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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Chevé, Emile
Article mis en ligne le 15 juin 2010
dernière modification le 19 décembre 2013

par Desmars, Bernard, Guengant, Jean-Yves

Né le 1er juin 1804 à Douarnenez (Finistère), mort le 25 août 1864 à Fontenay-le-Comte (Vendée), chirurgien de marine, médecin, propagateur de la méthode d’enseignement musicale chiffrée, dite méthode Galin-Paris-Chevé. Professeur de musique vocale des écoles impériales. Animateur du journal La Réforme musicale et des chorales du choral-Chevé. Fouriériste, de même que sa seconde épouse Nanine, née Paris (1800-1868).

Document 1. Note sur Nanine, 1800-1868

Si Émile est le théoricien de l’école, on doit à Nanine (aidée par son frère Aimé Paris, 1798-1866), la partie pratique de la méthode. Le projet du trio est d’écrire une méthode qui puisse être apprise sans aucune éducation musicale, créant ainsi un enseignement populaire de la musique.

Image 1. Nanine et Emile Chevé en 1845
Bibliothèque nationale de France



Méthode Chevé. - « Manière de jouer au billard contraire à l’usage : y jouer avec une cuiller, avec les doigts, avec deux queues, etc. » (Argot des bohêmes) [1]

Le chiffre contre la note

Né à Douarnenez, Émile Chevé est de la même génération que Charles Pellarin, qu’il connaît à Brest, lors de ses études de médecine navale [2]. Il est le dernier enfant d’une nombreuse famille. Son père exerce la profession de receveur des contributions. Sa mère, Marie-Charlotte, est la tante d’Aimé Paris (1798-1866), l’inventeur de la famille [3]. Enfant doué, Émile est placé chez son frère, chirurgien-major de la marine à Brest. Il fréquente la pension Goez et en 1820, à seize ans, entre à l’école de médecine navale. En mai 1823, il obtient son diplôme de chirurgien de marine. Il est prévôt du médecin-chef de l’école, M. Legris-Duval lorsque Pellarin intègre l’école. Pellarin est tout de suite conquis par cet homme austère et passionné. Il retrouve Émile à Gorée (Sénégal) en janvier 1829 ; après plusieurs campagnes commencées sur la Jeanne d’Arc en 1823, ce dernier y a été nommé en novembre 1828, et sa jeune épouse, Fanny Simon, l’a rejoint. Elle donne naissance en 1830 à leur fils Amand. Émile, « esprit si actif, cœur si dévoué » (Pellarin) [4], est apprécié de son supérieur hiérarchique qui évoque son humanisme et l’estime publique dont il est entouré [5]. Il reste en poste au Sénégal jusqu’en 1831, où il acquiert une expérience reconnue dans la lutte antiépidémique. Sa thèse de doctorat, soutenue en 1836, porte d’ailleurs sur le traitement de la fièvre jaune. Son action lui vaut la légion d’honneur en mars 1831 [6]. Il n’a pas encore 26 ans.
Son retour en Bretagne en 1831 marque la fin des campagnes outre-mer. Il poursuit cependant l’exercice de son métier, à Brest, puis à Paris, où il donne des cours d’anatomie et de pathologie à l’école de médecine. Il y suit les cours de musique d’Aimé Paris. En septembre 1837, il perd son épouse Fanny. Sa route croise celle de Nanine Paris, la sœur d’Aimé, qu’il épouse en 1839. Il consacre désormais son temps à faire admettre la méthode améliorée par son beau-frère. Il publie dès 1833 des travaux de vulgarisation de chimie (Traité élémentaire de chimie, 1833). Ses connaissances en ce domaine l’amènent à travailler pour un industriel lyonnais. Il rejoint la ville à l’automne 1840, après avoir tenté faire valider par le ministère de l’Instruction publique la méthode Galin-Paris. Le manuel proposé au Conseil de l’Instruction publique est repoussé.

Des soldats analphabètes peuvent-ils chanter l’Opéra ?

