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Robertson (pseudonyme de Lafforgue), (Pierre Charles) Théodore
Article mis en ligne le 12 mai 2015
dernière modification le 7 juillet 2015

par Desmars, Bernard

Né le 23 août 1803 à Paris (Seine), décédé le 20 janvier 1871 à Paris (6e arrondissement). Professeur d’anglais, auteur d’ouvrages sur l’apprentissage des langues. Concepteur d’un projet d’établissement sociétaire où seraient enseignées différentes langues. Membre du conseil de surveillance de la Société européo-américaine au Texas.

Théodore Lafforgue est le fils d’un employé ; il est orphelin de père dès 1805 ou 1806. Sa mère se remarie en 1811 avec François Robertson qui assure son éducation et lui apprend notamment l’anglais. Théodore, bien que gardant officiellement le patronyme de Lafforgue se fait appeler Robertson dans la vie quotidienne. Il doit travailler jeune, son beau-père étant très tôt frappé d’aliénation mentale et ne pouvant plus subvenir aux besoins de la famille. Il donne des leçons d’anglais dès l’âge de 15 ans et trouve commode d’adopter un nom avec une consonance anglaise qui renforce son crédit professoral [1] ; selon le Grand Dictionnaire universel de Pierre Larousse, il « déguisa son origine parisienne sous le nom anglais de Robertson afin d’inspirer plus de confiance à ses auditeurs » [2].

Théodore Lafforgue, dit Robertson
(dessin de Nadar)

C’est sous ce nom qu’il se fait connaître, qu’il signe ses ouvrages et qu’il publie des annonces dans la presse. Quelques années plus tard, il affirme même que les listes électorales et les registres fiscaux le connaissent sous le patronyme de Robertson [3].

Alors qu’il a 19 ou 20 ans, il ouvre un cours public à Paris. Très vite, sa réputation s’accroît son cours étant « fort goûté des gens du monde » [4].

La « méthode Robertson »

Cette activité d’enseignement s’accompagne dès le milieu des années 1820 de travaux sur la langue anglaise et de la conception d’une nouvelle méthode d’apprentissage des langues. De 1827 à 1836, il fait paraître un périodique, le Robertson’s Magazine. Journal grammatical et littéraire de la langue anglaise, dans lequel on trouve, outre de la publicité pour ses cours, des exercices de prononciation, de grammaire et de traduction ainsi que des textes issus de la presse et de la littérature anglaises. Dans les années 1830 et 1840, il publie plusieurs ouvrages, qui reprennent largement le contenu du Robertson’s Magazine, et dans lesquels il expose sa « méthode ». Dans un Précis datant de 1844, il la décrit ainsi :

Je commence tout d’abord par faire pratiquer, c’est-à-dire que dès la première leçon je mets l’étudiant à même de lire et de traduire, soit de l’anglais en français, soit du français en anglais ; à même de comprendre aussi facilement à l’audition qu’à la lecture, et de répondre en anglais aux questions que je lui adresse.
Vient ensuite l’analyse, ou la décomposition : l’examen minutieux de toutes les pièces dont se compose la langue, de leur origine connue ou probable, de leur formation, de leurs combinaisons, de leurs rapports entre elles, des lois qui les régissent, et que le raisonnement, ou, plus souvent encore, que l’usage a établies.
La connaissance de ces lois constitue la théorie, ou, si l’on veut, les principes, qui, selon moi, ne doivent pas être le commencement, mais le résultat de l’étude.
Je termine par où d’autres commencent souvent, par un thème ; mais ce thème, composé entièrement de mots que l’on sait déjà, a sur les thèmes ordinaires l’inappréciable avantage de dispenser de l’emploi du dictionnaire, et de l’énorme perte de temps qui en résulte [5].

Ce travail s’appuie sur l’utilisation de textes, qui doivent être appris par cœur par les élèves qui y trouvent des applications de la plupart des règles de la grammaire et de la syntaxe anglaises. Robertson prétend faciliter l’acquisition du vocabulaire en le réduisant aux mots usuels ainsi qu’aux « mots simples » ou radicaux ; la connaissance de ces « mots racines » permet ensuite à chacun, en y ajoutant des préfixes et des suffixes, de former les mots composés dont il a besoin.

