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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Madaule Hyacinthe (Bernard)
Article mis en ligne le 18 décembre 2015
dernière modification le 12 juillet 2021

par Desmars, Bernard

Né le 28 ventôse an 12 (19 mars 1804) à Paris (Seine), décédé le 18 mars 1869 à Oran (Algérie). Polytechnicien, officier du génie. Disciple de Fourier dès le début des années 1830. Membre de l’Union harmonienne à la fin des années 1830. Colon de Condé-sur-Vesgre (Yvelines) au milieu des années 1830, puis au début des années 1850. Membre de la colonie de Saint-Just (Marne) en 1850. Partisan de la réalisation sociétaire et auteur de plusieurs projets sociétaires.

Hyacinthe Madaule est le fils d’un chef de bureau de l’administration des droits réunis, puis contrôleur des contributions indirectes. En 1824 – sa famille demeure alors à Fontainebleau (Seine-et-Marne) – il entre à l’Ecole polytechnique, où il bénéficie d’une demi-bourse grâce au ministère de l’Intérieur. En 1826, il rejoint l’Ecole d’application du génie à Metz. Il en sort en 1829 (il y passe trois années au lieu de deux, en raison de problèmes de santé) avec le grade de lieutenant ; il est affecté à Arras, puis à Bayonne. Il se marie en 1832 avec la fille d’un receveur des canaux d’Orléans et du Loing domicilié à Cepoy (Loiret). Un garçon naît en juillet 1833.

Un propagandiste phalanstérien

Dès le début des années 1830, Madaule est un disciple de Fourier auquel il envoie des lettres décrivant son activité propagandiste et réalisatrice. Il met volontiers en avant ses succès, mais il est difficile de déterminer le crédit qu’il faut apporter à ses affirmations. A Bayonne, il aurait ainsi réussi « à [s]’emparer du Journal » local et à lui donner une tonalité fouriériste [1]. Il connaît bien également Victor Considerant, qu’il a probablement fréquenté à Metz (Considerant y est arrivé à l’automne 1828 ; Madaule en est parti en janvier 1830). En octobre 1833, alors qu’il est encore dans le Loiret, Madaule écrit à Fourier :

Le camarade Considerant se trouve ici depuis deux jours. Il est installé chez la baronne à Montargis où il va faire ce soir une séance. Il est venu trop tard pour que nous puissions travailler ensemble, nous eussions pu remuer alors tout le pays et attirer à nous tout ce qui peut s’y rencontrer de bon, au lieu qu’actuellement nous aurons agi l’un et l’autre séparément et produit peu d’effet. D’autant plus que le public de Montargis a l’intelligence un peu dure.
Cependant si Considerant veut rester assez longtemps, il trouvera assez d’individus qui formeront chez la baronne un Centre phalanstérien, lequel pourra prendre du développement avec l’étude et se reliera plus tard avec la masse des autres.
C’est ainsi qu’en opérant dans chaque lieu, votre nom deviendra plus populaire que jamais, si toutefois une expérience décisive à Condé ou autre lieu ne fait pas parvenir plus promptement au même but [2].

En 1833, Madaule est promu capitaine. Il est nommé à Sedan alors qu’il espérait aller à Mézières, ce qu’il attribue à « quelque petite intrigue de bureaux » [3]. Il envisage un moment de rejoindre les Ardennes en séjournant à Paris et en passant chez Fourier, mais il doit y renoncer :

Je regrette beaucoup le plaisir que j’aurais eu de vous présenter ma femme qui avait le plus grand désir de vous voir [4].

Abonné au Phalanstère [5], Madaule le fait circuler dans son entourage et réclame de nouveaux exemplaires ; « c’est en les prêtant à diverses personnes qu’on me les a égarés » [6]. Surtout, il demande à Fourier des informations sur la situation du mouvement sociétaire, sur la propagande, sur « l’état où se trouve [sic] Dulary et la colonie de Condé ».

Ici, j’entreprends la formation d’un petit centre ; mais c’est une opération qui ne peut marcher que lentement ; Sedan étant une ville tout à fait manufacturière et offrant peu de ressources à la propagation de nos idées. J’ai commencé par mes deux camarades dont l’un (vieux militaire échappé aux désastres de Wittemberg et de Waterloo), âgé de 41 ans, est tout à fait endoctriné. L’autre, plus jeune, résiste encore. Il est difficile à amener parce qu’il est dans l’illusion et croit que tout n’est que rose en ce monde. J’ai convaincu le premier, en éveillant chez lui la cabaliste en discussion. J’ai commencé par plaisanter la doctrine, tout en la lui exposant ; il l’a soutenue alors et je l’ai amené ainsi à une pleine conviction en faisant de l’opposition contre moi-même. Cette méthode m’a déjà réussi vis-à-vis divers civilisés. Si j’avais eu l’adresse de l’employer à Bayonne, j’aurais probablement eu plus de succès et n’aurais pas été obligé de me séparer tout à fait de mes camarades.

En m’étayant ainsi de deux ou trois intimes d’abord, il me sera plus facile de manœuvrer sur la masse et d’amener tout ce qui pourra être amené. Lorsque je verrai l’apogée du résultat que je puis espérer, je demanderai à quitter pour me rendre dans une autre résidence.

