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Fabvier (ou Favier), (Claude-Joseph-) Eugène
Article mis en ligne le 8 juin 2014
dernière modification le 27 mars 2016

par Sosnowski, Jean-Claude

Né à Lyon (Rhône) le 23 mai 1820. Décédé le 5 novembre 1847 à Brest (Finistère). Commis négociant, fabricant de tulles puis journaliste et écrivain à Lyon et Brest.

Eugène Favier [1] est le fils de Joseph Ignace Favier, négociant, 30 rue Turpin à Lyon et de Claudine Brunet. Le 2 septembre 1841 à Lyon, il épouse Françoise Delhorme, raccommodeuse de tulles, fille d’un apprêteur de tulles de la ville. Il est commis négociant et habite avec sa mère 19 rue Neuve. En 1845, il est recensé comme fabricant de tulles et réside au 20 rue des Capucins. L’année suivante, résidant au 26 rue du Commerce, il est qualifié d’homme de lettres ; le couple a deux enfants ; un domestique est au service de la famille.

Un engagement phalanstérien précoce

En octobre 1841, lors du banquet de l’anniversaire de la mort de Fourier célébré par le Groupe phalanstérien des travailleurs de Lyon, Eugène Favier lit « avec verve un dithyrambe aux détracteurs de l’école sociétaire » [2]. En avril 1842, Boyron et Romano proposent de célébrer l’anniversaire de la naissance de Fourier dans les locaux du Grand Orient de France en débutant par une séance publique initiale mais la réunion est interdite par la maire de La Guillotière, sans aucune raison connue selon L’Écho de la Fabrique [3]. Le banquet a lieu finalement chez un traiteur et réunit une soixantaine de convives. Eugène Fabvier y lit une de ses poésies intitulée « Ecoutez-nous [...] qui révèle dans ce jeune homme un poète de l’école de Lamartine et bien près du maître » [4]. Au cours de l’année 1842, Eugène Favier accède à la présidence du groupe [5]. En 1846, La Tribune lyonnaise de Chastaing indique que le groupe est à cette date

constitué à l’état de société sinon reconnue, du moins tolérée ; il y avait des séances le lundi de chaque semaine et même un règlement avait été imprimé. Au moment où ce règlement allait être mis en vigueur, il fut forcé de se dissoudre, par suite de l’imprudence commise par celui qui le présidait alors. Le local avait été mis, sans consulter les membres, à la disposition d’une société se rattachant au fouriérisme, mais chargée de faire des enrôlements pour le Brésil. Par suite, l’autorité, sans faire aucune distinction, exigea la clôture des séances [6].

Il s’agit probablement de la société de l’Union industrielle fondée par Derrion, Reynier, Jamain et Mure pour établir une colonie phalanstérienne au Brésil. Le banquet de l’anniversaire de la naissance de Fourier qui suit en avril 1843 est présidé par Reynier. Le Nouveau Monde relate l’événement. La fête se termine par la lecture d’une poésie de Fabvier qui s’adresse « Aux phalanstériens du Brésil » [7].

Une revue pour pivot de la « réunion » [8] sociétaire lyonnaise

En septembre 1844, avec deux autres « jeunes gens » [9], Eugène Fabvier fonde La Revue sociale, revue mensuelle d’environ cinquante pages. Dans un long article introductif, les rédacteurs définissent ainsi l’objet de la nouvelle publication :

Aux revues seules appartient donc la facilité de suivre le mouvement intellectuel. Dépourvues des préjugés de parti, seules elles peuvent juger impartialement et d’un point de vue général, seules elles peuvent initier leurs lecteurs aux découvertes nouvelles et les conduire à des jugements sains, à des réflexions équitables [10].
Nous aurons accompli notre mission en appelant les esprits sérieux sur le terrain des problèmes sociaux dont la solution peut seule arracher l’homme à cet état d’anarchie et de division et le ramener à sa véritable destinée, le bonheur [11].