L’apprentissage passe par l’écrit, mais aussi par l’oral, avec des exercices de traductions et des séquences de questions-réponses à partir du texte étudié. Robertson recourt également à des méthodes moins classiques : il organise des conférences hebdomadaires « destinées à exercer les élèves à l’improvisation » [6] et des représentations théâtrales. En 1832, il loue une salle pour « y faire représenter […] par ses élèves, des scènes dramatiques composées des meilleures pièces du théâtre anglais », le public étant constitué des familles des élèves [7]. Un de ses admirateurs fait l’éloge de ces activités théâtrales :

Les exercices dramatiques sont un autre moyen d’étude, le plus puissant peut-être pour hâter les progrès. Car lorsqu’on doit jouer un rôle en présence de quatre à cinq cents condisciples, il est naturel de multiplier ses efforts, d’apporter la plus grande attention à la prononciation, et la répétition fréquente qu’on est obligé de faire des mêmes phrases permet de corriger efficacement et de prévenir les mauvaises habitudes. Ces exercices ont surtout l’avantage de familiariser les élèves avec la connaissance de la littérature dramatique anglaise. Dans la même soirée, on joue une pièce en anglais et une autre qui a été traduite de cette langue en français par chaque acteur en ce qui concerne son rôle. Les dames prennent part à ces représentations comme aux conférences, car c’est un divertissement utile, pris en famille, et qui s’exécute avec toute la décence et le bon ton que le rigorisme le plus sévère peut exiger [8].

Si la méthode de Robertson peut être placée parmi les « cours traditionnels à objectif pratique », selon la classification de Christian Puren [9], on peut aussi noter son écart avec les modes habituels d’apprentissage des langues (mortes ou vivantes), qui commencent par la mémorisation des règles de grammaire et de listes de mots, et continuent par des thèmes écrits régulièrement réalisés par les élèves. Chez lui, la grammaire vient dans un second temps. Et les différents exercices qu’il propose insistent sur la pratique orale.

Cette « méthode Robertson » connaît un grand succès. Son fondateur l’applique non seulement à l’apprentissage de l’anglais par des Français, mais aussi à celui du français par des étrangers résidant à Paris. En 1837, son domicile de la rue Richelieu accueille plusieurs autres professeurs, qui proposent des cours d’allemand, de latin, de grec, d’espagnol [10]. Lui-même s’efforce de propager son mode d’enseignement. Il écrit un « précis de la méthode » « à l’usage des professeurs, des chefs d’institution et des pères de famille » [11] ; les autodidactes peuvent aussi s’en emparer pour apprendre une langue et l’enseigner aux autres : en effet, « par notre méthode, on peut apprendre seul » et « chacun peut devenir professeur, n’eût-il même qu’une leçon d’avance sur ses élèves ; car bien des pères de famille, suivant nos cours, ou se servant seulement de ce livre, instruisent eux-mêmes leurs enfants » [12]. Des manuels rédigés par divers auteurs sont publiés en France et à l’étranger, appliquant les procédés de la méthode Robertson à l’allemand, l’italien, l’espagnol, le russe, le tamoul [13], … En province et à l’étranger, des professeurs ouvrent des cours en mentionnant qu’ils appliquent la « méthode Robertson » [14], sans que l’on sache s’ils « la suivent consciencieusement » ou si « exploitant la vogue dont elle jouit, [ils] se bornent à annoncer qu’ils l’emploient [afin] de se faire une réputation à peu de frais » [15].

Langue et fouriérisme

Le fouriériste Adrien Berbrugger, chartiste, auteur d’ouvrages sur la langue espagnole et membre correspondant de l’Institut, fait l’éloge de cette « méthode Robertson » dans le quotidien Le Siècle en 1839. Certes,

il serait à désirer que tous les peuples n’eussent qu’une seule et même langue […] En attendant la réalisation d’un fait qui n‘est encore qu’une bien faible espérance, on a de grandes obligations aux hommes qui travaillent à la simplification des moyens d’apprendre cette multitude d’idiomes par lesquels l’espèce humaine manifeste ses pensées. Celui qui nous initie à la connaissance d’une langue nouvelle nous rend citoyen d’un nouveau pays, double nos jouissances intellectuelles, augmente en quelque sorte notre valeur intrinsèque.