Il a l’intention de faire « un essai en faveur de la théorie » avec les ouvriers qu’il a sous ses ordres :

J’ai calculé qu’il était rapide en faisant entrer en partage de bénéfice nos ouvriers et introduisant la rivalité, la variété et l’enthousiasme dans les travaux, de leur procurer une solde double ou triple tout en faisant un rabais de 20% sur le prix du bordereau (nos entrepreneurs ne donnant ici que 4%).
L’affaire me paraît tellement sûre que si le comité manifeste quelque crainte, je lui proposerai de faire une expérience à mes risques et dépens. J’avoue que je n’oserais opérer que sur les travaux de terrassements qui ne présentent pas un grand nombre de séries, mais suffisant pour démontrer l’avantage immense du mécanisme sociétaire, quelqu’imparfait qu’il soit, sur l’état de chose actuel.
Il serait à désirer que nous puissions appliquer à tous les travaux de construction à la fois, parce que cela fournirait plusieurs centaines de séries et donnerait un plein développement au jeu de ce mécanisme naissant. Ce serait un élément d’armée industrielle, semblable aux corporations de maçons pratiques qui parcouraient l’Europe au moyen âge et qui ont fait dans le genre gothique des constructions si grandioses que nos ingénieurs n’oseraient en entreprendre de pareilles.
Mais je crois bon de n’entreprendre d’abord que les travaux de terrassements et ceux qui n’exigent point de fourniture. Parce que si nous étions obligés de nous approvisionner les matériaux auprès des communes et des entrepreneurs, il nous serait difficile (faute d’expérience) d’échapper à leurs griffes. A moins qu’on ne parvienne à leur faire consentir à entrer eux-mêmes dans l’association, ce qui ne tarderait pas probablement, après le premier tableau qui aurait été exposé devant leurs yeux [7].

A Sedan, il projette la rédaction d’

un mémoire, pour le comité du génie, où j’exposerais une organisation de travailleurs en construction d’après votre théorie. D’après les analyses des prix déjà faites, ici depuis longtemps, sur chaque article, il m’était facile de bâtir un système fondé seulement sur l’emploi des passions distributives et d’opérer facilement pour chaque groupe la répartition au scrutin.
Mais j’ai ici un chef de place, une vieille caboche, qui ne comprend rien et qui y met un entêtement, ou si je ne me trompe, une jalousie, tels qu’il en serait impossible de rien mettre à exécution. […] L’expérience m’a déjà montré pour un mémoire que j’avais envoyé il y a fort longtemps, que tout ouvrage est enfoui au moins deux ans dans les bureaux avant d’être lu.
J’ai donc changé d’idées. J’ai cherché à organiser en secret une petite association d’ouvriers. Je les ai fait venir chez moi. Je leur ai expliqué l’affaire et ils ont parfaitement compris. Ils cherchent maintenant à s’organiser. J’ai répondu, moi-même, d’eux auprès d’un bailleur de fond afin qu’ils aient de quoi se fournir les outils et les machines nécessaires. D’après ce que j’ai calculé, le minimum que nous espérons est d’obtenir des ouvriers deux fois et demi autant d’ouvrage qu’ils en font ordinairement dans le même temps. Cela sera, je crois, un beau résultat d’expérience. Je compte pouvoir commencer dans un mois. Plaise à Dieu qu’il ne se présente pas d’obstacle ; c’est ce que je ne puis pas croire. Ce n’est que quand je serai chef de place que j’aurai la certitude d’organiser cet élément de l’armée industrielle, mais d’ici à ce temps-là, il faut espérer que M. Dulary aura réussi [8].

Parallèlement, Madaule s’efforce de propager les idées de Fourier dans la population sedanaise :

Je suis, enfin, parvenu à vaincre ici l’inertie des esprits. Ce sont presque tous des fabricants de draps. Pour me faire comprendre d’eux il m’a fallu d’abord étudier leur industrie à fond, pour en connaître les vices et en parler avec eux. C’est un travail qui m’a été bien pénible, mais enfin j’y suis parvenu et je pourrais presque dire que je suis maintenant en état d’ériger une fabrique.
Je les ai convoqués tous à l’hôtel de ville, le 1er mars, où le maire m’a fait donner une salle. Toutes les autorités sont venues à cette séance ainsi que toutes les personnes les plus riches, au nombre d’environ 150. Il paraît qu’on en a été très satisfait, car dans toutes les sociétés que je fréquente, à dessein, on m’a fait beaucoup d’éloges. Je suis assez bien étayé du reste par un de mes camarades et deux ou trois personnes tout à fait partisanes du système. Chose singulière, je n’ai pas prononcé votre nom, dans cette séance, où je n’ai parlé que bénéfices et calculs ; et déjà, cependant, il est dans toutes les bouches. Je vais après-demain donner l’organisation des travailleurs et la répartition du dividende. La grande théorie viendra après. C’est une manière un peu hérésiarque de procéder ; mais j’y suis forcé par les circonstances. Soyez tranquille, je sais à quels gens j’ai affaire ici, il leur faut tout de suite du positif et je suis en état de leur en donner, car je connais les ouvriers aussi bien qu’eux.
Il y a un petit journal qui donnera ici le résumé de mes séances. J’espère que Le Sanglier des Ardennes le répétera. Du reste, je compte me faire connaître aussi à Mézières et à Charleville.
Donnez-moi donc quelques nouvelles de ce qu’on fait à Paris ainsi qu’à Condé. Je ne sais rien, absolument, vous ne m’avez pas renvoyé de journal ce mois.
J’ignore ce qu’est devenu Considerant, qui ne m’écrit pas [9].

