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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Noirot, Jean-Baptiste
Article mis en ligne le 4 mai 2013

par Desmars, Bernard

Né le 15 mai 1822, à Ravières (Yonne), décédé en juin 1904 à Paris. Percepteur, négociant. Gérant de la Librairie des sciences sociales entre 1865 et 1868. Partisan du garantisme et de la coopération. Fournit des informations sur le fouriérisme à Zola pour la rédaction de Travail.

Lors de la naissance de Jean-Baptiste Noirot, son père, Claude Noirot, se présente comme propriétaire ; mais il exerce ensuite la fonction de percepteur à Auxerre, jusque vers 1855 [1]. Jean-Baptiste suit la même voie ; dans l’Annuaire de l’Yonne de 1848, il est percepteur de troisième classe à Bléneau [2] ; puis, sous la Seconde République, il rejoint la commune d’Ancy-le-Franc. D’après la nécrologie parue en 1904 dans L’Association ouvrière, le régime issu du coup d’État du 2 décembre aurait cherché « à se l’attacher en lui proposant une perception à Paris », et Noirot aurait « dédaigneusement repoussé ces offres injurieuses », puis refusé de prêter serment au prince-président Louis-Napoléon Bonaparte, « brisant sans hésiter sa carrière » ; il aurait ensuite pris le chemin de l’exil et se serait installé à Bruxelles [3]. Pourtant, le 6 décembre 1851, le percepteur d’Ancy indique au receveur général de l’Yonne qu’il « adhère à la grande mesure que le gouvernement vient d’adopter le 2 du présent mois », et le nom de Noirot continue à apparaître dans l’Annuaire de l’Yonne pour la perception d’Ancy-le-Franc et des communes voisines jusqu’au milieu des années 1850 [4]. Et selon un rapport de police de 1865, c’est par une simple démission (et non par le refus de prêter serment) qu’il aurait renoncé à ses fonctions de percepteur [5]. Peut-être a-t-il alors eu le projet d’aller au Texas rejoindre ses amis fouriéristes ? En tout cas, il apporte sa contribution financière à la Société de colonisation européo-américaine, et, dans les années 1860, il participe à ses assemblées générales d’actionnaires, siégeant même un temps à son conseil de surveillance [6].

A la fin des années 1850, Noirot est représentant pour une grande maison des vins de Bourgogne selon le rapport de police de 1865 (courtier en vins à Bruxelles, selon la nécrologie déjà citée [7]). On le retrouve dans la première moitié des années 1860 près de Paris, à Maison-Alfort et à Charonne où il est fabricant de caoutchouc [8].

Directeur gérant de la Librairie des sciences sociales

Vers 1863-1864, Barrier (voir ce nom) s’efforce de réorganiser le mouvement fouriériste en s’appuyant sur l’un des derniers vestiges de l’ancienne École sociétaire, la librairie alors tenue par Aimée Beuque. Il reprend l’établissement et met à sa tête Jean-Baptiste Noirot, qui obtient le brevet nécessaire pour tenir la librairie. Selon le ministère de l’Intérieur, « le sieur Noirot possède toutes les conditions de capacité et de moralité voulues » ; pour la préfecture de police, certes, il « ne s’est jamais occupé de librairie, toutefois, il a suffisamment d’instruction pour diriger l’établissement qu’il se propose d’exploiter » ; il est « bien représenté sous tous les rapports. Il paraît avoir de la fortune. Ses opinions politiques sont inconnues, mais il n’y a pas lieu de les croire hostiles au gouvernement » [9]. Il est alors marié avec Emilie Clotilde Houget, née en 1833 en Ille-et-Vilaine. Une fille naît de leur union.

Jean-Baptiste Noirot prend donc la direction de l’ancienne Librairie sociétaire, renommée Librairie des sciences sociales et transférée de la rue de Beaune à la rue des Saints-Pères. Barrier, pour mobiliser ses condisciples et créer une structure sur laquelle pourraient s’appuyer la librairie et un futur périodique, parvient avec Noirot à former une société, la société en commandite Noirot et compagnie, véritablement constituée en mai 1866 seulement, en raison du faible empressement que montrent les fouriéristes à y prendre des parts. Noirot est lui-même le deuxième actionnaire de la société avec 40 actions valant 2 000 francs, loin cependant de Barrier qui possède 400 actions, soit 20 000 francs [10].