Le gérant en est Charles Germain. Dès le premier numéro, les variétés et chroniques succèdent à des articles de fond dont l’un sur la phrénologie, article dans lequel l’auteur se montre très critique envers un exposé public donné par Imbert sur le sujet et souligne les thèses de Bouillier sur la psychologie :

Mais si nous ne nions pas la phrénologie, nous défions les phrénologistes de jamais arriver à nier raisonnablement la philosophie, et surtout la psychologie, cette partie de la philosophie qui est évidemment l’objet principal de leurs attaques et qu’ils prétendent remplacer. Ce que nous avançons ici a été parfaitement démontré par M. Bouillier dans le cours qu’il professe si savamment à la Faculté des lettres de notre ville. Dans une de ses leçons, ce professeur a prouvé jusqu’à l’évidence que la phrénologie présuppose la psychologie [12].

Dès le second numéro, la revue affirme sa doctrine économique et sociale par la plume d’Eugène Fabvier qui écarte la question politique et centre la réflexion sur la production et la consommation :

[…] nous avons séparé, dans notre esprit, toute idée de réforme particulière sur des institutions purement morales ou politiques, c’est en agrandissant beaucoup trop son sujet que l’on risque d’omettre quelques points qui, quoique minimes au premier abord, ont cependant une certaine importance.
En second lieu, nous avons considéré que la production, n’étant autre chose que le résultat des efforts du capital[,] des arts ou intelligence et du travail, pourquoi produisaient ces différents agents, sinon pour obtenir une part proportionnelle dans la consommation.
Et la consommation étant l’absorption toute individuelle des résultats obtenus par la production, il résultait que si l’équilibre n’existait pas entre ces deux termes de toute industrie, cette industrie souffrait, dépérissait dans chacun de ses membres [13].

Fabvier se révèle très pédagogue dans son explication. Sans citer Fourier et faire mention à la doctrine phalanstérienne, il développe pourtant la théorie de l’association :

CHAPITRE DEUXIÈME.
§ I. DES TROIS AGENTS DE LA PRODUCTION, DE LEURS FONCTIONS ET DE LEURS BÉNÉFICES.

1° La production est le résultat obtenu par la réunion des efforts :
Du capital ;
Du travail ;
De l’intelligence.
Le capital fournit la matière brute ; le travail, aidé par l’intelligence, la modifie et la transforme.

2° Ces trois agents de la production ne peuvent agir isolément, et sont forcés par leur existence de se prêter leur mutuel concours.

3° Le travail et l’intelligence reçoivent un salaire fixe en échange de leurs produits.
Le capital ne reçoit la plupart du temps son bénéfice que sur la différence obtenue par l’échange de la production ainsi transformée et livrée à la consommation.

4° Cet échange a reçu le nom de Commerce.
De là il est résulté :
Que le capital est obligé, dans ses intérêts, de diminuer le salaire du travail et de l’intelligence, et d’augmenter la valeur de l’objet arrivé à la consommation.
Et que, d’autre part, le salaire étant diminué et le prix de la consommation augmentant, le travail et l’intelligence ont été réduits à tromper le capital pour pouvoir conserver leur portion de bénéfice. Ainsi, par une fausse répartition, se trouvèrent divisés les intérêts des trois forces productives que nous nommons capital, travail et intelligence [14].

Suit une analyse succincte de la production, agricole ou manufacturière, cette dernière centrée en raison des bénéfices pour le capital sur la production de luxe au détriment des « objets de première consommation » [15]. Cependant, la concurrence et le chômage sont inhérents au développement capitaliste ;

Alors, pour satisfaire le capital dans ses exigences de bon marché, l’intelligence créa des machines ou moyens économiques de production, et les intérêts du travail et de l’intelligence furent divisés puisque l’une ne pouvait rien inventer sans nuire à l’autre [16].