Madaule, qui se sent très isolé dans les Ardennes, demande des informations sur les projets de Fourier et de ses disciples. Il s’inquiète toujours de la situation de la colonie de Condé-sur-Vesgre dans laquelle il met beaucoup d’espoir.

Un fouriériste réalisateur

Son engagement sociétaire et sa volonté de passer à l’application de la théorie sociétaire se traduisent par la publication d’une courte brochure, Un mot sur le phalanstère, dans laquelle il exprime son admiration pour Fourier.

Le public aujourd’hui commence à parler d’un homme que ses vues grandioses sur l’avenir de l’humanité ont fait regarder plutôt comme un utopiste que comme un génie bienfaisant : je veux parler de M. Charles Fourier, auteur de la Théorie sociétaire.
Depuis longtemps, le rêve de ma vie étant le bonheur de l’humanité, et ayant assez de foi dans la providence pour le croire réalisable, le me suis avisé de lire et d’étudier cet homme dont je voyais tant d’autres dédaigner les écrits ; et j’ai reconnu que, dans l’état actuel de la société, la conception de M. Fourier n’avait rien que de très praticable.
Me trouvant en contact avec une foule d’industriels depuis plusieurs années, il m’a été facile de chercher si la pratique ne ferait pas connaître des faits qui rendraient faux ou incertains quelques points de cette théorie : je n’ai jamais rencontré de contradictions, excepté lorsque mes observations étaient mal faites. Enfin, dans des travaux que j’ai fait exécuter moi-même et qui n’étaient qu’une représentation bien minime du système, j’ai réussi au-delà de mes désirs avec les ouvriers, et, théoriquement parlant il est vrai, ces faibles expériences que tout le monde peut répéter, garantissent un plein succès dans une grande opération [10].

Le reste de l’ouvrage est consacré à la description du phalanstère, à la présentation de sa structure administrative et financière, à l’organisation du travail et à la répartition des bénéfices. Madaule affirme avoir eu jusqu’à 600 ouvriers sous sa direction comme officier du génie. A partir de cette expérience,

je reste convaincu qu’avec un agronome et un gérant, non seulement tout capitaliste peut organiser un phalanstère, mais que la conduite en est encore plus facile que celle de la moindre de nos fabriques, ou la plus simple de nos administrations [11].

Aussi la réalisation du phalanstère est-elle rapidement envisageable :

un seul homme de cœur et de fortune suffisante, peut changer aujourd’hui la face du monde : car une fois le premier phalanstère établi, comme nous venons de le dire, l’abolition du salaire et de la tâche, auxquels on reconnaît de si graves inconvénients, s’ensuivra presqu‘immédiatement. Des individus de toutes les classes viendront ensuite y demander leur place, car l’association peut satisfaire à tous (voyez Fourier). Le système, d’ailleurs, avec l’accroissement de richesses qu’il procure, se recommandera assez tout seul pour que l’imitation le propage de toute part. Dans ce nouvel ordre de choses, on verra les communes s’associer entre elles, comme les individus dans chaque commune ; puis l’association s’étendra aux départements, aux empires, etc., et alors nous entrerons dans la terre promise, en harmonie sociétaire, annoncée par Fourier [12].

A la fin de son texte, Madaule invite les lecteurs à consulter

les écrits de M. Fourier et de ses collaborateurs. Le plus remarquable, sur cette matière, est l’ouvrage que vient de faire paraître Victor Considerant, capitaine du génie, et qui a pour titre Destinée sociale. Il est composé de deux volumes in-8°, prix : 14 fr., belles gravures sur cuivre. La théorie de M. Fourier y est exposée d’une manière claire, facile et à la portée de tout le monde. Rien n’a été négligé pour amuser le lecteur tout en l’instruisant, et dès la première page, on est entraîné jusqu’à la fin, par le charme attaché au style d’un habile écrivain [13].

Madaule fait de la propagande orale. Il essaie de « faire mordre les habitants de Sedan à la théorie sociétaire », comme il l’explique après avoir été muté à Rocroi :

Je m’étais en effet mis en mesure, à l’aide d’un de mes camarades, de faire de la propagation chez moi, puis ensuite dans une grande salle de l’hôtel de ville [de Sedan].
Dans ce dernier local, je fesais [sic] des séances régulières depuis deux mois, et où tout le monde venait assister. J’étais en relation affectueuse avec presque tous les richards du pays, tous les gros fabricants et quelques agronomes. Je m’appliquais chaque jour à leur faire comprendre les avantages qu’ils pouvaient eux-mêmes retirer de diverses méthodes à l’aide desquelles ils pouvaient faire entrer les travailleurs en partage de bénéfice avec eux. J’allais moi-même à mes risques et périls faire une application bien minime, il est vrai, de la théorie sur mes propres ouvriers (que j’avais réuni à cet effet chez moi et stimulés d’avance). J’allais faire voir combien il est facile de mettre en jeu le mécanisme de trois passions distributives et de retirer de la part des ouvriers environ 2 et ½ fois autant que ce qu’ils donnent ordinairement. J’allais faire comprendre aussi la facilité et les avantages du mode de répartition en séries et groupes, c’est-à-dire, enfin, que j’allais faire l’expérience des points principaux de la théorie, devant le monde industriel. Lorsque, je crois par l’effet de quelque calomnie, j’ai reçu du ministre, l’ordre de quitter Sedan et de me rendre à Rocroy [sic] dans le plus court délai.

