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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Correspondance André Breton – Simone Debout-Oleszkiewicz
Article mis en ligne le 1er juin 2020
dernière modification le 29 mai 2020

par Breton, André, Debout, Simone

André Breton [1] à Simone Debout, le 30 juillet 1958 [2]

Je songe avec grande mélancolie que j’ai laissé passer les jours… Je voulais tant vous dire, surtout vous rendre sensible l’extrême bien que je pense de cette thèse, que vous m’aviez présentée bien trop modestement comme des « notes » et dans laquelle non seulement s’est exalté mon amour pour Fourier mais encore ne m’ont pas un instant quitté le si beau bleu et la si grande loyauté de votre regard. — Accepteriez-vous de nous laisser publier un extrait dans le n° 5 du Surréalisme, même [3]  ? Cela permettrait aussi de donner un ou deux portraits de Fourier. Avez-vous bien reçu le 1er n° du 14 juillet [4] ? Nous tiendrions beaucoup à savoir ce que vous en avez pensé, même si vous n’êtes pas d’accord.

Agréez, très chère Madame, mes respectueux hommages,

André Breton

Simone Debout à André Breton, le 6 septembre 1958 [5]

St Jean de Vaulx

lundi 6 septembre 1958

Monsieur,

Votre carte m’a suivi en plusieurs étapes d’un voyage tourmenté, mais quand enfin elle arriva elle me fut infiniment bonne — une part réelle d’Harmonie — pendant des semaines troublées de grandes peines et de petits tracas. Je ne trouvais pas alors, pour vous répondre, l’instant de solitude et de paix et je vous prie de me pardonner ce retard. Je souhaitais pourtant vous dire ma reconnaissance — un sentiment renouvelé et très ancien puisqu’il dure depuis le temps où pour la première fois — avec admiration, avec enthousiasme, j’ai lu Nadja et L’Amour fou [6] — et puisque le bonheur de cette découverte passée est intimement lié à mon travail sur Fourier et à ma vie.

Je me réjouissais certes de voir paraître quelques parties de cette future thèse dans Surréalisme, même avec des portraits de Fourier, mais je suis un peu inquiète à la pensée que, pour une bonne part, ces notes ne sont pas achevées. Pourriez-vous me dire, Monsieur, ce que vous désireriez imprimer car, selon votre jugement, je pourrais reprendre le morceau à publier. J’ai déposé le sujet à la Sorbonne sous le titre général : Le système de Fourier. Je pensais continuer à écrire pour reprendre l’ensemble. Il y aurait sans doute trois grandes parties : les passions — l’éducation selon Fourier et la cosmogonie, la métaphysique de Fourier. C’est à M. Gouhier que je me suis finalement adressée [7]. Il accepta immédiatement de rapporter ce travail, et se montra très libéral, intéressé aussi par le courant mystique que Fourier sans doute reprit et recréa à sa manière. Je voudrais tenter, et ce serait la thèse complémentaire : Les sources de Fourier, de retrouver cette voie cachée et source vive. J’ai commencé cette étude par des recherches au hasard, mais tout en confirme l’idée. Je n’ai pas reçu 14 juillet et je n’ai pas réussi jusqu’alors à me le procurer, mais aussitôt que je l’aurais vu je vous dirais mon sentiment. Le souci d’un malade ne me permet pas de faire des projets certains. Je voudrais cependant passer quelques jours à Paris pour lire les manuscrits inédits de Fourier [8]. Je serais très contente alors de vous parler un instant de cette lecture. J’aurai désormais — de toute manière — un peu plus de loisir que pendant les mois d’été, vacances inversées, et je m’occuperais avec joie de ce qui vous paraîtrait souhaitable pour votre revue.

Croyez, Monsieur, en mes sentiments respectueux.

Simone Debout

André Breton à Simone Debout, le 15 septembre 1958 [9]

Paris le 15 septembre 1958.

Très chère Madame,

comme Daniel Martinet [10] était passé par St Cirq, je savais qu’il vous devait mon adresse de vacances, donc que vous aviez bien reçu ma carte. Il m’avait fait part de votre manque de loisirs actuel, ce qui m’avait rassuré, car je craignais de vous avoir déplu. Je suis désolé d’apprendre par vous que la maladie d’un être qui vous est cher y était pour beaucoup. Daniel Martinet m’avait dit aussi que vous ne pouviez envisager la publication d’un fragment de votre étude sur Fourier sans avoir obtenu au préalable l’assentiment de votre président de thèse, ce qui m’avait paru trop naturel.

Bien que vous m’ayez présenté cette étude comme une ébauche, je crois vous avoir dit que je la trouvais pour la majeure partie fort au point (sauf, peut-être, l’épilogue). Je ne l’ai pas pour l’instant à portée de main, l’ayant prêtée à Jean Schuster pour qu’il me dise, entre deux fragments que je lui ai désignés, celui qui lui paraît le plus désirable pour la revue. Mon hésitation porte, en effet, entre « Fourier et la psychanalyse » (page 131 à 148) qui a l’avantage de constituer un tout et ce que l’on pourrait faire partir du bas de la page 97 — il s’agit et je m’en excuse d’une phrase commençant par mon nom pour aboutir à la fin d’un alinéa de la page 148 que je ne saurais, de mémoire, préciser. Je marque évidemment de cœur une grande préférence pour ce dernier fragment qui traite en toute pénétration et avec le plus grand bonheur de ce qui m’a toujours le plus occupé au monde. Je crains, toutefois, qu’il n’entre de ma part trop de subjectivité dans ce choix et, aussi, que vous ne résistiez à l’idée de distraire ces pages de celles qui les précèdent et les suivent [11].

