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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Houdin, Augustin
Article mis en ligne le 20 mai 2014
dernière modification le 24 janvier 2018

par Desmars, Bernard

Né le 3 juillet 1809 à Châteaudun (Eure-et-Loir). Décédé le 21 septembre 1900 à Saint-Léonard (Loir-et-Cher). Notaire, puis juge de paix, puis rentier. Conseiller municipal, adjoint au maire et conseiller d’arrondissement sous la monarchie de Juillet, conseiller municipal de 1869 à 1900, maire de 1890 à 1900. Républicain, militant de l’école laïque. Propagandiste fouriériste, souscripteur d’expérimentations sociétaires, actionnaire de la Librairie des sciences sociales, abonné aux publications phalanstériennes.

« Nés de parents pauvres » [1], fils d’un vigneron, « en contact depuis [son] enfance avec les classes indigentes » [2], Augustin Houdin fait des études au collège de Châteaudun, puis entre dans une étude d’avoué ; clerc de notaire à Marchenoir à partir de 1824, puis à Orléans, il est notaire en 1835 à Josnes (Loir-et-Cher) ; la même année, il se marie avec Marie Joséphine Fauconnet, fille d’un artisan de Saint-Léonard (Loir-et-Cher) ; dans les années suivantes, il est élu conseiller municipal de Josnes et nommé adjoint au maire.

Au recensement de 1841, il demeure toujours à Josnes, mais il a cédé son étude notariale, que reprend peu après son beau-frère Joseph Alexandre Riby. Il s’installe ensuite à Saint-Léonard, la commune dont son épouse est originaire ; vers 1844-1845, il est nommé juge de paix du canton de Marchenoir, puis élu au conseil d’arrondissement de Blois où il siège jusqu’en 1848 [3].

Propagandiste du fouriérisme

Dans un texte de 1849, il fait remonter à au moins 1843 son engagement au service de la cause sociétaire :

je n’ai cessé depuis plus de six ans de propager et défendre publiquement les idées et les tendances socialistes, particulièrement de manifester le désir de voir soumettre à des discussions sérieuses et à l’expérimentation en petit le système de l’association agricole et industrielle [4].

Il est dans le Loir-et-Cher « le propagandiste le plus actif » du socialisme sous la monarchie de Juillet ; « prosélyte acharné, il parcourut souvent à pied les cantons d’Ouzouer-le-Marché et de Marchenoir, distribuant brochures et tracts, répondant pied à pied à ses contradicteurs » [5]. Abonné à La Démocratie pacifique, il est un souscripteur de la rente sociétaire, qui sert à financer les activités du Centre de l’Ecole. En 1847, il rencontre Victor Considerant à Orléans, lors d’un banquet phalanstérien [6].

Après Février 1848, et quoique partisan du nouveau régime républicain « qui ouvr[e] l’ère des progrès », il est « dénoncé par des soi-disant républicains de la veille » et suspendu de ses fonctions de juge de paix par le commissaire de la République (ou préfet) [7] ; grâce à ses réclamations et à un réexamen de sa situation, il obtient sa réintégration. Pendant l’été 1848, il préside la commission chargée de réaliser dans le canton de Marchenoir l’enquête sur le travail agricole et industriel décidée en mai par l’Assemblée constituante. A cette occasion,

appelé à donner mon avis officiel sur des questions socialistes, j’ai loyalement et sincèrement exposé mes idées, auxquelles j’ai joint mes vœux pour que l’on travaillât promptement et immédiatement à l’instruction politique des électeurs [8].