Noirot ne croit guère à l’essai phalanstérien, dont le succès provoquerait l’imitation et la dissémination sur le globe, et l’avènement du nouveau monde harmonien. Il est un partisan du garantisme, c’est-à-dire de formes transitoires qui, par les coopératives, les mutuelles et les associations spécialisées apporteront des garanties, autrement dit des protections, aux plus démunis, et, progressivement, transformeront l’état social. Aussi participe-t-il activement en 1866 aux « conférences coopératives » organisées avec Élie Reclus (gérant du journal L’Association), Beluze (gérant du Crédit au travail) et différents responsables de coopératives. Noirot y présente la Société de Beauregard fondée par Henri Couturier à Vienne (Isère), dont il est actionnaire [11]. Les participants à ces rencontres décident de réaliser une publication pour présenter les entreprises et les idées coopératives. C’est l’Annuaire de l’Association, édité en 1867 et 1868 par la Librairie des sciences sociales. Noirot souhaite visiblement faire de la librairie fouriériste un centre de propagande coopérative ; il publie également un ouvrage sur le mouvement coopératif à Lyon et dans le Midi de la France [12]. Enfin, Noirot contribue à la préparation d’un congrès international de la coopération qui devait se tenir en 1867 à l’occasion de l’Exposition universelle, mais qui est finalement interdit par le régime impérial [13]. Il s’intéresse aussi au Familistère de Guise, édifié par Godin à partir de la fin des années 1850 ; il est l’un des premiers fouriéristes à s’y rendre, dès 1865 [14].

Très vite, Noirot fait l’objet de critiques de la part de ses condisciples phalanstériens. On lui reproche une mauvaise gestion de la librairie, qui réalise très peu de ventes, accumule les pertes financières et épuise rapidement son capital initial. Sa direction est mise en cause :

L’établissement est mal tenu, poussiéreux […]. Le classement logique des marchandises n’existe pas de manière à les rendre apparentes, à les faire valoir. La boutique est presque constamment obstruée d’allants et venants qui forment cercle, causent, discutent, empêchent certainement par cela plusieurs acheteurs d’entrer, en tout cas gênent le travail des employés.

A cela s’ajoutent des horaires d’ouverture trop tardifs, des registres mal tenus, des commandes envoyées depuis la province non satisfaites, … [15]

Il est vrai que l’activité commerciale de la librairie est parfois entravée par les autres fonctions qui sont attribuées à cet établissement : servir de siège à l’École sociétaire, ce qui fait du local un lieu de rendez-vous pour les disciples parisiens, et un point d’arrivée pour les fouriéristes venant de province, qui sont assurés d’y rencontrer des condisciples. La librairie accueille aussi la Société protectrice de l’enfance, fondée en 1867 par les docteurs Barrier et Mayer, et aux travaux de laquelle participe Noirot [16], ainsi que l’Union agricole d’Afrique, Noirot assurant de 1865 à 1868 le secrétariat du conseil d’administration [17].

Mais c’est aussi l’orientation garantiste du gérant qui est mise en cause : ses adversaires considèrent que l’École doit mobiliser ses forces autour d’un véritable essai phalanstérien, seul moyen de parvenir rapidement à l’Harmonie, tandis que le passage par les coopératives et les mutuelles retarde la réalisation de l’Association intégrale. Aussi, sans doute poussé par ses condisciples, il annonce sa démission en juillet 1868, même s’il demeure officiellement le gérant jusqu’en juin 1869.

Il reste d’abord en contact avec les activités de l’École. Quand la société en commandite est transformée en société anonyme, il est l’un des actionnaires [18]. Il est membre, ainsi que son épouse, du Cercle des Familles, constitué en 1869-1870 [19]. Il continue à appartenir au conseil de surveillance de la Société de colonisation européo-américaine, jusqu’en 1872 ou 1873, quand ses activités professionnelles l’éloignent de Paris. Noirot retrouve en effet un poste de percepteur ; il est un moment dans les Vosges ; mais, en raison de ses convictions républicaines, il est envoyé « en disgrâce » par le gouvernement de Broglie, après le 13 mai 1877, à Levier, dans le Doubs, dans une petite perception [20]. Mais avec l’accession des républicains au pouvoir, il obtient des perceptions plus importantes, au Petit-Quevilly (Seine-Maritime) en 1878 et 1879, à Saint-Quentin (Aisne) de 1879 à 1884 (il retourne en 1880 visiter Guise, situé dans le même département), et enfin au Havre, de 1884 jusqu’en 1894, quand il prend sa retraite [21]. Il s’installe alors à Paris avec sa famille. Son épouse publie dans les années 1880, sous le nom de « Mme A. Noirot », plusieurs romans (Marguerite Launay (1881), Louisette (1884), Jeanne Dubourg (1884) et elle est sociétaire de la Société des Gens de Lettres. Elle continue dans les années suivantes à écrire des œuvres qui paraissent en feuilleton dans la presse [22].

