Bandeau
charlesfourier.fr
Slogan du site

Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Juif, François, dit Jules
Article mis en ligne le 26 juin 2014
dernière modification le 13 mars 2017

par Desmars, Bernard

Né le 22 juillet 1808, à Lyon (Rhône), décédé le 20 décembre 1877 à Paris (Seine). Avocat, puis rentier. Membre du groupe phalanstérien de Lyon. Elu au conseil municipal et au conseil d’arrondissement de Lyon en 1848. Exilé à la Nouvelle-Orléans (États-Unis) pendant une grande partie du Second Empire. Rédacteur de La Presse au début des années 1860. Proche de Victor Considerant.

Jules Juif est le fils d’un épicier de Lyon ; prénommé François dans l’état civil, il signe Jules dans sa correspondance et se fait appeler par ce même prénom dans sa vie professionnelle et dans ses engagements politiques et sociaux. Par sa mère, Rosalie Vigoureux, il est le neveu de Clarisse Vigoureux (née Gauthier, elle a épousé Pierre François Vigoureux, le frère de Rosalie) ; il est donc le cousin de Julie Vigoureux et de son mari Victor Considerant.

Avocat et fouriériste

Après des études de droit, qui le mènent jusqu’au doctorat, il devient avocat et s’inscrit au barreau de Lyon. Il rejoint le mouvement sociétaire dès les premières années de la monarchie de Juillet. En 1833, il écrit au Journal du commerce de Lyon, qui avait déclaré que le but de Fourier était d’établir une « Religion nouvelle » afin de récuser cette qualification et de bien distinguer le fouriérisme de la « religion saint-simonienne » :

Ce n’est point une religion, mais bien une science fixe, exacte, celle de l’association étendue à tous les modes de l’activité humaine. Or, personne ne nie les avantages de l’association ; seulement jusqu’à ce jour la nature de l’homme avait été regardée par nos publicistes comme rebelle à cette organisation. Parler d’association, pour beaucoup, c’est parler d’impossible : comment accorder les hommes, comment modérer leurs passions, comment les déterminer au travail ? Toutes ces difficultés s’aplanissent devant M. Fourier ; au lieu de vouloir changer, modifier ou comprimer les passions, il accepte. Il fait plus, jugeant que tout ce que Dieu fait est bien, il les considère comme des germes heureux, les développe et les utilise. […] M. Fourier analyse les facultés humaines, et nous montre leur emploi et leur accord par le travail. Or, il faut l’avouer, si quelque chose semble providentiel, c’est ce rapport intime qu’il établit entre le travail et les impulsions passionnelles ; car si l’homme à une destinée, certainement ce doit être la gestion du globe  ; quoi de plus digne alors du Créateur que de l’y amener par l’attraction, par le plaisir. M. Fourier a donc organisé le travail en ce sens qu’il a donné les moyens d’y attirer, par le charme, hommes, femmes et enfants, riches, aisés et pauvres ; et en simplifiant par l’association les rouages sociaux, il a reporté toute l’activité humaine sur la production, et a imprimé au mouvement social une direction combinée dans l’intérêt de la masse comme de l’individu. Par ces moyens, il élève les produits, crée l’abondance, et sa prétention au quadruplement des richesses sociales paraît bien modeste à qui connaît ses ouvrages. Ces aperçus, trop rapides pour donner une idée exacte de la doctrine de M. Fourier, suffisent cependant pour vous assure qu’il ne s’agit pas présentement de religion, et encore moins de costumes. Les Phalanstériens ou Fouriéristes sont simplement des particuliers, s’associant pour les travaux de culture, fabrique, ménage, commerce, éducation, science et beaux-arts, d’après une méthode qui augmentera leur bien-être, permettra l’entier développement des instincts et caractères, et enfin rendra à chaque individu, suivant le capital, travail et talent qu’il aura fourni à la société. Je dois ajouter que cette théorie va bientôt être réalisée. Une colonie sociétaire est fondée à Condé-sur-Vesgre, près de Paris ; elle possède un terrain d’environ 500 hectares, et les fonds nécessaires pour les avances de constructions, etc. etc. sont en partie faits. A la gloire de l’initiative, les actionnaires réunissent les garanties d’une entreprise, qui ne peut être que lucrative, quels que soient ses résultats scientifiques ; et au nombre des hommes de cœur et de talent qui y consacrent leur temps et leur fortune, se trouvent plusieurs députés.

