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Durrbach (ou Dürrbach), (Frédéric) Geoffrey
Article mis en ligne le 3 octobre 2013
dernière modification le 25 janvier 2018

par Desmars, Bernard

Né le 29 avril 1820, à Bouxwillers (Bas-Rhin), décédé le 22 juin 1893 à Toulouse (Haute-Garonne). Garde-mines principalement dans le Haut-Rhin, en Algérie et dans le Sud-Ouest de la France, directeur d’un pensionnat à Strasbourg. Actionnaire de l’Union agricole d’Afrique, souscripteur de la Maison rurale de Ry, abonné des périodiques fouriéristes. Auteur d’un projet de ménage sociétaire.

Geoffrey Durrbach est le fils d’un principal de collège devenu ensuite pasteur à Strasbourg. Il est aussi le frère d’Auguste Frédérique Durrbach, épouse du fouriériste Charles Küss. Après avoir obtenu le baccalauréat ès lettres, il suit des études à l’École centrale des arts et manufactures. En 1843, il entre dans l’administration des mines où il exerce les fonctions de garde-mines, dans le Haut-Rhin [1] ; à Colmar (jusqu’en 1850) puis à Mulhouse, il s’occupe de vérifier le bon état des machines à vapeur ainsi que du contrôle des chemins de fer. Selon ses supérieurs, il est de caractère « froid, réservé, un peu taciturne » ou « un peu craintif », mais c’est « un agent exact, laborieux et très consciencieux » [2]. Dès 1850, il figure sur les listes des actionnaires de l’Union agricole d’Afrique, société qui a fondé une exploitation agricole à Saint-Denis-du-Sig afin d’y mettre en pratique quelques principes phalanstériens comme l’association du capital, du travail et du talent [3].

Il obtient en 1857 un congé de son administration et part travailler aux houillères de Steyerdorf, dans le Banat de Hongrie, au service de la Compagnie des chemins de fer autrichiens. L’année suivante, il se marie avec Sophie Gerhardt, la fille d’un entrepreneur de transports de Strasbourg. Trois enfants naissent de cette union, dont Félix (1859-1931), futur normalien, élève de l’Ecole française d’Athènes, auteur de plusieurs études sur la Grèce antique et doyen de la faculté de Toulouse [4]. En 1859, il quitte l’Autriche et rejoint Spire (alors en Bavière rhénane, aujourd’hui en Rhénanie-Palatinat), pour travailler à la construction et à la mise en œuvre d’une usine à gaz. Il y reste jusqu’en 1861. Il réintègre alors son administration d’origine et part en Algérie, au service des mines, à Bône.

Pour un essai phalanstérien

En 1863, il publie un Avant-projet d’une société rurale immobilière, domestique, agricole et industrielle [5], qui s’adresse à des personnes disposant d’une fortune de 100 à 300 000 francs, « ayant le goût d’une vie simple mêlée de confortable et même d’une modeste élégance » et présentant « des défauts supportables et la sage habitude de supporter les défauts d’autrui dans les rapports volontaires » ; la société s’établirait dans une grande propriété rurale en Italie ou du côté de Nice, Cannes ou Menton ; le « groupe d’habitations » pour quelques centaines de personnes est entouré « de champs de fleurs […] ; de grands vergers chargés de beaux fruits ; des jardins maraîchers […] ; des coteaux plantés d’oliviers » ; à proximité, on voit « des moulins à huile » et des « bâtiments d’industrie qui doivent transformer nos fruits, nos légumes et nos fleurs en confiseries, conserves, essences et parfums » ; les sociétaires tirent des revenus de ces activités industrielles, mais n’y travaillent pas régulièrement eux-mêmes : « selon son goût, sa fantaisie ou son caprice […], on se livre aux douceurs du repos, aux joies de la famille, au charme de l’étude, à la culture des lettres, des sciences et des arts, ou quelquefois à quelques branches d’un travail fécond ; ou bien encore on fréquente les petites réunions, où la causerie, la charité, les bonnes œuvres, le chant, la musique, la navigation, la pêche et la pisciculture, la chasse aux bêtes nuisibles, la comédie de salon, les échecs, le billard, la tapisserie et le crochet, appellent tour à tour les fidèles et les invités ».

