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Bacon (dit Bacon aîné), Louis-Silver
Article mis en ligne le 30 septembre 2013
dernière modification le 12 juillet 2021

par Sosnowski, Jean-Claude

Négociant quincaillier à Paris. Correspondant de La Correspondance des disciples de la Science sociale à Paris en décembre 1845. Associé fondateur de la société de la Colonie agricole et manufacturière de Condé en 1846. Président des délégués des ateliers nationaux et membre du bureau de la Société des corporations réunies en 1848.

Etabli quincaillier au 365 rue Saint-Denis à Paris, Louis-Silver Bacon est l’auteur de plusieurs inventions. En août 1843, lui est délivré pour cinq ans, un brevet pour une invention d’un « genre de mécanisme applicable à plusieurs usages ». Il s’agit d’un « mécanisme applicable au sciage de la pierre et à usage de pompe, etc. » [1]. En 1846, il dépose un deuxième brevet pour des « perfectionnements apportés aux instruments de la cheminée composant un feu en tenue de quincaillerie », renouvelé en 1849, puis un troisième pour un « nouveau garde cendre ». En 1849, il réside 11 rue de Crussol à Paris et est qualifié de monteur en bronze [2]. En mai 1854, il dépose un nouveau brevet en association avec Claude-Clément Levrat pour « un système de porte-parapluie et de porte-pincettes » [3]. Il est inscrit comme fabricant de bronze et fonte polie, installé 76 boulevard Beaumarchais à Paris. L’Almanach-Bottin du commerce de Paris de l’année répertorie les deux associés parmi les quincailliers.

Il reçoit les abonnements à La Correspondance des disciples de la Science sociale, parution mensuelle éditée en marge du centre parisien de l’Ecole sociétaire et dont le tirage débute au dernier trimestre 1845. Il définit ainsi l’objet de cette nouvelle publication :

On fait un adepte d’un côté par la propagande, on le perd de l’autre par l’isolement et le désespoir. Nos journaux, La Démocratie pacifique et La Phalange, rédigés par des hommes de talent et coeur que nous aimons tous, tendent et parviennent à augmenter chaque jour notre nombre ; mais ce n’est pas tout : les hommes qui savent et qui souffrent ne sont pas sauvés. - C’est donc à nous à nous unir par des rapports libres, intimes, expansifs. Il est des hommes intelligens [sic], humains, généreux, qui pensent et ne peuvent rien nous dire. - Les journaux ne peuvent être ouvert à tout le monde. - La Correspondance remplit cette immense lacune ; elle va devenir la bonne mère des phalanstériens. - Elle les convie tous à se faire entendre. - C’est dans son sein qu’ils viendront épancher leurs douleurs, leurs espérances et leurs joies ; c’est aussi dans son sein, peut-être, que va se graver le grand mot Réalisation[sic], qui, certes, n’est pas loin, et qui ralliera autour de lui tous les fidèles du monde [4].

Dans ce même article, à défaut de pouvoir réaliser immédiatement l’association intégrale, il vante les mérites d’« une espèce d’association morale […] ».

Les douleurs partagées sont à moitié guéries. Dans cette vie où le plaisir n’est pas absolument impossible (nous en avons des preuves), la communication des plaisirs pourra sinon contrebalancer les peines, aider du moins à les supporter. Sous l’influence de ces idées, un groupe d’amis s’est formé à Paris, il y a huit mois, adoptant un système de propagande composé. Un dîner se donne à peu près tous les mois […]. Plus de trois cents personnes s’y réunissent, hommes, femmes et enfants. - On y appelle chaque fois de nouvelles connaissances. Ce dîner est d’autant plus attrayant, qu’il fait faire des économies, en même temps qu’il procure les plus grands plaisirs. - Voici comment : le prix est de 1 fr. 70 cent. On donne 1 fr 50. cent. au restaurateur. Reste 20 cent. Par personne. - 330, nombre ordinaire, produisent 66 fr., lesquels sont employés à l’impression des billets d’admission, et à l’élégante composition d’un orchestre. A 5 heures, le dîner ; à 6 heures, les toasts et les poésies ; à 7 heures, promenade dans la cour ; à 8 heures, le bal jusqu’à 11 heures, et même minuit, sans aucune rétribution. Jamais personne n’a pu assister à nos dîners sans désirer ardemment d’y revenir pour y puiser ces douces et sympathiques joies, que, du commencement à la fin, on voit sur chaque visage.