Il continue sous la République son activité de propagation des idées fouriéristes et plus largement démocrates-socialistes. Au printemps 1849, il soutient François Cantagrel, candidat à l’Assemblée législative, qu’il accueille à son domicile et qu’il accompagne à la mairie de Saint-Léonard, puis à celle de Josnes avec son beau-frère Joseph Alexandre Riby, afin d’y présenter son programme. Houdin lui-même fait partie des délégués désignés par ses concitoyens pour représenter la commune dans les comités républicains du département, à Blois. Et, considérant « que c’était un devoir impérieux pour les citoyens de s’éclairer mutuellement », avec l’aide de la municipalité, il organise trois semaines avant les élections et trois fois par semaine des « réunions et conférences électorales » à la mairie de Saint-Léonard sur les questions politiques et sociales ; Houdin y parle notamment « de la Constitution et de la loi électorale, et des droits et des devoirs des électeurs » [9].

Répression contre les démocrates-socialistes

Cet engagement provoque la suspicion des autorités à son égard, ainsi que des rumeurs dans la population : l’on dit « que j’aurais conduit M. Cantagrel dans la forêt ; que là les ouvriers nous auraient portés en triomphe sur des brancards, etc., etc. ». Au procureur de la République qui, en juin 1849, lui demande des explications sur son attitude favorable à Cantagrel pendant la campagne électorale, il répond qu’il avait agi de la même façon et tenu les mêmes propos en 1848 lors de la plantation d’un arbre de la liberté à Saint-Léonard et à l’approche des élections pour l’Assemblée constituante, sans que cela suscite d’oppositions. Mais un an plus tard, le régime veut réduire l’influence des démocrates-socialistes ; dans l’été 1849, Houdin est révoqué. Il publie une brochure, Un juge de paix socialiste, qui est à la fois une récusation des attaques qu’il subit, et une profession de foi républicaine et socialiste.

Il faut […] chercher le moyen d’élever et diriger l’enfance, d’assurer à tous les enfants le développement de toutes les facultés qu’ils tiennent du créateur, et de procurer à tous les valides du travail, aux invalides des secours, à tous le bien-être.

Et chercher ce moyen, le chercher avec constance et comme une solution plus importante que toutes les autres, c’est être socialiste ; les crèches, les salles d’asile, les sociétés de patronage et de secours mutuels, les colonies agricoles, les hospices et autres établissements du même genre sont des établissements socialistes ; mais jusqu’ici, ce ne sont que de faibles palliatifs, malheureusement bien insuffisants.

Depuis 18 ans, l’école sociétaire phalanstérienne indique pour résoudre ce formidable problème un plan complet d’organisation par l’association facultative et volontaire de travail agricole et industriel à essayer en petit ; de plus elle indique à la société, sous le nom de garantisme ou de prévoyance sociale, des mesures générales transitoires, dont beaucoup sont déjà appliquées ou acceptées par la généralité des esprits. Supposons que dans ces idées, il y en eût d’incomplètes ou d’erronées, je ne me suis jamais expliqué, en présence de leur immense intérêt, comment, par des discussions sérieuses (au lieu de dédains, injures ou sarcasmes) et par des expérimentations, on ne cherchait pas, dans l’intérêt général de la société, à reconnaître ce qu’il y avait de praticable et de fondé soit dans ce système, soit dans tout autre qui résoudrait mieux le problème posé, c’est-à-dire assurer à chacun l’éducation intégrale, le travail et le bien-être [10].

Cette brochure, dans laquelle il présente brièvement les solutions socialistes pour résoudre les problèmes économiques, et notamment une nouvelle organisation du crédit, fait l’objet d’un compte rendu dans La Démocratie pacifique [11] :

Victime de ses opinions comme tant d’autres fonctionnaires, M. Houdin a été révoqué comme coupable d’aimer la République et de la croire nécessairement féconde en conséquences sociales.

Ce qu’il y a de remarquable dans la position de M. Houdin, c’est qu’étranger aux agitations politiques, attaché avant tout à l’étude des problèmes économiques, phalanstérien longtemps avant la Révolution de Février, il fut dénoncé en mars 1848 comme socialiste, et même suspendu par les républicains sans idées qui avaient alors tant d’influence, avant d’être destitué comme démocrate par la réaction qui trône aujourd’hui.