J’ai l’honneur de vous saluer,

Jules Juif [1]

A la même période, dans une lettre adressée à Jules Lechevalier, Just Muiron parle de Jules Juif, comme d’un correspondant de l’École sociétaire à Lyon : ayant lu dans L’Écho de la fabrique de Lyon un article signé Longraire, très favorable à Fourier, même si l’auteur dit ne pas vouloir accepter certains principes sans un examen supplémentaire [2], il écrit à Jules Lechevalier : « il faut que Jules Juif joigne ce M. Longraire » [3].

Un congrès scientifique se déroule à Lyon en septembre 1841 ; Jules Juif y participe ; il soutient Victor Considerant, qui, après son intervention, demande une salle pour « développer ultérieurement la doctrine dans des séances supplémentaires », ce que refuse finalement le comité d’organisation. Lors de ce congrès, il doit aussi lire un mémoire rédigé par Eugénie Niboyet [4].

Il diffuse la presse fouriériste dans son entourage lyonnais : réclamant à Victor Considerant deux numéros de La Phalange, en 1841, il explique qu’il « a usé le premier en le faisant circuler » [5] ; dans la même lettre, il dit avoir l’intention de faire un compte rendu du Tableau de l’état physique et moral des ouvriers de Villermé dans l’organe phalanstérien, mais il manque de temps. Il aimerait d’ailleurs abandonner le prétoire et sa profession d’avocat, qu’il considère comme une « position […] transitoire », et se « livrer entièrement à la propagation de nos croyances ».

Si j’avais de la fortune, je serais près de vous à Paris, n’ayant rien, je travaille ici pour vivre, mais du moment que tu croiras pouvoir me donner un chétif minimum, appelle-moi sans crainte, si tu me crois en état d’être utile à la cause.

Victor Considerant, ayant échoué à Montbéliard aux élections législatives de 1839, cherche une circonscription où se présenter lors du scrutin de 1842 [6]. Jules Juif l’aide dans cette tâche en prospectant dans le département de l’Ain :

Depuis ton départ, j’ai vu quelques personnes qui pourraient nous être d’un grand secours pour ta candidature à Trévoux, si M. Perrier donnait sa démission. Sans rien ébruiter, nous préparons les voies dans le département de l’Ain et si une place y devient vacante, nous avons l’espoir de t’y faire parvenir.

Mais Frédéric Perrier, député de l’Ain depuis 1834, ne démissionne pas et conserve son siège jusqu’en 1848.

Coopérateurs stéphanois et fouriéristes lyonnais

Malgré son souhait de quitter le prétoire, Jules Juif continue de plaider devant les tribunaux, principalement dans des affaires de droit commun. En janvier 1842, cependant, il défend devant le tribunal de Saint-Etienne des ouvriers et des chefs d’atelier rubaniers qui ont fondé une société coopérative ; mais leur association n’ayant pas reçu une autorisation légale, ils sont poursuivis pour avoir constitué une « association illicite » et fomenté une « coalition ayant pour but l’augmentation des salaires » ; lors de l’audience, Jules Juif répond au réquisitoire d’inspiration libérale du ministère public :

M. le procureur du roi vous a dit que la concurrence était l’âme et la sauvegarde du commerce. Cette opinion, qui a fait fortune dans les premiers temps de notre industrie, est maintenant combattue par les meilleurs esprits et démentie par les faits. La concurrence est, de nos jours, la plaie la plus grande de l’industrie, elle entraîne la ruine des fabricants et amène la misère des classes laborieuses. Par la concurrence, l’industrie est livrée aux plus rudes atteintes ; rien de stable à présent, tout subit les chances du hasard, et l’on pourrait vraiment affirmer, si toutefois la constitution actuelle du commerce était définitive, que les progrès de l’industrie et les magnifiques découvertes dont s’enorgueillit notre époque sont pour les masses plutôt un mal qu’un bienfait [7].