La relecture, nécessairement plus féconde, de votre ouvrage à mon retour à Paris a eu le don de me faire passer les jours les plus clairs et les plus propices que j’aie connus depuis longtemps. C’était comme si, grâce à vous, le bel arbre de Fourier venait pour moi de fleurir, encore plus resplendissant et odorant, une seconde fois. Je suis absolument persuadé que vous seule, de par la structure affective qui vous est propre, êtes à même de provoquer, en faveur de Fourier, un vaste courant attractif que la sécheresse, la pusillanimité de ses commentateurs n’a fait jusqu’ici que contrarier. Si Fourier doit être — enfin ! — interrogé passionnément, comme il l’exige, et non plus du bout des lèvres (passionnément, comme on interroge Rimbaud, que vous citez toujours si juste, par exemple), c’est à vous qu’il le devra — et vous savez que, lorsque je vous dis cela, il y va, à mes yeux, de l’avenir du monde.

J’ai toujours pensé moi-même qu’on n’« éluciderait » tout à fait les profondes intentions de Fourier qu’en tirant au clair le problème de ses sources ésotériques. Il a, je crois, correspondu avec Ballanche, n’est-ce pas ? À quelle exposition ai-je pu voir il y a quatre ou cinq ans, peut-être davantage, des motions de loges lyonnaises, il me semble, qui étaient relatives à lui ? Je me sens très coupable de n’avoir pas pris de notes à ce sujet.

Un ami m’a procuré deux portraits inédits de Fourier, qui ont pour moi l’immense intérêt de révéler son regard. Le premier de profil, au crayon, daté 1831, a été exécuté par un député, Baudet du Lary. Le second, de face à l’huile, reste rigoureusement anonyme mais est très beau (d’une présence extraordinaire). Je me fais fête de vous les montrer.

Veuillez agréer, très chère Madame, tous mes hommages.

André Breton

Simone Debout à André Breton, le 29 septembre 1958 [12]

29 septembre 1958

Monsieur.

Votre lettre m’a accueillie à Grenoble, et j’ai lu avec joie que Fourier vous était apparu, à travers cette étude, une seconde fois — et brillant comme je souhaite qu’il paraisse. Je voudrais qu’on le voie en effet — avec le grand élan qui emporte son œuvre et tous les détails, drus et nuances — comme un bel arbre fleuri.

J’ai été happée à mon retour par bien des choses à faire et, navrée, j’ai laissé passer les jours avant de vous écrire, mais votre lettre à mon arrivée était comme le signe de meilleurs temps et je me fie à cette idée.

J’ai relu les passages de mes notes que vous avez choisis, je préférerais moi aussi le 2ème fragment. Il me semble même qu’il serait plus souhaitable pour votre revue, les discussions sur la psychanalyse encombrant les revues spéciales et Les Temps modernes. Mais peut-être pourrait-il commencer quelques phrases avant l’alinéa que vous m’indiquez p. 97 — afin de faire entrevoir les élans de cœur auxquels Fourier rattache la sexualité. Il suffirait de quelques lignes qui relieraient ce fragment à ce qui précède — par exemple l’avant dernier alinéa p. 95, « l’amour de charme… », en supprimant ceux qui suivent jusqu’à la p. 97.

Peut-être irais-je à Paris en octobre… alors il serait facile de voir ce que décidément vous préférez, Monsieur, je pourrais aussi parler à M. Gouhier de cette publication. Je lui dois cette politesse il est vrai, mais Daniel Martinet me paraît en avoir exagéré le souci ; je pense que M. Gouhier ne pourrait m’objecter que la nécessité pour une thèse d’être entièrement inédite — en ce cas je modifierais simplement plus tard la forme du passage publié.

Je me réjouirai de voir les portraits de Fourier que vous possédez. Déjà, dans L’Humour noir vous avez reproduit le plus saisissant que je connaisse [13] et je suis émue de lire comment à travers ces images vous cherchez le regard — qui ne révèle pas tant un être qu’il ne traverse les autres, à distance, au-delà des siècles peut-être — par la grâce d’un portrait capable de redoubler cette merveille.

J’ai reçu 14 juillet il y a quelques jours et je l’ai lu comme on retrouve un air natal ! Votre page, avec la citation de Fourier [14], réplique admirable à la phrase d’un général assez inspiré pour inquiéter ceux qui doutent faiblement, le très bon article de C. Lefort [15], le passage généreux d’Antelme sur le besoin d’être reconnu sans limite, l’espoir d’une nouvelle gauche enfin massive, en font un tout varié mais uni. J’aime aussi la violence de Marguerite Duras car elle a sa place dans une revue qui réclame le droit à la vérité — au contraire je n’apprécie guère l’article leader de D. Mascolo et J. Schuster parce qu’il sacrifie à l’inflation verbale imprécise, dénoncée en d’autres pages. Certes il est difficile d’être ferme sans amplifier, mystifier quelque peu, mais retrouver la clarté hardie, la sincérité envers soi-même et les autres, serait une belle tâche pour un journal révolutionnaire [16].

