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Baudier, Jean-François
Article mis en ligne le 29 novembre 2016

par Desmars, Bernard

Né le 29 juin 1803 à Semur-en-Auxois (Côte-d’Or). Géomètre, architecte, exploitant agricole. Membre du groupe phalanstérien de Semur. Auteur d’un projet de colonies agricoles pour enfants. Envisage en 1854 de participer à la colonie de Réunion (Texas).

Jean-François Baudier est le fils d’un boulanger. A partir de 1820, il fait des études d’architecture à Paris, affirme-t-il en 1854, dans un courrier qu’il adresse au centre parisien de l’École sociétaire, sans apporter de précision sur la durée de ses études [1]. En 1827, il repart en Côte-d’Or où il occupe pendant près de dix ans un poste de géomètre au service cadastral du département. Il se marie en 1835 avec Adèle Sallez, fille d’un limonadier de Saulieu. Hector Gamet, est témoin du mariage ; il est aussi présent lors de la déclaration de naissance de la fille du jeune couple, en 1838.

Architecte dans l’arrondissement de Semur-en-Auxois

En 1836, Baudier est recensé à Semur-en-Auxois ; il indique la profession de géomètre, fonction qu’il semble exercer d’abord au sein du cabinet Creusot avant de s’installer à son compte [2]. Cependant, dans sa lettre de 1854, il affirme qu’en 1837, il a « été chargé par l’administration locale de l’emploi d’architecte voyer de l’arrondissement de Semur ». En réalité, il est un architecte libéral, même s’il travaille souvent pour les municipalités.
En effet, la loi Guizot (1833), qui oblige toute commune à entretenir une école primaire, favorise la construction de beaucoup d’édifices scolaires, souvent associés à des mairies. Le sous-préfet de l’arrondissement de Semur encourage ces constructions et adresse les municipalités à Baudier qui reçoit de nombreuses commandes. Certains projets n’aboutissent pas, car Baudier, qui se préoccupe peu des coûts, élabore des plans parfois incompatibles avec les ressources municipales ; acceptant difficilement les compromis, il entretient des relations difficiles avec les maires. Néanmoins, son activité est très importante jusqu’en 1847 [3] . Il dirige la construction de nombreuses mairies-écoles (Viserny, Villaines-les-Prévôtes, Villeberny, entre autres). Raymond François, qui a étudié ses réalisations architecturales, souligne « la volonté, constante chez Baudier, d’affirmer le caractère public de l’édifice. Le campanile, pourtant très critiqué, car source de désordres en toiture, était pour lui un élément récurrent de ce marqueur visuel » [4].
Pourtant, les architectes dijonnais, et en particulier l’architecte du département de la Côte-d’Or Pierre Paul Petit, sont assez critiques envers ses compétences et ses réalisations. Ignorant sans doute son passage dans une école d’architecture parisienne, ils lui reprochent des études trop sommaires. Selon Petit :

M. Baudier, jusqu’ici géomètre, s’est improvisé architecte et il a pensé qu’il suffisait de vouloir pour mettre en pratique un art dans lequel on n’acquière de l’expérience qu’après de longues études [5].

Ses plans et ses réalisations sont peu estimées de ses confrères. Dans d’un projet de construction d’une mairie-école à Buffon, Petit relève une erreur et ajoute :

C’est un défaut de jugement de la part de l’auteur du projet dont l’étendue des connaissances ne lui permettront jamais que de faire ce qu’on appelle de la bâtisse [6].

Parallèlement, il est chargé par les municipalités de Semur et d’Avallon (Yonne) d’étudier un nouveau tracé de la ligne Paris-Lyon, qui passerait par ces deux villes [7]. Officier de la garde nationale en 1842, il fait partie en 1844 des électeurs censitaires pour les élections communales [8]. Il est aussi membre du comité d’agriculture de l’arrondissement de Semur.

Membre du groupe phalanstérien

Il fait partie du groupe phalanstérien de Semur, réuni autour de Jean-Jacques Collenot [9]. Il y retrouve notamment son ami Hector Gamet. Il assiste le 27 janvier 1846 à une conférence prononcée par les propagandistes fouriéristes, Jean Journet et Jean-Baptiste Chauvelot [10].