A Lyon, Émile s’adresse aux militaires afin d’expérimenter sa méthode. Il veut mener à bien une expérience dont l’objet est simple. Il s’agit de prendre un groupe d’individus de bonne volonté, complètement étrangers à l’étude de la musique ; de donner à chacun d’entre eux une dizaine de leçons individuelles, de leur faire ensuite un cours simultané de quatre leçons hebdomadaires, pendant huit à neuf mois ; de leur permettre de consacrer journellement une demi-heure à réviser leur cours. Puis de leur faire passer un examen : lecture aléatoire de morceaux musicaux dans un recueil, écriture sous la dictée un air pris au hasard dans ce recueil, chant de cet air après écriture, lire un air, analyse du morceau musical, connaissance de l’harmonie. Le but est de vulgariser la musique « comme moyen puissant de moralisation pour le pauvre, et même pour les classes moins malheureuses ; la marine surtout, et l’armée, en tireraient un bien immense ». [7]

Les troupes des régiments lyonnais s’inscrivent parfaitement dans ce champ d’expérimentation. Tout comme l’enseignement mutuel, au début des années 1820, l’enseignement musical répond à une demande essentielle d’éducation des militaires du rang : Chevé trouve dans les officiers des régiments des alliés précieux, qui non seulement prêtent le concours de leurs hommes mais adhèrent à la démarche scientifique, voulue par lui. Après un essai au début de 1842 avec des canonniers, qui s’avère concluant (après quarante leçons, ils exécutent un chœur d’opéra), cent cinquante soldats participent à l’expérience. Le lieutenant-général de Lascours, un libéral, met à sa disposition deux officiers qui participent pendant une année complète à l’expérience. Émile se plaît à opposer ces officiers généreux à ses détracteurs : « Ils ont su braver les épithètes de fous, que ne manquent jamais de s’attirer les âmes généreuses qui savent se dévouer à l’idée de progrès. » [8]
Outre les remerciements adressés aux militaires lyonnais, Chevé salue son ami Eugène Béléguic, lieutenant de vaisseau, et affirme : « Lui aussi est un fou, il y a bien longtemps qu’il a osé proclamer la vérité » (8 mars 1844) [9]. Douarneniste comme lui, Béléguic est lieutenant de vaisseau en 1843, et bientôt phalanstérien convaincu [10]. Un autre phalanstérien suit attentivement l’expérience : Charles Pellarin, qui travaille à L’Impartial de Besançon. Il est le premier à rendre compte de l’expérience, dans son journal, puis à La Phalange, qui relate en avril 1842 les premiers cours. Chevé est un lecteur de La Phalange, et il écrit fin avril à la rédaction pour lui expliquer sa méthode [11]. (voir document 2)

Document 2. Enseignement de la musique à des masses
La Phalange, 20 janvier 1844

En octobre, trois régiments sont engagés dans l’expérience : les hommes sont réticents, voire hostiles. La plupart d’entre eux ne savent pas lire, et encore moins chanter. L’expérience se poursuit malgré les difficultés et les mouvements de troupes. En juillet 1843, vingt-huit élèves restent sur les cent cinquante de départ. Pourtant en avril 1843, selon le protocole mis en place, les chanteurs peuvent interpréter un spectacle, reprenant tous les points préalablement décrits.

L’école Galin-Paris-Chevé donne de la voix contre les conservatismes

C’est une expérience sans lendemain. Émile revient à Paris et reprend son métier de médecin pour vivre. Il doit inventer des méthodes d’imprimerie pour noter ses airs et les rassembler dans un recueil, qui paraît en 1844. Son retour fracassant dans le monde musical se fait par un Appel au bon sens de toutes les nations sur l’enseignement musical, en 1844, et par un manifeste, dont la première question est un brûlot :

Pourquoi la musique est-elle si peu répandue en France ? Pourquoi si peu de personnes sont-elles musiciennes, c’est-à-dire sont-elles en état de lire et d’écrire correctement la musique, comme elles lisent et écrivent le français ?