Je reçois « l’envoi spécial » de 14 juillet à l’instant [17]. Il est beau, ce matin 29 septembre, comme un drapeau noir haut levé, mais je lui reproche encore de confondre le style tract et celui d’un article frappant et puis cet « incivisme », cet « esprit d’insoumission » sont trop négatifs. Si les votants oui ont voulu ignorer tout ce que le profit met au jour ce n’est pas seulement par crainte, mais parce qu’ils espèrent un renouveau. De Gaulle a flatté les espoirs de « grandeurs françaises » les plus périmés, mais aussi le goût de vivre de gens de gauche, découragés par leurs partis. Il n’est plus illégal — mais sa victoire ambiguë atteste une défaite bien claire de la gauche. L’échec passé du RPF et sa victoire actuelle prouvent à la fois que de Gaulle n’est pas voulu pour ce qu’il est — et que les gouvernements récents ne l’ont pas été pour ce qu’ils accomplirent. Hier n’a pas été le jour « d’une vraie bataille ni d’un vrai jugement » et il est vrai que celle-ci peut commencer et celui-là se préparer. De Gaulle, ses grands gestes répétés et ses belles paroles sont le simulacre des « en marche », mais il a gagné sans bataille parce qu’il n’y avait plus d’autre élan. Je me méfie d’une résistance qui unirait une fois de plus des opposants par un seul refus. La gauche a été vaincue sans bataille. Même si, comme je le pense, de Gaulle ne représente pas un fascisme — voilà qui est certain — et nouveau : le socialisme ne vit plus vraiment en France. Il faut retrouver ce qui pourrait le vêtir de « couleurs impulsives ». La fraîcheur de Fourier alors et encore me paraît irremplaçable — et ses critiques, sa rage créatrices. De Gaulle va jouer son jeu. Il faudra le critiquer. Les partis communistes et socialistes, eux sont à réinventer. C’est parce qu’on ne peut plus croire en eux que de Gaulle est si largement plébiscité. Ce grand homme est un accident du pourrissement socialiste. Il risque d’échouer avant que rien de valable ne soit recréé. La Résistance au gouvernement Pétain et aux Allemands a prouvé que lutter ensemble contre des abus ne prouve aucune entente profonde et pas même du libéralisme [18]. Certes le refus d’aujourd’hui est plus précis que celui d’hier et la confusion parmi ceux qui s’unissent pour de Gaulle. Il faut en profiter pour donner à voir un autre avenir et peu à peu rallier ceux qui sont capables, peut être ?, de le faire — ou de l’approuver. L’insoumission inconditionnelle aujourd’hui ne me paraît qu’un alibi personnel.

Peut-être ai-je été pervertie aussi par le trop fameux souci de l’histoire puisque je ne crois plus que des exigences politiques puissent être « sans date ». Le point d’équilibre entre le vrai jugement et celui qui aura une portée politique me paraît plus difficile que tout autre à découvrir — mais de lui jaillit la véritable invention politique.

Je rêve il est vrai d’un parti de gauche que l’on ne vit plus depuis Lénine — ou qui peut-être ne fut jamais. C’est une mauvaise disposition pour juger des choses faites. Mais cette réticence me paraît aujourd’hui plus ou moins claire celle du grand nombre. Il faudra donc bien compter avec elle. C’est pourquoi des positions de principe trop analogues à celles que prendra le parti communiste et sans « autocritique » sont trop aisées, elles me semblent irréelles au même titre que de Gaulle — et plus encore. Il m’importe de savoir pourquoi on a méconnu dans la mauvaise foi les raisons de dire non et pourquoi on a dit oui. Ces raisons là demain mettront de Gaulle en demeure — et peut être permettront-elles de former sa relève.

J’aurais préféré vous dire ces choses, Monsieur, au lieu de les écrire trop longuement. Ma grande sympathie pour 14 juillet et le plaisir que je prends à son beau titre disparaissent derrière ces critiques mais je ne voulais pas vous donner à demi mon impression.

Croyez, Monsieur, en mes sentiments respectueux.

Simone Debout

Simone Debout à André Breton, le 26 décembre 1958 [19]

vendredi 26 décembre 1958

Monsieur.

J’ai le désir de vous écrire quelques lignes, et le sentiment qu’elles relieront ces jours de fête à ce qui m’occupe et dont je suis séparée. Cela fut pour moi toujours votre bienfaisant prestige — un merveilleux pouvoir contre les murailles d’impossibles, et maintenant il s’accroît d’une lumière ou d’une douceur plus familière. Je n’ai pas oublié pourtant ce que vous constatiez : la glace qui subsistait pendant mes visites. Peut-être est-il plus facile d’y échapper de loin, et, de ces instants, je garde d’autres images — belles comme les ailes de ce papillon sur votre table, d’un rose ardent exceptionnel, qui se reliait au foyer de votre pipe, l’image aussi de Fourier bien sûr, de ce portrait qui, au contraire de mon attente, ne venait point tant vers nous, qu’il n’ouvrait sur lui [20].

C’est ainsi que l’on saisit parfois le passé, ou un individu en eux-mêmes, pour eux-mêmes — avec un amour étrange — celui là tout à fait généreux.

Je regrette de ne pas être plus souvent à Paris, mais je compte fermement changer cela à partir des premiers mois de l’année — alors je vous dirai, avec un grand plaisir, mes passages.

Pour les pages destinées à votre revue, j’ai écrit un début afin de ne pas isoler l’analyse de la sexualité du projet total de Fourier, et pour marquer la différence entre la vérité qu’il vise et l’idée d’une norme saine, etc. — selon les sots. Il me semble qu’ainsi et jusqu’au début de la page 108 fin du 1er alinéa cela fait un tout. Je joindrai à ma lettre ces deux morceaux qui pourraient être intégrés aux pages 96 et 97, si vous le jugez bon.

