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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Silberling, (Louis) Edouard
Article mis en ligne le 18 décembre 2012
dernière modification le 8 avril 2022

par Desmars, Bernard

Né le 6 juillet 1838 à Strasbourg (Bas-Rhin), décédé le 12 mars 1912 à Nancy (Meurthe-et-Moselle). Fonctionnaire des postes et télégraphes. Auteur du Dictionnaire de sociologie phalanstérienne.

Fils de François Henri Édouard Silberling (voir ce nom), agent d’affaires républicain et fouriériste, et de Julie Louise Koch, Édouard Silberling est le frère de Maximilien Silberling (voir ce nom), également disciple de Fourier.

Membre du groupe de La Rénovation

A la suite de l’annexion de l’Alsace par l’empire allemand en 1871, il quitte sa région natale et opte pour la nationalité française, alors que son père reste à Strasbourg, que l’un de ses frères (Maximilien) est en Europe centrale. Edouard effectue sa carrière professionnelle dans les services des postes et télégraphes. Il y entre en 1859 ; ses premiers postes sont à Colmar, Metz et Wissembourg. En 1863, il est nommé à Paris où il reste jusqu’en 1880, sauf un bref séjour à Toulouse de février 1866 à mai 1868. D’abord simple employé, il est promu commis principal en 1877, avant d’être muté à Saint-Étienne en 1880, avec un poste de contrôleur. Nommé inspecteur en 1886, il obtient sa nomination à Lyon 1889. Il se marie alors avec Marie Durand, originaire de Saint-Etienne. En mars 1895, il rejoint Ajacccio, où il devient directeur départemental l’année suivante ; il finit sa carrière à Digne, toujours comme directeur départemental (à partir de 1897) et prend sa retraite en 1900 ; il se retire alors à Nancy [1].

La documentation fouriériste ne permet pas toujours de distinguer les différents Silberling. Cependant, à la fin des années 1870, c’est sans doute Edouard qui s’abonne, depuis Paris, au Bulletin du mouvement social, son père étant alors décédé et son frère vivant en Europe centrale. Cependant, son militantisme fouriériste semble alors très discret jusqu’à la fin des années 1880.

Dans les années 1890 – au moins à partir de 1891 – il est abonné à La Rénovation, le nouveau périodique fouriériste et il lui reste fidèle jusqu’à son décès ; il apporte sa contribution financière – modeste (60 francs) – à la réalisation de la statue de Fourier. Après 1900, La Rénovation reproduit plusieurs extraits de ses lettres ; il y manifeste son soutien à Alhaiza, notamment quand La Rénovation est confrontée à des problèmes financiers, en 1906 [2] ; il envoie d’ailleurs régulièrement, avec son abonnement annuel, de petites sommes pour consolider l’existence de la revue ; il est également prêt, en 1907, à verser de l’argent pour la restauration de la tombe de Fourier sur laquelle serait érigé un nouveau buste, projet qui semble avoir d’ailleurs rapidement avorté [3]. Lors de plusieurs banquets du 7 avril, il envoie un mot pour exprimer sa communion de pensée avec les convives. Il ne publie guère d’articles dans La Rénovation, en dehors d’un un compte rendu de l’ouvrage de Bebel sur Fourier [4], mais il écrit à Alhaiza des lettres dans lesquelles il réagit à des articles parus dans la revue et prend part aux débats concernant la théorie fouriériste.

Alors que certains de ses condisciples prétendent adapter la théorie sociétaire aux temps contemporains, ou opérer une sélection pour rejeter des affirmations en contradiction avec la science, notamment quand il s’agit des analogies ou de la cosmogonie, Silberling refuse de trier dans l’œuvre de Fourier : « nous pouvons […] admettre que l’auteur de l’Unité universelle, ayant en main la clef ou la boussole qui le guidait de l’infiniment petit à l’infiniment grand, devait, par ses facultés supérieures et intuitives, s’élever jusqu’aux plus hautes et sublimes vérités de la nature, vérités que notre entendement se dégageant si difficilement de la gangue de nos préjugés et de nos erreurs ne saurait encore entrevoir » [5].

