère pour une œuvre à laquelle on ne comprend pas un mot » [8]. Finalement, Gengembre quitte Condé en juillet 1833.

Il continue à exercer sa profession d’architecte. Peut-être fait-il partie de l’Institut sociétaire, un groupe dissident du mouvement fouriériste, dont la brochure Aux Phalanstériens publiée en août 1837 signale que « Gingembre [sic] [a] adhéré […] au travail de la réunion et de la commission préparatoire » [9].

Puis, il quitte la France et s’installe aux Etats-Unis avec sa femme et leurs trois enfants. Il séjourne un moment dans le Kentucky ; il s’installe ensuite dans l’Ohio où Victor Considerant le rencontre lors de son premier voyage en Amérique :

Je devais aussi retrouver, à la porte de Cincinnati, notre bon et vieil ami Gingembre [sic], dans une maisonnette qu’il s’est construite en huit jours avec ses deux fils, sur un monticule au milieu des arbres, au bord de l’Ohio […]. Dégoûté de l’Europe, Gingembre en était parti vers la fin de 1849 avec sa famille ; et, comme l’immense majorité des Européens que j’ai rencontrés en Amérique, il ne tarissait pas en bénédictions sur l’inspiration qui l’y avait conduit. ‘’Décidez, me répétait-il souvent, décidez tous nos amis à venir en Amérique : ici nous pourrons faire et nous ferons facilement de grandes choses’’. Ses trois enfants ont été promptement et fort bien casés. Il est vrai que tous trois parlaient, déjà avant d’arriver, la langue du pays [10].

Peu après, Gengembre quitte l’Ohio pour la Pennsylvanie, à Manchester puis à Allegheny City où il dessine gratuitement les plans de l’hôtel de ville, construit entre 1862 et 1864. L’un des responsables de la municipalité lui propose un pot-de-vin, ce qui le heurte et modifie profondément la représentation qu’il se fait de l’Amérique ; il fait alors le serment de ne plus prononcer un mot en anglais, promesse à laquelle il reste fidèle jusqu’à sa mort [11].

Sa pierre tombale, à l’Union Dale Cemetery de Pittsburgh indique : « French architect, artist and engineer ». Deux de ses enfants, Henry et Sophie sont peintres de portraits et de paysages (Henry est également professeur de dessin et ingénieur civil), tandis qu’un troisième, Philip Hubert, d’abord professeur de français et d’histoire, devient architecte à New York vers 1865 et dessine notamment l’hôtel Chelsea, constitué d’appartements et de studios d’artistes, avant d’être transformé en hôtel [12].