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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Arnaud (née Bassin), (Marie) Angélique
Article mis en ligne le 5 janvier 2014
dernière modification le 11 décembre 2023

par Desmars, Bernard

Née le 23 décembre 1797 (3 nivôse an VI) à Gannat (Allier) ; décédée le 9 avril 1884 à Paris (Seine). Romancière et collaboratrice de plusieurs périodiques. Saint-simonienne, elle se rapproche du fouriérisme dans les années 1830. Féministe.

Angélique Arnaud est la fille de Gilbert Bassin, avoué au tribunal de Gannat ; d’après une notice biographique parue peu après sa mort, elle « montra dès l’enfance une vocation prononcée pour les études philosophiques, scientifiques et littéraires. La petite ville [de Gannat] offrant peu de ressources, elle acquit par la seule force de son intelligente volonté les connaissances les plus variées et les plus étendues » [1]. En 1820, elle épouse Louis Arnaud, fils d’un médecin de Moulins (Allier), avocat et avoué au tribunal de Gannat ; il succède au père d’Angélique, décédé peu avant. Le couple a un garçon (Claude), une fille, Jeanne-Lore, qui décède à quatorze mois, puis une autre fille (Laure). « Mère de famille dévouée jusqu’à la plus entière abnégation, elle apprit le latin et le grec afin d’enseigner ces langues à son fils » [2].

Elle assiste son mari dans son activité ; et lorsqu’il est frappé d’hémiplégie, elle effectue une partie du travail qu’il ne peut plus assurer, préparant elle-même les dossiers des affaires à plaider au tribunal ; elle « soutint et gagna contre des hommes puissants des procès réputés ingagnables » [3].

Ainsi, « cette trajectoire conforme », c’est-à-dire passant par le mariage et la maternité, « recouvre une personnalité exigeante, d’une grande curiosité intellectuelle et bonne observatrice de la société de son temps » [4], qui cherche à s’ouvrir sur l’extérieur de son foyer et de la ville de Gannat.

Du saint-simonisme au fouriérisme

Au début des années 1830, Angélique Arnaud entre en relation avec des saint-simoniens, et plus précisément avec Caroline Simon et Charles Duguet ; les trois épistoliers échangent une correspondance passionnée, à la fois amicale et amoureuse, où il est aussi question du saint-simonisme, de l’émancipation des femmes et des ambitions littéraires d’Angélique [5]. Elle noue également des liens amicaux avec d’autres saint-simoniens et en particulier le couple formé par Elisa et Charles Lemonnier, avec lesquels elle entretient une relation durable, jusqu’à la fin de leur existence.

Dans les lettres qu’elle échange avec Caroline Simon et avec les Lemonnier, elle évoque les frustrations de sa vie conjugale, ses relations difficiles avec son mari [6] ; en 1841, elle interroge les Lemonnier sur le mariage, ainsi que sur les plaisirs ou les désagréments qu’il leur procure [7].

Son engagement saint-simonien et féministe se traduit dès 1833 par sa collaboration au Journal des femmes (elle y fait paraître un texte intitulé « Le duel », dans le numéro du 6 juillet 1833). Elle publie l’année suivante Une Correspondance d’enfans [sic]. Elle collabore vers 1836-1837 à une revue publiée à Moulins, L’Art en province  ; elle y publie un poème, « Une matinée de printemps » [8], où elle écrit notamment :

L’Humanité […] veut dompter la nature,
Forcer la foudre à la servir ;
Et chercher sa loi d’harmonie
A la clarté de son génie.
La palme est belle à conquérir !

Dans la même revue, elle consacre un long article au roman du fouriériste Raymond Brucker, Mensonge, paru en 1837 ; si elle exprime de fortes réserves sur les qualités littéraires de l’ouvrage (« la forme est sacrifiée à l’idée »), elle souligne la vigueur de la critique lancée par l’auteur contre le mariage (« c’est bien autre chose que George Sand ! » qui « n’a pas attaqué le mariage d’une manière absolue ; mais seulement le mariage disparate, le mariage de calcul »), vigueur qu’elle explique notamment par l’appartenance de Brucker au mouvement sociétaire. Aussi commence-t-elle par présenter rapidement le « système de Charles Fourier », en insistant sur la loi d’attraction et sur l’unité du monde ;

qu’il ait ou non découvert le mécanisme social qui doit faire régner parmi les hommes la paix, la vérité, le bonheur ; que sa théorie sociétaire soit ou non mathématiquement démontrée, il n’en est pas moins vrai qu’il appuie sa science à une vaste conception religieuse, et que s’il n’a pas résolu tous les problèmes, au moins les a-t-il bien posés [9].

Dans la même année 1837, elle écrit à Victor Considerant :

Je n’ai pas étudié suffisamment la science sociale pour pouvoir donner ma complète adhésion au système de Charles Fourier, mais je m’y rattache essentiellement par l’idée de l’universalité de la providence, et j’attends de la réalisation que vous projetez, d’heureux résultats ou au moins d’utiles enseignements. D’ailleurs, j’aime votre affirmation au milieu du doute général ; j’admire votre courage et votre persévérance, et je m’associe à vos efforts de toute la puissance de mes vœux. Veuillez, monsieur, m’inscrire pour une somme de dix francs à imputer sur le crédit de dix mille francs qui a fait l’objet de l’appel du 21 juillet. Je voudrais, monsieur, pouvoir offrir à Charles Fourier et à ses disciples un témoignage plus efficace de ma profonde sympathie. Plus tard, je ferai davantage, si cela me devient possible.
Recevez l’assurance, Monsieur, de ma haute considération.
Angélique Arnaud [10].

