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24-32
L’utopie de Fourier : jeu d’écriture
Ou de la notion d’intervalle mesuré et démesuré
Article mis en ligne le décembre 1991
dernière modification le 6 septembre 2004

par Madonna-Desbazeille, Michèle

André Dhotel écrit dans le Guide de nulle part et d’ailleurs :

« Vous lirez dans ce livre la description de Gormenghast inventé par Mervin Peake (Londres, 1950). C’est un château aux dimensions telles que si l’on se place à une fenêtre on aperçoit les bâtiments débordant les horizons de toutes parts. Or si vous visitez un château réel, comme l’énorme château de Sedan, évitez de rapporter le vrai sur l’imaginaire ou inversement, car vous risqueriez de tout confondre, et l’un et l’autre cous échapperont. Simplement, rapprochez les jusqu’à ce qu’ils se touchent sans aucun empiétement. Et voici que soudain se révèle à vous le sens de l’imaginaire en même temps que celui du réel. Ecoutez bien [1]. »

C’est de l’intervalle entre le sens du réel et le sens de l’imaginaire tel qu’on peut l’entendre dans l’écriture de Fourier qu’il sera ici question.

L’apprentissage de la musique est le fondement de l’éducation sociétaire et prépare la voie d’accès aux perfections qui conviendront à l’âme harmonienne, c’est-à-dire la justesse, la vérité, l’unité mesurée.

Aucun étonnement à ce que la musique, « harmonie parlante », ce langage divin, préside au fondement de l’Harmonie. L’importance de la musique (en pratique et en théorie) n’est plus à démontrer. Lorsqu’il veut analyser les passions, analyse nécessaire à la théorie de l’Attraction passionnée, Fourier utilise le système musical dont il emprunte les règles et surtout le vocabulaire.

« Les passions étant distribuées par 12 comme les sons musicaux et ayant dans leur développement une parfaite analogie avec les claviers et les sons musicaux », Fourier déduit les unes des autres effectuant des combinaisons de caractères (ou de sons) dans d’innombrables combinaisons où interviennent des calculs qu’il veut exigeants car il prétend ne rien laisser à l’arbitraire...

Fourier s’engage, dans la mesure de ces passions, qui, par le libre jeu de leurs accord inédits, risqueraient dans un élan d’attraction démesurée, de déborder toutes les gammes imaginables.

Soucieux d’exactitude scientifique, il redouble de vigilance car le bonheur annoncé se trouvera, dit-il, dans les résultats de l’étude et non pas dans l’étude elle-même.

« Les mathématiques et la musique sont les principales des harmonies mesurées à nous connues. Aussi sont-elles éminemment le langage divin : les mathématiques par la justice, et la musique par la justesse [2]. »

Celui qui aspire à l’honneur d’être le « libérateur du genre humain », fondateur de l’Harmonie, soit par désir de gloire, soit par ambition et convoitise de l’Omniarchat ou sceptre héréditaire du globe, doit désirer qu’une opération de si pressant intérêt soit étayée de théories suffisantes [3].

Ce ne sont pas tant les théories et résultats de son étude qui nous intéressent ici, que le fondement de l’étude même et le pourquoi de son goût, qu’il qualifie de « goût universel des nations » pour tout ce qui tient à la mesure matérielle, comme la poésie, la musique, la danse, qui sont des harmonies mesurées en langage, en son, en démarche.

Quel est le sens de la démarche mesurée et démesurée de Fourier, ou encore pourquoi ne peut-il échapper à l’attraction d’écrire une utopie ? En d’autres termes, quelle serait la nature de l’élan qui incite à composer ces formidables jeux d’écriture que sont les utopies ? La nature de l’élan qui permettra le saut de chaos en harmonie ?

La réalité de l’Utopie est de l’ordre du texte qui est lui-même sa propre référence. Les utopies sont des êtres de langage, comme l’explique Louis Marin dans Utopiques, jeux d’espace [4]. Tous les utopistes ont montré une fascination pour le langage - déjà Thomas More qui a créé le mot -, de même Fourier qui se donne toutes les raisons de créer des néologismes afin d’agrandir l’espace dont il dispose pour inscrire son utopie et remplir l’intervalle qui se situe dans les limites mêmes de son projet d’écriture. Où se situe cet intervalle ?

