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3-14
Lettres de Charles Fourier et de Désirée Véret : une correspondance inédite
Article mis en ligne le 20 septembre 2017
dernière modification le 22 mai 2018

par Riot-Sarcey, Michèle

Cet article présente la correspondance à ce jour inédite échangée par Charles Fourier et la féministe bien connu Désirée Véret en 1833-1834 au moment où cette dernière séjournait à Londres pour y travailler comme modiste.

Très jeune, l’ouvrière « modiste », née à Paris le 4 avril 1810, donne sens au mot liberté : dans ses écrit comme dans sa pratique, Désirée Véret signifie, avec constance, son besoin d’émancipation et la nécessité d’être indépendante face aux immenses obstacles qui s’y opposent. Habitée par ce désir, elle a toujours pensé la liberté dans un mouvement de soi vers l’autre, dans un rapport de reconnaissance réciproque. Sa liberté n’a cessé d’être un apprentissage et fut toujours associée à l’idée de bonheur. C’est pourquoi Désirée Véret fut tellement attachée aux mouvements dits utopiques.

Tour à tour saint-simonienne, fouriériste, oweniste, communiste, elle adopte les idées novatrices en même temps que le langage des doctrines sociales pour se convaincre de la justesse de leur vision du monde comme de l’excellence de leurs propositions. Mais elle reste rétive à l’adhésion. Elle recherche la « liberté vraie », celle qui se lit dans le regard de l’autre. Longtemps elle a tenté de la saisir, par le dialogue sincère avec Enfantin, l’homme aimé ; mais « la femme libre » ›, idée largement répandue par les saint-simoniens, est restée « une affaire d’hommes ». Déçue par le Père, Désirée Véret continue sa quête auprès des fouriéristes et de Considerant en particulier. Son engagement est toujours total : elle mêle amour des hommes et amour du peuple. Le devenir meilleur ne peut signifier autre chose qu’une volonté de bonheur ; c’est pourquoi elle fuit la duplicité et cherche constamment la correspondance entre les mots et les choses.

À 22 ans déjà, toute tutelle lui pèse ; elle se délie des liens paternels et rompt avec l’organisation saint-simonienne au nom de la liberté conquise en son sein. Fille du peuple, comme elle se nomme, elle est convaincue désormais que « la liberté des femmes » doit précéder toutes les autres « questions sociales » qui, sans elle, ne sont que de vaines conquêtes. Cette conviction sera sienne sa vie durant : elle la développe dans la Femme libre, journal des ouvrières saint-simonienne qu’elle fonde avec Marie-Reine Guindorf, et l’applique en 1848, pendant la Seconde République, comme représentante des ouvrières auprès de la Commission du Luxembourg.

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* *

Nous présentons ici sa correspondance avec Charles Fourier. À cette époque, elle a dû quitter Paris, et sans doute Considerant, pour l’Angleterre. Elle travaille « du matin au soir » dans des conditions difficiles, décrites à son cher ami Fourier. Cette correspondance, inédite à ce jour, s’ajoute à celle échangée avec Enfantin, et à celle plus tardive qu’elle entretient avec Victor Considerant [1]. Désirée Véret est ici en confiance, elle s’adresse à un vieil ami. La reconnaissance, si avidement et vainement recherchée auprès d’Enfantin, est ici acquise. Plus de tension dans l’échange : Charles Fourier lui avoue son amour et l’écoute. Sereine, elle dit la vie quotidienne, mais aussi son mal-être, ses déceptions en même temps que ses espoirs à celui dont elle reconnaît le génie.

De manière explicite, cet échange révèle la façon dont est pensée l’utopie dans ces années 1830. Pour Désirée Véret, c’est d’abord et avant tout une volonté de bonheur. Un bonheur en devenir, fondé sur les transformations sociales « du monde », un bonheur nécessaire dans sa vie quotidienne. Fourier, quant à lui, est tellement convaincu de la nécessité d’une réforme, qu’il cherche, plus que tout autre, à en administrer la preuve par la fondation de sa colonie de Condé. Bien loin de l’île sans nom de Thomas More, cette utopie s’apparente davantage à l’hétéropie définie par Michel Foucault dans la préface des Mots et les choses :

Les utopies consolent : c’est que si elles n’ont pas de lieu réel, elles s’épanouissent pourtant dans un espace merveilleux et lisse [...]. Les hétérotopies inquiètent, sans doute parce qu’elles minent secrètement le langage, parce qu’elles empêchent de nommer ceci ou cela, parce qu’elles brisent les noms communs ou les enchevêtrent, parce qu’elles brisent d’avance la syntaxe et pas seulement celle qui construit les phrases, celle moins manifeste qui fait tenir ensemble (à côté et en face des uns des autres) les mots et les choses » [2].