Je n’ai plus jamais reçu 14 juillet. C’est dommage mais paraît-il encore ? Bien que je persiste à critiquer la forme qu’ils donnèrent à leur accusation, je vois trop la sottise qu’il y eut à croire, si peu que ce fût, en un homme isolé, et gonflé de son importance — vaine. Quant au fait qu’il ne soit pas légal — selon 14 juillet — hélas, si ce n’est lui c’est pis encore, après les élections. La médiocrité et l’inertie des choses et des gens, si elles ruinent toute idée d’une harmonie préétablie ou d’une progression matériellement fondée, rendent bien difficile celle qui est à créer. Aurait-on la force d’y croire s’il n’y avait des hommes comme Fourier, et comme vous, Monsieur. Je vous l’ai dit déjà, mais je l’éprouve toujours plus profondément. C’est là une forme d’action bien éloignée de l’efficacité prônée par les marxistes, mais il y aurait sur cette influence bien à dire. L’utopie peut être chargée de puissances à venir. Cette jeunesse du socialisme fut un moment magnifique — un de ces passés à ressaisir, pour notre bien. Après Fourier j’entrevois quelque travail en ce sens — avec lui toujours au foyer.

La fin de l’année est mélancolique devant les montagnes brumeuses de Grenoble — mais non pas triste, car il vient une autre année encore, et bien des jours clairs. Les pressentir c’est éprouver leur source, et de ce lieu vif, je vous souhaite, Monsieur, une bonne année. Je vous prie de croire en mes pensées respectueuses. Bien sincèrement à vous.

Simone Debout

André Breton à Simone Debout, le 27 décembre 1958 [21]

Paris le 27 décembre 1958.

Chère Madame et Amie,

voici des jours, des semaines que je devais vous écrire pour vous prier de m’adresser la version définitive de votre texte à paraître dans le S., même, n° 5. J’ai si mal supporté physiquement ce début d’hiver que mon activité s’en est ressentie sur tous les plans. Comme la préparation de ce numéro ne peut souffrir plus long retard, il faut absolument que je vous demande aujourd’hui de vouloir bien me donner le plus tôt possible le fragment de votre étude dont nous avions convenu. Je vous serais très reconnaissant de me dire dès maintenant pour quand je puis l’attendre : c’est moi qui me suis mis en faute, mes amis me pressent et c’est très naturel. Donc pardonnez-moi.

Je m’excuse de vous écrire trop brièvement. Je vous prie d’agréer mes vœux les plus affectueux pour vous et les vôtres. Croyez, chère Madame, à mon entier dévouement.

André Breton

42 rue Fontaine

Paris IXe

Simone Debout à André Breton, le 7 janvier 1959 [22]

7 janvier 1959.

Monsieur,

j’ai reçu votre lettre deux jours après vous avoir envoyé ce que vous me demandiez — vous m’aviez, en effet, parlé de janvier — mais, ne pensant pas que ce soit trop pressé, je ne vous ai envoyé que les pages modifiées. Si cela vous ennuie de rechercher la suite, ou si vous ne l’avez pas près de vous, je vous l’enverrai. Dites-le moi — je vous prie — ou si quelque chose ne vous convient pas.

J’ai été peinée d’apprendre que vous n’étiez pas en très bonne santé. Je souhaite profondément que cela ne dure pas.

J’étais en montagne ces derniers jours, pour faire plaisir à mes deux garçons, et, tandis que je voyais tomber la neige sur les sapins, on m’a raconté une histoire de printemps, si belle que je souhaite vous la rapporter : une amie, qui se trouvait alors en Chartreuse, aimait voir le lever du jour. À cette bonne heure, un matin, ses voisins l’appelèrent : « Venez vite, c’est la graine des sapins » et, de la colline où elle habite, elle vit un extraordinaire spectacle : au même instant une forêt entière éclatait vers le ciel. Des sapins proches, elle voyait la graine fuser de toutes les branches. Plus loin, c’était une buée verte éclairée par le premier soleil et qui s’élevait de tout le col de Portes. Le ciel, dit-elle, devint vert chartreuse, percé de lumière par endroits et puis la graine retomba, recouvrant toutes choses d’une tendre épaisseur verte. Elle interrogea passionnément les paysans, qui lui dirent tranquillement : « C’est ainsi, mais oui, tous les quatre ans » et la merveille en paraît plus grande de ne pas se produire chaque printemps, mais tous les quatre ans. Avec un merveilleux ensemble, tous les sapins éclatent de vie [23].

Les montagnes de Chartreuse ne semblent pas civilisées — sombres et belles — mais les sapins sont plantés, coupés, cultivés et ils recèlent cette profusion sans maîtrise et cet accord à eux propres. Leur jet exubérant et sa retombée, étonne plus, lancé de ces montagnes froides, et je ne sais ce qu’un tel récit éveille ou alerte, ni pourquoi il me réjouit tant.

J’aimerais vous avoir dit là une chose inconnue car une partie du plaisir que j’en eus fut la surprise. Sinon du moins, peut-être, elle vous rappellera ce grand élan concerté, une telle harmonie dans la démesure.

Je vous prie d’agréer, Monsieur, mes pensées respectueuses.

Simone Debout

Simone Debout à André Breton, le 4 août 1959 [24]

Simone Debout

St Jean de Vaulx

par Laffrey. Isère.

mardi 4 août.

Monsieur,

j’ai eu un grand plaisir en recevant Surréalisme, même, le plaisir de voir un passage de mon travail imprimé, avec les portraits de Fourier [25], et dans un numéro où paraissait de beaux textes de vous, Monsieur, la magnifique image, tranchante et douce, qui plus loin découvre Swift : le cœur dans la flèche ravive le vieux mythe, unit le rythme enclos et le bond aigu qui franchit l’espace. Dans ce même numéro le texte de Panizza est saisissant, subtil et proche comme son diable.

La reproduction du portrait de Fourier est très bonne, elle m’a émue, à nouveau d’un grand élan vers ce mort étrangement réel. Le rayonnement de ses dons joyeux qui d’abord me retint trouve sa source et la part d’obscur qui nous captive, en haleine au bord d’événements inconnus, en cette image telle qu’elle paraît et telle aussi que je me la rappelle bleue sombre et brun d’or, comme une réserve de soleil au fond des êtres — et quelle suprématie en ce visage !