L’écriture de l’utopie, c’est le fondement d’un ailleurs, d’un monde autre, c’est-à-dire d’un autre réel possible, déjà possible de par son écriture.

Fourier se situe entre ces deux espaces : un monde réel, objectif et déterminé (pour l’analyse duquel il pourra exercer sa raison), c’est la Civilisation, et un autre monde, tout aussi réel mais subjectif et indéterminé (sur lequel s’exerce son imagination), c’est l’Harmonie, entre le château de Sedan et celui de Gormenghast, entre le présent-passé et le futur déjà présent, entre raison et imagination.

C’est d’une raison autre que Fourier fera usage. « Le premier pas que la raison doive faire c’est d’accuser Dieu sur le défaut de révélation et d’intervention divine, accuser les sciences incertaines sur leur impéritie. »

Ecrire une utopie, c’est entrer en utopie, c’est d’abord se mettre à l’Ecart, par le doute absolu, dit Fourier, dans l’intervalle d’une marge, celle qu’il connaît entre écrire (ce que font tous les mangeurs de choux et de raves que sont les philosophes rhétoriciens) et inventer, c’est-à-dire entre prose et poésie, passer outre la monotonie du quotidien et accéder au merveilleux exceptionnel, pousser les frontières des sens, écrire immensément et en détail.

C’est l’Ecart absolu qui permet de trouver la méthode de la découverte. Fourier ressent parfois cette marge comme un abîme (l’Harmonie se situe à des millénaires), parfois le dénouement semble être proche et il nous donne l’impression de toucher la vérité.

Le jeu d’écriture consiste à se déplacer entre ces deux espaces-temps, pour les rapprocher ; et par les déplacements multiples et répétés d’intervalles de plus en plus petits s’emplira l’intervalle infiniment grand.

Faut-il rappeler qu’en musique l’intervalle ne se définit que par les deux hauteurs de sons entre lesquelles il se situe ?

D’ailleurs l’infiniment petit a les mêmes propriétés d’initiative et de direction que l’infiniment grand.

« Il n’est aucun effet de mouvement plus commun que le contact des extrêmes en matériel comme en passionnel : cette vérité, devenue proverbiale à force d’évidence, était une boussole à consulter en toutes sortes d’énigmes sur le mouvement »

écrit-il à la fin du Nouveau Monde amoureux [5].

Deux hauteurs : la Civilisation et l’Harmonie

La civilisation, c’est la cacophonie dit-il.

On comprend alors que le philosophe-musicien cherche à se réfugier dans un monde meilleur qu’il nomme Harmonie. Mais il ne peut se réfugier dans un lieu indéterminé ou partiellement déterminé, dont il ne pourrait entendre que de vagues résonances, car n’est-il pas vrai que le Mal est un malentendu ?

Si donc l’Harmonie doit exister, c’est dans le but de corriger ce malentendu cacophonique, les dissonances de la civilisation.

Apparemment, il suffirait de mettre bon ordre dans le désordre, de rectifier quelques accords, d’accorder quelques arômes, et la consonance ferait place à la dissonance.

Beaucoup trop simple et hâtif pour qui jouit du plaisir de la vérité incalculable et indicible d’écrire dans l’intervalle de ses propres limites et aime à retarder jusqu’au délire, pour la quadrupler, sextupler, infinitupler, le délicieux privilège de corriger le malentendu dans l’espoir de connaître un jour futur ce qu’il devine être le plaisir orgasmique du Bien entendu, qu’est le Bonheur en Harmonie.

Comment remplir l’intervalle qui sépare les deux écoutes ?

En classant le réel présent objectif qui n’est que désordre, répression, douloureuses dissonances. S’installe un mouvement de va-et-vient entre les deux espaces car la raison imaginante ne classe le réel visible dissonant qu’en vue de le métamorphoser, de l’anamorphoser en réel imaginaire harmonieux. Là où il y avait répression coercitive, doit régner l’ouverture, la liberté.