Sans doute est-ce son point de vue sur la « civilisation » et sa volonté de dire le vrai des choses qui font de Désirée Véret une folle au regard de ses contemporains anglais [3].

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Désirée Véret chez Miss Jouvard

37 Duke Street Manchester square

Mon bien aimé mr fourier

[sans date]

Il est 2 heures du matin tout est calme dans la maison je profite du moment de liberté que me donne le sommeil de mes Civilisés pour causer un peu avec vous. Mme Weeller [4] est venue dans la journée m’apporter cette moitié de lettre à remplir elle vous sera portée par un Mr qui je l’espère d’après ce que m’en a dit mme Weeler vous admirera bientôt autant que nous vous aimons et vous admirons, je suis bien privée de n’avoir ici personne avec qui je puisse causer de mon cher phalanstère aussi je m’en dédommage avec mme Weeler elle répand vos idées autant quelle le peut elle est plus à même que moi de le faire avec succès, je ne vois dans la semaine que des commerçans et quelques anglais instruits mais bien enfants encore en fait de science sociale pour me traiter de folle mais je ne puis me taire je veux bien me priver de recevoir les journaux mais ne pas parler me serait impossible, je déteste tant leur commerce !

Ma santé est tout à fait rétablie grâces au ciel et à votre découverte je verrais dans un jour des visages épanouis de bonheur et de franchise au lieu des figures froides et sèches que je rencontre dans les magnifiques promenades de Londres ; Je pourrais donc un jour m’abandonner à mon naturel sans crainte de briser ceux qui m’entourent ou d’être brisée par eux oh mr fourier que de grâces les femmes vous rendront quand par vous elles seront indépendantes quand elles ne seront plus forcées pour gagner leur pain quotidien de sacrifier à de sots préjugés et à des sottes personnes l’imagination et la franchise qui est en elles

je suis devenue bien méchante d’indifférente que j’étais, je m’ennuie moins mais je me déteste on me crains et on me tiens esclave par affection pour moi ils ne savent prouver aux gens quils les aiment qu’en les torturant pour les façonner à leur guise mais je ne suis plus dupe d’une pareille affection je sais fort bien qu’ils craignent moins le mal que mes paroles et mes actions peuvent me faire que l’influence que cela exerce sur les autres on nous tient si esclave le travail est si peu attrayant que j’aimerais autant être aux galères il faut travailler depuis 7 heures du matin jusqu’a minuit au plus tôt vous voyez que ce sont sont pas des courtes séances a peine dans la journée avons nous le tems de manger et nous sommes assujéties aux caprices qui varient selon le cours de la bourse oh la sotte chose que l’industrie civilisée !

*

* *

Londres 14 août 1833 [?]

Mlle Véret 37 Duke St Manchester sq

Chez Mme Jouvard.