L’engagement d’Angélique Arnaud en faveur de l’Ecole sociétaire ne semble pas être allé beaucoup plus loin ; mais son engagement féministe demeure et s’exprime notamment dans ses livres et dans ses collaborations avec divers journaux.

Elle publie son premier roman, La comtesse de Servy, en 1838. Les articles parus dans la presse sont plutôt favorables et rapprochent parfois l’auteur de George Sand : Le Figaro souligne des défauts de forme dus à l’inexpérience de l’auteur ; mais « que Mme Arnaud apprenne à mieux lier les scènes de son drame, et nous lui garantissons un rang très distingué parmi les femmes que l’opinion place le plus haut dans notre littérature actuelle » [11].

Ecrivaine et féministe à Paris

Dans la première moitié des années 1840 probablement, elle quitte Gannat avec sa famille (en 1841, Elisa Lemonnier écrit à Angélique Arnaud à Gannat [12] ; lors du recensement de 1846, la famille Arnaud n’est plus à Gannat, où seule demeure la mère d’Angélique, veuve) ; elle s’installe à Paris, sans doute pour être en relation plus directe avec les milieux littéraires et les militantes féministes. Au printemps 1848, aux côtés d’Elisa Lemonnier, de Jeanne Deroin, de Suzanne Voilquin et de quelques autres, elle fait partie des signataires d’une lettre envoyée au Club des républicains socialistes, concernant la Société fraternelle des ouvrières unies, qui « se propose de fonder des ateliers pour exercer diverses professions, une crèche, une salle d’asile, une école, une bibliothèque » [13]. Au lendemain de la manifestation de juin 1849, elle permet à plusieurs personnes poursuivies d’échapper à l’arrestation en leur facilitant le départ de Paris [14]. La même année, sa fille Laure épouse en 1849 l’écrivain Jules de la Madelène.

Angélique Arnaud publie en mai et juin 1855 une « Etude sur Schiller » dans l’hebdomadaire Le Rappel qui accueille en feuilleton la même année deux de ses nouvelles (La Semaine de fiançailles, de juillet à septembre 1855 ; Mademoiselle Lombret en décembre 1855) [15]. On retrouve aussi son nom dans la Revue philosophique et religieuse [16]. Elle écrit également des paroles pour des chansons pour enfants, dont certaines sont reprises dans un ouvrage publié par son condisciple Jules Delbruck [17].

Dans les années 1860, elle vit dans une maison de la rue de Chaillot ; son mari décède en février 1867 ; libre penseur, il est enterré civilement, avec des discours sur sa tombe prononcés par Charles Lemonnier (l’ancien saint-simonien, fondateur en 1867 de la Ligue de la paix et de la liberté) et Henri Carle (directeur de la Libre conscience, périodique libre penseur et déiste) [18].

Elle participe à l’émergence du mouvement féministe à la fin du Second Empire ; en 1869, elle assiste à un banquet consacré à « la question du droit des femmes, limitée à la revendication des droits civils », autour de Maria Deraismes, de Léon Richer et de nombreux journalistes [19]. L’organe fouriériste La Science sociale reproduit en avril 1870 une lettre qu’Angélique Arnaud adresse à Alphonse Karr ; la rédaction présente ainsi l’auteur et son texte : « nous nous empressons de publier la lettre […] que nous apporte un des plus vaillants champions du droit des femmes. Notre modeste feuille sera toujours heureuse de mettre sa publicité au service de toutes les bonnes causes » [20].

Pendant le siège de Paris, dans l’hiver 1870-1871, malgré son âge et avec sa fille, elle fait preuve d’ « une vigilance extraordinaire pour organiser, pendant cette période de famine générale, des fourneaux économiques qui rendirent les plus grands services » [21]. Avec André Léo et quelques autres femmes, elle dirige la Société de secours aux victimes de la guerre, qui s’efforce de collecter et de distribuer gratuitement des aliments, des vêtements [22].

Membre de la Société pour l’amélioration du sort des femmes, elle collabore au journal Le Droit des femmes, fondé par Léon Richer. En 1872, lors d’un banquet organisé pour les « droits et l’avenir des femmes », elle prend la parole pour défendre « la cause de l’égalité des droits » [23]. En 1883, elle reçoit les palmes d’officier de l’instruction publique [24].

Ses obsèques civiles, au cimetière Montparnasse, ont lieu en présence de Maria Deraismes et Anne Féresse-Deraismes, Louise Koppe et Léon Richer, et d’autres membres de la Société pour l’amélioration du sort des femmes ; son ami Charles Lemonnier y fait un discours [25]. Maria Deraismes adresse quelques jours plus tard une longue lettre aux rédactions de La Justice et du Rappel  : regrettant le faible écho provoqué par la mort d’Angélique Arnaud dans la presse nationale, elle vante ses qualités de militante féministe, d’écrivaine, et aussi de « libre penseuse, républicaine et socialiste » [26].

En 1892, le conseil municipal de Gannat décide d’attribuer le nom d’Angélique Arnaud à une rue de la ville [27].