C’est d’ailleurs au nom de la fidélité à Fourier qu’il s’oppose à la participation de l’École sociétaire à une « Ligue pour la nationalisation du sol », qu’au début du XXe siècle, Alhaiza tente de mettre en place avec l’aide des socialistes colinsiens : ce projet est « contraire […] aux principes de l’Ecole sociétaire qui accepte la propriété telle qu’elle est constituée, pour la transformer en une forme supérieure de l’association » ; cela, de surcroît, associerait l’Ecole à une revendication collectiviste, alors que « la doctrine de Fourier [est] la négation même du collectivisme comme de tous les programmes qui caractérisent le socialisme avancé de nos jours » [6]. Il est également hostile au rapprochement esquissé par Alhaiza avec des ligues xénophobes et antisémites : Silberling déclare alors que si le fouriérisme doit se garder d’être assimilé au collectivisme, « il faut aussi qu’on ne puisse pas l’assimiler aux partis adverses » [7].

Malgré les craintes que suscite chez lui l’évolution du socialisme et malgré le déclin de l’Ecole sociétaire, il garde foi dans l’avenir, par exemple dans une lettre envoyée à l’occasion de l’anniversaire du 7 avril 1912 : « il nous est permis cependant d’avoir de l’espoir. Les nombreux germes de salut social qui se manifestent dans le monde civilisé, tels que le développement des mutualités, les mesures de prévoyance, d’assistance et de retraite, les coopératives de consommation et notamment celles de production, qui, en supprimant le salariat, feront disparaître les derniers vestiges de l’esclavage, prouvent que les efforts de l’école sociétaire commencent à porter leurs fruits. Nous ne rencontrons plus aujourd’hui en face de notre utopie, car l’utopie du jour peut devenir la vérité du lendemain, cet esprit d’ironique détraction et de systématique dénigrement que l’apparition de la théorie d’association avait éveillé dans le monde civilisé » [8].

Le Dictionnaire de sociologie phalanstérienne

C’est probablement afin de fixer la doctrine que dès 1903, Edouard Silberling entreprend la rédaction d’un dictionnaire des termes fouriéristes, qui faciliterait également la diffusion des idées sociétaires selon La Rénovation [9]. Le travail est terminé en 1908 ; Alhaiza organise une souscription afin de financer la publication de l’ouvrage, l’éditeur Daragon, spécialisé notamment, mais pas uniquement, dans les sciences occultes, étant pressenti [10] ; Alhaiza souligne l’intérêt de l’ouvrage, qui empêchera « des appréciations erronées » facilitées par la complexité de l’œuvre du Maître, et « des emprunts dissimulés », qu’une « vulgarisation plus générale des théories de Fourier eût fait restituer aussitôt au réel initiateur » [11]. Mais, bien que la souscription s’adresse au-delà des rangs de l’Ecole, à tous ceux qui s’intéressent à la sociologie et aux idées sociales, les sommes recueillies sont insuffisantes, et La Rénovation craint qu’il ne faille remettre l’opération à des temps plus propices [12]. Finalement, le montant demandé par Daragon (2 200 francs, bientôt réduits à 2 000 francs) étant trop élevé par rapport au produit de la souscription (moins de 1 700 francs) Alhaiza passe un accord avec un autre éditeur, Marcel Rivière, dont la maison née en 1902 est spécialisée dans les sciences politiques, économiques et sociales [13]. La publication intervient au tout début de l’année 1911.

Le Dictionnaire présente, dans un ordre alphabétique, les notions et les mots utilisés (ou créés) par Fourier, afin de les expliciter et de renvoyer le lecteur aux ouvrages et aux passages qui traitent de ces thèmes ; la définition est en effet généralement constituée de citations issues des Œuvres complètes de Fourier ; elle est parfois complétée par quelques commentaires (en italiques) rédigés par Silberling. Ce travail veut « être utile à ceux qui cherchent dans les œuvres si vastes et si substantielles de Fourier la solution des grands problèmes sociaux qui agitent le monde » ; l’auteur espère que son ouvrage pourra « amener à l’étude de la théorie sociétaire quelques esprits d’élite, pour en poursuivre l’application » [14].