A Monsieur fourier
7 rue Jocquelet près la bourse
Paris

Encore un an d’attente cela est dure et pénible quand l’urgence est si grande. Cette nouvelle m’a fait peine mais elle ne m’a pas étonnée. je ne sais pourquoi mais en partant pour l’Angleterre j’avais l’idée l’idée que la Colonie de Condé [5] ne serait pas établie cet été, peut-être était ce un artifice de mon imagination pour me faire supporter mon éloignement avec courage, et je suis vraiment désolée que le pressentiment se soit changé en réalité : ce n’est pas que j’ai l’esprit d’y aller car je me demande souvent à quoi je serais bonne dans un Phalanstère ma nature a été brisée faussée par la Civilisation il y a en moi un cahos que je ne puis éclairer et plus je vis plus je me trouve indéchiffrable j’ai bien des instants d’élan ou je serais capable de grandes choses mais je me trouve arrêtée contrariée par mille obstacles. je n’ai point la force de les lever et je retombe plus bas que je n’étais avant. si je regarde autour de moi je vois des gens qui sans être parfaitement heureux ont su cependant se faire une ombre de bonheur et se rendre utiles à leur semblables, ils ont une spécialité un point dominant dans leur caractère sur lequel ils sont à peu près satisfais mais moi je n’ai rien je suis utile à rien je me trouve parfois si sotte d’être ainsi que je cherche à imiterceux qui me paraissent si heureux je m’attache à une chose j’en veux faire ma dominante j’y rapporte toutes mes idées cela va bien pendant deux jours puis je finis par être ennuyée la privation de tout ce qui me manque m’empêche de jouir de ce que j’ai cherché pendant longtems ce quil fallait pour me fixer j’ai essayé de tout j’ai joui de tout partiellement mais j’aurais voulu tout réunir il y avait dans les jouissances isolées une discordance qui me faisait mal, enfin je n ’ai jamais trouvé la cause de l’inquiétude de l’amertume qui est en moi, j’ai pourtant une mère tendre des amies sincères j’ai eu de l’amour tout cela m’est nécessaire mais ne me suffit pas ; parfois en voyant combien d’autres femmes seraient heureuses à ma place je croyais avoir le cœur sec et cela me désolait, mais si j’avais le cœur sec m’en désolerai je ?

Enfin je ne veux plus chercher je ne veux plus me tourmenter l’imagination de ce que je suis ou ne suis pas je deviens de plus en plus paresseuse de penser, lorsque je souffre par trop je me révolte contre la société mais c’est lutter contre le pot de fer et je reste abattue, je suis dans un de ces moments d’abattement je n’ai jamais été ainsi je n’ai pas même le courage de prendre une place qu’on m’offre dans la première maison de Londres et ou j’aurais le double d’appointemens, il faut se déranger changer de place cela m’ennuie. Vous espérez mon bon Mr fourier que l’amour viendra me distraire l’amour d’un anglais ! y pensez vous ? ils sont en cela comme en mécanique ils ne s’entendent [?] qu’au matériel ou a un amour chimérique qui ne peut exister que dans l’imagination, j’ai eu des amours ici je puis vous en faire la confidence à vous – mais ils ne m’ont donné que des plaisirs sensuels les anglais sont froids égoïstes jusque dans leurs plaisirs, a l’amour a la table chacun ne pense que pour soi, Jamais je n’aurai d’amour comme il m’en faut j’en ai pris mon parti je me borne au plaisir.

Vous voulez savoir cher Mr fourier quel genre de travail je fais je fais des robes et des nouveautés je ne vends ni n’achette parceque je ne sais faire ni l’un ni l’autre et je couds du matin au soir.

mme Weeler propage le phalanstère autant qu’elle le peut j’ai appris avec plaisir qu’un anglais s’y était abonné pour moi je puis peu de chose je n’ai que les dimanches de libres et quelques instants que je dérobe dans la semaine et dans le pays ou tout est aristocrate depuis le petit [illisible]jusqu’au Lord, le rang peu élevé que j’occupe vous nuirait plutôt que de vous servir je sens cela et je me tais et ne parle du Phalanstère qu’aux oreilles dignes de l’entendre

il y a ici un st simonien italien nommé fontana qui fait tourner la tête aux dames owenistes et fait faire la grimace a mr Owen qui n’est pas content de se voir enlever ses aimables converties, j’ai envoyé beaucoup de dames a ses prédications et toutes sont quazi st simoniennes – est-ce amour de la doctrine ou du prédicateur ? – je ne sais – mais je crois que les anglaises aiment mieux les belles formes que les belles idées, je ne connais pas ce beau missionnaire et le diable ou mon bon ange s’oppose a ce que je fasse connaissance avec lui Mme Weeler a donné un thé ou il était et m’avait invitée mes cerbères n’ont point voulu m’y laisser aller elle devait en donner un autre cette semaine et voila que nous partons demain pour Chelthenham [6] a 100 miles de Londres nous y allons pour 2 mois et il sera sans doute parti avant mon retour, j ’ai prêché aux anglais ce [?] beau prédicateur ils sont allés voir s’il était dangereux pour leurs dames tout cela fait foule et il ne manque pas d’écrire pour informer ses pères du succès de son éloquence