Il introduit alors son combat en citant Fourier, dont il affirme, dès l’écriture de sa théorie, être le disciple :

Un inventeur est obligé de contredire les erreurs dominantes ; un charlatan pour faire des dupes flagorne tous les sophistes ; lequel des deux est digne de confiance ? (Fourier, Le Nouveau Monde industriel et sociétaire, 32)


Si La Démocratie pacifique appuie son ouvrage, de nombreuses critiques mettent en cause le bien-fondé de la méthode chiffrée. Très rapidement, c’est l’échec de la diffusion de la méthode, rejetée par le ministère et par la ville de Paris, et le début d’une polémique qui ne fait qu’enfler avec le temps. Chevé ne fait rien pour apaiser le conflit, publiant pamphlets et protestations ; il oppose la routine et le bon sens, routine des conservatoires et bons sens des écoles Galin-Paris-Chevé.
Désormais, il faut imposer la méthode, en s’appuyant sur la popularité de celle-ci, contre le supposé conservatisme des élites. Nanine avait ouvert un cours dès 1840, Émile ouvre son école en 1846. Un cours de musique vocale et d’harmonie ouvert aux ouvriers et gratuit, se tient à partir de 1849, trois fois par semaine, à 9 heures du soir, afin de permettre à chacun d’y participer. [12] (Voir document 3)

Document 3. Cours gratuit de musique vocale par E. Chevé
La Démocratie pacifique, 27 janvier 1849.

L’exemple parisien est bientôt suivi dans plusieurs villes de province. L’aspect populaire et révolutionnaire du procédé classe le couple Chevé parmi les musiciens « humanitaires », pour ne pas employer le terme de révolutionnaires, ou de socialistes. Le Ménestrel (31 octobre 1852) en parle ainsi :

La musique humanitaire affecte des mélopées larges, solennelles, mais le rythme marche à la diable, et le dessin mélodique est tout aussi vague que les théories qu’elle est destinée à symboliser. Quand la musique humanitaire est d’humeur paisible, elle chante les bœufs, elle glorifie les vaches, les paysans, la vigne, la charrue, l’agriculture, le labourage, le travail et la pauvreté ; mais elle les chante avec colère et en grinçant des dents. Ces magnifiques hymnes au travail ont fait la joie de cent mille prolétaires, qui ne quittaient pas les cabarets. Infortuné travail !

Son combat ne souffre aucun compromis ; sa femme Nanine vient sans cesse l’épauler, mais elle sait en permanence s’effacer derrière lui. Cette posture radicale et mystique, ne quitte plus Chevé. Ses condisciples de l’école de médecine navale, l’avaient surnommé avec malice Caton, tant l’intransigeance était un trait dominant de son caractère. Adulé des uns (l’article que lui consacre Larousse dans son Grand dictionnaire universel du XIXe siècle (tome 4), est tout entier à la glorification de son œuvre), détesté par la plupart des musiciens et critiques musicaux, il ne laisse personne indifférent.

En 1853, Chevé organise un concours sous la présidence d’honneur de Berlioz entre les sociétés de chorale. « M. Emile Chevé poursuit avec une infatigable persistance sa lutte contre l’ancien système musical. Il vient de proposer un nouveau concours entre les diverses sociétés chorales de France et de l’étranger. Ce concours public aura lieu à Paris, le 12 juin prochain. » (Le Ménestrel, 6 mars 1853). Fiasco complet ; ni chorales, ni président ne se présentent le jour du concours. Seule l’école Galin-Paris-Chevé participe. Ce boycott aurait pu marquer la fin de l’épopée ; pourtant l’obstiné professeur s’acharne et trouve la parade. Il constitue un comité de parrainage, composé des plus éminentes autorités politiques de l’Empire. Et il rencontre à ce moment la volonté impériale de se rapprocher du monde ouvrier, malmené jusqu’alors. L’éducation musicale devient enjeu de société. Ainsi sa chorale clôture-t-elle les concerts donnés à l’occasion de l’Exposition universelle de 1855. Sa nouvelle position lui permet de développer plus aisément ses thèses dans son journal, La Réforme musicale. Les critiques se font moins nombreuses et plus mesurées. Elles n’en persistent pas moins, et les opposants s’organisent, traitant ses thèses d’extravagantes. Le soutien du duc de Morny, deuxième personnage de l’État et président de son comité de parrainage en 1859, ne suffit pas à protéger Émile Chevé. Peu à peu, la musique humanitaire perd son statut original, et devient l’otage d’un combat plus politique qu’artistique.