Ses opinions et ses activités en font un individu dangereux, au moment du coup d’Etat du 2 décembre 1851. Il est arrêté et déféré devant la commission mixte selon laquelle il

exerce dans son canton, par sa fortune, la position de sa famille et ses anciennes fonctions, une influence considérable dont il a abusé pour pervertir l’esprit public, notamment à l’égard des ouvriers bûcherons de la forêt de Marchenoir. Socialiste convaincu, il recevait chez lui et patronnait dans les campagnes Cantagrel, Esquiros et autres montagnards. Il était le correspondant des sieurs Gouté et Laforie, meneurs du parti démagogique à Blois. Il a écrit des pamphlets et des lettres politiques dans les plus mauvais journaux des départements et même de Paris. On demande son expulsion de France [12].

Après trois mois de prison, Houdin doit donc quitter la France ; il s’établit à Bruxelles où il vit près d’une année. Il obtient sa grâce en février 1853 et peut alors revenir à Saint-Léonard. Actionnaire de la Société européo-américaine, qui doit organiser l’implantation de colons au Texas, à Réunion, il participe à au moins une des assemblées générales de la société, en 1859 [13]. Il est en relations épistolaires avec François Santerre, resté au Texas après la fin de la colonie [14] ; dans les lettres qu’Augustin Houdin adresse à son correspondant – tenté de revenir en France avec sa famille – il met en avant les atouts des Etats-Unis : « je continue d’avoir plus de foi dans l’avenir des Etats-Unis que dans celui de l’Europe » et « quoique vous vous montriez toujours bien peu enthousiaste au sujet de l’Amérique, j’en trouve cependant les institutions bien préférables, je ne dirai pas aux nôtres, puisque nous n’en avons pas, mais à notre situation dont vous trouverez l’exposé dans vos journaux et qui inquiète tous les esprits libéraux » [15]. Houdin est aussi l’homme d’affaires de Santerre qui, par son intermédiaire, place en France les profits qu’il réalise en Texas, jusqu’à ce que, certains placements effectués par Houdin s’étant révélés malheureux, Santerre cesse de s’adresser à lui.

L’engagement sociétaire, des années 1860 aux années 1880

Au milieu des années 1860, des militants fouriéristes regroupés autour de François Barrier s’efforcent de réorganiser le mouvement sociétaire et créent une société en commandite pour exploiter la Librairie des sciences sociales dirigée par Jean-Baptiste Noirot [16]. Augustin Houdin soutient très activement ces initiatives. Il apporte 500 francs (10 actions de 50 francs) à la société [17]. Afin d’inciter ses condisciples à prendre des parts dans cette société, François Barrier a garanti aux actionnaires le versement d’un dividende, prélevé sur ses fonds personnels si la librairie ne fait pas assez de profit ; cependant, Houdin n’a pas pris des actions pour accroître ses revenus, mais pour favoriser le développement du mouvement sociétaire ; à la fin du premier exercice, en même temps qu’il envoie sa procuration pour l’assemblée générale des actionnaires, il demande que les 20 francs qui lui sont dus soient, pour moitié attribués à une « caisse de capitalisation sociétaire » en projet, afin de soutenir les futures expérimentations fouriéristes, et pour l’autre moitié consacrés à l’achat de livres à la librairie : L’Homme et sa destinée (1863), de Lucien Lenglet, ainsi qu’un almanach et deux annuaires de la coopération [18].

Mais la librairie connaît rapidement des difficultés financières et les sympathisants de la cause sont sollicités pour couvrir les déficits ; là encore, Houdin répond positivement et verse 100 francs en 1868 [19]. Il reste actionnaire lors de la transformation en 1869 de la société en commandite en société anonyme [20].

