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VERNUS Michel : Victor Considerant (1808-1893), le coeur et la raison (1993)

Dole, Canevas, 1993, 271 p.

Article mis en ligne le 31 juillet 1993
dernière modification le 3 février 2018

par Dubos, Jean-Claude

Parfait connaisseur de la vie jurassienne à laquelle il a consacré plusieurs ouvrages, mais aussi historien du livre — ce qui l’avait amené à consacrer une étude au grand-père de Considerant, Jean-Claude, libraire à Salins — Michel Vernus était mieux placé que quiconque pour exposer, comme il le fait dès les premières pages de son passionnant ouvrage, ce que Considerant, tout comme Fourier et Proudhon, doit au terreau franc-comtois dans lequel s’est implanté sa jeunesse : cette longue tradition associative illustrée notamment par les fruitières, ces coopératives de production fromagère vivaces en Comté depuis le Moyen-Âge, et citées en exemple dans Les Misérables par Victor Hugo, mais aussi dès 1834 par Considerant lui-même dans Destinées sociales. « La naissance en Franche-Comté de plusieurs réformateurs sociaux n’est pas due au simple effet du hasard, écrit fort justement Michel Vernus. Le socialisme communal et cellulaire trouve ses points d’application dans la tradition des communautés villageoises comtoises. »

Élève de son père Jean-Baptiste au collège de Salins, bachelier à 16 ans, Victor vient alors préparer Polytechnique au collège de Besançon. Il y a pour correspondante Clarisse Vigoureux, veuve d’un marchand drapier bisontin, femme à la forte personnalité et d’un grand caractère. C’est elle qui l’initie au fouriérisme, auquel l’a convertie quelques années plus tôt un ami de son frère, Just Muiron. L’influence de Clarisse Vigoureux sera profonde et durable sur Victor Considerant, qui épousera sa fille Julie en 1838.

Reçu à Polytechnique en 1826, admis ensuite à l’École d’application du Génie de Metz en 1828, Victor se livre à une intense propagande fouriériste auprès de ses camarades et participe en 1832 à la fondation du premier journal fouriériste Le Phalanstère ou la Réforme industrielle, ainsi qu’à la tentative de création d’une colonie sociétaire. Mais ce n’est qu’en 1834, avec la publication de Destinée sociale — et sans doute aussi grâce au départ d’Abel Transon et de Jules Lechevalier — qu’il s’impose comme le plus brillant et le plus talentueux disciple de Fourier, lequel le sacre lui-même son dauphin en 1836, accordant sa préférence à la propagande intellectuelle soutenue par Considerant plutôt qu’aux réalisations industrielles proposées par Just Muiron et les groupes provinciaux.

À la mort de Fourier, Considerant devient donc le chef de l’École sociétaire, et la grande nouveauté de l’ouvrage de Michel Vernus est de mettre en lumière comment, tout en restant fidèle aux théories de Fourier, Considerant a été peu à peu convaincu, en raison de l’opposition — ou plus exactement de l’inertie — qu’il rencontrait, de la nécessité d’une action politique. C’est là l’originalité propre de Considerant, en qui Michel Vernus voit le premier fondateur d’un parti au sens moderne du terme, en même temps qu’il poursuit une brillante carrière de journaliste et intensifie sa propagande grâce à la fondation de la Librairie sociétaire. La description de cette activité d’« organisateur de la propagande » constitue certainement l’un des chapitres les plus riches et les plus suggestifs de l’ouvrage de Michel Vernus, qui analyse aussi très finement les espoirs et les échecs du député du Loiret, puis de la Seine, que fut Considerant pendant la Révolution de 1848.

Rentré en France en 1869 après vingt ans d’exil et l’échec de ses projets américains, Considerant sera en 1870-71 à la fois partisan de la paix et de la Commune. C’est sa qualité de citoyen américain qui le sauvera de la répression, et jusqu’à sa mort en 1893 il refusera de reprendre la moindre activité politique.
Analysant l’œuvre de Considerant en quelques pages très denses, Michel Vernus énumère toutes les réformes que Considerant avait préconisées et qui ont été réalisées par la suite : le salaire minimum garanti, l’éducation gratuite pour tous, le vote des femmes (proposé dès 1848), l’organisation internationale et collective de la Paix ... Peut-on, pour autant, le considérer comme l’un des fondateurs du socialisme français ? Il nous semble plutôt que c’est chez les sociaux-démocrates allemands, partisans de la participation et de la décentralisation, qu’il faut chercher la postérité de cet adversaire de l’étatisme et du dirigisme.

Jean-Claude DUBOS