La dynamique du mouvement est dans la tension même de la transformation. Le mal-ordonné se déplace vers le bien-ordonné, bien-entendu. Inversement, Fourier fait parfois le chemin opposé : il part du bien pour mieux analyser le mal, il s’élève en altitude, tel le poète, pour se pencher sur ce qui se passe ici-bas afin de mieux apercevoir « ce qu’on entend sur la montagne » [6].

Peu importe le pôle duquel il observe, l’essentiel est de ne jamais réduire en classant. S’il lui arrive de retrancher, aussitôt il ajoute, et bien plus. Les séries s’agrandissent en se combinant indéfiniment et débordent parfois l’horizon. Fourier, alors, n’hésite pas à faire appel à Dieu pour l’aider à rattraper sa démonstration.

Je ne reviendrai pas sur la combinatoire déjà étudiée dans de remarquables articles. J’en rappellerai l’essentiel : il ne faut empêcher aucun essor même s’il y a risque de débordement.

La Construction finale sera composée et cohérent mais elle débordera de sonorités multiples car « l’ordre sociétaire qui va succéder à l’incohérence civilisée n’admet ni modération, ni égalité, ni aucune des vues philosophiques. Il veut des passions ardentes et raffinées [7]. »

Dans le grand orchestre, accordé du diapason du globe et de l’univers, chacun pourra jouer sa partie sans danger de nuire à l’équilibre sonore grâce à l’Unitéisme, ce lien merveilleux qui veille à l’harmonie générale, et par lequel les passions, les 12 sons, s’accordent d’autant mieux d’ailleurs qu’ils sont plus vifs et plus nombreux et qu’ils laissent s’exprimer la tension, le désir qui les portent. Il ne peut s’agir de légiférer contre la spontanéité.

Ne pas oublier toutefois que « tous les goûts sont bons à condition de pouvoir les composer » [8], ce qui oblige à la nuance lorsque l’on est tenté de transformer Fourier en chantre du surréalisme. Fourier semblait abhorrer les rapprochements fortuits. Parallèlement, plus l’écriture de Fourier est véhémente et raffinée, plus elle abonde en digressions, déplacements, répétitions sur un mode différent, retours quasi obsessionnels de la même image (la chenille et le papillon) ; plus elle dérive et déborde de spontanéité, de désir, et mieux elle semble maîtriser la pensée.

A l’image des passions qu’elle met en scène, l’écriture agit comme « un miroir omnigénérique, tantôt plan, tantôt convexe, tantôt concave ou cylindrique donnant à l’objet réfléchi des dimensions variées mais unitaires en système, répondant aux exigences de variété et de progression combinées de la théorie sociétaire [9]. »

L’artifice est le comble de l’art. L’œuvre de Fourier est un grand trompe-l’œil baroque avec décentrements, ruptures, surabondances, détournements, retournements, passages de ce qui est tracé autour de l’Un à ce qui est tracé autour du multiple, du pluriel.

Si le fil conducteur ne se perd pas dans le labyrinthe des démonstrations, c’est que l’écriture qui utilise le multiple est toujours en quête de l’Un et réciproquement.

Fourier compose un univers sonore qu’il enrichit de résonances. Il connaît, certes, les théories de Rameau, mais il écrit déjà comme au XXe siècle, pas en vue de l’accord parfait ni de la résolution finale de l’œuvre, mais en sachant que dissonance et consonance sont également constitutives du son, que l’instabilité, qui est la tension entre dissonance et consonance est inhérente à sa nature, à sa dynamique.

Dans Esprit de l’utopie, Ernst Bloch écrit ceci :

« Quoi qu’il en soit, tous les sons avancent et bougent, la tierce cherche à monter, la septième à descendre (...) jusqu’à ce qu’en forme de conclusion apparaisse la consonance. Mais cette même consonance n’a pas à proprement parler lieu (...) il reste toujours, avant d’atteindre la consonance, tant de possibilités de tensions infinies que (...) l’histoire de la musique est l’histoire de la dissonance [10]. »

Fourier le sait, qui dit de l’Harmonie qu’elle est la dissonance incarnée, la fausseté composée.