Le phalanstérien discret mais engagé

La conversion phalanstérienne de Chevé est sans doute due à ses amis militaires : Béléguic et Pellarin assurément, mais aussi les officiers qui l’ont soutenu dans ses expérimentations lyonnaises. Peu de temps après ces expériences, il a pris contact avec la rédaction de La Phalange, puis de La Démocratie pacifique. Son retour à Paris et sa collaboration régulière à La Démocratie pacifique ont facilité les rencontres. On peut retenir dans cette perspective son engagement en faveur de l’Union agricole d’Afrique ; il est l’un des premiers actionnaires de la société [13] et il en est quelques temps le « correspondant » dans la capitale, chargé de renseigner les éventuels souscripteurs et d’encaisser leurs premiers versements [14]. Il accomplit également quelques démarches administratives auprès du ministère de la Guerre au profit de l’Union [15]. Il se trouve en relation avec un certain nombre de fouriéristes (Charles Pellarin, Charles Sauvestre, et Allyre Bureau, lui-même musicien, qui dès 1844 s’intéresse à la méthode et l’expérimente en 1849 [16]) ; ils soutiennent ses initiatives de vulgarisation. Les colonnes de La Démocratie pacifique accueillent les longs réquisitoires de Chevé contre les institutions musicales et reproduisent les lettres qu’il adresse aux autorités. Les rédacteurs de l’organe fouriériste soutiennent sa « lutte pénible et courageuse », dans laquelle ils voient l’une des formes du combat qu’ils mènent contre le « vieux monde » [17]. Lui-même inscrit la méthode Galin-Paris-Chevé parmi les œuvres des génies méconnus et des « novateurs » en butte à l’hostilité de leur contemporains, comme Christophe Colomb, Galilée ou encore Fourier [18] !

Chevé accueille avec satisfaction la chute de la monarchie en février 1848 ; il veut d’abord participer aux combats politiques et annonce sa candidature à l’Assemblée constituante en avril 1848 (Voir document 4).

Document 4. Profession de foi d’Emile Chevé pour les élections à l’Assemblée constituante d’avril 1848
La Démocratie pacifique, 12 avril 1848

Non élu - il n’est d’ailleurs pas certain qu’il ait maintenu sa candidature - Chevé voit dans le changement de régime « la victoire complète remportée par la vérité et la loyauté sur l‘erreur et la mauvaise foi des hommes qui avaient la haute main sur l’enseignement musical dans les écoles et les collèges de Paris » [19] ; l’avènement de la République, pense-t-il, lui assure enfin la reconnaissance à laquelle il aspirait depuis près d’une dizaine d’années. Mais, contrairement à ses espérances, il ne parvient pas à imposer sa méthode, et l’évolution conservatrice du régime ne facilite pas sa tâche : la salle où il donne avec succès un cours public et gratuit lui est retirée par les autorités ; il peut cependant reprendre son enseignement dans des locaux qui lui sont fournis par le doyen de la Faculté de la médecine, grâce aux relations qu’il a conservées avec l’institution universitaire dans laquelle il avait lui-même enseigné au cours des années 1830.
Sous le Second Empire, les membres de l’École sociétaire continuent à le soutenir en publiant des articles sur sa méthode (son ami Sauvestre, dans la Revue moderne, puis dans L’Opinion nationale du député A. Guéroult [20]  ; le Bulletin du mouvement sociétaire), en assistant à ses cours ou en adoptant ses méthodes d’enseignement : c’est le cas à Vienne (Isère), où la Société de Beauregard dirigée par le fouriériste Henri Couturier fonde dans les années 1850 « un enseignement choral (méthode Galin-Paris-Chevé) [qui] a eu un très remarquable succès » ; cet enseignement « nous avait donné une excellente collection de choristes, hommes et femmes, qui pendant près de quatre ans a répandu un grand charme dans les dîners de famille de la Société alimentaire et dans les fêtes de Beauregard » [21]. A Réunion (Texas), un menuisier et peintre en bâtiment, ancien élève de Chevé, ouvre un cours de musique vocale [22]. Et quelques années plus tard, la Maison rurale de Ry (Seine-Maritime), dirigée par le docteur Jouanne, utilise également la méthode Galin-Paris-Chevé pour l’enseignement musical [23].

La reconnaissance officielle

Au début des années 1860 le soutien officiel permet d’implanter la méthode dans les écoles militaires (Saint-Cyr, le Prytanée de La Flèche), puis à l’Ecole normale supérieure. En 1863, Émile devient professeur de musique vocale des écoles impériales, et dirige plusieurs cours, notamment au lycée Louis-Le-Grand. Au printemps 1864 se déroule une grande soirée musicale qui met à l’honneur la méthode Galin-Paris-Chevé.