La langue dont la connaissance connaît le plus grand développement en France, ajoute Berbrugger, est l’anglais.

L’extension considérable que cette étude a reçue parmi nous est, en partie, l’œuvre de M. Robertson, dont les cours méritent d’être l’objet d’un examen approfondi. Ce n’est pas seulement dans le but de rendre à ceux qui s’occupent d’enseigner les langues un exemple qui nous paraît bon à imiter et que plusieurs, au reste, ont déjà suivi, que nous attirons l’attention sur la méthode Robertson.

[…] M. Robertson attire à lui des centaines d’auditeurs, leur enseigne l’anglais en moins d’un an, les forme à l’improvisation et à la discussion publiques une fois par semaine, donne souvent des séances dramatiques qui remplissent la salle Chantereine de spectateurs, tous élèves, lesquels viennent entendre jouer en anglais des acteurs tous élèves également.

Soulignant l’intérêt des conférences et des séances théâtrales, Berbrugger affirme que la méthode Robertson est supérieure aux autres sur plusieurs points :

Par la multitude des exercices qu’elle met en usage, elle parle à l’intelligence de chaque élève la langue que celle-ci peut comprendre ; par la variété de ces exercices, elle soutient l’attention que la monotonie ne manquerait pas d’engourdir [16].

Les liens de Robertson avec l’École sociétaire et son adhésion au fouriérisme ne sont avérés qu’à la fin de la monarchie de Juillet. En 1847, il publie dans La Phalange un article ensuite repris en brochure dans lequel il expose à la fois sa « théorie de l’enseignement des langues » et un « plan d’organisation » d’un établissement d’enseignement des langues pratiquant « l’association du capital, du travail et du talent » [17]. Même si « le jour viendra où l’on parlera une même langue sur le globe », écrit-il, « des années s’écouleront, pendant lesquelles l’étude de plusieurs langues sera une branche nécessaire de l’enseignement » [18]. Or, la formation dispensée dans le secondaire est tout à fait inadaptée : les « jeunes et nobles intelligences [sont] abruties huit ans sur des langues mortes » ; à sa sortie du système scolaire, que sait l’élève ? « du grec et du latin, c’est-à-dire des choses qui ne lui serviront dans aucune des circonstances de sa vie » [19].

Non seulement cet enseignement est inutile ; mais il est aussi rébarbatif, alors qu’il faudrait développer chez l’élève « ce besoin d’apprendre, cette soif de savoir, instinct de source divine, qui se révèle de si bonne heure chez la plupart des enfants, et qu’il serait facile de développer, en rendant l’étude attrayante » [20] ; sans développer davantage sa critique de l’enseignement, Robertson renvoie le lecteur aux « pages éloquentes de Victor Considérant [sic] (Théorie de l’éducation naturelle et attrayante) » [21].

Dans son article, il décrit sa méthode d’enseignement en recourant à certaines expressions souvent utilisées dans les textes de l’École sociétaire :

Examinons à quelles conditions on peut avoir la certitude que l’on possède une langue, particulièrement une langue vivante.
Il faut :
Prononcer correctement ;
Comprendre tous les mots usuels, avec leurs désinences, non seulement à la lecture, mais encore et surtout à l’audition ;
S’exprimer avec facilité.
Maintenant, vaut-il mieux, suivant le procédé longtemps en vigueur, s’attacher exclusivement à une seule de ces difficultés à la fois, ou bien, les considérant toutes comme solidaires et engrenées, faire marcher de front l’étude de chacune d’elles, en soulageant ainsi la tension de l’esprit, par l’exercice alternatif de la mémoire et du jugement, de l’œil, de l’oreille et de la voix, appliqués tour à tour et dans une même séance à la pratique, à l’analyse, à la théorie et à la synthèse ?
Pour nous, ce dernier moyen nous a semblé le meilleur [22].