Le mot d’ordre est celui de l’action.

L’association est réalisable immédiatement, et nous allons nous mettre à l’œuvre. Il s’agit de « procéder méthodiquement, c’est à dire graduellement […] ; Il faut d’abord se voir, s’étudier pour se connaître, et puis se grouper avant de composer la série […]. Que notre correspondance enfin soit l’expression modeste et amicale des idées de tous, afin que chacun en profite. - L’amitié est la meilleure institutrice [5].

Mais son discours ne convainc pas pleinement :

Je vois chaque jour avec bonheur de zélés Phalanstériens [sic] arriver à La Correspondance qu’ils ont crue d’abord en hostilité avec La Démocratie pacifique ; les uns se sont contentés pour y souscrire, des protestations du Centre ; d’autres ont voulu voir les 1ers nos avant de s’abonner et ils sont venus ; - il en est encore que ces nos n’ont pu convaincre ; mais nous espérons d’autant plus en ceux-ci que leur dévouement à la cause est grand. Nous le savons, ils craignent la division des forces et ils ont raison ; mais ils verront la fermentation qui règne dans l’école, le besoin d’activité, le besoin de réalisation ; - ils verront combien d’hommes précieux concentrent de nobles élans pour les déployer en faveur d’un plan immédiatement réalisable [6].

En mars 1846, la rédaction avoue n’avoir qu’ « un petit nombre de […] membres » [7].

Réalisateur, Bacon promeut un « projet d’émigration au Brésil » (Province Sainte-Catherine » [8] affirmant s’appuyer sur les aspects positifs des expériences développées jusqu’alors. Un compatriote, ingénieur-géomètre « qui habite, depuis vingt ans, avec sa famille à Rio-Janeiro, où il a fait fortune » lui a fourni toutes les indications nécessaires et propose d’appuyer le projet auprès de l’Empereur du Brésil afin d’obtenir une concession gratuite. Bien informée « la personne dont [il] parle a connu le docteur Mure au Brésil et lui avait prédit ce qui est arrivé ». Bacon dresse un tableau idyllique du Brésil :

on pourra même en arrivant, et pendant longtemps, vivre des fruits naturels du pays qui pendent aux arbres des forêts, et de la chasse et de la pêche, qui, par le travail de quelques individus, peuvent suffire à la subsistance de toute la société. On aura cependant des munitions de prévoyance pour les cas exceptionnels de quelques tempéraments délicats.

Bacon veut s’appuyer sur une association de 400 individus (170 hommes, 170 femmes et 60 enfants) dont la souscription au capital de 257 000 francs serait de 2 francs minimum par semaine. Des placements réguliers à la Caisse d’Épargne puis en rente d’État doivent permettre l’accroissement de ce capital initial. Chaque colon devra apporter un équipement en ustensile et en mobilier. Aucune rémunération ou délivrance d’action de propriété n’est prévue pour les trois premières années de la colonie. Pour préparer l’implantation, des groupes d’activités spécialisées doivent être constitués et se réunir chaque semaine pour envisager l’expérience. Les présidents de chacun de ces groupes formeront un « groupe pivotal » où sera donné le compte rendu des travaux. Parmi ces groupes « la musique sera vivement recommandée ; on formera des groupes de choristes des deux sexes et de tous les âges ».
La colonie quant à elle doit être organisée sur le mode électif. Elle doit être dirigée par une régence de 12 chefs élus par les sociétaires qui indiqueront la marche à suivre aux séries et groupes dont les chefs seront eux-mêmes élus. Pour les trois premières années, la vie de la colonie sera établie sur une base égalitaire. « Un tribunal arbitral […] élu » dont les « décisions sont sacrées » sera chargé de maintenir l’harmonie et « de régler ou de juger tout espèce d’affaires, telles que discussions, querelles, attaques, persécutions, insubordinations, etc. ; enfin tout ce qui tendrait à compromettre le repos, la tranquillité, le succès, la liberté d’un ou plusieurs individus ou de la société ». Contre les excès de ce tribunal est prévu un droit de pétition.
Bacon paraît très informé des mésaventures de l’expérience menée par Mure et Derrion. Il ne compte pas lancer de nouveaux colons à l’aventure. Il indique que les 400 premiers sociétaires enverront une députation au Brésil auprès de leur contact à Rio-Janeiro afin de s’assurer de la validité des titres communs de propriété et de la situation de celle-ci. C’est seulement sur cette base qu’une frégate sera affrétée. Bacon rassure les volontaires ; le débarquement sur les terres de la colonie sera progressif, chasseurs et bûcherons s’y succéderont pour préparer le meilleur terrain de colonisation pendant que les autres attendront sur le navire.