La société, prévoit Durrbach, doit possèder un second domaine, dans les Alpes suisses, où l’on vient respirer « un air tonique et vivifiant » et où l’on pratique l’élevage pastoral, la chasse au chamois et la pêche à la truite. Enfin, elle est propriétaire d’une vaste résidence à Paris, où l’on vient chercher « la table, le logement et les avantages de la société ». Chacun de ces trois lieux de séjour (rivages méditerranéens ; Alpes suisses ; Paris) – mais Durrbach dit qu’on pourrait y ajouter « les bords du Rhin, la Bavière, la vallée de la Dordogne, Pau, l’Auvergne, les environs de Paris, etc. » et il remplace parfois la Méditerranée et les Alpes par l’Océan atlantique et les Pyrénées – reçoit des personnes étrangères à la société, ce qui constitue à la fois une source de revenus pour la société et un moyen pour recruter de nouveaux sociétaires.

A la différence de beaucoup d’autres projets phalanstériens, qui fourmillent de détails sur le fonctionnement de la future communauté, élaborent les plans des constructions, précisent le nombre d’hectares et d’animaux pour les activités agricoles, déterminent à l’avance les responsabilités des uns et des autres, Durrbach reste très vague, à la fois sur les dispositions architecturales (on comprend qu’il s’agit de plusieurs « villas » du côté méditerranéen, de plusieurs « chalets » en Suisse, et d’un « Hôtel des familles » à Paris), financières (l’action est quand même au prix très élevé de 100 000 francs ; mais on peut résider dans ces lieux comme simple pensionnaire) et administratives (un conseil d’administration contrôle les trois propriétés, mais chacune d’entre elle possède sa propre direction). Qui construit les édifices ? Comment sont organisés les services collectifs au quotidien ? Qui s’occupe des activités productives qui doivent procurer des revenus des sociétaires ? Durrbach n’en dit rien et renvoie cela à des études ultérieures, qui, après la constitution de la société, établiront des plans et des devis. Pour le moment, il préfère décrire les avantages dont bénéficient les sociétaires : « débarrassés des soucis matériels du ménage isolé […], ils ont beaucoup plus de liberté d’esprit et plus de temps à donner aux affections de la famille, à l’éducation des enfants et à la culture de leur intelligence en même temps qu’à leur propre perfectionnement moral » ; et ensuite, « le travail manuel […], lorsqu’il serait entouré de toutes les conditions d’attrait naturel – site charmant, société polie, industries se rattachant aux fleurs, aux fruits, à la magnanerie, etc. – pourrait bien tenter tout ce qui resterait d’oisifs ».

Ce texte, « tiré à un petit nombre » et qui « ne se vend pas », comme l’indique la couverture, est sorti à un moment où l’École sociétaire ne dispose plus d’organe pour en faire la publicité ; sans doute a-t-il été peu diffusé et peu connu ; aussi, en 1867, alors que plusieurs condisciples s’intéressent de nouveau à la réalisation d’un essai phalanstérien, Charles Küss revient sur le projet de son beau-frère Durrbach en le présentant aux lecteurs de La Science sociale, mais en réduisant son ampleur : il n’est plus question que d’une « vaste maison à loyers construite en vue d’un ménage coopératif avec grande cuisine, boulangerie, boucherie, buanderie, bains, calorifères, usine à gaz, conduites d’eau, salles de réunion, salles d’écoles, magasin d’approvisionnement, etc. », et entourée de « cours spacieuses, grands jardins et autres dépendances ». Ce ménage commun devrait être établi « à la campagne, sous un ciel privilégié comme aux environs de Nice ou de Cannes ou dans quelque localité également favorisée, mais dont le renom serait encore à fonder ». Küss souligne que l’auteur ne prévoit pas à l’avance l’organisation de la vie collective dans le futur palais, mais laisse aux futurs habitants « le soin d’organiser le ménage comme ils le jugeront convenable et d’administrer eux-mêmes la société ou les sociétés qu’ils voudront fonder » ; c’est, affirme Charles Kuss, la supériorité de ce « ménage coopératif » sur ceux qui prévoient « un phalanstère […] où les habitants entreraient comme dans un mécanisme tout fait, qu’ils verraient fonctionner sans l’avoir eux-mêmes créé et mis au monde » [6].