Noirot, le mouvement fouriériste et Zola

Des années 1872-1873 jusqu’au milieu des années 1890, Noirot est resté à l’écart du mouvement fouriériste et de ses publications (Bulletin du mouvement social, Revue du mouvement social, La Rénovation). Quand il revient dans la capitale, il ne semble pas reprendre directement contact avec l’Ecole sociétaire, dirigée par Alhaiza, un nouveau venu au sein du monde fouriériste. Du reste, la plupart des condisciples qu’il a connus lors de son passage à la tête de la Librairie des sciences sociales sont décédés ou ne prennent plus part, sinon par courrier, aux activités et aux manifestations phalanstériennes. Mais une correspondance, puis des rencontres avec Zola ramènent Noirot dans le mouvement fouriériste.

Le 30 mai 1896, la fille de Noirot, professeur de piano, revient au domicile familial avec ses cahiers de musique enroulés dans un journal, Le Figaro du 23 mai. « Après le café, machinalement, M. Noirot jette les yeux sur ce rouleau. Le nom de Zola le frappe » et il lit l’article intitulé « Dépopulation », où l’écrivain déplore la faiblesse de la natalité en France [23]. À la suite de cette lecture, le fouriériste écrit à l’écrivain :

Monsieur,

Je ne lis guère Le Figaro. Par hasard, on vient de m’apporter un objet roulé dans le numéro du 23 ; en tête : Dépopulation, je vais à la signature : E. Zola. Je viens de lire Rome, je saute sur l’article.
Quelles illusions : L’Alliance nationale, les moralistes, les écrivains, les poètes !...
‘’Les pères ont à nourrir le troupeau’’, c’est vous qui l’avez dit, monsieur : toute la question est là.
J’ai été autrefois l’inspirateur et, avec le Dr Mayer, l’organisateur de la Société protectrice de l’enfance de Paris […]
Eh bien ! monsieur, si vous consultiez les archives de la Société, vous verriez, sans grand étonnement sans doute, que pour un très grand nombre de ménages parisiens, la naissance d’un enfant est une calamité et que beaucoup recherchent les faiseuses d’anges.
Qu’est-ce à dire ? sinon que matériellement et moralement, la difficulté de vivre domine notre société, étouffe les sentiments naturels, comprime tout, déforme tout et fait de la plupart des humains, les êtres misérables dont votre terrible plume fait l’autopsie sur le vif.
Le père prudent dit à son fils : Ne compte que sur toi, joue des coudes, fais ta place, arme-toi, cuirasse-toi, c’est la lutte pour l’existence. Surtout, souviens-toi que les intérêts des autres se dressent contre les tiens, que, depuis celui qui te livre ton pain jusqu’aux plus libérales professions, il n’est personne qui n’ait intérêt – intérêt, entends-tu – à te tromper, à tirer, le plus possible, de ta poche pour mettre dans la sienne, honnêtement, s’il se peut, malhonnêtement, si besoin est : c’est le plus ordinaire.
N’oublie pas que les pivots des relations sont : les semblants et le mensonge ; qu’on ment au salon comme on fraude à la boutique ; ne crois pas aux louanges et envoie les produits qu’on te livre au laboratoire municipal. Honore les gendarmes et la police ; sans eux, au lieu d’être empoisonné chaque jour, tu serais assassiné demain.
Si c’est pour qu’ils donnent de si sages conseils à leurs enfants, que « l’Alliance nationale » souhaite que les papas en aient beaucoup, je crois qu’elle prêche dans le désert, et que ni la Littérature, ni une infime diminution dans les charges de famille, n’y feront rien.
L’hostilité des intérêts, voilà l’ennemi ; c’est de tous les instants et sous toutes les formes, la guerre entre les individus, les familles, les peuples. Faudra-t-il attendre que le soleil d’une civilisation nouvelle se lève à l’horizon du Japon, et faut-il, après Babylone, Athènes et Rome, désespérer de l’Europe occidentale ? Je ne sais, mais les fléaux qui nous rongent semblent indiquer que Paris, Londres et Berlin auront le sort de leurs devancières.
Pourtant, ici, l’évolution est commencée. Malgré l’inattention des contemporains trop pressés des besoins du jour, les premiers germes d’un monde nouveau ont poussé dans quelques coins, à peu près ignorés, et s’ils ne sont pas emportés par le cyclone qui, depuis cinquante ans, monte lentement à l’horizon ; s’il n’est pas fatal que l’idée nouvelle ait besoin d’un sol nouveau pour se développer, il y a peut-être encore quelqu’espoir pour nos descendants.
Mais quel plus puissant écrivain que vous, Monsieur, pourrait s’attacher à cette tâche, forcer l’attention et montrer le chemin.
Le Roman de l’Avenir pourrait bien devenir votre plus beau titre de gloire.
Cet « Avenir » n’est pas loin ; en quelques heures, vous pourriez l’aller étudier sur place autant et aussi longtemps que vous le voudrez. C’est là que vous verrez ce que peuvent les institutions qui garantissent à chacun la sécurité du lendemain, sur les mœurs d’une population de Travailleurs solidaires, qui ont passé de la misère à l’aisance, dans un milieu qui offre, à tous, les équivalent de la richesse ; où les enfants, dont l’élevage et l’éducation sont dotés d’un budget annuel de plus de trente-cinq mille francs, n’imposent qu’une faible charge à leurs parents [Noirot fait ici allusion au Familistère de Guise].
Vous comprendrez, je l’espère, Monsieur, que la démarche que je fais auprès de vous, n’a pas d’autre objet que l’espoir du bien général et, si vous désirez plus de détails, je me mets à votre disposition pour les renseignements complémentaires et les documents à vous faire connaître.
Un homme comme vous, Monsieur, doit savoir. [24]

