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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Bouvyer, Auguste Savinien
Article mis en ligne le 23 novembre 2014

par Desmars, Bernard

Né le 24 octobre 1793, à Paris, décédé le 11 mars 1870 à Adainville (Seine-et-Oise, aujourd’hui dans les Yvelines). Notaire, puis propriétaire-cultivateur. Souscripteur dans plusieurs sociétés fouriéristes. Interné pendant plusieurs mois après le coup d’Etat du 2 décembre 1851.

A la fin des années 1810, Auguste Savinien Bouvyer est notaire à Dreux. Il s’y marie en 1819 avec Hermance Maréchal, fille d’un médecin de la localité. Le couple a deux enfants, Auguste et Jules Savinien, nés en 1825 et 1826. A la fin de la Restauration ou sous la monarchie de Juillet, il quitte Dreux et s’installe à Houdan (Seine-et-Oise) où il est recensé en 1836 et 1841. Son domicile est peu éloigné de la commune de Condé-sur-Vesgre et du domaine de la Christinière où vit son ami Joseph Devay, l’un des principaux acteurs avec Alexandre Baudet-Dulary de la tentative phalanstérienne de 1832-1833. En juillet 1836, Bouvyer séjourne chez Devay, d’où il écrit à Victor Considerant [1] :

J’ai appris de lui que vous étiez enfin en mesure de faire paraître La Phalange et c’est avec une vive émotion de joie que nous avons vu en effet ce matin le premier numéro.

Il annonce à Considerant l’envoi de 500 francs (200 francs pour le journal, 300 francs pour le cautionnement). Par Devay ou directement, il a déjà reçu plusieurs publications de l’Ecole sociétaire, dont douze exemplaires de Débâcle de la politique en France  : « J’ai gardé 4 exemplaires que j’ai placés en bonne mains », les huit autres étant distribués par Devay à des amis. Il envoie à Considerant une liste de noms d’habitants de Houdan et des environs, mais aussi de Dreux, à qui envoyer La Phalange afin qu’ils s’y abonnent. Il termine sa lettre par la question :

Quand donc le 2e volume de Destinée sociale  ? De grâce, comblez nos justes désirs de ce côté, c’est on ne peut plus utile et pressant.

Puis, il s’établit dans une commune voisine, à Adainville (il y est recensé pour la première fois en 1846), plus précisément au hameau de la Jaunière, où il dirige une exploitation agricole employant, écrit-il en 1852, une vingtaine de salariés [2]. Il fait partie, au début des années 1840, des abonnés à l’organe phalanstérien La Phalange [3]. En 1845-1846, des fouriéristes lyonnais fondent une société, l’Union agricole d’Afrique, et obtiennent une concession à Saint-Denis-du-Sig (Algérie). Bouvyer figure en 1850 sur la liste des actionnaires [4].

Suspect politique et victime du coup d’État

Ses activités politiques suscitent la méfiance des autorités quand la Seconde République s’engage dans une voie conservatrice ; en 1850, il figure, avec les fouriéristes Chambellan et Baudet-Dulary, sur la « liste […] des démagogues du département qui ont de l’influence », avec la mention : « très influent ». Après le coup d’Etat du 2 décembre 1851, il est poursuivi par le nouveau pouvoir, non semble-t-il pour des actes précis de résistance, mais en raison de ses idées socialistes et de son influence dans le canton. La commission mixte de Seine-et-Oise qui examine son cas en fait le portrait suivant :

Ex président des clubs de Richebourg et de Houdan et de toutes les réunions anarchiques qui ont eu lieu depuis 1848 dans le canton de Houdan. Par son instruction et sa position de fortune, il s’est fait un nom parmi les hommes de désordre. Il est très dangereux et très adroit [5].

