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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Barré, Raphaël (Auguste)
Article mis en ligne le 1er mai 2016
dernière modification le 2 mai 2016

par Desmars, Bernard

Né le 1er août 1858, à Paris (Seine). Ouvrier typographe, directeur d’une coopérative, puis administrateur de la Chambre consultative des associations ouvrières de production et directeur de la Banque coopérative. Proche des fouriéristes de l’Union phalanstérienne et de l’École Sociétaire Expérimentale des environs de 1900 à 1911.

A la sortie de l’école primaire, Raphaël Barré entre à l’École professionnelle de l’imprimerie Chaix et Cie ; il en sort en 1876, premier de sa promotion, avec la qualification de compositeur typographe. Il travaille d’abord pour l’imprimerie Chaix (1876 et 1877), puis, après le passage par une autre entreprise, il rejoint en 1879 une société coopérative (l’Imprimerie nouvelle – Association ouvrière), établissement qu’il retrouve après son service militaire (1881-1883) et dont il devient directeur en 1887. Cette même année, il entre dans le conseil d’administration de la Chambre consultative des associations ouvrières de production, qui s’efforce de rassembler et d’aider les coopératives de production. En 1892, il quitte l’Imprimerie nouvelle et se consacre désormais au développement de la coopération [1].

Un responsable de la Chambre consultative

Dans les années 1890, il devient un des principaux dirigeants du secteur coopératif en cours d’organisation. Il est très proche d’Henry Buisson, directeur de la société Le Travail et personnalité importante du monde coopératif dans la dernière décennie du XIXe siècle. En 1894, Barré obtient un emploi de secrétaire-caissier à la Banque coopérative, créée en 1893 par la Chambre consultative, afin de faciliter le financement des associations ouvrières. En 1899, il est l’un des fondateurs de l’Orphelinat de la coopération, destiné à accueillir les enfants des coopérateurs décédés. Il fait partie des principaux animateurs du Congrès des associations ouvrières de production, qui se tient à Paris en juillet 1900 [2]. Nommé vice-président, il est notamment l’auteur de trois rapports, respectivement intitulés « Du passé, des attaches philosophiques et des précurseurs de la coopération » [3], dans lequel il envisage l’histoire des associations de producteurs et de l’organisation du travail depuis l’Antiquité romaine, en passant par les corporations du Moyen-Age et les utopies de Thomas More et de Tommaso Campanella, jusqu’aux théoriciens socialistes du XIXe siècle, en particulier Saint-Simon, Owen, Buchez et Fourier, présentés comme les précurseurs de la coopération ; « De la Solidarité par la Coopération » [4] où il fait l’éloge de l’association et de « la période du garantisme prédite par Fourier » ; « De l’éducation coopérative ; devoirs de la coopération envers l’individu (enfant, adulte, vieillard) » [5]. Il est l’auteur d’une étude présentée en 1902 à la Chambre consultative proposant la création d’une société d’assurances appelée « Le Garantisme » ; une fois la société fondée, il est l’un de ses administrateurs [6].

Ces responsabilités au sein du monde coopératif lui valent d’être invité – pour faire partie des commissions de sélection et des jurys – à différentes Expositions universelles ; ainsi, lors de l’Exposition de 1900, au sein de la « section d’économie sociale », il fait partie de la commission de la « classe 103, Grande et petite industrie – Associations coopératives de production ou de crédit – Syndicats professionnels » [7]. Lors de ces manifestations, il reçoit des prix et des médailles, soit en tant que responsable de la Chambre consultative et de la Banque coopérative dont l’action est ainsi honorée, soit pour souligner son engagement personnel en faveur de la coopération. C’est notamment le cas lors des Expositions de Bruxelles (1897), Paris (1900), Hanoï (1902), Saint-Louis (1904), Liège (1905) et Londres (1908) [8].

Raphaël Barré participe aussi au mouvement des universités populaires. En 1900, il préside le conseil d’administration [9] d’une société formée à l’initiative de Georges Deherme, afin de réunir dans un seul lieu des activités coopératives et, syndicales, culturelles (bibliothèque, théâtre, cours, conférences, concerts), ainsi qu’un gymnase, un « café de tempérance », un restaurant coopératif, des bains … Cependant, ce « Palais du peuple » n’aboutit pas, les fonds réunis par souscription étant insuffisants [10].

Disciple de Fourier ou « compagnon de route » de l’École sociétaire ?

Barré fait partie des dirigeants du monde coopératif qui mettent en avant les origines fouriéristes de la coopération et qui apportent leur soutien aux derniers partisans de la doctrine sociétaire. Dans les années 1890, il soutient l’initiative de Buisson qui a décidé de se rapprocher d’Adolphe Alhaiza et de l’École sociétaire afin d’ériger un monument en hommage à Fourier [11]. Lui-même est mentionné pour un versement de 5 francs [12]. Vers 1900, le mouvement phalanstérien se scinde en deux courants, l’un antisémite et xénophobe, dirigé par Alhaiza, l’autre, dreyfusard et pacifiste, représenté par l’École Sociétaire Expérimentale et l’Union phalanstérienne. Les dirigeants de la Chambre consultative, et en particulier Barré, fréquentent les manifestations de cette seconde tendance, qui, dépourvue d’organe propre, est accueillie dans les colonnes de leur périodique, L’Association ouvrière.