En régime sociétaire, accords et discords concourent à l’harmonie. L’art d’associer se fonde sur l’emploi des discords autant que des accords. La discordance fait vivre.

Dans cette immense chambre d’échos qu’est l’Harmonie, où tout est lié dans la multiplicité, parfois disparité, Fourier fonde son jeu d’écriture sur des combinaisons de calcul souvent hors de toute rigueur et laisse une large part à l’intuition et au hasard : « J’avais trente-cinq ans lorsqu’un hasard, une scène où je me trouvai acteur me fit connaître que j’avais le goût ou manie du saphisme. »

C’est qu’il ne faut rien négliger qui favorise l’ouverture, qui introduise le discontinu dans le continu, pour tenter de saisir l’insaisissable, de débusquer le secret caché sans les plis et replis du Bonheur attendu et non encore attendu, que son écriture traduit en mosaïque :

« Je ne peux travailler qu’en mosaïque et non sur un plan complet, parce qu’en commençant un écrit je ne sais quelle étendue je pourrai lui donner [11]. »

Et Fourier ne livre la mosaïque que par fragments, s’interrompant entre chaque fragment pour en estimer l’effet et mieux digresser en ajoutant des intervalles infinitésimaux aux fragments déjà mesurés, ce qui les démesure et les lie à la fois.

Ciment subtil qui retient les éléments de combinaison, petits cubes, dés, lames, en pierre, en terre cuite, marbre, qui doivent figurer le dessin, le dessein. La subtilité du ciment permet de lier sans figer. La matière continue à travailler à l’intérieur.

On pense, par analogie, à la théorie des fractales de Mandelbrot : un objet fractal est un être mathématique qui se construit avec de rajouts, avec processus itératif, et on arrive à reconstruire ce qu’on trouve dans la nature.

Et pour reprendre l’analogie avec la musique, on pense au sérialisme (sans doute à cause de la théorie des séries) et aux théories musicales contemporaines.

Un bref rappel, tout en précisant qu’il est bien sûr impossible de calquer une syntaxe sur l’autre, ou d’essayer de faire coïncider deux systèmes sémiotiques différentes. Une série, chez Schonberg, est une relation d’ordre total et non strict de l’ensemble des hauteurs du total chromatique tempéré, c’est-à-dire que la relation d’ordre est appliquée mais elle n’est pas stricte - la coordonnée temporelle de l’apparition d’un élément peut être plus petite ou égale à celle des éléments suivants -, à la limite on peut tout superposer parce que la relation d’ordre n’est pas stricte.

A partir du sérialisme, la perception de l’œuvre joue tantôt au niveau de l’événement sonore individuel, tantôt au niveau d’une matière sonore globale, entre le détail et l’ensemble. On perçoit bien l’effet de mosaïque, par exemple dans le Sacre du Printemps, ou dans la Petrouchka de Stravinsky.

Lorsqu’on entend l’œuvre de Fourier après plusieurs écoutes, on a l’impression qu’elle est une mosaïque d’événements sonores, de blocs sonores parfois d’intensités différentes, avec ruptures, captures, tourbillons, vibrations, modulations sous foyers et contre foyers, gammes de polygamie harmonique, quadrilles polygames contrastés ou orgies de gammes sympathiques, échos de manies, prélude en offrande lyrique de l’odaliscat, interlude en bacchanale, et postlude en dissolution de la voie lactée. Chacun de ces espaces striés peut être lu pour lui-même. Néanmoins tous ces espaces striés sont composés de manière à être perçus comme un espace lisse - continu et discontinu. On se trouve en pleine zone d’agglomération sonore.

Les événements sont tellement nombreux dans l’unité de temps qu’on écoute le phénomène sonore global (la résultante) et non pas les événements composants.