Madaule attribue cette mutation à « des rapports faits contre [lui], probablement par quelque plat agent de l’autorité ». En tout cas, Rocroi lui apparaît comme « une terre d’exil », « un pays presque inculte et sans ressources » :

Je ne vois même pas, parmi les ouvriers et cultivateurs d’individus dont il me soit possible de tirer parti et dont je puisse me faire comprendre.
Dans le trou que j’habite aujourd’hui et qu’on peut apparenter à un village fortifié, j’ignore ce qui se passe au dehors [14].

Il envisage un moment de démissionner de l’armée pour rejoindre Condé-sur-Vesgre ; mais il apprend

par des lettres de Mr Dulary et Vigoureux […] que l’affaire de Condé peut se regarder comme perdue. Cela me désespère d’autant plus que je compte incessamment me trouver en possession d’une somme de dix mille francs.

Enfin, il interroge Fourier sur les activités du Centre sociétaire

Que fait-on à Paris ? Je voudrais bien avoir l’adresse de quelqu’un de ces messieurs. Considerant, Pellarin, Transon, Chevalier (sans doute Jules Lechevalier), Maurize, Berbrugger], etc… Je vous éviterais la peine de me répondre. Votre troisième volume que j’attends impatiemment s’avance-t-il ? [15]

Madaule bénéficie d’une importante notoriété au sein de l’École au milieu des années 1830, en particulier parmi ceux qui, malgré l’échec de Condé-sur-Vesgre, veulent hâter le passage à la pratique. Just Muiron en parle à plusieurs reprises dans sa correspondance ; il interroge le Centre parisien sur l’activité et les projets de Madaule [16].

En 1835, Madaule obtient un placement en non-activité – pour « infirmités temporaires » indique son dossier militaire [17]. Il rejoint Condé « pour aider M. Dulary à se tirer d’affaire » [18]. Il vit et travaille pendant plusieurs mois aux côtés de Baudet-Dulary et d’un cultivateur de la commune, Auguste Thomas, afin de relancer la colonie. Cette nouvelle tentative est un échec.

D’après Baudet-Dulary, Madaule

m’avait écrit qu’il rassemblait de bons travailleurs f… [mot illisible] de capitaux et me trouva disposé à m’associer avec gens donnant ainsi caution, sociétaires sérieux, intéressés de toute manière à persévérer. Mais hélas ! quel fut son noyau de fondation ? De braves et honnêtes gens sans doute, mais sans argent, et point disposés aux rudes travaux des champs, femmes et enfants ne sachant, ne voulant rien faire et le répétant à toute heure. M. Mad. reproche souvent aux autres de n’avoir pas suivi ses conseils : a-t-il alors voulu en écouter, soit de M. Thom. qui s’engageait avec crainte dans une entreprise si mal préparée, soit de moi, soit de M. Maurize et d’autres ? Il était sûr, archisûr du succès, et tout d’abord, rencontrant des obstacles imprévus pour lui seul, il perdit la tête et s’abandonnait au désespoir. Peut-il reprocher aux autres l’outrecuidance, la maladresse et le découragement ? Par bonheur, M. Thom. et moi avions résisté à la demande impromptue d’abandonner, M. Thom. ses récoltes, moi la propriété du terrain à cette malheureuse société, car il eut eût ? fallu liquidation, vente, procédures sans fin. Je consentais à louer pour vingt ans à moitié du prix offert par un fermier voisin [19]. […]

Mais pour Madaule, l’échec vient principalement de ce que

ceux qui avaient promis de s’unir à moi n’ont pas apporté la même bonne foi que moi.

Thomas et Baudet-Dulary s’étant sentis visés – à tort, selon Madaule – ils répliquent avec aigreur dans la Correspondance harmonienne, le second continuant cependant à tenir Madaule

pour un fort honnête homme, d’un commerce facile et agréable. Malgré ma misanthropie, je l’ai regretté ainsi que son aimable famille [20].

Ces quelques mois passés à Condé-sur-Vesgre ont probablement altéré les relations de Madaule avec Victor Considerant. La direction de l’École ne fait rien pour soutenir les efforts qu’il a déployés avec Baudet-Dulary et Thomas afin d’« insuffler une deuxième vie à la colonie de Condé » [21]. Muiron, dans une lettre adressée au Centre parisien (peut-être à Considerant lui-même), s’émeut du traitement réservé à Madaule :

Le ton sur lequel vous m’écrivez au sujet de la lettre de Madaule m’a fait mal ; c’est précisément en prenant ainsi les choses en gaité, sans se soucier du caractère, des intentions, des égards dus à un dévouement évident, qu’il s’égare ou non, c’est en laissant dans l’erreur ou la colère ceux qui doivent nous être le plus chers, parce qu’ils sont, à leur manière, fort naturellement, nos plus chauds adeptes, qu’on s’expose aux scissions fâcheuses et au discrédit dans le monde.
[…] Nous devons prendre au sérieux les intérêts de Dulary, de Madaule et consorts, les éclairer, lorsqu’ils ne voient pas, les remettre en bonne voie quand ils dévient.
[…] Il me semble que ce ne sont nullement des broutilles, mais bien des affaires que les choses dont parlent la correspondance de Madaule, celle de Dulary, etc. [22]

Madaule critique lui-même « l’esprit orthodoxique » et les « rapports malveillants » de certains condisciples. Il déclare être victime de « l’aversion de notre Saint-Siège [sans doute Victor Considerant] » et dénonce

les efforts qui ont été faits pour empêcher de se joindre à nous les collaborateurs qui avec moi avaient été des cautions plus que suffisantes à l’égard de ceux qu’il a repoussés [23].