1er mai 1864. Le samedi 14 mai 1864, à huit heures et demie, soirée musicale et dramatique donnée par le comité du patronage de la Méthode Galin-Paris-Chevé. Comité de patronage : Son Exce. M. le duc de Morny, président. MM. Rossini, le prince Poniatowski, vice-présidents ; MM. Le comte Olympe Aguado, le comte Onésime Aguado, Arlès-Dufour, le général de Courtigis, Gevaert, Félicien David, le baron Dubois, Lefébure Wély, Magin-Marrens, Edmond Membrée, le comte Joachim Murat, Offenbach, Ravaisson, Ernest Lépine, secrétaire du comité. Première représentation de : Les Finesses du mari, comédie en un acte, jouée par Mme Victoria Lafontaine et Ponsin, MM. Delaunay et Coquelin, du Théâtre-Français, précédée d’un Concert dans lequel se feront entendre Mme Carvalho, (du Théâtre-Lyrique), MM. Delle-Sedie (du Théâtre-Italien), M. Vizentini, et les chœurs de la Société Galin-Paris-Chevé, sous la direction de M. Chevé. (Le Ménestrel)

Chevé publie en 1864 une édition complétée de la méthode musicale, cosignée avec son épouse Nanine, lorsqu’il décède au retour d’un voyage thermal, le 25 août 1864. L’Almanach du magasin pittoresque dit de lui qu’il était, « en même temps qu’un excellent professeur, un homme bon, dévoué, éminemment sympathique ». Son épouse Nanine est pensionnée sur la liste civile de l’Empereur, mais la pension reste modeste, signe d’un soutien qui faute de l’appui de Morny s’amenuise vite.

Les attaques et la mort de Nanine

La déroute intervient après la mort d’Émile, en 1864. Au concours de chorale, de l’exposition de 1867, seules la société chorale de Brest, fondée en 1859 par M. Gouzien et celle de l’école militaire de gymnastique de Joinville passent le cap du concours. Amand Chevé - le fils d’Emile - trébuche, et les quelques chorales « galinistes » échouent. Un vif incident oppose la chorale de l’école Galin-Paris-Chevé au jury :

La dernière Société inscrite est l’école Galin-Paris-Chevé, directeur M. Calvès. M. Calvès est averti qu’un chiffre est mal barré ; il signale cette erreur ses sociétaires. L’attaque est vigoureuse, mais ne se soutient pas. Avant la mesure 8, l’exécution était perdue. - M. Calvès arrête sa Société et vient se plaindre au bureau. Ce ne sont plus les observations parfaitement convenables de M. A. Chevé, mais une allocution de mauvais goût, dont les premiers mots sont pour le jury et le reste pour le public. Cette façon inqualifiable de se conduire soulève dans la salle des réprobations nombreuses. Une partie des sociétaires suivent leur directeur dans cette voie déplorable, plusieurs déchirent les partitions qu’ils ont encore dans les mains et les jettent aux pieds des commissaires chargés de les recevoir. M. Laurent de Rillé, indigné, intervient alors, et, dans une improvisation énergique, remet les choses en leur vraie place. Il est impossible d’entendre ce que vient de dire. [24]



L’œuvre de Chevé est poursuivie par son fils Amand, à la tête de l’école et par les chorales, au premier rang desquelles les chorales militaires. Le fouriériste Antoine Bourdon fait dans La Tribune ouvrière un compte rendu élogieux du cours et conclut que la « séance [...] a été très variée, et par conséquent, très attrayante » [25]. L’année 1865 fête le musicien ; un buste est inauguré. Le surintendant des beaux-arts, le comte de Nieuwerkerke, prend la tête du comité ; son premier acte est une adresse aux lycées et écoles normales, pour qu’ils adoptent la méthode chiffrée : le comité se propose non seulement de renseigner les écoles, mais encore de mettre à leur disposition des professeurs éprouvés, ou d’initier gratuitement aux procédés de la méthode les professeurs de ces écoles. Il est honoré par une solennité musicale en mars 1865 (voir document 5)

Document 5. Première solennité musicale (...), le 19 mars 1865
Renaud Heussler, Première solennité musicale [...], Paris, imprimerie de V. Goupy, 1865