En plus de la librairie, Barrier et Noirot veulent doter le mouvement sociétaire d’un organe de propagande. Un questionnaire est adressé en 1866 aux sympathisants de l’École afin de connaître leur sentiment. Houdin est tout à fait favorable à ce projet, même s’il semble d’un optimisme très mesuré :

Y a-t-il lieu d’espérer que ce nouvel organe de publicité puisse se fonder avec chance de vie et de développement ? […] Il me semble qu’il ne peut guère être entrepris que si l’on peut réunir les adhésions de tous les correspondants de l’école et entrevoir que les abonnements puissent promptement suffire aux dépenses, car les circonstances ne sont plus les mêmes qu’au temps où des rentes souscrites annuellement soutenaient La Démocratie pacifique.

Il est alors abonné au journal L’Association. Bulletin international des sociétés coopératives, publié par Elie Reclus et auquel, croit-il avoir lu, devaient collaborer régulièrement des fouriéristes ;

j’espérais qu’ainsi les idées de l’école pourraient être vulgarisées sans aucune condition de dépenses avec l’avantage de présenter de temps en temps, à côté des divers exemples de pratiques rudimentaires, l’idéal théorique, aux classes ouvrières dans lesquelles il y a le plus de chances de trouver des dispositions sympathiques.

Mais, regrette-t-il, malgré quelques articles de François Barrier et de Wladimir Gagneur, L’Association n’est pas l’organe de diffusion de la théorie sociétaire qu’il avait espéré. Il lit aussi La Renaissance, dirigée par Riche-Gardon, un fouriériste qui s’est éloigné de l’École, mais qui accueille dans ses colonnes des articles de ses anciens condisciples. Augustin Houdin y voit l’annonce d’un ouvrage d’Auguste Savardan, Avenir. Etudes d’économie sociale. Mais

au lieu de ces travaux isolés, j’aurais bien souhaité, chose impossible sans doute, que tous les hommes éminents de l’école, faisant acte de vie sociétaire, eussent pu se constituer dans un accord supérieur (conservant la distinction entre des groupes) en comité et unité sériaire à l’effet de travailler de concert à une encyclopédie offerte à la jeune génération, qui aurait renfermé l’histoire de l’école, la synthèse et l’analyse substantielle de ses productions, les appréciations des divers groupes sur les meilleurs voies à suivre. Les adhésions se seraient probablement groupées et classées dans le même ordre [21].

Partisan des expériences sociétaires

Parallèlement au Centre sociétaire animé par Barrier et Noirot, des disciples de Fourier forment des associations et des entreprises d’inspiration sociétaire. A Vienne (Isère), Henri Couturier établit dans les années 1850 la Société industrielle et agricole de Beauregard qui se développe dans les années 1860 et qui, grâce à quelques publications coopératives et fouriéristes, bénéficie d’une certaine notoriété dans les dernières années du Second Empire. Houdin lui écrit après avoir lu dans un compte rendu du banquet parisien du 7 avril 1866 que l’on y a porté un toast à la prospérité de Beauregard :

Initié depuis longtemps aux idées phalanstériennes et convaincu que l’association est la seule voie de bonheur et de salut pour l’humanité, je m’intéresse vivement à ce titre à votre remarquable fondation.

Constatant que l’on peut souscrire des actions de la Société de Beauregard, Houdin est prêt à en acquérir :

j’en prendrais avec plaisir pour 300 francs à 400 francs ; moins pour l’intérêt matériel de cette petite souscription, qu’en témoignage de sympathie, pour devenir personnellement participant à cet établissement et me trouver ainsi discrètement informé de sa marche et de son développement.

Il est prêt à offrir des livres à la bibliothèque de Beauregard : principalement des œuvres des disciples de Fourier (Hippolyte Renaud, Charles Pellarin, François Cantagrel, Eugène Nus, Hippolyte Destrem ; mais aussi Les Évangiles dans la traduction de Lamennais, De l’élévation des classes laborieuses et De l’éducation personnelle de William E. Channing, des romans et des récits de George Sand et surtout d’Emile Souvestre. Dans les années suivantes, Houdin fait partie des destinataires du compte rendu des activités de la Société de Beauregard [22].