Emile Zola répond depuis Médan, le 1er juin suivant :

Monsieur,

Votre lettre m’intéresse infiniment. Mais je suis à la campagne, et avec un grand besoin de repos. Voulez-vous bien que nous remettions notre entretien à Octobre ? Vous me feriez le plaisir de venir frapper à ma porte, rue de Bruxelles, 21 bis, un soir, à six heures, et nous pourrions causer. Je vous remercie à l’avance de tout ce que vous pourrez me dire sur un sujet qui me passionne.

Les deux hommes sont presque voisins – ils demeurent tous les deux rue de Bruxelles (Noirot au 13, Zola au 21bis). Noirot se rend chez Zola en octobre 1896. Dans une note rédigée cinq années plus tard, il rend compte de ses rencontres et conversations avec le romancier :

Avec quelle simplicité de cœur ce grand honnête homme, épris de justice et de vérité, passionné, comme il le dit, pour tout ce qui est humain, a accueilli les premières lueurs du monde de Fourier, dans quelques entretiens qui l’ont amené à l’étude sérieuse de la doctrine du Maître.

Deux livres pourtant Paris et Fécondité barraient la route : l’un en cours ; l’autre en projet, il leur fallait deux années qui s’allongèrent encore de celle qui nous valut la lettre J’Accuse ! et au poète, les persécutions inouïes que l’on sait et onze mois d’exil.

Rien pourtant ne lui avait fait oublier l’espérance entrevue d’un monde meilleur, ni les deux livres qu’il avait gardés : Solidarité d’Hippolyte Renaud, et Solutions sociales de Godin (de Guise), deux disciples de Fourier.

Noirot, de son côté, reprend contact avec le mouvement fouriériste : il participe au banquet du 7 avril 1897, organisé par l’Ecole sociétaire expérimentale et y prononce un discours sur le Familistère de Guise, qui montre les avantages procurés par des réalisations partielles de la théorie fouriériste [25]. Il rejoint le comité de fouriéristes et de coopérateurs qui s’est chargé de réaliser une statue représentant Fourier, participe à l’examen de la maquette en décembre 1897 chez le sculpteur Derré, et apporte sa contribution financière (10 francs) pour l’exécution du monument, inauguré en 1899 [26]. Avec plusieurs autres fouriéristes, il visite la colonie de Condé-sur-Vesgre dans l’été 1898 [27]) ; il prononce un discours au nom de l’Ecole sociétaire lors des obsèques de Virginie Griess-Traut [28].