Mon bon mr fourier si vous n’étiez pas un grand génie je n’oserais pas vous écrire ces petites choses je laisse aller ma plume bien sûr que rien n’est perdu pour vous et qu’au milieu des doléances d’une pauvre civilisée vous trouverez quelques germes qui auraient fait une heureuse harmonienne le pivot de mes pensées en votre théorie. C’est la seule chose qui me tire de mon apathie et à laquelle je pense toujours avec bonheur mais une théorie c’est bien sec ce n’est bon que pour l’esprit ainsi j’ai impatience de vieillir pour voir l’aurore de la réalisation

je vous prie de ne pas m’oublier auprès de mrs et dames Mme Weeler vient de m’écrire elle me parle de vous mais je n’ai point là mon dictionnaire anglais et je ne puis déchiffrer 2 ou 3 mots qui m’empêchent de saisir le sens de sa [illisible]

Croyez mon cher Mr fourier à la sincérité de mon affection.

D. Véret

*

* *

Londres le 29 octobre 1833.

Mon cher Mr fourier

J’ai appris que vous aviez cessé la publication du journal mais je n ’ai pu en avoir que des nouvelles très imparfaites je suis inquiète et tourmentée de ne savoir rien de positif sur les choses qui m’intéressent autant que l’essai [?] et la propagation de votre système si ce n’était pas abuser de votre complaisance et vous faire perdre un tems que vous emploierez peut-être plus utilement je vous prierais de m’écrire par la poste mais je n’ose en vérité vous solliciter bien vivement quoique j’ai un grand désir de savoir au juste ou vous en ètes, ce que vous faites, ce que font ces messieurs le parti quils ont pris quelques soient les obstacles les retards je dirais même les non succès que vous pouvez éprouver maintenant j’apprécie trop bien les civilisés pour que mon zèle et ma conviction se refroidisse ; l'heure [?] viendra ou vous serez compris car le cahos augmente de jour en jour mon chagrin est de ne pouvoir être utile à rien pour hâter le moment je n'ai qu'une impatience et des désirs impuissants et un dévouement perdu faute d'occasion pour lui [illisible] Mme Weeler qui vous aime beaucoup et avec laquelle je cause souvent de vous a [illisible] de vous faire parvenir cette lettre par Mr Jullien qui a la bonté de vouloir bien s'en charger elle me prie de vous témoigner son amitié et [illisible] qu'elle a des embarras que vous éprouvez. Seriez vous assez bon aussi pour dire a Mme Saportas que la famille [illisible] est en bonne santé. je vais souvent les voir et je remercie Mme Saportas de m'avoir procuré leur aimable compagnie Vous ne savez peut-être pas quelle est la dame nommée Saportas elle venait chez vous le jeudi Mr Transon doit la connaitre c’est une parente de Pereyre le st simonien juif. Si vous m'écrivez voulez vous m'en dire un mot je vous [partie déchirée ]. Je me dépêche de terminer ma lettre car j'ai peu de tems ma santé est meilleure j'arrive de Chetteham ou je me suis beaucoup amusée j'ai pu dans ce petit voyage admirer la bonne tenue des routes d'Angleterre et la riche beauté de ses campagnes c'est un des résultats des associations mais ce bien ne profite pas aux misérables qui sont innombrables et qui maintenant que le beau monde a quitté la ville peuplent seuls les murs de Londres cela fait mal bonsoir mon cher Mr fouríer rappelez moi au souvenir de ces mrs et dames et donnez moi de leurs nouvelles <p align=right>D. Véret</p> <p align=right>37 Duke Street Manchester square.</p> <p align="center">*</p> <p align="center">*           *</p> <p align="center">{La Réforme Industrielle}[[Les copies des lettres manuscrites de Fourier m'ont été transmises par Jean-Claude Dubos qui est à l’origine de cette publication : qu’il en soit remercié.]] ou {{ {Le Phalanstère} }} }Journal des Intérêts généraux de l'Industrie et de la Propriété{</p> <p align=right>Ce   .....  1833 A mademoiselle Désirée Véret Duke Street, Manchester Square, 37 à Londres.</p> Quoique j'aie bien tardé à répondre à vos lettres, croyez qu'elles m'ont fait le plus grand plaisir : plusieurs retards dont je rends compte à madame Wheeler ont différé ma réponse que je vais appliquer à divers articles de vos lettres, en commençant par la plus ancienne. 