Il soutient également la Maison rurale fondée à Ry (Seine-Maritime) par Adolphe Jouanne dans les années 1860. Son créateur souhaite expérimenter un système d’éducation inspiré des principes fouriéristes. En 1871-1872, Houdin lui promet 30 francs, à verser en trois annuités [23]. Son engagement ne semble pas être allé plus loin. Quelques années plus tard, il s’abonne à la revue Le Devoir, publiée à partir de 1878 par Jean-Baptiste Godin, le fondateur du Familistère de Guise [24].

Quand des fouriéristes lyonnais ont créé l’Union agricole d’Afrique et ont installé une ferme à Saint-Denis-du-Sig (Algérie), à la fin des années 1840, Houdin est resté en dehors de cette opération. Mais au début des années 1880, l’Union agricole cède en location une grande partie de ses terres et de ses bâtiments à la Société des Orphelinats agricoles d’Algérie, une association qui souhaite y élever des enfants orphelins ou abandonnés, notamment d’origine européenne, et les préparer aux travaux agricoles en Afrique du Nord. Houdin fait partie des membres de cette association [25]. L’Orphelinat de Saint-Denis-du-Sig accueille pendant quelques années des enfants placés par les services de l’assistance publique du département d’Oran, avant de fermer, et l’association est dissoute vers le milieu des années 1890 [26].

Assurer la survie de l’École sociétaire

Dans les années 1870, Augustin Houdin continue à soutenir le Centre sociétaire parisien par ses envois d’argent. Il reçoit le nouveau périodique sociétaire, le Bulletin du mouvement social ; il y abonne pendant quelques années le jeune cousin de son épouse, Narcisse Fauconnet [27]. Alors que l’existence de la Librairie des sciences sociales est régulièrement menacée et contestée par certains disciples qui souhaitent sa fermeture, en raison de ses comptes déficitaires et de la faiblesse de son activité, Houdin se prononce pour son maintien lorsque les sympathisants fouriéristes sont consultés ; à chaque fois, il s’engage à verser une subvention pendant plusieurs années (généralement 25 francs par an, pendant trois années) afin d’assurer la survie de l’établissement. Lorsque les actionnaires et souscripteurs de la Librairie des sciences sociales sont à nouveau appelés à verser une nouvelle subvention pour sauver la librairie au début des années 1880, il semble d’abord refuser ; mais en 1883, il effectue un nouveau versement [28].

Dans les mêmes temps, il envoie une importante commande auprès de la librairie, dont une partie des livres au moins est sans doute destinée à une bibliothèque scolaire ou une bibliothèque populaire : Le Socialisme devant le vieux monde de Considerant, deux exemplaires de Solidarité d’Hippolyte Renaud, deux exemplaires des Dogmes nouveaux d’Eugène Nus, un portrait lithographié de Fourier, mais aussi le Dictionnaire universel des contemporains de Vapereau (1880), « 50 exemplaires de Comment faire fortune de Franklin » [29] et « 36 petits livres de la Bibliothèque dite des Bons livres », une collection publiée chez Hachette : ce sont des volumes de géographie, d’histoire, de sciences, mais aussi des manuels de savoir-vivre, des livres d’hygiène et des œuvres de fiction, destinés à un public de jeunes lecteurs [30].

Au milieu des années 1880, après la disparition des structures créées dans les années 1860 (société anonyme, librairie), une nouvelle organisation, la Ligue du progrès social, est constituée ; elle publie à partir de 1888 La Rénovation, le dernier organe fouriériste ; Houdin s’y abonne et ajoute à différentes reprises des sommes d’argent afin de conforter l’existence précaire du périodique [31]. Il apporte aussi sa contribution à la réalisation de la statue de Fourier en envoyant 50 francs en 1896 [32].