La commission mixte prononce début avril son internement à Alençon (Orne) ; c’est-à-dire qu’il doit résider dans cette ville et ne pas s’en éloigner sans l’accord des autorités. Malgré plusieurs lettres envoyées au « prince-président Louis Napoléon », au ministre de la Police générale et au Garde des sceaux afin d’annuler ou de suspendre cette décision, il doit se rendre le 20 avril 1852 à Alençon. Depuis cette ville, il réclame à plusieurs reprises une abrogation de la mesure. Dans ses lettres, il affirme qu’il est « un homme d’ordre, de paix et de conciliation », qu’il a « dans tous les temps professé des principes d’ordre et de paix sans jamais [s’]être écarté du cercle de la légalité », que depuis le 2 décembre, il ne s’est « occupé en aucune manière de politique gouvernementale militante, ni de socialisme quelconque plus ou moins reprochable au point de vue politique », qu’il n’a « ni provoqué ni assisté à aucune réunion de couleur politique quelconque, soit publiquement, soit secrètement ». Il affirme « n’avoir jamais eu ni cherché à exercer aucune influence politique dans [sa] localité » et n’a pas eu l’intention de « professer des idées démagogiques ». Il déclare que depuis le 2 décembre, il a « renoncé à la vie politique, en dehors de l’exercice de [ses] droits civiques » et il dit concevoir« les plus heureuses espérances de progrès par la puissance et la sagesse » du « gouvernement éclairé » du prince Louis-Napoléon.

Enfin, il souhaite retourner à Adainville, où sa femme est restée, retrouver ses « habitudes modestes et champêtres », s’occuper des travaux agricoles et de ses intérêts menacés en son absence, retrouver ses affections et rétablir sa santé, fragilisée par son éloignement. Dans une lettre, il admet avoir fait partie de l’Ecole sociétaire, sans que cela puisse le faire suspecter d’homme dangereux :

Attaché depuis l’origine à l’école phalanstérienne, dont j’ai toujours professé les principes d’ordre et de paix bien connus, mes convictions et ma foi, à ce point de vue, m’ont toujours fait considérer la politique comme une chose accessoire et de forme, dont la science humanitaire n’avait point à se préoccuper [6].

« Mes principes sont les vôtres », ajoute-t-il à l’adresse du président de la République, en faisant probablement allusion aux sympathies socialisantes que Louis-Napoléon Bonaparte avait pu manifester dans Idées napoléoniennes et Extinction du paupérisme.

Malgré ses promesses de se consacrer exclusivement à sa famille et à ses travaux agricoles et bien qu’il clame son admiration pour l’Empereur et déclare sa « soumission au gouvernement impérial, consacré par le vœu national », la police reste méfiante à son égard et hostile à son retour à Adainville ; elle le considère

comme un individu ayant exercé une influence détestable au lieu de son ancien domicile : envieux et cupide pendant qu’il excitait les populations contre les personnes plus riches que lui, il bénéficiait [sic] sur le modeste salaire des ouvriers qu’il employait. C’est un homme d’une insigne mauvaise foi ; les promesses qu’il peut faire n’ont aucune valeur [7].

Toutefois, le 2 février 1853, la mesure l’assignant à résidence à Alençon est levée et il peut retrouver sa famille et ses biens à Adainville. En 1858, son nom est encore porté sur une liste de suspects [8].

La participation aux entreprises fouriéristes

Quand, en 1860, Joseph Pouliquen, Jean Foucault et quelques autres condisciples fondent une société pour acheter le domaine de Condé-sur-Vesgre, commune proche d’Adainville, Auguste Bouvyer participe à la constitution du capital. En novembre 1860, l’assemblée générale de la Société civile immobilière le désigne comme l’un de ses trois syndics ; il assure cette fonction jusqu’en 1862, quand il démissionne en raison de dissensions avec Pouliquen ; à la même époque, il transmet ses parts à ses deux fils, l’un, Auguste, agriculteur à Adainville, l’autre, Jules Savinien, médecin à Dreux [9].

Il participe financièrement à la réorganisation de l’Ecole sociétaire autour de François Barrier et prend deux parts de 50 francs de la société en commandite fondée en 1866 pour exploiter la Librairie des sciences sociales ; il conserve ces actions lors de la transformation en société anonyme en 1869 [10]. Il est aussi abonné à La Science sociale, l’organe de l’Ecole sociétaire fondé en 1867 [11]. Il possède toujours des actions à l’Union agricole d’Afrique [12]. Comme d’autres fouriéristes, il adhère à l’œuvre entreprise par son ancien condisciple Auguste Guyard, la réalisation d’une « commune modèle » à Frotey-les-Vesoul [13].

Malgré son engagement durable au sein du mouvement sociétaire et malgré sa participation à différentes entreprises fouriéristes, son décès n’est pas mentionné dans La Science sociale, l’organe de l’Ecole sociétaire.