En conséquence,

Des faits précédents, nous voyons s’élever ces tristes résultats ;
1° Pour le capital ou commerce (puisqu’il le représente) : duplicité, mensonge, fourberie, misère relative ;
2° Pour le travail et l’intelligence : misère positive, avenir sans garanties, abrutissement forcé, crimes.

Dans ce même numéro, La Revue sociale affirme son socialisme par un article sur l’utilité de son histoire [17]. Après deux livraisons, la revue connaît cependant des difficultés financières. Mais, en novembre, Cantagrel constate la désorganisation et l’inactivité des phalanstériens lyonnais qu’il rencontre ;

je m’étais promis une chose plus difficile [que leur adhésion à un nouveau financement de La Démocratie pacifique], savoir fonder une réunion qui tienne, qui dure, qui se réunisse. Pour cela faire dans une ville comme Lyon, très grande où nous comptons pas mal d’amis mais un petit nombre relativement au chiffre de la population, il fallait un but actuel, constant, un objet toujours présent. J’ai cru trouver cet objet dans une revue intitulée Revue sociale [18].

Cantagrel incite les phalanstériens lyonnais à faire de ce titre leur organe ; Fabvier et les deux autres rédacteurs

ne demandent pas mieux que mettre au service de tous, et comme l’on voudra, l’organe qu’ils ont créé. J’ai proposé donc que les phalanstériens de Lyon, où il n’y a aucun organe phalanstérien, adoptassent celui-là qui l’est, et le développassent et le soutinssent (j’espère que je fais fort sur l’accord des verbes).

La proposition est acceptée ;

Juif et Morelet [sic] se sont chargés de dresser un acte de société avec actions de 10 fr ; des réunions ont été convenues ; chacun apportera là sa pierre, et je l’espère chacun y viendra, parce que chacun s’intéressera à l’organe de tous, et les efforts de tous étant ainsi tournés vers la propagation, on peut espérer que les Lyonnais feront plus de progrès que par le passé.

La revue paraît de nouveau en janvier 1845 avec pour nouveau gérant Antony Thomas. Fabvier demeure l’un des rédacteurs. L’orientation donnée dans les deux premiers numéros se poursuit. Aux articles de fond marquant l’orientation de la rédaction succèdent des articles ou variétés et revues locales sur des sujets touchant un plus large lectorat. La Revue sociale affirme son rattachement à l’École sociétaire [19]. En mai, Eugène Fabvier révèle ses multiples talents littéraires par un article sur la littérature en province [20] salué par la toute récente Tribune lyonnaise de Marius Chastaing. La Tribune lyonnaise note même que « cette revue s’est sensiblement améliorée depuis ses premiers numéros, et commence à mériter l’attention sérieuse du public » [21]. Dans le numéro de juin, Fabvier signe une étude historique sur Charlemagne [22]. Enfin, dans le neuvième et dernier numéro qui ne paraît pas avant septembre, il donne un dernier article sur la science sociale où il développe pleinement la pensée de Fourier sur l’analogie et la série [23].

Mais La Revue sociale montre ses limites et

se suicide simplement, comme un Anglais, - moins le spleen, qu’elle a pu donner sans l’avoir jamais eu. Toutefois cet holocauste ne sera pas stérile : on va si vite aujourd’hui, qu’une petite brochure, plus ou moins mensuelle, n’atteignait guère le but qu’elle s’était proposé : les absents ont toujours tort, et nous avions tort un mois durant. Aussi, la défunte lègue-t-elle sa succession et son expérience à un journal hebdomadaire, qui, plus complet, mieux préparé, sera plus, efficace, et paiera les dettes de son auteur, - fait inouï de la part d’un héritier [24].