Je vous remercie de cet envoi qui m’a été d’autant plus sensible que j’ai passé des mois difficiles, en mauvaise santé et peinée jusqu’à la détresse. Occupée, par force, des fourberies des marchands [26] — disait Fourier — et comme épuisée, j’ai laissé quelque temps la thèse, mais elle me semble parfois se développer sous les besognes, et j’espère l’achever vite.

J’ai le regret de ne pas vous avoir revu — confondue depuis une longue année entre de telles tristesses et quelque joie tenace, susceptible de bouleverser en un instant l’ordre ingrat où je m’enliserais. J’aimerais vous dire un jour un tel fait de « hasard objectif » si net, appuyé sur de telles réalités extérieures impossibles à modifier qu’il fut certes merveilleux.

Croyez, Monsieur, en mon admiration et mes pensées d’amitié.

Simone Debout

André Breton à Simone Debout, le 23 août 1959 [27]

St Cirq la Popie, le 23 août 1959.

Chère Madame et Amie,

je suis peiné de vous savoir la proie de tourments dont j’ignore la nature alors que non seulement votre esprit tend vers l’harmonie mais que cette harmonie émane de votre être même. Heureusement vous me faites espérer que l’éclaircie est venue et que vous allez pouvoir achever l’œuvre que vous avez entreprise : il n’en est pas, à mes yeux, de plus d’importance.

Ce n’est pas sans grande confusion que je vous laisse me parler de ce numéro de revue contenant votre texte. Il n’a pas fini de me combler de regrets, je dirais presque de remords. Nous avons convenu, mes amis et moi, de nous en remettre à l’un de nous pour tout ce qui est de la présentation extérieure du numéro. Or, dès que je me suis trouvé cette fois en présence des épreuves, j’ai été épouvanté de la petitesse du caractère choisi pour votre étude. Le mal était, hélas, sans remède (impossibilité de faire recomposer, en raison d’un engagement envers l’éditeur et, aussi, du mode d’impression adopté, par économie, sur sa demande : offset). J’avoue ne pas avoir eu le courage de vous soumettre de telles épreuves pour correction, aggravant ainsi nos torts envers vous. Je me suis rabattu sur l’espoir que la mise en page, avec le titre et les portraits, sauverait ce qui pouvait être sauvé. Je vous prie d’agréer mes très vives excuses. Si vous le voulez bien, ce dommage tout involontaire de ma part mais bien réel sera, dans l’avenir, réparé.

Je me flatte, en effet, de cet autre espoir que vous voudrez bien me confier un autre extrait de votre étude pour le catalogue de l’exposition surréaliste qui s’ouvrira le 3 décembre [28]. À la demande de Daniel Cordier, propriétaire de la galerie, cette exposition aura pour thème l’érotisme (dans l’invitation adressée aux participants j’ai pris soin de préciser que ceci n’avait que valeur d’orientation dans le choix des œuvres, qu’il ne pouvait être question, pour nous, d’art dirigé fût-ce en ce sens et que l’érotisme était, de toute manière, bien moins affaire de contenu manifeste que de contenu latent). N’accepteriez-vous pas, à cette occasion, de présenter un inédit de Fourier, tiré d’un de ces cahiers inventoriés dernièrement dont je n’ai pas ici la référence ? Je m’assurerais, en ce cas, croyez-le bien, que la présentation du texte de Fourier comme du vôtre serait digne d’eux et je me sentirais, ensuite, moins coupable.

Croyez, chère Madame, à mes sentiments affectueux.

André Breton

St Cirq la Popie (Lot) jusqu’au 4 septembre.

Simone Debout à André Breton, le 26 août 1959 [29]

26 août 1959

Monsieur.

Je vous remercie de votre lettre. J’ai un très grand plaisir à lire vos lignes.

Certes je présenterais volontiers un inédit de Fourier : j’ai aperçu une mine aux Archives. Mais il me faudrait, pour choisir, rester quelques jours à Paris. Peut-être le pourrais-je. Les tourments dont je vous ai parlé, sans clarté, me viennent de la maladie de mon mari […] et j’ai été moi même fort mal. Je suis mieux maintenant, mais cette peine demeure. Mon mari doit bientôt entrer en clinique pour la cinquième fois. Je ne puis donc rien dire à l’avance de mon temps. Cependant jusqu’au mois de décembre je devrais me gagner quelques moments.

Quant au texte de Surréalisme, même les caractères en sont petits, il est vrai, mais les portraits de Fourier excellents et la présentation large. Une fois de plus Fourier et tout discours à propos de Fourier résisteront peut-être à ceux qui ne le cherchent ? Mon regret ne pourrait être que là. Je souhaiterais donner faim de connaître cet étrange génie, qui voulut augmenter le bonheur et qui détient sans doute « la formule ».

Je vous dirais, Monsieur, si je suis en effet à Paris à la fin du mois de septembre ou au début d’octobre.

Croyez, je vous prie, à mes sentiments sincères.

Simone Debout

Simone Debout à André Breton, le 6 1959 [30]

Grenoble 6 septembre 1959

Monsieur,

J’ai appris avec peine la mort de Benjamin Péret. Je garde de lui une image vivante : au moment de l’envahissement de la Hongrie il était près de vous pendant un meeting qui nous reliait à bon nombre de nord Africains, présents ce soir-là, et peut être aussi aux admirables révoltés Hongrois. Ma pensée à sa mort va vers vous, Monsieur, parce que je pense qu’il vous était proche, et pour d’autres sentiments plus confus : sa disparition ravive, en face d’un monde qui se défait, l’exigence d’une salve d’avenir, et non pas toute volontaire mais ancrée au cœur d’un mouvement toujours révolutionnaire auquel il fut fidèle, entre le bonheur, parfois, et la poussière à une sensibilité indéfiniment avenir.