Bacon reste néanmoins ouvert aux projets qui envisagent une association domestique et agricole sur le territoire national ; « le mode de souscription que je propose peut servir à toute espèce d’association » conclut-il.

Mais son enthousiasme est de courte durée. Il introduit le numéro d’avril-mai1846 par un propos pessimiste :

Voici le septième numéro de La Correspondance, et nous n’avons rien fait. […] nous en sommes encore à savoir si nous ne mourrons pas même avant d’avoir rien fait […]. Peut-il y avoir des phalanstériens qui, comme les heureux du siècle, osent fermer les yeux sur les plaies du peuple ? Mais nous, les impatients, et qui sommes fiers d’être impatients, qu’attendons-nous ? Des familles ? Nous en avons plus qu’il ne nous en faut. De l’argent ? Cela ne manque pas plus que le monde. Est-ce un chef ? Ne l’avons-nous pas ? S’il [Victor Considerant] ne veut se livrer encore à la pratique, c’est qu’il a des raisons majeures. Ne semble-t-il pas qu’il soit réduit à étouffer son amour de la réalisation parce qu’il se sent entouré de gens pleins d’amour d’eux-mêmes, tenant aux vieilles habitudes, cédant aux préjugés, s’abandonnant à l’état actuel des choses, à leur certain petit bien-être avec toute l’indifférence des repus. Cela ne suffit-il pas à un chef pour reculer devant une entreprise aussi immense, tant d’infirmités parmi ceux qui osent se dire les plus avancés dans le progrès […]. Nous avons même un apôtre [Jean Journet] pour lequel des étrangers à nos idées ont plus de reconnaissance que nous […]. J’ai quelques fois aussi blâmé les rigueurs de l’apôtre contre notre apathie ; mais je finis par lui donner gain de cause, quand je vois où nous sommes à côté de ce que peut l’association […]. Hommes d’action et de courage – Formons un noyau compact ; faisons ici chacun notre profession de foi, faisons nous connaître du Chef de l’École [sic], qu’il sache au moins les hommes sur lesquels ont peu compter et qu’alors il ne puisse plus dire que le temps n’est point arrivé – Il est le roi de l’école, nous en sommes le peuple [...] [9]

Sa déception ne le rend pas inactif. Il est l’un des associés fondateurs de la société de la Colonie agricole et manufacturière de Condé, société Baudet-Dulary, Lenoir, Boissy et Cie qui propose de fonder des établissements intermédiaires garantistes sur le site du premier essai sociétaire en vue de démontrer la pertinence de la théorie sociétaire. La société est constituée par acte notarié du 28 avril 1846, modifié lors d’une assemblée générale du 29 mars 1849. Elle « se propose d’établir d’abord une fabrique de petite ébénisterie et de cartonnage, dont les ateliers fonctionnent déjà à Paris, et qui ont leur clientèle assurée » [10].

En 1848, Bacon devient président des délégués des ateliers nationaux. Avec entre autre [Ardillon], l’un des associés de la Colonie agricole et manufacturière de Condé, il appartient au bureau de la « Société des corporations réunies » [11], présidée par Pierre Vinçard et dont l’objet est « l’abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme, par l’association immédiate des producteurs, par la création d’ateliers d’ouvriers associés » [12]. Le bureau de la société signe un appel enjoignant les ouvriers à ne pas apporter leurs « voix […] et appuis à des voix anarchiques », à ne pas « prêter [leurs] bras et [leurs] cœurs pour encourager les partisans du trône […] brûlé ». Les signataires appellent au calme et à ne revendiquer qu’un seul titre, celui de citoyen ; « nul ne doit essayer de lutter contre le véritable souverain : le peuple » [13].