Ainsi,

Nous divisons notre texte en leçons, très-courtes d’abord, et devenant graduellement plus longues. Puis subdivisons chaque leçon en exercices […]
Le texte est le pivot de tous les exercices. […] Il fournit matière à la conversation, c’est-à-dire aux questions du professeur et aux réponses des élèves. Les mots qu’il renferme, combinés de mille manières, donnent naissance à un nombre illimité de phrases nouvelles. L’analyse en extrait successivement toutes les règles grammaticales, puisque nous avons dit plus haut que dans son ensemble, il doit les contenir toutes. Ainsi, lecture, version, conversation, thème, tout se passe séance tenante, sans qu’il soit besoin de recourir au dictionnaire [23].

[…] L’un des effets brillants de notre système est de mettre le professeur à même, au bout d’une vingtaine de leçons, de se faire comprendre de ses auditeurs, sans l’intermédiaire de leur langue maternelle, et dans la langue même qu’il leur enseigne ; expliquant l’inconnu à l’aide du connu, leur donnant la conscience de ce qu’ils ont acquis, et stimulant puissamment leur attention. On ne saurait se figurer la satisfaction d’un auditoire qui, pour la première fois, et au bout de si peu de temps d’étude, reçoit cette révélation de ses forces et de ses ressources [24].

Outre le fait d’être attrayante, cette méthode procure rapidement des résultats : en 300 jours environ, avec une heure de travail quotidienne, il est possible de bien connaître la langue.

Entre autres moyens attrayants qu’il est bon d’employer comme de puissants auxiliaires, nous recommandons les conférences et les exercices dramatiques avec des nationaux. On conçoit facilement que les progrès doivent être d’autant plus rapides qu’on a des rapports plus fréquents avec ceux dont on apprend la langue […].

Ajoutons […] l’attrait d’une conférence, où l’on peut faire valoir son éloquence, son instruction, ou la solidité de ses raisonnements ; […] l’attrait plus grand encore, d’un exercice dramatique, où l’étude est entièrement déguisée sous la forme d’un divertissement ; où le talent de l’action doit être joint à celui de la diction ; et l’on conviendra certainement que ces ressources accessoires ne sont pas seulement de nature à faciliter l’étude des langues, mais encore à en répandre le goût et à la populariser [25].

Mais, ajoute Robertson : l’organisation de cet enseignement, avec ces divers procédés « n’est pas chose facile » :

Il nécessite des frais assez considérables et suppose une nombreuse clientèle. Il n’est donc pas à l’usage de tous les professeurs, comme cela serait à désirer, dans l’intérêt de ceux qui apprennent comme de ceux qui enseignent.

Examinons s’il ne serait pas possible, en faisant converger les intérêts des professeurs, de placer l’enseignement des langues vivantes au-dessus de la condition précaire qui lui est faite, de lui donner de l’attrait et de l’éclat, et de remplacer une concurrence anarchique, quelquefois déloyale, par l’union et la solidarité [26].

D’où le projet développé par Robertson :

Supposons qu’il s’élevât dans Paris un vaste établissement consacré à l’étude des langues modernes, avec de nombreuses salles de cours, spacieuses et commodément disposées, une bibliothèque, un salon de lecture, une salle de conférences et une salle de spectacle ; supposons que des hommes spéciaux, orateurs, artistes, professeurs et littérateurs y fussent invités de toutes les parties du monde ; que, pour l’enseignement de chacune des langues les plus importantes, il y eût quinze à vingt professeurs différents, rivalisant de zèle et de talent ; qu’à certains jours de la semaine, les étudiants les plus avancés y trouvassent l’occasion de causer ou de discuter avec un grand nombre d’étrangers, Anglais, Allemands, Espagnols, Italiens, Arabes, qu’ils y pussent prendre part comme acteurs ou comme spectateurs à des représentations de chefs-d’œuvre dramatiques de tous les pays ; n’est-il pas vraisemblable qu’un immense succès répondrait aux efforts des fondateurs de cet établissement ? que les Français, sûrs d’y trouver en grand nombre les Étrangers dont ils voudraient connaître la langue, y viendraient en foule ? que les Étrangers, amateurs de la langue et de la littérature française, s’y donneraient rendez-vous, comme en un grand centre de lumières et de sympathies ?

