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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Delbruck, (Jean-Joseph-) Jules
Article mis en ligne le 8 décembre 2010
dernière modification le 11 décembre 2023

par Desmars, Bernard

Né le 11 avril 1813, à Bordeaux (Gironde), décédé le 9 juin 1901, à Arcachon (Gironde). Rédacteur dans plusieurs journaux, directeur et rédacteur de revues pédagogiques. Agriculteur.

Jules Delbruck est le fils de Jean-Charles-Auguste Delbruck, consul de Prusse à Bordeaux, et de Marie Agathe Mathurine Zoé Viard, fille d’un négociant et armateur. Il collabore dès l’âge de 18 ans à la presse de la Gironde ; à 25 ans, il dirige le Courrier de Bordeaux ; dans les années 1830, il devient lui-même consul pour la Prusse à Bordeaux.
En 1840, il rejoint Paris et collabore à différents périodiques ; à partir de 1846, on le voit dans la table des rédacteurs de La Démocratie pacifique, puis en 1848, dans le comité de rédaction du quotidien. A la fin de cette même année 1848, il fait partie d’une « commission de la réalisation », aux côtés de Savardan et de César Daly, afin de préparer l’essai sociétaire [1]. Il souscrit pour 3000 francs, qu’il verse effectivement, à la différence d’autres actionnaires, à l’Union agricole d’Afrique, la société fondée par des fouriéristes à Saint-Denis-du-Sig dans la seconde moitié des années 1840 [2].

Un pédagogue

L’éducation des enfants constitue des années 1840 aux années 1860 la principale préoccupation de Delbruck, et en particulier la situation de la petite enfance dans les milieux populaires. Il est un ardent propagandiste des salles d’asile et surtout des crèches, à la fois dans la presse (« Les crèches d’enfants pauvres », La Démocratie pacifique, 1er mars 1847) et dans une brochure, Visite à la crèche modèle, 1846) [3] ; membre du conseil d’administration de la Société générale des crèches pour le département de la Seine [4], il contribue également avec son épouse à la formation de plusieurs crèches. Même quand le nom de Fourier n’est pas mentionné, la présentation des vertus de ces établissements est nettement inspirée par les principes phalanstériens : Delbruck y dénonce l’éducation morcelée et fait l’éloge de la sociabilité enfantine : « La crèche a révélé des conditions nouvelles pour le sort de la première enfance. Trente enfants remplissaient de pleurs trente maisons attristées : réunis à la crèche, ils se sont apaisés, et les larmes ont fait place presque toujours à la gaieté. Dans nos salons, nous entassons en vain devant nos enfants les jouets par centaines, nos enfants les repoussent bientôt avec tristesse, et leurs regards semblent chercher autour d’eux cette jeune population du même âge sans laquelle il n’est pas de bonheur pour eux ». La crèche, qui anticipe sur la salle d’asile et la colonie agricole, constitue également un lieu d’expérimentation sociétaire : « Aujourd’hui, faisons sur les enfants du pauvre une expérience d’une autre nature : essayons de les rendre heureux ; étudions, dans la crèche, les conditions de leur bonheur. En cela nous aurons véritablement travaillé dans l’intérêt de l’humanité toute entière » [5]. Dans sa description de la crèche-modèle, Delbruck est très attentif à ce qui peut stimuler les sens (les parfums, la musique, les couleurs), aux travaux que peuvent effectuer les enfants (« donner la soupe aux bons petits oiseaux »), à la variété des activités et des jeux, aux repas pris ensemble autour d’une « table des festins » aux formes adaptées, à l’alternance des travaux des berceuses (entre la buanderie, la crèche, le jardin, l’ouvroir, la cuisine...) et aux courtes séances (2 heures) [6]...
En 1848, Delbruck fonde la Revue de l’éducation nouvelle, prolongée jusqu’en 1854 sous divers titres, et complétée en 1852-1854 par les Chants pour l’enfance et la jeunesse. A partir de 1849, la revue est divisée en deux parties, l’une pour les parents, l’autre pour les enfants ; pour cette seconde partie, les articles sont lus et sélectionnés par des enfants composant un comité de rédaction [7] ; selon le plaisir qu’ils prennent ou non à la lecture du texte, celui-ci est publié ou écarté. Au début des années 1860, certains articles sont rassemblés dans Les Récréations instructives.