Cependant je lis tous ces jours-ci des cahiers manuscrits de Fourier que les Archives Nationales m’ont envoyés à Grenoble ; je ne pouvais pas m’absenter et je désirais vous envoyer un texte de Fourier — avant le 15 octobre selon la demande de José Pierre. Je n’avais pas d’abord pensé qu’un tel transfert soit possible et je suis très contente de l’avoir obtenu, émue de lire Fourier en suivant, par les différences d’écriture, ses rapidités, ses fatigues, ses reprises — des sautes d’humour saisies au vif, et ses longues randonnées en Harmonie, les récits détaillés qu’il se construit. Il faudrait imprimer intégralement les cahiers. Pour le catalogue de votre exposition, j’essayerai d’en donner une idée et d’extraire quelques pages significatives, et de vous les envoyer dans une semaine.

Je vous prie de croire, Monsieur, à mes sentiments sincères.

Simone Debout

André Breton à Simone Debout, le 30 octobre 1959 [31]

PARIS 518328 16 30 1009

= POUVONS NOUS COMPTER SUR TEXTE URGENT MERCI AFFECTIONS

= ANDRE BRETON =

Simone Debout à André Breton, le 4 mai 1960 [32]

mercredi 4 mai 1960

Monsieur,

Lichtenberg, je crois, remarquait qu’un temps monotone est aussi long à vivre qu’il semble court une fois passé. Mais quand le souvenir des événements intéressants manque pour lui donner son poids, les dates affirment encore tous les jours finis, et m’attristent aujourd’hui d’autant plus que je suis coupable de ne pas vous avoir écrit plut tôt : il y eut les vacances de Pâques et puis j’ai du attendre un bon moment avant d’obtenir quelques renseignements précis sur les agathes roulées aux environs de Grenoble. Le guide auquel je pensais, ignorant tout des pierres roulées. D’autres me parlèrent d’améthystes, de cristaux, etc. Enfin un vieux collectionneur me raconta comment il découvrit de belles agathes — foncées il est vrai — près du Furon au-dessus de Grenoble à Sassenage. Il me dit que les falaises qui dominent le torrent sont riches de belles pierres qui s’effritent et que le Furon roule et dépose au temps des crues au-dessus de son lit. Il est donc possible de les découvrir, sans descendre jusqu’au lit du torrent qui est accessible, mais où les chutes de pierres sont assez dangereuses. Ces agathes roulées sont masquées par des dépôts. Il faut les deviner, les délivrer. Mais c’est une difficulté que sans doute, Monsieur, vous connaissez bien.

D’autre part le doyen de la Faculté à Grenoble est un aimable universitaire géologue ; je lui ai fait demander des indications et, si je ne les ai pas encore reçues, je pense qu’il serait facile de le voir et de connaître au départ la science des lieux.

Mais je n’ai pas voulu attendre toute cette géographie qui favoriserait les découvertes, pour vous écrire, si tard déjà. Le printemps, il est vrai, paraît à peine. Après les neiges de Pâques et les vents glacés qui ont soufflé depuis sans apaisement, l’air est enfin plus doux. Devant moi les montagnes de la Chartreuse trouent les brumes légères de beaux jours à venir, je le souhaite, et cette belle lumière au temps de votre voyage.

J’espère vous envoyer bientôt des renseignements plus complets, et je vous prie de croire, Monsieur, à mon admiration et mes pensées d’amitié.

Simone Debout

Simone Debout à André Breton, le 14 novembre 196033 [33]

14 novembre 1960

Monsieur,

après avoir laissé passer bien des jours où j’ai eu le désir de vous écrire, je me décide, ce soir, parce que j’ai promis de vous transmettre le vœu du comité de rédaction d’une revue : Action poétique, qui a publié jusqu’alors des textes de valeurs très inégales, mais dont la formule est intéressante, et la dernière idée surtout, digne d’attention : ils préparent un numéro spécial sur l’Algérie, où ils publieront des poèmes et des textes d’une très vaste opposition, de F. Jeanson à Lanza del Vasto — ils ont (parmi les 121) des pages de Madaule, Adamov, Mounin, Pignon. Ils seraient très heureux d’avoir un texte de vous, Monsieur, mais ils n’ont pas su vous atteindre — c’était moins difficile pourtant que Jeanson — et malheureusement j’apprends leur projet très tard — le numéro doit sortir entre le 25 et le 30 novembre — et je vous prie de me pardonner de vous indiquer un délai si court — le dernier jour possible pour donner à l’impression étant sans doute le 24. Si je le fais pourtant, c’est que l’initiative des rédacteurs de la revue appelle l’audace et parce que je me réjouirais si vous souhaitiez leur donner quelque chose, malgré la limite ridicule du temps. J’espère donc que vous me pardonnerez, Monsieur, une demande dont le retard est dû à mon isolement des dernières semaines : retenue auprès d’un malade et occupée de tracas à diriger de loin. Je n’ai pas vu Cousin qui est mon lien amical avec cette revue. Cousin est un jeune poète grenoblois. Il a été métallurgiste, maintenant professeur d’éducation physique — communiste longtemps — oppositionnel enfin — moins coupable pourtant que beaucoup d’autres d’un long aveuglement parce qu’il était mal informé — simple militant. Depuis quelques années, il a publié des poèmes dans diverses revues en particulier la NRF. Gallimard a édité un volume de ses poèmes : L’Ordinaire amour [34] et imprime actuellement deux pièces de théâtre que Cousin souhaite vivement vous faire lire et que je vous enverrai quand elles seront prêtes, dans quinze jours environ [35]. Vilar avait choisi la plus importante pour la monter au Palais de Chaillot, mais il a renoncé, après avoir tout préparé, à cette aventure. Cousin est un personnage attachant, et sa position politique est pure, libre désormais — identique à celle de ses amis du Comité de rédaction de la revue qui n’ont pas cependant rompu avec le Parti communiste. Leur Action poétique est en marge simplement. Je ne dispose ce soir que d’un seul numéro de la revue, le dernier, et je le joins à ma lettre. Si par bonheur vous décidiez de leur envoyer quelques lignes, Cousin les transmettrait immédiatement à l’impression. Son adresse est

