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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Leray, Constant-Liberté
Article mis en ligne le 29 janvier 2016
dernière modification le 7 novembre 2021

par Sosnowski, Jean-Claude

Né le 9 juin 1793 à Couëron (Loire-Atlantique). Décédé en 1846 [1]. Médecin dans le département de la Loire-Atlantique et à la Guadeloupe. Adepte de l’essai sociétaire enfantin.

Une carrière médicale

Il est le fils de Charles Leray (1748-1797), maître chirurgien à Couëron dont il est maire et de Marie Esnault, sa seconde épouse. Un jumeau, Pierre-Désiré, naît le même jour ; il décède en 1814. Constant-Liberté est le 15e enfant du couple qui en aura 17. De son premier mariage, Charles Leray a également eu une fille, décédée. Les enfants suivent les traces de leur père dans la carrière médicale. Constant-Liberté Leray est officier de santé à Nantes en 1816. Il exerce à Savenay (Loire-Atlantique) puis suit son frère Prudent-Antoine Leray aîné à la Guadeloupe. Prudent-Antoine Leray est décoré de la Légion d’honneur [2] et est nommé médecin de la Garde nationale de l’île en 1827. Cette « nomination mécontenta des envieux ; on colporta une chanson contre M. Leray ; il s’ensuivit un duel où M. Leray eut le malheur de tuer le fils d’un riche colon. Il se cacha pour éviter une poursuite judiciaire » [3] C’est Constant-Liberté Leray jeune qui subit la vengeance de la famille en étant attiré dans un guet-apens. Victime d’un coup de pistolet à bout portant, « M. Leray jeune fut rappelé à la vie après de longues souffrances ». Prudent-Antoine Leray se livre alors et est « acquitté comme n’ayant été l’auteur d’un homicide que par suite de légitime défense ». Une publication où il accuse plusieurs « créoles d’avoir attenté aux jours de son frère » lui vaut ainsi qu’à son frère d’être poursuivis en diffamation. La Cour royale de la Guadeloupe les condamne, l’aîné à 2 ans de prison, le jeune à 1 mois ; tous les deux à 5 ans d’interdiction de droits civils ; leur pourvoi est rejeté par la chambre criminelle de la cour de cassation en février 1830. De retour à Nantes, Constant-Liberté Leray s’illustre dans la lutte contre le choléra en 1832. Il réclame sans résultat une pension et la Légion d’honneur pour ces faits. En 1843, le préfet dénonce « un dérangement dans ses facultés intellectuelles » [4]. Son engagement fouriériste n’est sans doute pas étranger à ce jugement.

La santé au fondement de l’harmonie sociale

Constant-Liberté Leray est probablement membre du comité de surveillance de la souscription phalanstérienne initiée par le groupe du Nouveau monde en janvier 1840. Néanmoins, il est possible que ce soit son frère Prudent-Antoine Leray ou bien le fils de celui-ci, l’artiste peintre et lithographe Prudent-Louis Leray ; en effet, parmi les abonnés parisien à La Phalange à partir du 1er décembre 1840 et jusqu’au 13 octobre 1842, on relève le nom de Prudent Leray [5].
Constant-Liberté Leray exerce en 1840 comme médecin à Couëron. Il y publie à ce titre un Aperçu pour arriver à la connaissance du moyen que la nature emploie pour développer intégralement les forces physiques et intellectuelles dans lequel il s’interroge sur l’harmonie :

Si une cause a pu troubler l’harmonie sociale primitive dans toute sa vigueur, ne doit-on pas craindre que la théorie de FOURIER ne soit impuissante pour rétablir cette harmonie, tant qu’on ne connaîtra pas l’origine de nos maux ? [6]

Le mal ne se trouve pas dans le pêché originel mais « dans le milieu social » [7]. Constant-Liberté Leray illustre son propos par l’analogie et sa pratique professionnelle. Il s’appuie sur la physiologie :

L’arôme hominal, fluide magnétique ou autre qui nous met en rapport avec notre globe et tous ses êtres est CORROMPU ; et il est évident pour tout esprit qui voudra y réfléchir, que la corruption de l’arôme humain est la cause de tous les maux physiques et intellectuels. Depuis plusieurs années, je guéris toutes les maladies, même le choléra morbus asiatique, en mettant les déjections alvines en rapport avec les digestions, c’est-à-dire, en équilibrant bien ces deux fonctions pivôtales [sic]. Il est certain qu’on se fait habitude d’aller à la selle, comme de manger à certaine heure, et que le besoin d’évacuer revient à époque fixe comme l’appétit [8].

Seul « ce moyen simple et facile » assurera la guérison du genre humain et de la planète ; « car le bonheur est réellement contagieux pour l’homme en santé » [9]. Suit un long discours scatologique sur les destinées :

Les corps aériens croissent et meurent de même que les corps terrestres, quand ils ont rempli leur destinée.
Chaque être est un foyer de chaleur dont le mode de combinaison calorique donne la température spécifique. Chacun des êtres est aussi un foyer d’arôme. L’arôme de l’homme est pivôtal [sic] ; et chaque homme, suivant ses goûts, pourra donner à ses déjections les odeurs qu’il lui plaira : de la rose, du jasmin, de la violette, etc., etc. […] [10].
Les petits sont les fruits de l’espèce, les déjections les fruits de l’individu.
La nature n’a point fait les déjections putrides : en effet, elle sont si peu répugnantes, qu’elles servent de jouets aux enfants, et que beaucoup d’animaux avalent les excréments de leurs petits.
Tous les physiologistes savent que chaque organe a sa vie particulière, qui lui fait rejeter tout ce qui n’est pas en rapport avec son mode de sensibilité ; que les fluides abondent sur tous les points d’irritations […] [11].
La Santé, premier foyer d’attraction, nous met à même de jouir de la vie sociale ; si elle est altérée, toutes les attractions le sont également, parce que le bonheur dépend de la perfection harmonique des organes ; l’homme bien portant est nécessairement aimant ; chaque jour, il trouve de nouveaux moyens de jouir [12].