Néanmoins, l’opération lancée par Cantagrel afin de constituer une « réunion » sociétaire active s’appuyant sur un journal a pris forme. En avril 1845, La Revue sociale se fait l’écho du banquet anniversaire de la naissance de Fourier qu’un nouveau groupe de l’École sociétaire, qui s’organise à Lyon de manière distincte du Groupe phalanstérien des travailleurs lyonnais [25], célèbre. Parmi les toasts, l’un honore le « groupe de Paris » [26].

Rédacteur en chef de l’hebdomadaire, L’Écho de l’industrie

Eugène Fabvier devient rédacteur en chef du nouveau titre qui succède à La Revue sociale, L’Écho de l’industrie, journal des intérêts des travailleurs et de la fabrique lyonnaise, hebdomadaire qui paraît à partir du 15 octobre 1845. Le premier gérant responsable annoncé et également rédacteur est Antony Luyrard, ancien gérant-rédacteur de La Revue sociale [27]. Par son épigraphe, le journal prône initialement l’« Organisation du travail » puis l’« Association. Émancipation du peuple par l’organisation du travail ». Fabvier énonce la ligne éditoriale :

Nous l’avons dit, et nous le répéterons sans cesse, les intérêts de tous sont intimement liés ; faire cesser les causes qui les ont séparés, réunir en un faisceau tous ces efforts au moyen d’une équitable répartition des bénéfices, grouper toutes les industries autour d’un foyer commun, saisir tous ces éléments épars, et les classer en leur donnant à chacun leurs places et leurs fonctions c’est en quelques mots, poser le terme du problème ; c’est, enfin, ORGANISER LE TRAVAIL. Voilà la grande question, celle pour laquelle nous combattrons sans relâche ; question vitale qui doit créer le bien-être général en faisant cesser les abus. Voilà cet épouvantail des économistes ; cette prétendue utopie, dont l’expression si simple, mais mal comprise, effarouche cependant des hommes de mérite [28].

A partir de janvier 1846, le journal organise une pétition aux Chambres « en faveur de l’organisation du travail » [29], demandant une enquête sur les effets de la concurrence anarchique et sur le moyen de lui substituer l’association des intérêts. Fabvier se place en héritier de L’Écho de la fabrique (de 1831 [30] comme celui de 1841), filiation usurpée d’après La Tribune lyonnaise et Chastaing lui-même qui s’en considère le seul héritier et accuse le nouveau titre d’être une « feuille ministérielle » [31]. Eugène Fabvier s’attire l’animosité quasi constante de Chastaing [32]. Si en octobre 1845, La Tribune lyonnaise vante son Histoire [populaire] de Lyon et des anciennes provinces du Lyonnais, du Forez et du Beaujolais :

M. Eugène Favier a montré du courage en publiant son Histoire populaire de Lyon concurremment avec celle de M. Morin ; les cinq livraisons que nous avons sous les yeux justifient cette témérité et nous nous proposons de donner, dans un prochain numéro, un fragment de l’introduction qui nous a paru remarquable [33],

en décembre 1846, le ton est tout autre :

l’auteur a […] écrit pour écrire, il a complètement dévié de son but, et a fini par soumettre dit-on la révision de son ouvrage à un chapelain de Fourvière. Le choix des éditeurs, libraires du clergé, n’est probablement pas étranger à cette désertion des principes dont M. Favier nous avait paru animé à son début [34].

L’Écho de l’industrie tout en se faisant l’écho de la fabrique lyonnaise ouvre pleinement ses colonnes à l’École sociétaire, reprend les initiatives, les annonces et les nouvelles de La Démocratie pacifique et devient un organe de liaison entre le nouveau groupe lyonnais et le centre parisien. Une « petite correspondance » [35] sur le modèle de celle de La Démocratie pacifique permet un échange d’informations pratiques avec le centre parisien mais également avec les phalanstériens de la région. A l’adresse de Fabvier, chacun peut trouver « en lecture […] les principaux journaux de Paris et des départements, ainsi que tous les ouvrages de Fourier et des disciples de l’École sociétaire » [36]. Fabvier est bien évidemment auteur de nombreux éditoriaux et articles mais rares sont ceux qu’on peut effectivement lui attribuer faute de signature avant le 18 juillet 1846. Il est clairement l’auteur d’une série d’articles qu’il signe de ses initiales sur l’organisation du travail [37] puis sur le socialisme [38]. Il inscrit timidement le journal dans le champ électoral et appelle au soutien de la candidature de Dervieu, apte à représenter les intérêts industriels de la ville, lors des élections législatives d’août 1846, même si, écrit-il, « nous aurions demandé à M. Dervieu d’être plus franchement socialiste, ou d’avoir un parti politique plus tranché » [39].

