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MORILHAT Claude : La Mettrie, un matérialisme radical (1997)

Paris, Puf, coll. "Philosophies", 1997, 128 p.

Article mis en ligne le décembre 1997
dernière modification le 3 avril 2007

par Ucciani, Louis

Après nous avoir gratifié d’un remarquable ouvrage sur Charles Fourier, Claude Morilhat nous propose un livre précis et très clair sur La Mettrie qui apparaît sous bien des aspects être le précurseur de Fourier : « en dépit de ses violentes diatribes à l’encontre des philosophes matérialistes, le véritable héritier de La Mettrie c’est Charles Fourier. L’un comme l’autre estiment que le bonheur réside dans la multiplication des plaisirs et l’essor des passions, et parmi celles-ci ils attribuent à l’amour une place éminente » [p112]).

Philosophe un peu délaissé et finalement assez peu étudié La Mettrie (1709-1751) qui voit ses livres condamnés, qui se résigne à fuir la France et qui trouve finalement protection auprès de Frédéric II, mourra jeune dans cet exil doré, laissant derrière lui une œuvre assez conséquente, toute imprégnée de ce que lui inspirait la protection de son prince : « l’honneur d’approcher d’un grand roi, n’empêche pas la triste idée que c’est avec son maître qu’on est, quelque aimable qu’il soit » [p. 10]. C’est d’une certaine manière la lucidité de La Mettrie qui trouve dans le livre de Morilhat sa scène. Libertin jamais repenti (« non seulement La Mettrie a exalté la volupté dans ses textes, mais il a dans sa vie accordé une large part aux plaisirs du corps et s’en félicite » [p. 10]), philosophe prolifique, médecin de formation, son parcours sans doute peut-il être teinté d’une certaine vanité (« sa carrière d’écrivain marquée par un goût immodéré de la polémique et même de la provocation trahit une vanité certaine, la volonté de faire parler de soi » [ibid.]) n’en subsiste pas moins que cela fait une œuvre authentique (« par delà les outrances et les aspects déplaisants de certaines controverses, force est de constater que La Mettrie a sacrifié sa tranquillité et sa sécurité à ce qu’il estimait être la vérité » [p. 11]).

Morilhat trace les lignes de force de cette philosophie qui bien que née d’une distance prise avec la médecine n’en demeure pas moins marquée par elle : « La Mettrie n’est pas médecin d’une part et philosophe d’autre part, mais indissolublement l’un et l’autre dans la mesure où il considère l’homme comme un être un » [p. 15]. De cette philosophie donc qu’elle est un matérialisme, un matérialisme radical, affirmé en guise de profession de foi : « écrire en philosophe, c’est enseigner le matérialisme » énonce La Mettrie. Et cela sera sous une apparence de duplicité qu’il en développera les différentes facettes. Une ironie qui anticipe la colère de Fourier contre la philosophie, lui fait la faire paraître des plus inoffensives : « La Mettrie explique que si, par nature, elle « est contraire aux conventions sociales, aux principaux dogmes de la religion, aux mœurs », son discours cependant laisse toutes choses en l’état. Il n’influe aucunement sur le fonctionnement réel de la société, il ne modifie pas le cours habituel de l’existence quotidienne » [p. 20]. Philosophie et politique sont de deux registres différents et ne sauraient s’interpénétrer (« la philosophie ne nuit nullement à la société puisque philosophie et politique se déploient en des sphères différentes » [p. 29]). Dans un second temps la philosophie est consignée à sa tâche, à savoir, modifier la société, alors « nous sommes bien loin de l’innocence politique de la philosophie précédemment évoquée, du simple conformisme social des philosophes » [p. 33]. Au philosophe alors de penser librement (« quant au devoir du philosophe il est clair, consacrer sa vie à la vérité, à sa recherche et à sa publication » [p. 37]), et au prince de permettre et de favoriser l’éclosion de la pensée (« le prince préoccupé par le bonheur de sa nation doit donc favoriser le travail de savants en garantissant le libre déploiement de leurs recherches » [p. 36]).

La philosophie alors déployée s’attaquera aux préjugés afin d’atteindre à une vie meilleure [p49], affirmant l’unicité de la substance, faisant la critique du finalisme, et restituant, sur le mode épicurien une primauté aux sensations et au corps : « simple, la thèse semble imposer son évidence : « Songer au corps, avant de songer à l’âme, c’est imiter la nature qui a fait l’un avant l’autre ». Mais la réalité humaine, de l’aveu même de l’auteur, se moque de la simplicité » [p. 120].

Cela serait donc sur une nouvelle contradiction qu’aboutirait la construction de La Mettrie, voire plus la contradiction serait une constante de son œuvre. Plutôt que d’y voir une certaine anticipation de Nietzsche, si manifeste dans cette profession de foi « je ne voudrais revivre, que comme j’ai vécu » [p. 113], Morilhat retient ce qui serait un impensé : « la polarité nature/société n’est pas véritablement pensée. La réalité sociale vient se superposer à la réalité naturelle sur laquelle elle pèse plus ou moins, l’homme est appréhendé comme un être essentiellement physique qui reçoit un habillage social » [p. 121].