Ce développement lui fait conclure que toute déviance est maladie,

que tout criminel est fou, et tout méchant est malade.
Mais, comme tous les médecins ont trop prouvé par leurs controverses que les raisons ne prouvent rien, il faut avoir recours à l’expérience. Or, une assez longue expérience m’a montré qu’il suffit d’empêcher la corruption de l’arôme humain pour laisser aux forces physiques et intellectuelles tout leur développement ; et de détruire la corruption de cet arôme pour guérir toutes les maladies, sans le secours de la médecine et de la pharmacie, et même sans qu’il soit besoin d’étude et d’argent.
Dieu nous doit cette belle voie pour entrer au phalanstère ! Il a fallu toute la ruse des médecins pour persuader jusqu’ici que la nature ne se suffit pas à elle même [13].

De l’essai enfantin comme fondement de l’harmonie sociétaire

En 1846, dans un seconde opuscule, Réflexions sur l’organisation spirituelle proposée par M. Bertault-Gras [14] et sur la nécessité de commencer l’essai d’harmonie par les enfants ; avantages que présenterait la maison d’apprentissage de Maintré pour cette épreuve, il appelle à « élever un nouveau monde » [15] rejetant l’idée de Bertault-Gras de vouloir « rendre le civilisé vertueux » [16], déniant aux rédacteurs de La Démocratie pacifique la capacité de

produire le plus petit grain d’arome [sic] pur, parce que l’arome humain n’est pas simple, et qu’il ne peut sortir que d’un laboratoire d’harmonie [17].

C’est pourquoi il soutient le projet de fondation par Jouanne et Gauvain d’une maison d’apprentissage à Naintré (commune de Saint-Benoît), près de Poitiers car, écrit-il :

C’est des séristères de basse enfance que sortiront, dans toute leur pureté, ces courants d’aromes [sic] dont les brillantes propriétés modifieront l’ensemble physiologique de l’homme, et mieux encore de l’univers […].
Le meilleur moyen de mettre l’humanité et le globe en demeure de fabriquer ces fluides bienfaiteurs, serait donc de soustraire les nouvelles générations au régime civilisé ; établir les conditions nécessaires pour qu’elles soient élevés suivant les exigences de l’attraction […] [18].
Une loi de physiologie, admise en règne végétal et animal, c’est qu’il est plus facile de modifier les êtres dans leurs facultés en les prenant avant leur naissance ou immédiatement après. On sait, en effet, que les horticulteurs perfectionnent les espèces en agissant sur des êtres qui ne sont pas nés. C’est par versement de pollen d’une espèce ou variété qu’ils sont parvenus à obtenir toutes ces espèces ou variétés qui font le charme des amateurs. C’est ainsi que l’on procédera en harmonie pour perfectionner la race humaine. Mais l’on ne peut pas, en civilisation, commencer cette opération du croisement des races qui ne sera terminée qu’après douze générations. Il faut donc exercer son action sur des êtres peu éloignés de leur naissance, fonder l’école des instincts [...] [19].

Pour Leray, s’appuyant tant sur Leibniz que Fourier, l’éducation doit changer la face du monde. Néanmoins, les principes de l’’harmonie ne peuvent être transmis à des adultes « arrivés à leur apogée ». L’adulte ne pourra atteindre tout au plus que le garantisme ; il faut suivre

la route tracée par le jardinier : cultivons de jeunes sujets, élaguons-en tous les vices et répandons sur leurs fleurs la poussière fécondante de l’harmonie […]. L’homme qui connaîtra les diverses parties du globe, sera un bon géographe ; celui qui connaîtrait à fond les principes de la science passionnelle, ne serait pas pour cela un harmonien, mais tout au plus un socialiste [20].

L’essai enfantin lui paraît conforme aux vœux de Fourier et adopté par les actionnaires de Condé-sur-Vesgre dès le 27 septembre 1833. Le projet, repris sous le nom de Maison rurale d’apprentissage par Guilbaud en janvier 1837, voit selon Leray le jour à Naintré sous l’impulsion de Jouanne et Gauvain. Cette réalisation lui semble indispensable car

tout porte à croire que le découragement ne tardera pas à s’emparer de bon nombre des partisans de la science sociale, si les sacrifices présents n’amènent pas de résultats [21].

La maison rurale d’apprentissage offre l’atout de se faire en dehors de l’École sociétaire, permet d’élargir les bases de la souscription mais est envisagée « sur des bases telles qu’elle puisse un jour contenir 200 enfants et se transformer facilement en essai sociétaire » [22]. Leray souligne les garanties financières qu’apporte ce projet ; le mobilier agricole couvre les deux tiers des 60000 francs nécessaire à la réalisation, hors achat de la propriété. L’accueil progressif des enfants « par essaims successifs de 60 enfants » [23] permet d’estimer la perte éventuelle en cas d’échec à 11 francs par phalanstérien. Les arguments convainquent les condisciples nantais de Leray qui

ont bien senti tout l’avantage qu’il y aurait à recueillir pour la cause phalanstérienne de favoriser la fondation de la maison d’apprentissage de Maintré ; Aussi viennent-ils d’accorder à cet établissement leur concours collectif et individuel [24].

Constant-Liberté Leray décède cette même année 1846. Le soutien espéré ne porte pas ses fruits, la société est liquidée en février 1847.