Bien que discret au sein du nouveau groupe, Fabvier est fort probablement l’organisateur de son activité par le biais du journal. Ce nouveau groupe lyonnais poursuit son action mais sans vraiment se distinguer publiquement de celle du Groupe phalanstérien des travailleurs de Lyon. Les banquets se succèdent. En avril 1846, une convocation paraît dans L’Écho de l’industrie pour annoncer celui de la commémoration de la naissance de Fourier le 15 avril, banquet pour lequel les inscriptions sont à retirer aux bureaux du journal ou bien chez Fabvier [40]. A ce banquet indique La Tribune lyonnaise, organisé par un

second groupe qui s’est formé, il y a quelque temps […] assistaient des hommes aussi recommandables par leur science que par leur position sociale, entr’autres [sic], plusieurs médecins et chirurgiens, MM. Imbert, Barrier, Goutagne (Coutagne), Bouchet, Fouilhoux, Brun ; des avocats considérés, MM. Juif, Morellet, etc. Une doctrine qui compte dans son rang de pareils adeptes n’est certes pas une doctrine sans valeur, et elle est bien près de devenir un fait social. Nous sommes étonnés que le journal, élevé par La Démocratie pacifique pour être l’organe du fouriérisme à Lyon, L’Écho de l’industrie, dont les rédacteurs, MM. Eugène Favier et Reynier sont des membres influents de ce groupe et qui assistaient au banquet, se soit borné à reproduire un seul discours [41]

Néanmoins, le ton souvent acerbe de La Tribune lyonnaise à l’encontre de L’Écho de l’industrie et de Fabvier n’implique pas un antagonisme entre les deux groupes [42]. Le 18 avril 1846, un second banquet anniversaire de la naissance de Fourier est organisé cette fois par le Groupe phalanstérien des travailleurs de Lyon que préside Romano ; une femme lit un « Hymne à Fourier » dont Fabvier est l’auteur :

Hymne à Fourier

Le monde entier, dans la nuit et le doute,
Sans nul espoir gémissait égaré ;
Du vrai bonheur tu viens montrer la route
A chaque cœur découragé.
O Fourier ! gloire à toi ! l’avenir qui s’avance
Va terminer bientôt notre douleur.
Ta doctrine c’est l’espérance,
Et l’espérance est le bonheur.
En vain l’erreur qu’un fanatisme inspire,
Veut s’élever pour étouffer ta voix ;
La vérité détruira son empire,
Et du Seigneur rétablira les lois.
O Fourier ! gloire à toi ! du combat qui s’engage,
Ton livre en main, tu sortiras vainqueur.
Car l’avenir c’est ton ouvrage,
Et l’avenir est le bonheur.
Plus d’indigent qui, d’une main glacée,
Implore en vain la pitié du passant ;
Plus d’orphelin, de veuve délaissée,
Car Dieu est bon et l’homme est son enfant.
O Fourier ! gloire à toi ! dont la voix nous console
Et pour toujours viendra tarir nos pleurs.
Le pauvre a foi dans ta parole :
Ta parole c’est le bonheur.
Nous qui marchons, pour finir ton ouvrage,
Pour accomplir les desseins glorieux,
De tes enfants, Fourier, reçois l’hommage ;
Sur nos travaux veille du haut des cieux.
O Fourier ! gloire à toi ! que la reconnaissance,
Par un chant sacré, sorte de nos cœurs.
Disons l’hymne de l’espérance,
Car l’espérance est le bonheur [43].