Le tribunal de Saint-Etienne abandonne les poursuites pour coalition, mais condamne le fondateur de la société à deux mois de prison et 50 francs d’amende, et trois membres à 50 francs, les autres prévenus étant renvoyés de la plainte [8]. Cependant, le procureur du roi ayant appelé du jugement, la cour d’appel, le 16 février 1842, considère qu’il y a bien eu délit de coalition en plus de celui d’association illicite ; elle condamne l’ensemble des prévenus et aggrave nettement les peines de ceux qui avaient déjà été condamnés [9].

En cette même année 1842, Jules Juif épouse Suzanne Alexandrine Mouchon, fille d’un pharmacien et sœur d’Eugénie Niboyet [10]. Il devient également le beau-frère d’Alphonse Morellet (qui a épousé Louise Sophie Mouchon, une autre sœur d’Alexandrine), également avocat, disciple de Fourier et partisan de la République.

Jules Juif continue à œuvrer pour la cause sociétaire dans les années 1840. Tout en étant proche de Considerant, il est favorable aux expérimentations qui se déroulent en dehors de l’action du Centre. Ceci provoque « une grande brouille » avec son amie Aimée Beuque à propos de la colonie de Cîteaux, en Côte-d’Or. Comme il lui a déclaré avoir « l’espoir […] que cette tentative ne sera point un effort entièrement inutile et qu’il en ressortira quelques bons effets », elle « s’est fâchée très sérieusement, me disant que c’était infâme d’être content d’une chose qui se faisait en dehors de La Phalange […] J’étais à ses yeux un grand coupable et je suis sans doute demeuré tel car je ne l’ai pas revue ». De façon plus générale, il « pense toujours qu’il est fort heureux que des essais soient tentés en dehors de La Phalange » car la propagande et les expérimentations doivent être menées de front :

il y a des travaux préparatoires [à la réalisation] absolument nécessaires, qui absorberont sans doute plusieurs années. Il serait extrêmement fâcheux qu’ils vous détournassent de la propagation objet si essentiel et de beaucoup supérieur à la réalisation quant à présent, il est donc très heureux que d’autres activités s’occupent de réaliser. Si elles réussissent, la cause triomphera et alors les travaux seront assez nombreux pour alimenter toutes les ambitions, si au contraire le succès ne répond point à leurs efforts, l’école repoussera toute solidarité dans ces actes et trouvera dans l’étude des faits accomplis la connaissance des écueils à éviter ou des premières difficultés à vaincre. Du reste, les chances paraissent favorables. Alphonse Morellet a été à Cîteaux, il en a rapporté les impressions les plus favorables. Seulement comme moi et tous mes amis, il est bien disposé à combattre et empêcher autant qu’il le pourra tout fait qui tendrait à l’hostilité contre La Phalange ou qui serait une opposition avec les droits légitimes que les premiers disciples ont acquis par leurs sacrifices de toutes sortes à l’estime à l’affection de tous [11].

Du reste, les relations avec Aimée Beuque s’améliorent ensuite, et les fouriéristes lyonnais – Jules Juif en particulier – répondent favorablement aux incitations du Centre qui, par François Cantagrel, souhaite les voir adopter une meilleure organisation [12]. En 1844, Juif et Morellet élaborent les actes d’une société chargée de soutenir La Revue sociale, afin qu’elle devienne l’organe des phalanstériens lyonnais [13]. Vers 1845 ou 1846, à côté du « groupe des travailleurs » fouriéristes, des disciples de fouriéristes appartenant à la bourgeoisie se rassemblent dans un second groupe : on y trouve les médecins Fleury Imbert, François Barrier et Claude Fouilhoux, les avocats Juif et Morellet [14].