Le Dictionnaire est préfacé par Adolphe Alhaiza, qui y voit « un livre, à portée de tout le monde, facile à compulser, où n’importe quel sujet de doctrine, ou quel objet en doute, se verra à l’instant et exactement élucidé » ; surtout, ce livre apparaît au dirigeant de l’Ecole sociétaire comme le legs d’une École, « qui sent approcher sa fin, en tant que groupe militant » [15], et qui laisse pour l’avenir et les nouvelles générations un ouvrage fixant une lecture orthodoxe du fouriérisme (ou tout au moins conforme à l’orthodoxie selon Silberling et en grande partie selon le groupe de La Rénovation), contre les déviationnismes et les récupérations possibles.

Ce Dictionnaire est de façon générale un monument érigé à la gloire de Fourier : à l’entrée « Lacune », Silberling écrit que « les lacunes dans les œuvres de Fourier, omissions et abréviations, résultent des entraves de toutes sortes qu’il a rencontrées pour publier ses travaux ». Il défend les « mœurs honnêtes et décentes prévues par Fourier », même si elles « ont effarouché les civilisés » qui « ne conçoivent le plaisir généralement que dans la débauche masquée par des dehors honnêtes » (entrée « Mœurs »). Et à l’article « Planète », Silberling relève que depuis la mort de Fourier, des satellites d’Uranus dont il avait affirmé l’existence ont effectivement été identifiés ; « cette découverte aurait dû appeler l’attention des savants sur les travaux de Fourier ». Quant aux « corpuscules planétaires, [aux] astéroïdes ou planètes télescopiques dont quelques-uns seront sans doute appelés au rôle de satellites, leur découverte ne vient pas à l’encontre de la classification sidérale de Fourier, qui prévoit le passage de notre tourbillon de 3e puissance en 4e puissance, avec un cortège de 4 à 500 planètes environ ».

Mais le Dictionnaire traduit aussi les préoccupations et les débats du début du XXe siècle, par exemple dans l’article « Langage », où Silberling prolonge la réflexion de Fourier sur le langage et la « langue naturelle » en évoquant « les tentatives faites pour créer une langue unitaire » - il pense sans doute à l’esperanto, au volapük et à des entreprises similaires – et leur échec dans le monde civilisé. À l’article « Horde », après une citation de Fourier (« La horde est pour la civilisation un volcan toujours prêt à l’engloutir. Les salariés ont une tendance universelle à reformer la horde », Théorie des Quatre mouvements), Silberling ajoute que le propos de Fourier « explique le succès relatif des théories révolutionnaires, anarchistes, antimilitaristes, collectivistes et autres ; mais si ces théories pouvaient, par suite de circonstances, prévaloir au pouvoir, elles nous ramèneraient à la barbarie, à la horde, au lieu de nous conduire à un progrès réel ». De même, à l’entrée « Juif », et alors que l’antisémitisme s’exprime régulièrement dans les colonnes de La Rénovation depuis le milieu des années 1890 et en particulier depuis l’affaire Dreyfus, Silberling reprend les textes de Fourier les plus hostiles aux Juifs, et ajoute : « La civilisation est impuissante à absorber la nation juive, pas plus que les nations barbares. Ces races n’en adoptent que le dehors, le vernis. La fusion ne pourra s’opérer que sous l’influence du mode sociétaire ».

Dès les lendemains de la parution du Dictionnaire, Edouard Silberling prévoit un Supplément ; il n’a pas le temps de le terminer, puisqu’il décède, des suites d’une « affection de cœur » [16]. Sa veuve envoie ses manuscrits à Alhaiza, afin qu’ils soient joints au fonds de l’Ecole [17]. Elle donne également la « complète bibliothèque phalanstérienne » de son défunt mari, dont des « livres devenus aujourd’hui rares » à la bibliothèque municipale de Nancy [18].