L’année suivante, le comité lance une souscription pour élever un monument à la gloire d’un défenseur de « la grande cause de la diffusion de la science parmi les masses populaires » (24 juin 1866). (voir document 6)

Document 6. Elever un monument à la mémoire de Chevé
Le Ménestrel, 24 juin 1866

La mort d’Aimé Paris, en décembre, transforme le monument en mausolée [26]. La popularité de Chevé dans les milieux populaires, surtout à Paris, est à son sommet. Plusieurs dizaines de milliers d’ouvriers ont pu profiter de sa méthode. Les concerts Chevé sont suivis par des milliers de spectateurs [27].
En juillet 1868, Nanine meurt à son tour. Charles Pellarin, dans La Science sociale du 16 août 1868, signe sa nécrologie :

Nous joignons le pieux hommage de notre vénération particulière et de nos vifs regrets à tous ceux qui ont été si justement décernés à cette admirable femme. Par la mort d’Émile Chevé et de sa digne compagne, l’école sociétaire a perdu deux hautes intelligences qui lui appartenaient, deux nobles cœurs qui lui étaient dévoués.

Les attaques contre la méthode se multiplient après la disparition des Chevé. Tout juste lui reconnaît-on une utilité dans les études élémentaires de musique, et confine-t-on la méthode aux chorales et aux fanfares.

Soumettez donc au vote universel un plébiscite pour ou contre la notation usitée en tous pays et vous verrez ce qui vous sera répondu. Mais n’en demandons pas tant : bornons-nous à requérir, contre les rares musiciens qui ont, par trop complaisamment déserté la cause de la notation usuelle, la peine, suffisamment rigoureuse, du chiffre à perpétuité. (Le Ménestrel, 26 août 1870).

Amand poursuit l’œuvre familiale, mais loin des polémiques. Galant homme aux dires des chroniqueurs musicaux, lui-même proche des milieux phalanstériens selon Charles Limousin, (un autre auditeur des cours Galin-Paris-Chevé) [28], il obtient du ministère de l’Instruction publique qu’il autorise en 1883 l’utilisation de la méthode nouvelle dans les écoles primaires, puis qu’il l’inscrive, à titre obligatoire, dans le programme des écoles normales. Il décède en 1907, à l’âge de 77 ans. Le système Galin-Paris-Chevé est alors déjà entré en déclin, abandonné ou méprisé par les artistes et musiciens, mais aussi marginalisé progressivement. Il devient peu à peu synonyme d’une méthode pour cliques et harmonies municipales, et son caractère populaire est peu apprécié. L’institut Chevé continue de former des musiciens, organise des cours d’espéranto et de langue française, poursuivant inlassablement un rêve universel d’éducation populaire. La méthode est également enseignée dans plusieurs écoles normales d’instituteurs et soutenue par les mouvements d’éducation. C’est le cas de l’orphelinat Prévost, de Cempuis (Oise) dirigé par le libertaire Paul Robin (1837-1912) entre 1880 et 1894. Puis vient l’oubli. Les programmes officiels de 1922 et les instructions ministérielles qui suivent n’y font plus allusion [29]. Rarement homme ne fut plus apprécié ni décriée qu’Émile Chevé. Son nom est resté associé à celui d’un combat, celui de la notation chiffrée de la musique et d’une idée : apprendre à lire la musique et à l’interpréter, avec un minimum d’enseignement. Et de rêver à l’aboutissement de sa doctrine : « conduire sûrement et rapidement la population du monde entier à lire et à écrire la musique » [30]. Combat rude, auquel Chevé consacre son existence - combat perdu, l’effacement de ses puissants soutiens entraîne celui de son école. Lors de la parution de sa Méthode élémentaire de musique (1846), il déclarait la guerre aux partisans de la note, conscient que toute son énergie y serait consacrée :

Plein de confiance en notre cause, nous ne pouvons que répéter, en finissant, ces admirables paroles du divin martyr ; - Si j’ai mal parlé, montrez-moi en quoi j’ai erré ; si j’ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ?

Les références à l’école sociétaire et aux relations d’Émile avec le mouvement phalanstérien ont été approfondies par B. Desmars, l’itinéraire musical et les expérimentations d’Émile par J.-Y. Guengant.


Aphorisme du jour :
Les sectes suffisent à elles seules à guider la politique humaine dans le labyrinthe des passions
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