La Seconde République

Jules Juif est très présent lors des événements qui se déroulent à Lyon sous la Seconde République. La vie politique y est agitée et « de nombreux incidents » conduisent « la ville au bord de la guerre civile » entre février et juin 1848 [15]. Les clubs y sont actifs, la presse démocratique est dynamique et des associations fraternelles, coopératives et mutualistes sont fondées dans les milieux populaires. Une Commission pour l’organisation du travail, au sein de laquelle on compte François Coignet et Alphonse Morellet, réfléchit aux conditions de travail, au développement du crédit et des coopératives, et plus généralement aux réformes économiques et sociales. Jules Juif, qui n’en fait pas partie lors de sa création, la rejoint après quelques semaines.

Il est aussi membre de la Commission municipale provisoire qui remplit les fonctions de conseil municipal de février à juin 1848. En avril 1848, en l’absence du maire, il reçoit à l’hôtel de ville une délégation d’ouvriers accompagnant des soldats dont le régiment doit quitter Lyon et leur faisant leurs « adieux fraternels » :

Citoyens,

La municipalité reçoit votre drapeau et le gardera comme un précieux souvenir. Il est le gage d’une alliance inaltérable entre l’armée et le peuple ; il est aussi le symbole saisissant des conquêtes pacifiques que nous réserve l’avenir.

Ces couleurs libératrices ont parcouru triomphalement tous les champs de bataille de l’Europe ; nos frères qui s’éloignent et qui se rendent à la frontière, sauront les maintenir glorieuses et imposantes, si, ce qu’à Dieu ne plaise, d’insensés agresseurs osaient les menacer.

Que le départ de nos frères de la patrie nous rallie plus énergiquement, et nous fasse mieux comprendre la sainte mission qui nous est réservée.

A l’armée la défense de la patrie ; à nous travailleurs le devoir d’attaquer le vieux monde par les idées et de la révolutionner par l’exemple de notre grandeur et de nos progrès.

A nous l’avenir social : nos champs de bataille seront l’atelier, l’industrie, le travail sous toutes ses formes ; le travail fécondé par l’association, multipliant la richesse, répandant l’abondance, resserrant les liens de la fraternité, et nous unissant dans un seul et même sentiment, que nous exprimerons par les cris de Vive la France ! – ici la voix de l’orateur fut interrompue par les cris de : Vive la République ! répétés par la foule électrisée. Le citoyen Juif continue :

Alors, témoins de nos continuels efforts et de nos triomphes, les peuples nous suivront hardiment dans la voie où nous les aurons précédés, et l’univers entier répondra, comme un seul échec, aux cris de : Vive la République universelle ! [16]

Dans l’été 1848, il est élu au conseil municipal et au conseil d’arrondissement ; cette seconde assemblée le désigne pour le représenter au comité supérieur d’instruction primaire de l’arrondissement de Lyon [17]. Il fréquente les banquets démocratiques, les réunions des clubs et les manifestations des associations : avec Franck Sain et Despart il est délégué du Club des socialistes phalanstériens lyonnais au Comité général des clubs du département du Rhône [18] ; en juillet 1848, il porte un toast « au triomphe de la démocratie dans les élections ! » lors d’un « banquet démocratique donné par les électeurs municipaux du faubourg de Bresse » [19] ; en septembre, alors qu’un nouveau représentant doit être élu à l’Assemblée constituante, il préside la réunion qui désigne François-Vincent Raspail à la candidature [20] ; il est le vice-président du bureau chargé d’organiser le banquet démocratique « en l’honneur de la fondation de la République française, proclamée le 22 septembre 1792 » [21] ; il participe début novembre 1848 à la fête de l’Association fraternelle des menuisiers lyonnais et y porte un toast « au travail attrayant » [22] ; le 3 décembre 1848, il assiste au « banquet démocratique et social » organisé à Givors ; sur la table est posé « le portrait du vénérable François-Vincent Raspail devant lequel tous les fronts se sont inclinés » et qui est candidat aux élections présidentielles. Juif prononce un toast « à l’organisation du travail » [23]. Lors d’une réunion électorale, préparée par des partisans de Louis-Napoléon Bonaparte, mais qui tourne en faveur de Raspail dont les partisans envahissent la salle, il improvise un discours où

il a flétri à la fois et le candidat impérial et la manière dont cette candidature venait d’être posée. Il a rappelé les antécédents de ce triste personnage et a terminé en disant qu’une telle candidature était l’insulte la plus grande que l’on pût faire à la cité lyonnaise [24].