N’est-il pas vraisemblable aussi que l’étude étant rendue attrayante, et produisant des résultats rapides et infaillibles, le goût des langues deviendrait à peu près général ?

[…] Vingt-six années de pratique constante de l’enseignement n’ont fait que nous confirmer dans la pensée qu’une telle institution serait non-seulement désirable, mais possible [27].

Pour fonder et diriger un tel établissement, Robertson repousse la solution d’une « compagnie d’actionnaires, étrangers du reste à l’enseignement […] exploitant des travailleurs salariés, ainsi que cela se pratique dans la plupart des grandes entreprises de la civilisation ». Ce système, conforme aux principes de « la féodalité financière », « ouvrirait la porte au favoritisme, aux passe-droits, aux abus de toute nature » ; les « professeurs salariés n’auraient pas, ne sauraient avoir l’entraînement et l’ardeur de professeurs agissant autant pour leur propre compte que pour celui de l’association toute entière » ; les professeurs seraient ainsi « à la merci d’une compagnie financière […] Ce serait introduire dans l’enseignement ce que l’on voit déjà dans le commerce et dans l’industrie, la toute-puissance du coffre-fort » [28].

Il privilégie une seconde solution, de type coopératif : « des philologues et des professeurs pourraient associer leur capital, leur travail et leur talent » [29]. Dans le système proposé, « les actions ne sont délivrées qu’à des professeurs ou à des personnes disposées à suivre les cours de l’établissement. Elles sont personnelles et intransmissibles : donc elles échappent à l’agiotage » et tous les actionnaires sont intéressés au développement de l’établissement. Les bénéfices sont répartis, selon la règle établie par Fourier, entre le capital (4/12e), le travail (5/12e) et le talent (3/12e) ; chaque professeur est donc rétribué en fonction du nombre d’actions dont il est propriétaire, du nombre d’heures fournies à l’établissement et, afin de rémunérer le talent, du nombre d’auditeurs ayant assisté aux cours de chaque enseignant, chaque élève choisissant librement son professeur ; les enseignants les moins appréciés, peu rétribués, quitteraient d’eux-mêmes l’établissement qui, au contraire, attirerait les professeurs les plus doués, assurés d’y trouver une rémunération conforme à leur savoir et à leur talent [30].

Les avantages d’un tel établissement seraient les suivants :

Le temps nécessaire pour savoir une langue serait réduit de plus des sept huitièmes.
On étudierait par plaisir au lieu de le faire par nécessité.
Les communications de peuple à peuple deviendraient instantanées, et ne réclameraient plus l’intervention d’interprètes.
Un pareil essai, couronné de succès, serait imité de proche en proche dans toute les capitales, et y formerait des centres d’attraction où abonderaient les étrangers instruits de tous les pays […].
Dans le corps enseignant, le vrai mérite aurait toujours un moyen de se produire, et l’incapacité serait graduellement forcée de céder la place, puisque les professeurs recevraient la sanction du public, dont le jugement impartial vaut bien un diplôme, quelquefois dû à la faveur, ou obtenu par l’intrigue [31].

Enfin, conclut Robertson :

Ainsi des améliorations palpables seraient réalisées par l’application de quelques principes de la théorie sociétaire, théorie nouvelle, inconnue encore à bien des gens, mais qui chaque jour acquiert des partisans de plus en plus nombreux. Le but de cette théorie et de l’École qui la propage est de faire régner l’harmonie sur terre. Pour nous, qui nous sommes rallié avec une conviction profonde aux principes de cette École, nous croirons avoir obtenu un premier succès, si nous avons réussi à faire entrevoir, comme prélude, que l’union est possible entre les professeurs, et qu’elle est préférable à la confusion et à la lutte des intérêts [32].