La République et l’école laïque dans le Loir-et-Cher

En 1869, Augustin Houdin est élu conseiller municipal de Saint-Léonard. Les électeurs le confirment à ce poste lors des scrutins municipaux suivants. En janvier 1890, il devient maire de sa commune ; déjà, dit-il, ses « collègues républicains au conseil municipal » avaient voulu le désigner en 1888 à ces fonctions ; il avait alors refusé à cause de son âge et c’est son parent par alliance Narcisse Fauconnet qui avait été élu maire ; mais Fauconnet démissionne fin 1889 et aucun autre candidat ne se présente du côté républicain ; il se sent donc contraint d’accepter la charge ; sinon, c’était « remettre forcément à la réaction le gouvernement de la commune, au grand détriment de l’école laïque de filles déjà très rudement combattue par l’école congréganiste de création récente et par tous ses souteneurs qui y voient un moyen de combattre la République ». La préfecture le qualifie de « républicain modéré » [33].

Son combat pour la République se traduit aussi par des activités de propagande : en 1887, il fait une conférence à Saint-Léonard « sur les deux journées de 14 juillet 1789 et 1790, sur la devise Liberté, Egalité, Fraternité, sur la solidarité humaine et sur l’éducation morale et civique » [34].

Il favorise le développement de l’instruction primaire à Saint-Léonard et dans les communes voisines. Il fonde une rente de 1 000 francs par an qui sert à décerner des prix aux instituteurs et aux institutrices du canton de Marchenoir et à leurs élèves ; une seconde rente, de 1200 francs par an, est constituée au profit des écoles laïques de Saint-Léonard ; et une troisième, de 100 francs, bénéficie à « la classe enfantine annexée à l’école de filles de Saint-Léonard ». Au-delà de ces libéralités financières, les maîtres et maîtresses sont « assurés de trouver constamment en lui un conseiller expérimenté et un défenseur énergique et écouté », selon un inspecteur primaire [35].

Il agit aussi sur le terrain social : il crée une société de secours mutuels dont l’action s’exerce sur les communes de Saint-Léonard et de Marchenoir, et qu’il préside jusqu’à son décès ; avec sa femme (elle décède en 1896), il fait des dons au bureau de bienfaisance de Saint-Léonard, à un établissement hospitalier de Marchenoir (l’hôpital Hess) et à diverses œuvres charitables du canton de Marchenoir [36]. Ses activités en faveur de l’enseignement et de l’assistance lui valent successivement les palmes d’officier d’académie en 1879 [37], la rosette de l’instruction publique en 1889 [38], la médaille d’argent (en 1892), puis la médaille d’or de la mutualité (en 1898). Des amis auraient tenté de lui faire obtenir la Légion d’honneur, mais il aurait alors écrit au préfet pour interrompre les démarches [39].

Les obsèques d’un militant

La Rénovation ne fait que mentionner très brièvement et tardivement – plus de cinq mois après l’événement – la mort d’Augustin Houdin, « l’un de nos plus vieux condisciples » [40]. Même si Houdin est resté fidèle au mouvement sociétaire, ceux qui sont à la tête de l’École vers 1900 ne le connaissent que par sa correspondance et son soutien financier, mais ne l’ont probablement jamais rencontré.

Par contre, la presse publiée à Blois consacre une place importante au décès et aux obsèques civiles du maire de Saint-Léonard. Selon Le Républicain de Loir-et-Cher, c’est « un vieux républicain dont toute la vie a été consacrée au développement de la démocratie » qui disparaît ; « à Saint-Léonard, M. Houdin jouissait de l’estime générale ; très actif, malgré son grand âge, il avait consacré ses soins d’une façon toute spéciale aux questions d’enseignement et d’assistance publique. Les habitants de Saint-Léonard ne l’ont point oublié ; aussi dimanche son convoi était-il escorté par la commune entière » [41].