Gabriel Cousin

rue Robert Finet

à Fontaine près de Grenoble

mais si vous préféreriez m’envoyer le texte 1 rue des Diables Bleus je le lui porterai aussitôt.

J’espère aller bientôt à Paris. J’aurais joie à vous voir au mitan, Monsieur, et vous porter la suite du Fourier, mais tout m’a été à nouveau difficile depuis trois mois et je recule toujours un voyage même rapide.

Cependant je vous prie de croire, Monsieur, à mes sentiments d’admiration.

S. Debout

André Breton à Simone Debout, le 16 novembre 1960 [36]

Paris le 16 novembre 1960.

Chère Madame et Amie,

de ce mercredi au suivant il n’est, malheureusement, que trop sûr que je ne trouverai pas le moyen d’écrire le texte que vous me demandez, de la part d’Action poétique. Vous me dites, d’ailleurs, que le numéro sur l’Algérie doit sortir entre le 25 et le 30 novembre, ce qui exclut formellement la possibilité de l’y inclure. Voulez-vous bien transmettre mes regrets à Gabriel Cousin, que je vous remercie de me présenter en des termes qui me laissent sur l’espoir de le connaître bientôt et de qui je lirai les pièces de théâtre avec un vif intérêt.

Vous savez comme, à votre prochain voyage à Paris, j’aimerai tenir de vos mains cette suite du Fourier que vous m’annoncez. Je vous souhaite, trop longtemps en vain, les jours les plus cléments et vous prie de me croire, cher Madame,

très affectueusement à vous.

André Breton

Simone Debout à André Breton, le 24 juillet 1961 [37]

Lundi 24 juillet 1961

Monsieur,

j’ai beaucoup regretté de ne pas vous trouver à Paris il y a quelques jours : je désirais avoir des nouvelles de votre santé et vous parler des projets concernant Fourier — celui de J.-J. Pauvert, tout d’abord, qui a l’excellente idée de rééditer La Théorie des quatre mouvements. Je vous remercie de lui avoir parlé de moi. Il m’a écrit une lettre franche et très sympathique, et je l’ai vu à mon passage à Paris. Il avait alors reçu une réponse de M. J. Gaulmier et selon celle-ci, me dit-il, il a décidé de me confier cette réédition commentée, une étude générale et la recherche d’inédits complèteront les passages écourtés ou masqués. Quand je verrai mieux comment établir ces textes j’aurai joie à prendre votre avis, Monsieur. Pauvert est pressé et, puisque l’année scolaire peut être lourde pour moi, je travaillerai cet été. Je pense donc pouvoir vous montrer en septembre quelques pages et un projet d’ensemble.

Je viens de lire l’ouvrage que Monsieur Gaulmier m’a fait envoyer avec le grand plaisir de voir une bonne réédition de votre poème, et une ouverture un largeur de vue qui annonce, peut être, un nouvel intérêt pour Fourier [38].

C’est ainsi qu’en Belgique, où un professeur, m’avez-vous dit, prépare une thèse sur Fourier [39], Monsieur Lameere qui dirige la Revue internationale de philosophie, a eu l’idée d’un numéro spécial consacré à Fourier à l’occasion du 125e anniversaire de sa mort. Monsieur Lameere doit vous écrire, car il serait heureux si vous acceptiez de lui donner un texte. La revue qu’il dirige est sérieuse, elle a des lecteurs assurés, assez différents sans doute de ceux que peut atteindre J.-J. Pauvert. Mais ces initiatives conjuguées réjouissent fort.

J’ai promis pour le numéro spécial de la Revue internationale une étude et peut-être des inédits, et j’envoie à Monsieur Lameere, qui me l’a demandée, votre adresse […].

Vous avez appris certainement, Monsieur, la mort de Merleau-Ponty. Je crois vous avoir dit un jour quelle amitié j’avais pour lui et je découvre tous les jours son absence — et ma peine.

Pardonnez-moi Monsieur de vous parler de ces choses qui me touchent essentiellement.

J’aurais grande joie à recevoir de vos nouvelles, s’il vous est possible de m’écrire quelques lignes.

Je vous prie de croire, Monsieur, à mon admiration et à mon amitié, et je vous prie de transmettre mes pensées à Madame Breton.

Simone Debout

André Breton à Simone Debout, le 10 août 1961 [40]

St Cirq le 10 août 1961.

Chère Madame et Amie,

tout à fait heureuse la nouvelle que m’apporte votre lettre : que vous acceptiez de présenter cette réédition des « Quatre Mouvements » et soyez déjà prête à vous mettre à l’œuvre. Assez bouleversante est la perspective de cette résurrection si l’on s’assure qu’on y a été pour quelque chose. Toujours est-il que les dés en sont jetés. Je n’ai encore reçu aucune offre de collaboration à ce numéro de revue dont vous me parlez mais peut-être se juge-t-elle précisément trop sérieuse pour moi, ce de quoi je n’aurais garde de lui en vouloir.