Après son départ de Condé – son dossier militaire mentionne simplement « rappelé à l’activité » le 20 août 1836 – Madaule est envoyé à Douai où le couple a un second enfant, Firmin James [24]. Il continue à correspondre avec Thomas à qui il propose « de venir [le] voir, afin de [s’]entendre pour un nouvel essai » [25]. En 1838, il est muté à Metz, d’abord au sein de l’Ecole d’application, puis dans un régiment du génie. Il est en relation avec le fouriériste messin Jean-Baptiste Etienne Defer, qui se livre en 1838 à des expériences d’hypnose. Madaule assiste à ces séances [26].

Avec les dissidents de l’École sociétaire

A la fin des années 1830, Madaule fait partie de ceux qui contestent l’orientation donnée au mouvement sociétaire par Victor Considerant et qui souhaitent une application rapide des principes phalanstériens. Pour Madaule, les débats théoriques sont vains et seule la pratique associative importe. D’ailleurs, assure-t-il avec beaucoup d’optimisme, l’essai sociétaire ne présente guère de difficultés, à condition de tenir compte du milieu dans lequel se tente l’expérimentation. Loin de rompre avec l’environnement des Civilisés et la société englobante, l’essai sociétaire tel que l’envisage Madaule doit s’y adapter, en emprunter certains aspects afin de se développer. Constantin Prévost, un des premiers dissidents, fait l’éloge de l’approche de Madaule :

Vous avez, mieux que personne, compris les difficultés de la transition ou pour mieux dire, senti la nécessité de la succession des périodes et l’impossibilité humaine de violer les lois du mouvement universel. Vous avez cherché le moyen d’association industrielle plus en harmonie avec nos idées, nos mœurs et nos habitudes [27].

En 1838-1839, Madaule présente ses initiatives et ses projets, parfois sous le pseudonyme Eluadam, l’anagramme de son nom, dans le périodique Correspondance harmonienne. Il y a sans doute publié quelques lignes sur l’éducation, puisque, dans l’un des quelques numéros de cette revue qui ont été conservés, l’un de ses condisciples demande des renseignements complémentaires :

Si les projets d’Eluadam lui laissent quelques instants de loisir, je prendrais la liberté de lui demander la communication directe du mode d’éducation qu’il a adopté de concert avec plusieurs autres pères de famille, il obligerait un bon nombre de personnes de ma connaissance qui se désolent du système universitaire [28].

Un autre lecteur de la Correspondance harmonienne, le docteur Déchenaux], envoie

les réflexions que [lui] a fait faire le projet d’association proposé par Mad… dans la Correspondance. Ce correspondant propose de souscrire pour [une] association qui aurait lieu sous le nom de Société domestique agricole. Son plan de transition se rapproche de celui que Fourier a indiqué sous le titre de Ferme d’asile dans son Nouveau Monde industriel [29].

Toujours d’après la Correspondance harmonienne, Madaule constitue à Metz une société dite « Providentielle », dont les administrateurs sont pour la plupart des officiers et des fonctionnaires messins [30].

Il est difficile d’apprécier l’importance et la longévité – ou même la réalité – de ces associations qu’aurait créées Madaule. En tout cas, Constantin Prévost et d’autres fouriéristes dissidents mettent en lui beaucoup d’espoir :

Il est fâcheux que vos travaux ne soient pas répandus et que la mesquine et obscurante [sic] publicité phalanstérienne actuelle ait cru devoir étouffer par le silence vos recherches. Je crains que le découragement ne vous ait saisi, que le tracas des affaires et les nécessités domestiques ne vous absorbent complètement. L’étendue de vos connaissances, l’activité de votre esprit, sont trop nécessaires aux nombreux problèmes à résoudre encore en association, pour que nous ne soyons pas vivement préoccupés de l’espèce d’inertie dans laquelle les travailleurs de votre trempe semblent plongés. Puisse le chapitre que je vous adresse, offrir à votre intelligence un sujet de méditation, et vous faire produire de nouveaux travaux ! [31]

Mais les lettres qu’il publie dans Correspondance harmonienne, suscitent aussi des réactions négatives et des échanges épistolaires parfois rudes. Doherty, que Madaule a déjà accusé de « médisance [et de] méchanceté machiavélique », relève chez celui-ci des contradictions dans ses propos et surtout un ton très ambigu envers ses condisciples :

Il donne tantôt des coups de pied, tantôt des baisers de Judas. Ses expressions de bienveillance me font l’effet d’une patte de velours qui lâcherait bien volontiers les griffes pour écorcher ce qu’elle caresse momentanément. [Mais] Mad. est évidemment un ardent travailleur qui serait très précieux, s’il était dans la bonne voie.
[…] Mad avec la prétention de débrouiller ce qu’il appelle le chaos des orthodoxes, débute par un simplisme, en voulant séparer la théorie de la pratique, comme si on pouvait faire de la pratique sans une théorie ou un système quelconque [32].