8 mai. Elle dit que vous avez trouvé en Angleterre un dédale de fourberie : peut-on trouver autre chose dans ce monde mercantile ? Je ne m'étonne pas que votre enthousiasme soit éteint ; tous ceux qui ont vu de près les anglais ne les aiment plus. ils n'y voient qu'orgueil chez les grands et égoïsme chez les petits et les grands. il n'est pas de nation moins digne de la renommée : je préfère bien les allemands, ils se rapprochent mieux de notre noble caractère. Continuez à espérer ; malgré quelques échecs et contresens dont je donne le détail à madame Wheeler ; on ne persistera pas moins à marcher au but ; j'ai bon espoir d'y atteindre, et sans le concours de ces faux-philanthropes d'Angleterre qui ne savent imaginer que sottise sur sottise ; car ils décrètent 500 millions pour affranchir seulement 1 million d'esclaves nègres ; et ils pourraient, avec le millième de cette somme, avec 500 mille francs, affranchir tous les esclaves du globe dont le nombre s'élève non pas à 1 million, mais à 400 millions et plus, y compris les serfs de Russie et les femmes sauvages, toutes esclaves. Ces mêmes anglais dépensent annuellement 200 millions en secours à l'indigence ; ils ne parviennent qu'à accroître et enraciner l'indigence. Ils pourraient, avec un demi-million avancé sur <u>hypothèque</u> et non pas dépensé, extirper à jamais l'indigence. Les anglais sont donc sous tous les rapports, une nation de peu de valeur ; il n'y a d'exception que sur ce qui touche au matériel de l'industrie ; c'est leur beau côté, ils y excellent ; mais si on les sort de cette carrière, si on les engage dans les questions relatives à la destinée, aux attributions de Dieu, au mécanisme des passions, ce sont mes plus faibles champions du monde ; vrais avortons d'autant plus avortons qu'un de leurs géomètres, Newton, a commencé son calcul de l'attraction, l'a terminé quant à la branche du matériel, et qu'aucun anglais n'a osé pousser plus loin ce calcul, l'appliquer aux branches dont Newton ne s'était pas occupé, aux branches organique [mot illisible], instinctive [mot effacé]. Ce que vous dites de l'ignorance où l'on maintient le bas-peuple anglais, n'est point un obstacle à une réforme sociale, car dans l'industrie combinée, le revenu des riches s'accroît en raison de l'instruction du peuple ; et dans cet ordre, les classes supérieures sont, {par cupidité}, empressées de faire initier le peuple aux sciences et aux arts, éducation qui serait fâcheuse pour le peuple comme pour les grands, tant que le travail est organisé en mode répugnant. Tachez d'engager madame Wheeler à se distraire et à ménager sa santé dans l'espérance du changement qu'elle désire. Les retards ne sont pas un motif de désespérer ; je vois au contraire que ma doctrine prend faveur et qu'on a de nouvelles chances de succès. Je vous félicite et me réjouis de ce que vous avez échappé au choléra. Vous me dites (8 mai) que vous m'écrivez de votre lit que de remerciemens je vous dois d'avoir pris tant de peine puisque vous faites cet effort en ma faveur, cela m'autorise à vous dire que je vous aime à l'adoration ; je vous aurais parlé de cela si j'eusse été d'age à faire écouter de pareils discours ; vous ètes trop jolie pour qu'un amant suranné puisse fixer votre attention : j'ai du m'en tenir au modeste role d'ami ; mais ce n'était pas faute d'amour : si j'avais été riche, je ne vous aurais pas laissée partir pour Londres. Et si je parviens à la fortune je tacherai de vous faire revenir de cette facheuse émigration ; c'est un nouveau motif de vous intéresser à mon succès, puisque vous préférez le séjour de Paris. je n'ai pas osé vous dire combien j'étais faché de vous voir partir. <p align=right>Monsieur Fourier 7 rue Jocquelet près de la bourse Paris</p> </blockquote> <p align="center">*</p> <p align="center">*         *</p> <p align=right>Dieppe 18 août 1834.</p> Mon cher fourier J'avais répondu de suite à la lettre que vous m’envoyates par le capitaine Prieur [?] mais tout a coup je me suis décidée a quitter Londres et je garde la lettre j'ai été longtems en route mais me voila a Dieppe pour un mois encore et je réclame de votre amitié de vouloir bien m'y écrire : je suis inquiète de vous et de vos entreprises Dieppe est un désert pour moi a ce sujet on y entend encore moins parlé de choses sociales qu'a Londres il est vrai que la société que j'y fréquente est bien différente j'ai laissé Mme Wbeeler toujours souffrante triste et désespérée ; Mr Owen toujours préchant et espérant ; depuis trente ans il est là ! et ses disciples n'augmentent pas ; il m'a dit qu'a mon retour en Angleterre de grandes choses seraient accomplies : enfin j'ai laissé les saints simoniens avec leur école qui prospère de plus en plus Prassi est enchanté de voir ses efforts couronnés il y met un zèle que jadmire et aime mais pour louanger son entreprise j’attends les résultats il y en aura toujours mais tout cela est médiocre a force d’amour pour le grand je reste enfouie a ma petite place j’aime mieux ne rien faire que faire des choses médiocres et le tems des grandes choses n’est peut-être pas venu je sais ce qui m’en a coûté pour avoir été [mot effacé, sans doute plus forte] tête qu’il ne fallait j’attends et je suis comme l ’oiseau sur la Branche