La Tribune lyonnaise reconnaît par ailleurs la qualité de l’auteur : « nous le consignons avec plaisir, parce que nous aimerons toujours à rendre justice à qui le mérite ». En octobre, le groupe de L’Écho de l’industrie donne un banquet semestriel dont la présidence est confiée à Poulard, qui devient quelques jours plus tard président du Groupe des travailleurs phalanstérien [44]. La Tribune lyonnaise dénonce une confusion engendrée par L’Écho de l’Industrie qui aurait trompé les membres du Groupe phalanstérien des Travailleurs de Lyon en convoquant ce banquet semestriel du 11 octobre :

L’Écho de l’industrie aurait-il la mission de chercher à désorganiser l’école sociétaire comme il a, par ses prétentions à succéder à L’Écho de la Fabrique, porté le trouble au sein de la classe ouvrière et nui à ses intérêts ? [45]

Trois jours après, le 14 octobre, en présence de « Jules Duval, l’un des rédacteurs de La Démocratie pacifique » [46], un banquet anniversaire du décès de Fourier est organisé par le groupe de L’Écho de l’industrie. Barrier est à l’honneur [47] et promeut le projet d’Union agricole d’inspiration fouriériste que les Lyonnais mettent en œuvre depuis décembre 1845 dans la province algérienne d’Oran [48]. Fabvier n’est cependant pas actionnaire du projet. Néanmoins, comme Victor Considerant qui souligne, dans deux longs articles intitulés « le Principe sociétaire en Afrique » parus dans La Démocratie pacifique des 24 et 31 mai 1846, que « le principe constitutif de la colonie est le principe de l’association » [49], L’Écho de l’industrie note dès mars l’inspiration fouriériste du projet :

L’Union agricole [réunit] les avantages de la grande culture à ceux de la petite propriété, c’est-à-dire, d’une part, l’exploitation sur une grande échelle, la puissance des moyens et l’unité d’action ; de l’autre, l’intérêt que chaque travailleur prend au succès de son œuvre. Elle exclut les inconvénients inhérents à ces deux modes d’exploitation, en remplaçant le salarié par le travailleur associé, qui a dès lors un intérêt direct au succès de l’entreprise, et en assurant à chacun d’eux des garanties qu’il ne peut avoir quand il est abandonné à ses propres ressources, et aux faibles moyens dont un petit colon peut disposer. De cette unité d’action et de but, et de la solidarité de tous les intérêts, il doit résulter, au bout de très peu de temps, une production considérable qui assurera l’existence et le bien-être de chaque associé. Au début de l’exploitation, le capital dont disposera la société pourvoira largement à tous les besoins des travailleurs, en leur assurant un minimum de salaire […]. Il n’est personne qui, après avoir étudié les statuts de l’Union agricole d’Afrique, ne soit frappé de la puissance et de la simplicité des ressorts de ce mécanisme [50].