Un militantisme discret sous le Second Empire

Delbruck, dans les années 1860, collabore à plusieurs journaux, dont Le Journal d’agriculture pratique, dirigé par Jean-Augustin Barral, membre de l’Ecole sociétaire dans les années 1840, et L’Economiste français, le journal fondé en 1861 par Jules Duval, et auquel collaborent nombre de fouriéristes (ou anciens fouriéristes). Il est l’auteur de plusieurs articles et de comptes rendus de lecture ; il fait ainsi un commentaire très élogieux des ouvrages de ses condisciples Savardan (L’Extinction du paupérisme réalisée par les enfants ; ou la commune telle qu’elle est et telle qu’elle devrait être [8]) et Bonnemère (La France sous Louis XIV [9]).
Sa notoriété et ses compétences pédagogiques conduisent le ministre de l’Instruction publique à le charger en 1862 d’un rapport sur un plan d’éducation internationale. Vers la même époque, il se consacre aussi à l’étude de l’économie. La notice qui lui est consacrée dans le Grand Dictionnaire universel de Pierre Larousse le présente d’ailleurs comme un « économiste ». Il est membre du jury de l’Exposition universelle qui se tient à Paris en 1867. Il appartient également à de nombreuses associations : Société biblique (Delbruck est protestant), Société des inventeurs, Société linguistique, Association universelle pour l’avancement des sciences.
Son activité sociétaire semble être discrète et modeste ; il participe certes dans les années 1860 aux réunions de la Librairie des sciences sociale et il est abonné à La Science sociale [10]. Mais il ne souscrit pas à la société en commandite (1866), ni à la société anonyme (1869-1870), qui constituent le support matériel de l’Ecole.

Projet de colonies d’enfants et préoccupations agronomiques

Au milieu des années 1860, Delbruck et sa femme projettent la formation une « colonie agricole et industrielle de petits enfants orphelins » ; elle serait installée sur leur domaine de Vallier, à Langoiron (Gironde), à environ 25 km de Bordeaux ; les activités y seraient principalement horticoles : « fruits, fleurs et légumes se prêtent, en effet, soit par la vente à l’état frais, soit par toutes les transformations possibles en conserves, essences, confiseries, etc., à une série de petits travaux variés les plus intéressants du monde au point de vue de l’éducation [...] nous réunirons, dans quelques années, un certain nombre d’enfants, en établissant pour eux et pour nous une école de jardinage, sous la direction d’un bon contremaître, et avec l’aide de nos deux chers garçons, qui déjà y prennent goût » [11]. Ce projet ne semble pas avoir été plus loin que quelques plantations arboricoles.
Vers 1870, Delbruck quitte Paris et rejoint la Gironde où il s’occupe de la gestion de sa propriété de Langoiran. Il s’intéresse désormais aux questions agronomiques et aux progrès agricoles ; il est membre de la Société nationale d’agriculture, de la Société nationale d’horticulture, et reçoit en 1871 une médaille de la part de la Société d’agriculture de la Gironde. Il participe à des comices agricoles départementaux ainsi qu’à des expositions internationales.

Du retrait du militantisme fouriériste à l’inauguration de la statue de Fourier

Son installation dans la Gironde et ses activités agricoles, ainsi que l’affaiblissement de l’Ecole, l’éloignent sans doute du militantisme phalanstérien ; on ne voit pas son nom dans les publications des années 1870 et 1880, ni dans les manifestations organisées à Paris (banquets du 7 avril, congrès phalanstérien de 1872...).
Il s’intéresse toutefois au Familistère de Guise ; il est abonné au Devoir, la revue fondée par Jean-Baptiste Godin, et visite le Familistère en 1891, laissant sur le « livre des visiteurs » le messages suivant : « Extrêmement heureux de cette belle réussite d’une belle et généreuse conception ».
A la fin des années 1890, il apporte sa contribution à la réalisation de la statue de Charles Fourier : sur le plan financier d’abord, avec une substantielle souscription de 250 francs (La Rénovation, 31 mai 1897 et 31 juillet 1898) ; mais aussi en présidant le comité de la statue (qui comprend l’ancien président du conseil Léon Bourgeois, plusieurs députés, ainsi que quelques fouriéristes et coopérateurs) et en entreprenant d’’actives et d’efficaces démarches auprès des pouvoirs publics ; en ouvrant la cérémonie de l’inauguration le 4 juin 1899 par une allocution qui a pour but de montrer la validité des thèses économiques de Fourier, et notamment de l’association capital-travail-talent ; en rendant un hommage à Fourier et Considerant lors du banquet qui suit ; et enfin, en rédigeant le texte d’une brochure distribuée aux passants lors de cette journée, texte qui constitue une brève exposition de la théorie sociétaire, accompagnée d’illustrations de la statue et du Familistère de Guise. Il s’éloigne cependant d’Alhaiza et du groupe de La Rénovation, quand ceux-ci adoptent des positions antidreyfusardes, alors qu’il se situe dans le camp opposé.

Il passe les dernières années de sa vie tantôt à Langoiron, tantôt à Bordeaux, tantôt à Arcachon, entre quelques voyages à Cannes, à Paris ou à l’étranger. C’est dans cette ville d’Arcachon qu’il meurt en 1901 (et non en 1889, comme l’indiquent plusieurs dictionnaires).

Portrait de Delbruck
La Rénovation, 30 septembre 1900