Quelle que soit la syntaxe adoptée, le matériau engage le compositeur. L’Utopie engage Fourier : en se mettant à l’écart, Fourier questionne. Mais lorsqu’il y a questionnement, il faut une réponse et la réponse tend à réinstaller un savoir ; elle suscite aussi de nouvelles questions. La marche vers la connaissance s’accomplit comme une loi de négation et de retour. Peut-être que l’un des effets ensorcelants, lorsqu’on écoute l’œuvre de Fourier, est cette sensation inévitablement éprouvée d’être mis hors temps, hors espace, car tous les temps et tous les espaces se télescopent en un espace temps lisse ; lorsque certains groupes de sons sont trop assourdissants, on essaie d’écouter l’ensemble.

C’est le désir démesuré de Fourier de parvenir à sa démonstration, c’est-à-dire d’emplir tous les intervalles qui s’y opposent, c’est ce désir qui crée la perception d’un espace lisse, continu. Ce désir fou d’assemblage pour jouer la fantastique symphonie de l’Un et du multiple, du singulier et du dispersé, n’est-il pas l’expression du désir de trouver la consonance parfaite avec lui-même ?

Consonance qu’il cherche à entendre, immensément, démesurément.

Le voyageur admis dans le Nouveau Monde amoureux entre dans un monde tracé par l’utopiste qui le raconte. Geste de tracement qui est le geste du templum, geste sacré par excellence, et par lequel une portion d’espace céleste est idéalement découpée et sera projetée sur le sol pour prendre la forme du temple ou du phalanstère.

Tracer cette limite, c’est délimiter un intérieur et un extérieur, le déterminé et l’indéterminé, le fini et l’infini. L’utopie étant à la fois ce qu’il y a de plus déterminé et de plus indéterminé, elle se situe entre l’un et l’autre et nous offre, selon les termes de Louis Marin,

« la fiction d’un système des possibles, mais c’est une fiction et c’est en ce sens qu’on dit qu’elle est irréalisable - entre l’un et l’autre. L’utopie introduirait, dans ce système des possibles dont elle est la fiction, l’impossible et cet impossible c’est le Bonheur, la Vérité, l’Harmonie [12]. »

C’est aussi le non-entendu, la consonance parfaite avec soi. Cette voix inentendue et pressentie, ce rythme d’origine (non pas le rythme considéré par Piston comme mouvement périodique, mais le rythme comme état de flux), ce rythme archaïque, c’est comme l’écho, dans les textes utopiques, de la voix féminine et maternelle, en quelque sorte la reprise du bercement de l’enfant, où il n’est pas possible de distinguer qui émet la voix et qui la reçoit.

« En sortant d’une longue et douce rêverie, en me voyant entouré de verdure, de fleurs, d’oiseaux, et laissant errer mes yeux au loin sur les romanesques rivages qui bordaient une vaste étendue d’eau claire et cristalline, j’assimilais à mes fictions tous ces aimables objets ; et me trouvant enfin ramené par degrés à moi-même et à tout ce qui m’entourait, je ne pouvais marquer le point de séparation des fictions aux réalités [13]. »

L’écriture de l’utopie est la tentation de traduire cette voix inaudible, cet intervalle d’une voix qui se dessine dans l’incantation, dans les signes mêmes par lesquels elle s’écrit, dont l’utopie serait l’impossible écoute qui est en même temps l’écoute de l’impossible consonance avec soi-même.

En voulant écrire cette utopie le poète devient prophète et conduit sa révolte, sa question, à une vision, à un monde qu’il nomme, qu’il annonce, et qui renferme l’ouverture en voulant donner réponse. en cherchant à dévoiler le secret.

Fourier devait le savoir car, tout en dirigeant activement son rêve, il laisse un texte inachevé. La synthèse finale du Nouveau Monde amoureux reste cachée. Peut-être n’envisageait-il pas de considérer son oeuvre comme jamais terminée - work in progress - comme la Création. Même si l’homme est appelé à déplacer les astres, l’intervalle du secret demeure. Au cœur de la question est l’impossible.