En juin 1901, certains fouriéristes de l’Union phalanstérienne et de l’École sociétaire expérimentale, afin de fêter la sortie en librairie de Travail, le roman de Zola en partie inspiré du modèle phalanstérien, annoncent un banquet en l’honneur de l’écrivain. Barré fait partie du comité d’organisation de la fête [13]. Il assiste également à plusieurs reprises, parfois avec sa femme, à la cérémonie qui, chaque 7 avril, célèbre l’anniversaire de la naissance de Fourier par un rassemblement devant sa tombe au cimetière Montmartre, puis par un passage devant sa statue place Clichy et enfin par un banquet organisé dans un restaurant du quartier ; il y prend souvent la parole [14]. On le voit aussi intervenir, au nom de la Chambre consultative des associations ouvrières de production et de la Banque coopérative, lors de cérémonies organisées pour rendre hommage aux fouriéristes Faustin Moigneu et Jean-Baptiste Noirot, le premier ayant largement contribué en 1894, par un don de 500 000 francs, à la survie de la Banque coopérative [15]. En 1906, Barré prénomme l’un de ses enfants Faustin, « en souvenir du généreux bienfaiteur de la Banque coopérative » [16].

A la différence de Buisson qui se présente explicitement et constamment comme un fouriériste, Barré a une attitude plus hésitante. Le plus souvent, il ne se considère pas comme un disciple de Fourier, même s’il lui rend fréquemment hommage. Lors de l’inauguration du monument élevé par la Ligue de l’enseignement et la Banque coopérative en mémoire de leur bienfaiteur Moigneu, il s’adresse ainsi aux représentants du mouvement sociétaire :

A vous, phalanstériens, qui tenez le flambeau de la Justice, de la Solidarité, nous vous remercions de votre lumière, nous vous suivons, comme Faustin Moigneu, votre condisciple, dans la voie de l’Harmonie, en ayant comme lui et comme vous l’amour du travail et le culte de l’Humanité [17].

Et à l’occasion d’un banquet du 7 avril :

Si nos associations sont issues de l’esprit de liberté existant constamment dans les classes laborieuses, elles sont aussi cousines de la doctrine sociétaire prêchée par Fourier, relativement au travail attrayant. […]

La formule : capital, travail, talent, guide toujours nos Coopératives dans la répartition de leurs bénéfices et l’éducation sociale et la solidarité restent notre but comme elles sont le fondement de la morale fouriériste.

Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs, je vous disais tout à l’heure que nos Associations étaient cousines de l’École Sociétaire et pourquoi nous rendons hommage avec vous au génie de Charles Fourier.

La conception de Fourier n’a pas été profitable seulement aux associations, le socialisme lui a fait de larges emprunts. Fourier est considéré comme un des précurseurs du socialisme.

Le travail, la famille, l’éducation, ont évolué dans le sens que préconisait Fourier.

L’hygiène dans les ateliers, la diminution des heures de travail, les retraites pour la vieillesse, les crèches, les cantines scolaires, les écoles professionnelles ont été inspirées de ses vives critiques ou de l’originalité de sa doctrine.

On a beaucoup plaisanté la bizarrerie de ses expressions, on a beaucoup ri de son système de classer les mobiles humaines en un clavier immuable de douze passions humaines, mais nous, nous resterons toujours fidèles à ses dominantes qui sont : le travail, l’éducation et la solidarité [18].

Sans se déclarer lui-même phalanstérien, il situe les progrès des coopératives dans une perspective harmonienne ; en 1910, à un disciple de Fourier demandant que l’on travaille sérieusement à l’organisation d’une commune industrielle, il répond en mettant en valeur les progrès de la coopération, affirmant que « le plus bel hommage que l’on pût rendre à Charles Fourier était de voir ses théories passer dans le domaine de l’application » [19].

Le retrait vers 1910

En 1910, la Chambre consultative demande au ministre du Commerce et de l’Industrie l’attribution de la Légion d’honneur à Barré ; elle lui envoie l’état des services effectués par le directeur de la Banque coopérative :

Nous sommes persuadés que vous les trouverez dignes de faire obtenir à ce bon et loyal républicain la distinction honorifique que nous sollicitâmes à l’occasion de l’Exposition de Londres de 1908.

On ignore si Barré a effectivement reçu cette décoration [20]. Mais sa position s’affaiblit au sein des institutions coopératives en raison de la situation financière de la Banque coopérative. Souhaitant encourager la création de nouvelles sociétés, il a mené une politique de crédit très généreuse. Selon l’un de ses successeurs,

coopérateur convaincu, animé d’un grand idéal dont il savait communiquer la flamme à ses auditeurs, au cours des réunions du conseil et des congrès, [Raphaël Barré] était plutôt philosophe que banquier. Au surplus, cet homme au grand cœur ne savait pas dire : Non !. Toutes les sollicitations étaient accueillies favorablement par lui, pourvu qu’elles fussent d’ordre coopératif [21].

D’après le même témoin, beaucoup de prêts sont accordés sans étude approfondie à des entreprises n’offrant pas les garanties suffisantes ; certaines sont incapables de rembourser, ce qui place la Banque dans une situation financière périlleuse [22]. En 1912, la Banque est virtuellement en cessation de paiement et son existence est menacée. Barré, dont les compétences et la rigueur gestionnaires sont mises en cause, mais dont la probité n’est pas suspectée, démissionne à la fois de son poste de directeur et de son siège d’administrateur.

On ne le voit plus dans les années suivantes, ni dans le secteur coopératif, ni dans les quelques manifestations fouriéristes qui sont encore organisées.