De L’Avenir, journal du progrès social à L’Océan de Brest

L’Écho de l’industrie publie son dernier numéro le 17 octobre 1846 et fusionne le 1er novembre 1846 avec Le Répertoire lyonnais pour donner naissance à un tri-hebdomadaire généraliste, L’Avenir, journal du progrès social, titre qui porte en exergue, la formule « Émancipation des peuples par l’organisation du travail ». La liquidation de L’Écho de l’industrie est confiée à un nouveau gérant, Reynier le 6 novembre 1846 en remplacement de « Martinon, Eugène Favier et Brunet » [51], ce dernier devenant gérant de L’Avenir avec Reynier. Dès le second numéro, Eugène Fabvier signe l’éditorial du nouveau journal qui ouvre ses colonnes à tous les sujets politiques, économiques, sociaux et culturels avec un regard local sur la fabrique lyonnaise. Fabvier alterne cette fonction d’éditorialiste avec d’autres (en particulier, sous les signatures F. D. et H. A.). Les questions sociales et économiques restent présentes dans ses éditoriaux mais les références phalanstériennes sont beaucoup plus ténues. Le journal demeure cependant le lieu d’expression de phalanstériens lyonnais comme Barrier qui développe son projet de crèche dans les numéros des 29 novembre et 6 décembre 1846. Le journal reçoit la souscription destinée à cette fondation lyonnaise [52]. La Démocratie pacifique juge que « le journal se maintient à la hauteur de sa devise » [53], en soutenant ce projet qui vise à généraliser un plan de développement des crèches sur le territoire lyonnais. En décembre, L’Avenir relaie également le projet de l’Union agricole d’Afrique qui vient d’obtenir les terres promises par le gouvernement [54]. Fabvier signe son dernier éditorial le 1er janvier 1847. Il dénonce l’inertie gouvernementale et « la féodalité menaçante [qui] tient nos hommes d’état sous son joug, elle les contraint à ne rien faire en faveur du peuple sur la misère duquel elle veut fonder sa puissance » [55] . Alors que la rédaction annonce dans le numéro du 29 janvier 1847 que « par suite de nouveaux arrangements, le journal va reprendre sa marche ordinaire, et nos abonnés seront servis régulièrement », le titre disparaît.

Au printemps 1847, Fabvier est à Brest où il est rédacteur en chef de L’Océan. Il publie un opuscule sur la colonisation algérienne et revendique, comme Victor Considerant, une colonisation civilisatrice et pacifique :

[…] en ne considérant que le droit commun, la résistance des Arabes nous paraît très logique ; cependant, il y a au fond de ce débat un intérêt plus grand, celui de l’humanité, celui de la civilisation ; reculer les bornes de la Barbarie, mêler un peuple encore ignorant à une nation instruite et forte, apporter les lumières de nos connaissances variées à ces malheureux abrutis par d’odieux préjugés ; c’est une noble tâche, c’est le rôle que doit jouer la France dans ce débat, rôle important, immense et fécond dans ses résultats , mais qui n’en est pas moins injuste vis-à-vis de ces convertis par la force du glaive, et qui par cela même est plus difficile ; car enfin, ces peuples, tout barbares et ignorants qu’ils sont, peuvent très-bien tenir à leur barbarie, à leur ignorance, et ne pas comprendre la nécessité de changer leurs coutumes, leurs croyances, leurs usages, contre nos mœurs, nos lois et nos croyances. Si donc la France remplit ce but de la destinée en modifiant complètement les institutions de ce peuple, afin de le faire rentrer dans la marche intégrale de l’humanité, elle doit imiter la providence dont elle accomplit la mission, porter le glaive dans une main et l’olivier dans l’autre ; construire des monuments durables à côté des fragiles édifices qu’elle détruit : autrement, si elle livre tout au hazard [sic] des batailles, la guerre naîtra de la guerre, et qui peut en prévoir les résultats [56] !
[…] Quoiqu’on [sic] en dise, l’expédition des grottes du Dahra [57] est une tache à notre nom. […] Malgré toutes les nécessités de la guerre, nous le répéterons ici, nos soldats ne sont point des bourreaux [58].