Comme la plupart des autres projets qui éclosent à la fin des années 1860 dans les rangs sociétaires, la « société rurale immobilière » et la « grande maison à loyer » ne voient pas le jour. D’ailleurs, Durrbach, en 1869, considère que l’École sociétaire devrait faire de Godin, fondateur du Familistère et « modèle digne de la plus haute sympathie de la part des amis de la cause phalanstérienne », le maître d’œuvre du futur essai sociétaire [7].

Lors de la reconstitution de l’Ecole sociétaire autour de Barrier, au milieu des années 1860, il se prononce en faveur de la création d’un nouvel organe phalanstérien, et quand La Science sociale paraît, il s’y abonne et ajoute au montant de son abonnement de modiques sommes pour « la propagation de la science sociale » [8].

De l’Alsace au Sud-Ouest de la France

En 1869, Durrbach demande à nouveau un congé à son administration et rentre à Strasbourg, où il dirige pour son propre compte un « pensionnat industriel et commercial ». Mais la guerre et les bombardements pendant le siège de la ville provoquent l’incendie de son établissement. Il perd ainsi une grande partie de ses biens et quitte l’Alsace ; il retrouve un emploi dans l’administration des mines, à Pau. Alors qu’il a reçu le compte rendu du congrès phalanstérien d’avril 1872 qui contient un appel aux militants afin qu’ils financent une nouvelle organisation sociétaire, il déclare être « hors d’état de faire aujourd’hui aucun sacrifice en faveur de l’association » en raison de ses « malheurs » strasbourgeois ; « je ne puis donc pas souscrire à cette œuvre comme actionnaire, mais mes sympathies et mes vœux lui sont acquis » ; il promet de s’abonner au futur périodique dont la création a été envisagée par le congrès. Il achève à ce moment la rédaction d’un ouvrage, qu’il pense intituler La Question sociale ramenée à un problème d’architecture, et prévoit d’envoyer un prospectus à l’ensemble des condisciples dont il souhaite avoir la liste. Ces intentions n’ont semble-t-il pas été poursuivies et son travail n’est probablement pas paru [9].

A Pau, il est affecté au service du contrôle de l’exploitation des chemins de fer du Midi à Pau ; il est aussi bientôt chargé de la visite des carrières et des établissements dotées de machines à vapeur dans les Pyrénées-Atlantiques et les Hautes-Pyrénées ; remplaçant parfois l’ingénieur ordinaire quand celui-ci s’absente, et loué par ses supérieurs pour la qualité de son travail, il est promu garde principal en 1876. Parallèlement, il donne quelques cours privés d’allemand. Il est abonné au Bulletin du mouvement social et commande à la Librairie des sciences sociales des manuscrits imprimés de Fourier, des ouvrages de Krantz (Etude sur l’application de l’armée aux travaux d’utilité publique et Projet de création d’une armée de travaux publics, deux ouvrages publiés en 1847 par la Librairie sociétaire) ainsi qu’un ouvrage non fouriériste, L’Armée de l’avenir. Nouveau système de guerre, de Pierre Morin [10]. Il est également un souscripteur de la Maison rurale fondée par Adolphe Jouanne, à Ry (Seine-Maritime) [11].

A la fin des années 1870, ses supérieurs soulignent la dégradation de sa santé et la fatigue que provoquent ses tournées dans les départements pyrénéens. Il est muté en 1880 à Toulouse, où il s’occupe à la fois du contrôle des chemins de fer et de la surveillance des ateliers de réparation du matériel ferroviaire. En 1885, il arrive à l’âge de la retraite ; il demande au ministère l’autorisation de prolonger son activité dans son administration pendant près de deux ans, car, prévoit-il, sa pension ne lui permettra pas de faire vivre correctement sa famille et en particulier d’élever son dernier fils, âgé de seulement onze ans. Mais le ministère refuse et Durrbach doit interrompre son activité. Pour compléter ses revenus, il enseigne l’allemand dans le cadre d’un cours municipal [12].

Il reste attentif à ce qui se passe du côté du mouvement phalanstérien. Quand un nouveau groupe sociétaire, La Ligue du progrès social, fonde en 1888 un nouveau périodique, La Rénovation, il est l’un des premiers abonnés [13].