Madaule figure sur la liste des correspondants de l’Union harmonienne [33], qui, en 1841, annonce « pour paraître incessamment » un Plan d’association immédiatement praticable et en harmonie avec les idées reçues, ouvrage publié sous le nom d’Eluadam [34]. Mais en 1843, un nouvel organe, la Correspondance phalanstérienne se demande :

Pourquoi Eluadam ne reprendrait-il pas ses calculs économiques sur l’association agricole de 30 à 40 familles. Il a fait un travail intéressant que l’Union nous avait promis, mais qui n’a point encore été publié, voudrait-il nous honorer d’en gratifier les feuilles de la Correspondance ? [35]

Politique, éducation et carrière militaire

Au début des années 1840, Madaule devient plus discret. Il s’abonne cependant à La Phalange, puis à La Démocratie pacifique, les organes de l’École sociétaire dirigée par Victor Considerant. En 1841, il est nommé inspecteur des études à l’École polytechnique où il a pour fonction la surveillance des activités des élèves. Puis, en 1845, il est affecté à Melun, comme capitaine du génie en chef chargé des départements de l’Yonne et de la Seine-et-Marne. Il occupe encore cette fonction au moment de la révolution de février 1848. En mars-avril, il s’engage dans le combat politique. D’après un tract, repris dans la presse locale, « un grand nombre d’électeurs, notamment de Melun, de Fontainebleau et Montereau ont invité M. Madaule […] à se mettre sur les rangs pour la candidature du département de Seine-et-Marne » à l’Assemblée constituante :

Dans nos recherches faites parmi les hommes modestes et laborieux, nous avions déjà fixé notre attention sur vous : sur vous, à qui toute notre estime est acquise, qui ne vous laisserez jamais corrompre ; sur vous, dont les nobles pensées nous sont connues ; sur vous, enfin, dont les veilles, passées depuis quinze ans à organiser une association favorable à tous les intérêts, vous ont conduit à trouver des moyens si ingénieux et si nécessaires aujourd’hui pour consolider la propriété de la classe riche, améliorer la position de la classe moyenne et donner l’aisance à la classe pauvre : moyens fondée sur un principe d’association large et complet, dont Condé-sur-Vesgre pourra nous servir de modèle [36].

Les membres de ce « comité de soutien » se chargent de le présenter aux lecteurs :

Nous connaissons vos idées libérales. Nous connaissons votre vie, qui nous offre toutes les garanties possibles de probité privée et de probité politique. Nous savons que votre carrière a été arrêtée par des persécutions occultes, par des préventions fondées sur vos idées régénératrices ; nous savons qu’avant les mémorables journées de février, vous vouliez vous retirer pour vous livrer tout entier à la réalisation des saines idées d’association, lesquelles peuvent seules procurer un bien-être stable à la classe laborieuse et élever en votre carrière, mais encore que vous avez sacrifié vos propres deniers pour atteindre ce noble but.

La réponse de Madaule est sa profession de foi :

Il faut à la France des hommes qui comprennent bien la crise industrielle dans laquelle nous sommes plongés, qui sachent y apporter remède le plus tôt possible, qui sachent constituer le crédit public sur des bases inébranlables, et ouvrir, pour l’ordre nouveau, une marche franche qui nous évite à l’avenir toute commotion désastreuse.
Il faut des hommes qui comprennent qu’un gouvernement fort et loyal n’a rien à craindre de la liberté d’association, de la liberté d’enseignement et de tout ce qui exprime un besoin de la nation ; qui comprennent non seulement pourquoi la liberté ne peut pas exister sans l’ordre, mais aussi pourquoi l’ordre ne peut pas exister sans la liberté. […]
Ce qu’il faut, ce sont des hommes d’avenir qui connaissent les lois du mouvement social, afin de prévoir les causes qui amènent les perturbations et de faciliter la marche du progrès : ce sont des penseurs et des travailleurs qui comprennent que le mal aujourd’hui n’est pas parce qu’il y en a quelques-uns qui ont trop, mais parce qu’il y en a beaucoup qui n’ont pas assez, et qu’alors il convient de fournir à ces derniers le moyen de se créer des ressources nouvelles sans rien prendre aux premiers.
Ce qu’il faut, […] ce sont des hommes imbus religieusement de l’esprit d’association qui commence à se développer et dont le besoin se fait sentir sur une foule de points, des hommes qui sachent s’inspirer à cette source féconde, concilier sagement les intérêts de toutes les classes et amener notre pays au plus haut degré de prospérité et de puissance.
[…] La science du progrès, l’art de lier les intérêts, le moyen d’établir la liberté, l’aisance et la bonne harmonie parmi tous les membres d’une société, exige une assez longue étude.

Pendant cette période électorale L’Indicateur de Seine-et-Marne accueille en avril 1848 une série d’articles intitulée « Questions sociales » ; l’auteur y fait l’éloge de Madaule et de ses projets d’essai sociétaire.

on voit comment M. Madaule a su se mettre en harmonie avec les idées reçues où il fallait nécessairement prendre pied dans la voie de l’avenir [37].

Madaule n’est pas élu. A nouveau en congé pour infirmités à partir de mai, il réside à Fontainebleau. En septembre 1848, il annonce l’ouverture dans cette ville d’une « École intégrale ». L’encart publicitaire qui est publié dans La Démocratie pacifique présente les buts poursuivis par l’institution.

L’objet de cet établissement est de donner non seulement une instruction supérieure aux jeunes gens admis dans son sein, mais aussi de développer chez eux toutes les facultés du corps et de l’esprit.