Cependant, l’École est alors divisée en deux courants : l’un, dirigé par Alhaiza, est antisémite, antidreyfusard et xénophobe ; le second, autour de l’Union phalanstérienne et de l’Ecole Sociétaire Expérimentale, tout en promouvant l’essai phalanstérien, est proche des milieux coopératifs et du journal L’Association ouvrière  ; c’est ce second courant que rejoint Noirot qui participe, parfois en compagnie de sa femme et de sa fille, à plusieurs banquets phalanstériens du 7 avril commémorant la naissance de Fourier.

A partir de l’automne 1900, L’Aurore publie en feuilleton Travail, où Zola décrit la formation d’une « cité heureuse », en partie inspirée du modèle phalanstérien ; puis le roman paraît en librairie au printemps 1901. Noirot incite alors ses condisciples à utiliser la sortie de ce roman et la célébrité de son auteur pour appeler l’attention du public sur le fouriérisme [29]. Alhaiza, dans La Rénovation, refuse de s’associer à des manifestations célébrant un écrivain dreyfusard. L’autre courant, lié à la Chambre consultative des associations de production et à L’Association ouvrière, invite Noirot, lors du banquet du 7 avril 1901, à faire le récit de sa rencontre avec Zola [30] ; l’ancien percepteur devient celui qui « a converti M. Zola au fouriérisme » [31] ; son rôle est encore mis en valeur lors de la fête organisée en l’honneur de Zola le 9 juin suivant. La démarche faite par Noirot auprès de Zola est proposée en exemple aux disciples qui refusent de voir disparaître le mouvement fouriériste [32].

Dans les années suivantes, Jean-Baptiste Noirot reste en relation avec les fouriéristes de l’Union phalanstérienne et de l’Ecole Sociétaire expérimentale [33], ainsi qu’avec les milieux coopératifs. Il continue à participer aux banquets du 7 avril organisés par l’Ecole sociétaire expérimentale et l’Union phalanstérienne ; sa fille anime généralement la fin de soirée en se mettant au piano. Il prononce, au nom des phalanstériens, un discours lors de l’inauguration d’un monument sur la tombe de Faustin Moigneu, bienfaiteur de la Chambre coopérative et de la Ligue de l’enseignement (voir ce nom). Il remplit les charges de commissaire aux comptes pour la société Le Travail, dirigée par Henry Buisson, ancien président de la Chambre consultative des associations de production [34]. Et il écrit quelques articles sur Fourier et sur la coopération dans L’Association ouvrière [35]

Son décès est mentionné par plusieurs journaux. Pour Le Temps, « M. Jean Noirot était un esprit distingué et un humanitaire convaincu. Il se flattait volontiers d’avoir converti Emile Zola aux idées fouriéristes dont on retrouve en effet des traces dans son roman Fécondité [sic] » ; Le Rappel, Le Petit Parisien reprennent à peu près les mêmes mots. Le Figaro signale la mort du « doyen des fouriéristes » [36]. L’Association ouvrière lui consacre une longue nécrologie, parfois un peu approximative. Les obsèques sont civiles : « dégagé de toute idée confessionnelle, libéré de toute superstition religieuse, il est mort en penseur libre, en rationaliste et sa famille n’a pas voulu qu’aucun prêtre d’aucune religion vint apporter un hypocrite bourdonnement autour de son cercueil » écrit le rédacteur de L’Association ouvrière [37]. Y assistent plusieurs dirigeants de la coopération, dont Barré, directeur de la Banque coopérative, Buisson, de la société Le Travail, mais aussi Mme Zola, Auguste Klein (exécuteur testamentaire de Victor Considerant), des membres de l’Union phalanstérienne et de l’Ecole sociétaire expérimentale (Jenny Fumet, René Vachon). Manoury, de la Chambre consultative des associations de production, fait un discours rappelant les étapes de la vie de Noirot, « sa vie si droite et si unie de républicain incapable de compromissions et de socialiste sociétaire qui fut, dès sa première jeunesse et jusqu’à son dernier souffle un propagandiste toujours actif des doctrines fouriéristes » ; il rappelle comment Noirot « convertit Emile Zola, dont il était l’ami, à la doctrine associationniste », comment « il fut ainsi l’inspirateur et le collaborateur du grand écrivain lorsqu’il composa Travail, celle des œuvres de Zola qui aura la plus grande et la plus heureuse influence dans le monde ouvrier et qui contribuera à hâter la Révolution sociale ».

Sa femme et surtout sa fille continuent à fréquenter les banquets phalanstériens du 7 avril après sa mort, sans qu’on sache si elles adhèrent également aux idées fouriéristes ou si elles y viennent en souvenir de leur époux et de leur père, ou pour y rencontrer des amis.