je suis toujours mde de modes cet état me convient en ce qu’il facilite mes goûts changeans et qu’il laisse ma tête libre dans peu je serais a Paris et j’irai vous voir mais avant mon cher fourier écrivez moi une longue lettre beaucoup de détails sur vous et le phalanstère je vous embrasse de tout cœur

Désirée Véret
Chez mme Lemercier mde de modes
168 grande rue
Dieppe.

*

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La Réforme Industrielle
ou
Le Phalanstère
Journal des Intérêts généraux de l’Industrie et de la Propriété

A Mademoiselle Dée Véret
Chez Madame Lemercier
Modiste Grande rue 168
à Dieppe
Seine infére

Paris ce 19 août 1834.

Aimable demoiselle

Vous me faites grand plaisir de m’écrire et m’aviser de votre prochain retour ! je vois que vous allez redevenir parisienne ; je vous ai toujours bien regrettée, et votre lettre de Dieppe m’a fait le plus grand plaisir : je m’empresse d’y répondre.
Je n’ai rien de neuf à vous dire sur l’entreprise de Condé elle manque de 300 000 fr de capitaux qui lui seraient nécessaires pour fonder un mécanisme d’industrie attrayante réduit en système partiel de 300 enfans de 3 à 13 ans.

Je vais chercher d’un autre côté à réaliser cette affaire, et publier à ce sujet un petit mémoire d’environ 80 pages qu’on imprime. il paraitra dans une dizaine de jours. J’apprends avec peine que Mme Wheeler soit toujours valétudinaire. c’est une femme à qui il aurait fallu un amant pour la consoler.

Owen n’avancera pas quoiqu’on dise ; la doctrine est usée, elle a eu des essais qui ont tous échoué : il ne peut plus prétendre à la confiance.

Quant aux St-Simoniens, qu’importe qu’ils fassent des progrès puisqu’ils ne réaliseront rien, et ne tentent pas à nous montrer au moins un échantillon de leur système, un village où tous les paysans donneraient leurs biens aux prêtres et déshériteraient leurs enfans.

Je vois que vous avez toujours les inclinations grandioses, et d’après votre genre d’esprit vous êtes forcément de mon côté : le grandiose n’est que dans ma Théorie. Je vais faire effort pour qu’elle obtienne enfin une épreuve. La circonstance est bien favorable, si on en juge par le besoin qu’en a la france.

Vous m’engagez à vous écrire une longue lettre, je ne les fait pas longues,je vous dirai pourquoi et jusque là je vous souhaite un [ill.] agrément dans cette ville de Dieppe, qui n’en peut guère fournir à une étrangère.
Agréez assurance de ma vive affection

Ch. Fourier rue St Pierre Montmartre n° 9.