L’encart publicitaire ne mentionne pas Fourier ; mais certains principes auxquels il fait référence y renvoient directement, même si Madaule les associe à des ambitions beaucoup plus conformistes, comme l’accès aux « grandes écoles » :

Récréations industrielles et exercices variés, habilement dirigés, garantissant que tous les instants seront employés d’une manière utile et agréable (Jardinage, agronomie, histoire naturelle, équitation, natation, pêche, etc. Travaux d’ébénisterie, métallurgie, architecture, musique, peinture, industrie et arts divers). Etudes faites en courtes séances et ne durant pas plus d’une heure pour chaque nature du travail. Expérience de dix-huit ans en faveur de ce système, éminemment propre à guérir, par la variété des occupations, la plupart des défauts de la jeunesse. Goût des jeunes gens étudiés avec le plus vif intérêt, afin de faire connaître aux parents, le plus tôt possible, les aptitudes de leurs enfants et de les aider dans le choix des carrières que l’avenir leur destine.
Préparation pour les différents grades universitaires, pour les Écoles polytechnique, militaire, navale, forestière, vétérinaire, centrale des arts et manufactures, d’administration, des beaux-arts, de commerce, etc. [38]

Les archives publiques ne gardent aucune trace de cette « école intégrale » qui est probablement restée à l’état de projet [39].

La fin de sa carrière militaire

Les médecins ne pronostiquant aucune amélioration de son état de santé, Madaule est placé en « non activité pour infirmités temporaires » en septembre 1849 [40]. Ainsi s’achève sa vie militaire active, sa mise à la retraite véritable n’intervenant qu’en 1853. Il est toujours capitaine, grade obtenu dès 1833. Il n’a pas reçu, contrairement à nombre de ses camarades, de décoration : son nom a bien été proposé pour la Légion d’honneur par le commandant de l’École polytechnique – parce qu’« il est le plus ancien des officiers de l’École qui ne sont pas décorés » – puis par ses supérieurs hiérarchiques à Melun, mais sans résultat [41].
Lui-même semble se plaindre parfois des manœuvres dont il est victime (notamment au moment de son affectation dans les Ardennes) ; son comité électoral en 1848 évoque les « persécutions » qu’il a subies en raison de ses « idées régénératrices » [42]. Pourtant, son dossier militaire ne mentionne jamais son engagement fouriériste, de façon d’ailleurs parfois surprenante. Son absence en 1835-1836 est justifiée par des raisons médicales dans le relevé de ses services, alors qu’il participe à ce moment aux travaux de la colonie de Condé. La direction de l’École polytechnique reste également muette sur son engagement phalanstérien, il est vrai sans doute un peu plus discret au début des années 1840 [43].
Sa constitution physique est sans doute largement responsable de sa stagnation au grade de capitaine. Dès le début des années 1830, ses supérieurs relèvent sa mauvaise vue et sa santé fragile qui l’empêchent de diriger convenablement certains exercices ; son service actif est d’ailleurs suspendu à plusieurs reprises pour « infirmités temporaires ». Cela l’a probablement empêché aussi de participer aux expéditions coloniales – en particulier en Algérie – qui, pour nombre de ses camarades, ont considérablement accéléré leur avancement.
Les fiches individuelles remplies par ses supérieurs reconnaissent généralement à Madaule une « conduite » et une « moralité » « excellentes, irréprochables » ; « une instruction étendue en sciences mathématiques et en économie politique » ; c’est « un officier fort instruit, capable, d’un esprit porté à l’invention » (1848) ; « il sait l’allemand, la sténographie, l’histoire naturelle, la géologie, l’agronomie » (1847). Il « sert avec beaucoup de zèle et de conscience » (1848). Mais sa « constitution fragile » et sa vue médiocre le rendent inaptes à certains travaux militaires. On lui reproche également son indécision : « Il est lent, a des idées peu arrêtées et s’embarrasse dans les moindres difficultés » (1847). C’est un « officier assez médiocre, ne manquant ni de bonne volonté, mais ayant peu d’aplomb et d’expérience » (1845).

Les colonies de Saint-Just et de Condé-sur-Vesgre

En 1849, Madaule réside à Fontainebleau [44]. L’année suivante, il participe à une éphémère communauté fondée à Saint-Just (Marne) par Claude-Dominique Napias et son frère Louis-Marie. Le premier est l’auteur d’une brochure, Transition pacifique et sûre vers un nouveau monde, dans laquelle il fait de « l’association volontaire » l’instrument majeur de la transformation sociale.
Sans nous arrêter aux idées de tel ou tel écrivain socialiste, nous avons cru que les divers systèmes exposés par chacun d’eux présentaient, en général, plus de garanties que de sujets de craintes [45].

Pratiquant un socialisme syncrétique, il a élaboré les statuts d’une « colonie agricole, industrielle et commerciale » ; en septembre 1849, il lance un « appel à tous les cœurs honnêtes et généreux » afin de « fonder dans notre village [Saint-Just] une Association fraternelle, dirigée dans des vues d’avenir, qui pût, dès aujourd’hui, utilement fonctionner sous l’empire des lois existantes » [46].

Nous n’entendons point expérimenter tel ou tel système. Sans nous appliquer à copier personne, nous avons pris un peu partout. [...] Nous nous sommes principalement proposé pour but de faire dans notre commune ce qui est praticable sans froisser les droits, les intérêts, les habitudes de qui que ce soit, sans contrevenir à la législation quinous régit [47].