Ce soutien à Raspail (alors que Victor Considerant et le Centre parisien se sont prononcés pour Ledru-Rollin [25]) suggère une radicalisation de Jules Juif, qui fréquente alors le néo-babouviste Gabriel Charavay [26].

Au printemps 1849, bien qu’il ne figure pas sur le liste composée par le Comité central, certains de ses amis le pressent de se présenter comme candidat dissident aux élections législatives, ce qu’il refuse en appelant au rassemblement des républicains : il faut « dans l’intérêt de la République, oublier ses préférences et se rallier énergiquement aux candidats adoptés par la démocratie » [27].

La journée parisienne du 13 juin – qui provoque la répression contre le mouvement socialiste et l’exil en Belgique de Victor Considerant et François Cantagrel – est suivie de rumeurs à Lyon sur la mise en accusation du président Louis-Napoléon Bonaparte et la formation d’une Convention nationale à Paris. Le 14 juin, Jules Juif fait partie d’une délégation constituée principalement de journalistes et de clubistes qui se rend à la préfecture pour obtenir des informations sur les événements parisiens ; le préfet refuse de répondre. Cette attitude étant interprétée comme une confirmation de l’arrestation du président de la République et de la formation d’une Convention, la tension s’accroît en ville. « Les journalistes, les membres de la délégation, ceux du comité central électoral passèrent la nuit à l’amphithéâtre de l’école de médecine » [28]. Cette réunion de l’école de médecine constitue l’un des centres de décision de l’insurrection lyonnaise, celui de la Croix-Rousse jouant cependant un rôle plus important, avec les Voraces. Rapidement, l’armée vient à bout des insurgés. Certains, dont Jules Juif, s’enfuient en Suisse. Le 4 décembre 1849, le deuxième conseil de guerre, siégeant à Lyon, prononce ses sentences dans ce que les autorités qualifient de « complot du 15 juin » ; Jules Juif, jugé par contumace comme treize autres accusés, est déclaré coupable de participation à l’insurrection et condamné à la déportation [29].

Entre Suisse, Etats-Unis et France

A Genève, Jules Juif aurait d’abord eu l’intention d’exercer sa profession d’avocat et aurait été reçu au barreau de la ville, selon La Tribune lyonnaise [30] ; mais il rejoint ensuite les États-Unis. Il devient alors assez difficile de dresser avec exactitude son itinéraire et celui de sa famille ; sa femme accouche d’une fille à Lyon en janvier 1852 ; d’après l’acte de naissance, Jules Juif est « absent de cette ville pour ses affaires » [31]. Dans les années suivantes, il demeure à La Nouvelle-Orléans, où arrivent en 1855 les colons se rendant à Réunion (Texas), et en particulier Auguste Savardan :

Je trouvai heureusement tout d’abord dans M. Jules Juif, avocat français, chargé à la Louisiane des intérêts d’une très riche et ancienne famille française, non seulement l’accueil le plus affectueux, mais un concours spontané des plus précieux pour le débarquement momentané du personnel et du matériel de notre groupe [32].

Jules Juif aide les fouriéristes français dans leurs démarches administratives et dans leurs activités commerciales. Il est en relation avec Victor Considerant, Amédée Simonin, Thomas J. Durant. Il vit probablement quelque temps à New York ; quand Victor Considerant fait étape dans cette ville avant de prendre le bateau pour Europe, c’est chez lui qu’il séjourne pendant environ deux semaines en juin 1858 [33].

Vers 1860, il revient en France et travaille pendant quelque temps à la rédaction de La Presse  ; sa signature apparaît à l’automne 1861 au bas d’articles consacrés pour l’essentiel aux Etats-Unis et à la lutte entre le Nord et les confédérés du Sud ; il présente longuement l’organisation sociale des Etats sudistes, dénonce l’esclavage, « base fondamentale du système oligarchique du Sud » et critique « l’aristocratie du Sud […], violente, tyrannique, implacable » [34].