En tête du cortège, précise L’Indépendant de Loir-et-Cher, marchent les enfants des écoles communales et la Société musicale, tandis que la compagnie de sapeurs-pompiers encadre le cercueil et la famille. Sont aussi présents les instituteurs et institutrices du canton, l’inspecteur primaire, un ancien directeur de l’Ecole normale primaire et des enseignants de Blois, ainsi que le percepteur, le juge de paix, des représentants des municipalités voisines. Au cimetière, le secrétaire général de la préfecture, qui représente le préfet absent, adresse « un suprême adieu à ce vétéran de la République », tandis que le député Gauvin et le sénateur Tassin, retenus à Paris, font lire un message en hommage au défunt. L’inspecteur d’académie également absent, envoie un courrier dans lequel il rappelle les « épreuves » subies par Houdin :

Lorsqu’il les contait avec une douce et indulgente gaieté, on sentait que ni le coup d’Etat, ni la guerre [de 1870-1871] n’avaient pu ébranler, un seul instant, sa confiance dans l’harmonie des destinées et dans l’accord final de tous les peuples et de tous les hommes. […]

Il était de ces hommes si rares qui, fermement attachés aux principes les plus élevés et les plus certains de la morale laïque, mettent toute leur énergie, toute leur persévérance à réaliser dans leur vie quotidienne l’idéal de justice, de vérité, de bonté qu’ils ont une fois conçu.

L’adjoint étant trop ému pour lire le texte d’adieu de la municipalité, c’est l’instituteur Fontaine qui s’en charge :

M. Houdin était un admirateur de Charles Fourier et il aimait à entretenir ses amis sur ses idées phalanstériennes. Il rêvait un plan d’organisation sociale et de fraternité qui, comme il l’a écrit lui-même, entraîne avec lui des idées d’union, d’émulation, de force, de vérité, de justice, d’amour, de dévouement et de bonheur.

Que de fois, ne l’avons-nous pas entendu proclamer que les hommes ont pour premier devoir de s’éclairer, de s’aimer, de s’entraider, et ses derniers adieux sont encore des paroles d’amour, de pardon, de concorde et de paix.

A son ardent patriotisme, à ses fortes convictions républicaines, se joignaient donc des sentiments humanitaires, des idées de tolérance qui faisaient de M. Houdin un homme vraiment bon, serviable et accueillant pour tous, amis comme adversaires politiques.

Enfin, « M. Houdin, avant de mourir, [ayant] fait imprimer ses derniers adieux », L’Indépendant de Loir-et-Cher reproduit le testament spirituel du défunt ; dans ce texte, Augustin Houdin déclare s’être « séparé de l’Église romaine, mais non de la doctrine de Jésus, le plus grand des moralistes » ; il a « cessé de croire aux dogmes de l’Église catholique » et ne partage pas « les croyances catholiques au péché originel, à la damnation éternelle, à la vertu des sacrements » ; mais il se proclame déiste (« je crois à l’existence d’un Dieu suprême ordonnateur de l’Univers, infiniment juste, infiniment bon, dont la loi immuable a pu permettre le mal pour créer notre libre-arbitre et notre mérite dans la lutte »), tout en regrettant « qu’il ne soit pas entré jusqu’ici dans nos mœurs que les Déistes sincères aient aussi leurs réunions et leurs rites ». Enfin, il croit en la métempsycose :

Dans une série d’existences progressives, nous pourrions nous élever constamment vers Dieu par les efforts que nous aurions apportés à notre amélioration et à celle de nos semblables, de même que nous pourrions nous en éloigner douloureusement par nos fautes, sans que jamais les voies du repentir et du relèvement nous fussent fermées.

De plus, j’espère encore que la loi de solidarité universelle, qui relie par tant de relations, connues ou mystérieuses, tous les êtres créés et les générations passées, présentes et futures, pourrait nous intéresser au-delà de notre vie terrestre. […]

Adieu et amical souvenir d’outre-tombe.
Houdin [42]