L’association est égalitaire ; elle promet « la solidarité ou assistance mutuelle générale des associés » ; elle utilise des bâtiments et des terres que lui cèdent les frères Napias. L’installation de la colonie commence au printemps 1850. Le 2 avril, Madaule prend en location une maison de maître appartenant à Louis-Marie Napias, qui y conserve toutefois quelques pièces [48]. Madaule verse dès la signature les 1000 francs auquel se monte le loyer annuel. Il obtient du ministère de la Guerre l’autorisation de transférer sa résidence à Saint-Just ; il justifie ce transfert de résidence, selon son supérieur hiérarchique qui transmet la demande, par « le climat [de Saint-Just qui] paraît devoir être meilleur pour sa santé » que celui de Seine-et-Marne [49]. Curieusement, sa présence dans une communauté fondée par des socialistes ne semble pas alerter les autorités militaires. On ne sait ce qu’il fait précisément à Saint-Just, s’il participe ou non aux travaux des champs et aux activités de cette colonie qui se disperse probablement en novembre 1850 [50]. Lui-même demande dès la fin septembre ou le début octobre à ses supérieurs l’autorisation de changer à nouveau de résidence et de s’établir à Condé-sur-Vesgre, commune où il réside encore quand il obtient sa mise à la retraite [51].
Madaule fait en effet partie du petit groupe de fouriéristes qui, fin 1850, fonde le « Ménage sociétaire » à Condé-sur-Vesgre [52]. Il y séjourne avec sa femme et leur fils lors du recensement de 1851 [53]. Cependant, assez rapidement, ses objectifs divergent de ceux des autres membres du « Ménage sociétaire », comme l’explique Joseph Pouliquen en 1855 :

Lorsque mes amis et moi (Madaule excepté) nous conçûmes l’idée de fonder à Condé un Ménage sociétaire, nous n’y étions pas déterminés par le désir d’en faire une spéculation, notre conduite le prouve suffisamment, mais par la pensée que cette institution répondait à un besoin de notre époque et qu’elle pourrait être utile à ceux de nos amis qui, se trouvant dans la même condition que nous, seraient heureux de savoir qu’il existait en voie de formation un milieu sympathique où il était possible de vivre de la vie collective [54].

Madaule, quant à lui, souhaite installer un « pensionnat primaire » à Condé. Il entame des démarches auprès du rectorat de Seine-et-Oise afin d’obtenir l’autorisation d’ouvrir un établissement privé. Le recteur est assez réservé et demande au ministre de la Guerre des informations sur « les relations que cet ancien officier auraient eues autrefois avec l’administration du phalanstère que des fouriéristes avaient établi dans ladite commune de Condé » [55]. La préfecture fait une démarche semblable :

M. Madaule, Hyacinthe Bernard, ancien capitaine du génie, a l’intention d’ouvrir un pensionnat primaire à Condé, petite commune de mon département où les idées socialistes ont fait quelques progrès. Les principes sociaux de cet ancien officier ne semblent pas rassurants. Je viens donc vous prier de me faire connaître ses antécédents sous ce rapport [56].

Les autorités militaires répondent que la

conduite [de Madaule], sous le rapport militaire, n’a donné lieu à aucune note défavorable […]
Quant aux principes sociaux que M. Madaule a pu professer, il n’y a eu au dossier aucun renseignement qui puisse en établir la nature et le blâme dont ils auraient été l’objet [57].

Ce pensionnat n’est finalement pas ouvert dans la colonie. Mais peut-être est-il établi dans le bourg de Condé [58]. En effet, Madaule entretient des relations difficiles avec les autres colons. C’est ce que suggère en 1855 une lettre de Pouliquen à Guillon, à propos de la publicité qui pourrait être faite autour de la colonie :

Merci aussi de l’offre obligeante que vous nous faites de vous employer pour attirer l’attention de nos amis sur notre modeste entreprise. […] Mais permettez-nous quelques observations sur le moyen que vous nous proposez. Comme vous le dites bien, nous ne devons point avoir recours à la grande publicité, nous ne l’avons jamais voulu, nous reconnaissons avec vous les inconvénients qui peuvent en résulter, nous en avons même fait l’expérience du temps de Madaule.

Pouliquen se rappelle avoir déjà demandé à Allyre Bureau de faire connaître, de façon discrète, la colonie auprès des condisciples. Mais

c’était l’époque où nous avions le Madaule [sic] avec nous, et c’est peut-être pour cette raison que j’ai éprouvé un refus. Aujourd’hui, comme vous le remarquez fort bien, notre établissement n’a plus le même caractère, et ce caractère, nous voulons le lui conserver [59].

A ce moment, Madaule a donc quitté le Ménage sociétaire ; il s’est installé dans l’ancien presbytère de la paroisse [60]. Il y reste cependant peu de temps : il n’habite plus à Condé lors du recensement de 1856. On perd ensuite sa trace et celle de sa famille. Son nom est toutefois cité en 1859 dans La Vie humaine, une revue maçonnique dirigée par un ancien fouriériste, Riche-Gardon [61]. A une date indéterminée, Madaule quitte la métropole et s’installe en Algérie, près d’Oran, où il meurt en 1869. L’acte de décès ne précise pas si son épouse est encore vivante.