Si M. Lincoln traverse heureusement cette crise, la cause de l’humanité est gagnée, et, sans prévoir les particularités et les incidents de cette gde (grande) transformation, on pourra, dès à présent, se réjouir de la disparition certaine de cette iniquité sociale, l’esclavage ! [35]

Il quitte La Presse en décembre 1862, en même temps que plusieurs autres rédacteurs [36].

En 1866, Jules Juif est à nouveau aux Etats-Unis ; il correspond avec Victor Considerant et s’efforce de résoudre pour lui des difficultés douanières et de lui procurer … des dents d’hippopotames (« J’ai battu tous les magasins. Les dentistes non plus n’en ont pas ») [37]. Il fait partie du groupe de fouriéristes qui se réunissent à La Nouvelle-Orléans autour de Louis Louis (Lewis) pour commémorer la naissance de Fourier. Il revient ensuite en Europe ; il envoie une somme d’argent à La Science sociale en 1869 [38] ; en août 1871, il est à Lyon au milieu de ses amis républicains. Selon un journal lyonnais :

Le citoyen Juif a pris la parole pour nous décrire toutes les beautés de l’organisation républicaine. Dans un langage élevé, il nous a montré l’avenir sous les couleurs les plus attrayantes ; il nous a fait assister à la naissance de ces grandes associations américaines qu’un lien fraternel unit, qui font des prodiges de production de toute nature, et augmentent le trésor social.

Sa voix convaincue a été souvent couverte d’applaudissements ; on sentait qu’il parlait avec son cœur, que le flot républicain bouillonnait dans son âme, qui est un océan de patriotisme.

Merci au citoyen Juif [39].

Dans les années suivantes, et jusqu’à son décès en 1877, il demeure à Paris, boulevard Saint-Michel. Il assiste en avril 1873 au banquet célébrant l’anniversaire de la naissance de Fourier [40]. Peu après, il est l’un des « receveurs de la souscription ouvrière » chargés de recueillir de l’argent dans le cinquième arrondissement pour permettre l’envoi d’une délégation d’ouvriers à l’exposition universelle de Vienne en 1863 [41]. La même année 1873, sa fille Aline se marie avec l’ingénieur hydrographe Paul Guieysse, futur député et ministre des Colonies. Son gendre et lui participent en 1874 à l’assemblée générale des actionnaires de l’Union agricole d’Afrique [42], société fondée à la fin des années 1840 par certains de ses amis lyonnais, dont il ne semble avoir acquis que tardivement des actions (il n’apparaît pas sur les listes d’actionnaires de 1847, 1852 et 1869). Il reste cependant en contact avec ses amis américains : son nom figure en 1875 parmi les souscripteurs du Bulletin de l’Union républicaine, un périodique socialiste francophone paraissant aux États-Unis [43].

En 1877, le décès de Jules Juif est déclaré à la mairie du Ve arrondissement par Victor Considerant et Paul Guieysse. Le Rappel signale la mort d’

un des vétérans de la démocratie qui ont le plus lutté et souffert pour elle. Exilé par le 2 décembre [sic], il alla chercher un refuge à la Louisiane. Rentré en France au milieu de l’empire, il continua de servir dans la presse la cause républicaine. La mort l’a surpris au moment où la République venait de gagner sa victoire définitive [44].

Victor Considerant, François Cantagrel, Eugène et Camille Pelletan, l’ex-lyonnais Greppo (représentant démocrate-socialiste en 1849, élu député en 1871, 1876 et 1877), Eugène Jung (directeur de la Revue politique et littéraire (ou Revue bleue). Un pasteur protestant Dide prononce « d’éloquentes paroles sur cet homme de bien, dont toute la vie a été consacrée aux idées de progrès et de démocratie » [45].
Son épouse meurt en 1890.


Aphorisme du jour :
Les sectes suffisent à elles seules à guider la politique humaine dans le labyrinthe des passions
puceContact puceMentions légales puceEspace privé puce RSS

1990-2024 © charlesfourier.fr - Tous droits réservés
Haut de page
Réalisé sous SPIP
Habillage ESCAL 5.0.5