La Démocratie pacifique signale à plusieurs reprises les cours de Robertson, soit dans la partie publicitaire – l’annonce est alors précédée d’un signe distinctif indiquant qu’elle émane d’un « phalanstérien dévoué » –, soit dans la partie rédactionnelle [33]. Mais Robertson travaille également à la propagation des idées fouriéristes : début juin 1848, il fait annoncer dans le quotidien de l’École sociétaire

qu’une conférence sur l’organisation du travail se tient chez lui, rue Richelieu, 47 bis, tous les jeudis, à huit heures du soir. Il y invite à la fois les personnes qui désireraient connaître la théorie de Fourier, et les phalanstériens qui voudraient bien le seconder pour expliquer cette théorie [34].

Vers la même époque, Robertson écrit un bref texte, Un Bourgeois aux ouvriers. S’adressant à ses « frères », il dit partager leurs aspirations :

une République démocratique ; une réforme sociale, généreuse et large ; l’anéantissement de l’exploitation de l’homme par l’homme, et la mise en pratique de la fraternité, dont nous n’avons encore que le mot, en attendant la chose.

Mais, constatant que « les partis réactionnaires, muets le 25 février, relèvent insolemment la tête » et menacent le régime républicain, il demande aux ouvriers de s’écarter des « ambitieux qui exploitent [leurs] passions » et leur impatience ; il les invite également à se « discipliner » et évitant les désordres dans la rue. Surtout, il leur conseille de « faire usage de [leurs] droits » :

Parmi ces droits, que vous nous avez conquis, il en est deux qui nous garantissent tous les autres, et au moyen desquels nous obtiendrons sans secousses la Réforme Sociale. Le premier, c’est le droit d’être vous-mêmes les appuis de l’ordre et de la liberté, comme gardes nationaux. Le second, c’est l’élection.

Il observe la montée des tensions sociales et craint l’affrontement de classes :

Frères, […], plus de désunion. Revenez grossir nos rangs comme aux premiers beaux jours de notre République. Vous y serez en majorité d’autant plus grande que vous trouverez au milieu de nous des appuis de vos justes espérances. Car, sachez-le bien, parmi ceux que vous appelez les bourgeois, il ne manque pas de républicains sincères, démocrates et socialistes, qui veulent que le mot Fraternité ne se borne pas à figurer sur nos drapeaux et nos édifices.

L’action de rue doit désormais être remplacée par le vote,

base fondamentale par laquelle s’élèvera le nouvel édifice social. C’est le levier qui soulèvera le monde, sans effort, sans lutte et sans effusion de sang, quand vous saurez agir avec ensemble et sang-froid. Par le suffrage universel, ce n’est plus la force brutale qui doit triompher, ce sont les principes et les idées.

Aussi déplore-t-il la forte abstention qui a lieu lors des élections partielles de mai et juin 1848, ainsi que l’élection du prince Louis-Napoléon Bonaparte.

En 1852, il cesse son activité d’enseignement, qu’il pratique alors depuis une trentaine d’années ; il transmet son établissement à son gendre Henry Hamilton et se retire à Meudon (alors en Seine-et-Oise). Il travaille à la réédition de ses manuels ainsi qu’à la publication de nouveaux ouvrages concernant la langue, notamment à des méthodes d’apprentissage destinées aux enfants. Il publie aussi un ouvrage pour mettre « la photographie à la portée de tout le monde » [35].

Il est l’un des actionnaires de la Société européo-américaine du Texas ; lors de l’assemblée générale de décembre 1854, il est élu au conseil de surveillance de la société ; il en démissionne en février 1856 [36]. Bien qu’il figure sur un répertoire d’adresses datant de la fin des années 1850 et des années 1860 [37], il ne semble plus guère actif au sein de l’École sociétaire, même lorsqu’elle est réorganisée au milieu des années 1860. Il n’apparaît pas, en particulier parmi les actionnaires et les correspondants de la Librairie des sciences sociales, ni parmi les convives des banquets phalanstériens organisés entre 1865 et 1870.


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