Le premier élément de colonisation doit être l’agriculture, néanmoins la colonisation par concession de terres à des colons individuels ne peut que conduire à l’échec :

Envoyez donc maintenant des colons en Afrique, avec de maigres épargnes, en leur accordant des concessions. Livrés à leurs propres ressources, contraints, en attendant la récolte, de faire tous leurs achats sur les lieux et par conséquent de payer des prix énormes les choses les plus strictement nécessaires, ces malheureux seront bientôt réduits à la plus grande misère ; en proie à toutes les privations, ils ne pourront s’acclimater ni même cultiver la parcelle concédée, et, faute de remplir leurs engagements, ils seront forcés de rendre à l’état sa concession et de revenir en France plus pauvres ; bienheureux encore quand la mort ne sera point venue, sur la terre étrangère, leur faire expier un moment d’illusions !
Mais faites plus encore ; bâtissez des villages à ceux que vous appelez ! distribuez-leur les premiers éléments de leur exploitation ! Eh mon Dieu ! ils ne seront guère plus avancés ; car, réduits au morcellement, isolés les uns les autres par leurs intérêts réciproques, ils ne pourront ni cultiver convenablement, ni défricher, ni produire en raison même de leurs besoins.
[…]
Ce qui a fait la prospérité de notre pays, ce qui l’a retiré de la barbarie, c’est la création de la commune. Sur toutes les terres nouvelles où vous voudrez fonder, établissez donc la commune ; mais établissez la commune dans les conditions qui puissent lui donner une puissance réelle. Nous l’avons dit, l’isolement est la cause de noire faiblesse ; il faut donc donner une force nouvelle à notre commune par l’association, mais l’association conçue d’après des bases telles qu’elle relie tous les habitants par une solidarité universelle, sans nuire à leur indépendance [59].

Fabvier reprend une note de Barrier sur la définition du principe de l’association éditée dans La Revue sociale [60] ; néanmoins en appendice, il prend ses distances avec le projet lyonnais dont l’acte de société s’éloigne des fondations d’inspiration phalanstérienne initiales :

L’Union Agricole d’Afrique, fondée par des personnes sympathiques aux idées phalanstériennes, vient d’établir, dans la plaine du Sig une ferme qui réalise en partie le plan que nous avons formulé. Nous disons en partie, car nous faisons une grande différence entre un système adopté et suivi par un gouvernement et une épreuve tentée avec les seules ressources de quelques particuliers ; ceux-ci ne peuvent s’appuyer sur des bases assez larges, assez fécondes, pour donner à leur entreprise tous les résultats qu’elle pourrait avoir. Nous ne contestons pas ici la bonne volonté des fondateurs de l’Union ; mais il est évident qu’ils ont dû se heurter à des obstacles qu’ils ne pouvaient que tourner pour arriver au but. Nous croyons, par exemple, que la valeur attribuée au terrain concédé, et dont les premiers actionnaires ont établi la réserve en leur faveur, constituerait un précédent fâcheux s’il était imité. Le terrain concédé à la société appartient, par ce fait même, à tous les sociétaires, à des titres différents il est vrai, mais identiques au fond ; seulement la propriété commune est cultivée indivise. Or, si le capitaliste usait du privilège de sa position pour se créer des conditions plus favorables dans l’association, il ne resterait plus qu’une exploitation ordinaire, aux bénéfices de laquelle seulement l’industriel ferait participer les ouvriers dans une proportion abandonnée à son arbitraire. Notre principe est plus démocratique ; nous voulons organiser la commune, il faut que cette organisation soumette à une loi générale, à des conditions analogues, le capital et le travail ; il faut laisser toute facilité au travailleur de devenir propriétaire et capitaliste ; alors cette distinction choquante entre une fraction qui possède et une fraction qui exploite au profit du possesseur disparaît complètement [61].

En novembre, L’Océan de Brest annonce son décès que relaie La Tribune Lyonnaise qui se garde de commentaires ; « les dissidences qui ont eu lieu entre nous, nous font un devoir de nous abstenir de tout ce qui pourrait ressembler à des récriminations inconvenantes » [62]. La Démocratie Pacifique souligne qu’« à Brest comme à Lyon, Favier s’était montré propagateur actif de la Doctrine sociétaire. Encore un défenseur perdu pour notre cause ! Encore un soldat frappé au milieu de sa carrière » [63]. Il réside 24 rue Traverse à Brest lors de son décès.