Cependant, sa situation matérielle se dégrade. Les municipalités pour lesquelles il travaille le rémunèrent avec retard. Certains projets n’aboutissent pas. Peut-être les critiques portées par l’architecte du département dissuadent-elles certains clients potentiels de faire appel à lui. En 1847, il change d’activité et devient fermier du domaine agricole de Vulsain (300 hectares) situé sur la commune de Semur-en-Auxois. Il ne peut régler le propriétaire, Arnoult, un homme d’affaires parisien, aux échéances prévues. En 1848, il doit céder à Arnoult les créances de son cabinet sur les communes pour lesquels il a effectué des plans [11]. Il exploite le domaine jusqu’en 1850, quand il en est évincé. Il est alors abonné au journal Le Peuple, publié à Dijon [12]. On ne sait si c’est en raison de ses opinions socialistes ou à cause des critiques émises par ses confrères architectes, mais en janvier 1850 le préfet de la Côte-d’Or écrit au sous-préfet de l’arrondissement de Semur que les municipalités ne doivent plus recourir à Baudier, si celui-ci revient à la construction :

à raison de sa nouvelle profession de fermier d’une exploitation importante [Baudier n’a pas encore quitté le domaine de Vulsain à ce moment] et pour d’autres motifs que ma correspondance vous a fait connaître, [Baudier] ne doit plus être admis à présenter des projets de travaux communaux [13].

Baudier est candidat en 1851 à un poste de professeur à l’Institut agronomique de Versailles. En vain.

Vers le Texas ?

Un peu plus tard, Baudier et sa famille s’installent à Belleville, près de Paris. Sa femme y décède en janvier 1854 et leur fille en juillet suivant. Il lit Au Texas, la brochure rédigée par Victor Considerant. Il se déclare très intéressé par le projet d’installation aux États-Unis. Il ne peut prendre des actions de la société, écrit-il ; mais il demande à être admis au nombre des colons. Veuf et sans enfant, il est « complètement libre » et il souhaite « faire partie de la première cohorte qui sera envoyée sur les lieux » ; il pense, en raison de son expérience professionnelle, « y être dès le début d’une certaine utilité », notamment pour « l’appréciation du sol au point de vue agronomique, comme aussi pour les opérations géodésiques et autres ». Il a aussi l’expérience du travail agricole :

je ne fais pas de l’agriculture en amateur, mais bien en hardi travailleur qui conduisait toujours la première des dix charrues dont se composait le train de la ferme que j’ai quittée par force.

On peut, ajoute-t-il, prendre des « renseignements sur [son] compte » auprès de Collenot et de Gamet : « ces deux citoyens sont mes camarades et nos coreligionnaires » [14].

Cependant, Baudier n’est vraisemblablement pas parti pour le Texas. En tout cas, il ne fait pas partie des membres de la colonie de Réunion qui ont pu être recensés [15].

Un projet de colonies agricoles

En 1858, Baudier publie un ouvrage dans lequel il présente un projet de colonies agricoles pour enfants. Il s’agit de lutter contre le départ des ruraux vers la ville en revalorisant l’agriculture. Il prévoit la formation d’une colonie accueillant des garçons et des filles de 12 à 21 ans ; ils y recevraient une instruction religieuse, une instruction primaire, des savoirs théoriques liés à l’agriculture (géologie, chimie, physiologie animale…) et ils prendraient part aux travaux agricoles, artisanaux et ménagers.

Projet de colonies agricoles (source : Gallica)

Baudier prévoit de commencer par une « expérimentation » avec une première colonie, qui recevrait des orphelins et des enfants abandonnés confiés par l’Assistance publique ; ensuite, chaque département aurait sa colonie (de 540 enfants chacune environ), auxquelles les parents confieraient aussi leurs enfants pour leur assurer une solide qualification professionnelle.

Baudier ne fait aucune référence à Fourier. On trouve cependant dans son livre quelques échos de la théorie sociétaire, quand il souligne que la prospérité de toute entreprise est « subordonnée à un assemblage de forces », « le capital, […], le travail [et] la direction » [16] ; ou encore quand il dit vouloir donner à chaque enfant

une instruction spéciale et en vue d’une position que nous lui réservons dans l’avenir ; position qui sera toujours conforme à ses goûts, et que nous espérons lui voir mériter, ou acquérir, par ses aptitudes naturelles auxquelles nous donnerons tout le développement voulu [17].

L’essentiel du texte rédigé par Baudier concerne les travaux agricoles : les fumures, les assolements, les méthodes de labour, le bétail, etc. Sur la vie quotidienne des enfants, leurs conditions d’hébergement, leur encadrement, l’auteur n’apporte aucun renseignement. Il annonce la parution d’une seconde brochure dès l’acquisition d’un domaine, afin de préciser les conditions d’installation. Mais, tout en assurant que l’entreprise sera rentable, il ne signale pas la création d’une société et n’indique pas la façon dont le capital peut être réuni, ni le mode d’administration de la future colonie. Ce projet ne semble d’ailleurs pas avoir eu le moindre commencement d’application.