Que je voudrais, Madame, vous savoir délivrée de ces grands soucis que vous m’avez fait l’honneur et la grâce de me confier et comme il me tarde de vous savoir rassurée sur ce qui vous tient le plus au cœur. J’y pense quelquefois, quand vient s’empreindre votre image auprès de ce papillon que vous avez aimé sur ma table, ailleurs aussi et cela devrait bien avoir portée de prière.

Élisa vous adresse ses pensées les plus amicales et les plus propices.

Croyez-moi, je vous prie,

votre tout dévoué ami.

André Breton

st cirq la popie (lot)

Simone Debout à André Breton, le 4 octobre 1961 [41]

4 octobre 1961.

Monsieur,

votre lettre cet été me fit un grand plaisir, et peu après la visite de M. José Pierre qui, parti de St Cirq la Popie, passait à Grenoble, et me donnait d’excellentes nouvelles [42] ; je souhaite si vivement que votre santé soit bonne que je me persuade parfois, aussi, que ces vœux devraient être favorables, de même que vos pensées, de loin, me donnent joie, et plus de pouvoir pour délier ceux qui me préoccupent et qui se nouent dans leurs discordes à l’infini. Ces tours menteurs un peu apaisés et quelques temps éloignés, j’ai eu des jours heureux à la fin d’un été merveilleusement chaud et doré, déjà, de la lumière et des couleurs de l’automne. José Pierre m’a parlé à nouveau de votre projet de voyage à Grenoble et j’aimerais vous montrer alors un aussi beau pays. Quant aux pierres — mon fils […] trouve d’intéressants fossiles ; il me faudrait découvrir un aussi bon chasseur de pierre rares — ou le transformer — lui.

Je pense aller à Paris à la fin du mois d’octobre, et je serai très heureuse de vous voir, Monsieur, et de vous parler de la réédition de Fourier qui maintenant m’occupe beaucoup et me réjouit. Je pense que J.-J. Pauvert aura d’excellentes idées de présentation. Ce livre devrait être très différent, certes, d’un ouvrage universitaire — attrayant — mais assez sérieux pour faire date. Je reprends, évidemment, l’édition de 1808, le texte original de Fourier, mais en note les variantes de la seconde édition.

J’ai lu récemment avec beaucoup d’intérêt, et sur l’indication de M. José Pierre, un livre que j’ignorais Eros et Thanatos de Norman O. Brown [43]. Il est une nouvelle preuve de la vie cachée de Fourier et d’un intérêt renouvelé envers lui. J’aimerais connaître ces disciples ou lecteurs inconnus d’Amérique et je parlerai de Norman O. Brown à cet excellent Monsieur Lameere qui, avec sa Revue internationale, pourrait créer un lien précieux [44].

Croyez, Monsieur, à mon amitié et à mon admiration et transmettez, je vous prie, toutes mes pensées à Madame Breton.

Simone Debout

Simone Debout à André Breton, le 11 janvier 1962 [45]

11 janvier 1962

Monsieur,

J’ai beaucoup tardé à vous renvoyer la plaquette de Raymond Queneau [46], mais j’éprouve depuis quelque temps un tel excès de fatigue que je remets longuement ce qui me serait le plus cher. J’espère que vous voudrez bien me pardonner ce retard à vous rendre un texte qui m’a beaucoup intéressée, et que je crois important. Le ton également m’a séduit : une démonstration précise, ferme et quelque humour, quelque doute final qui ne nuit pas à la haute présence de Fourier, humoriste véhément.

Je vous souhaite, Monsieur, une belle année et je vous prie de transmettre mes vœux à Madame Breton. Dans ce monde tous les jours plus gravement hostile il est merveilleux d’imaginer que de tels souhaits puissent être réels.

J’espère terminer au gré du hâtif J.-J. Pauvert la réédition des « quatre mouvements ». Après les heures de cours, irritants, il me plaît de retrouver ce pieux travail.

[…] je constate parfois avec une grande mélancolie que je n’ai plus de réserve pour les instants possibles de vraie vie. C’est alors que se produisent les contre miracles, les événements défavorables où l’on ne peut déceler aucune responsabilité personnelle sinon, lourde de chagrins, celle de n’avoir pas su les déjouer.

Je vous prie de croire, Monsieur, à mon admiration et à mon amitié.

Simone Debout

Simone Debout à André Breton, le 4 août 1962 [47]

4 août 1962

Monsieur,

je vous envoie en même temps que cette lettre les inédits de Fourier et l’étude publiée par la Revue internationale de philosophie. Je ne possède qu’un seul numéro de la revue, qui comprend encore des articles de Desroche, Poulat, Dautry — historiques. Monsieur Lameere vous l’enverra, j’imagine, s’il ne l’a déjà fait [48].

D’autre part j’ai donné à J.-J. Pauvert le texte de La Théorie des quatre mouvements  : le texte de 1808 et les corrections faites par Fourier lui-même et lisibles sur les exemplaires annotés. J’espère lui envoyer fin septembre, comme il le souhaite, mon introduction : des notes explicatives et peut-être un court lexique des mots étranges. En appendice paraîtront l’article inconnu de 1802, dont je vous avais parlé et l’article de 1803 : « Harmonies universelles » — bien connu mais qu’il me paraît utile de réimprimer.

J’espère terminer au plus vite. Mais je suis très gênée par une grande fatigue. J’étais venue en juillet à Paris pour quelques soins bénins, et les médecins me préparaient, au vrai, une très méchante découverte. Malgré leurs assurances préalables, peut être l’avais-je envisagée, pressentie, dit-on, c’est-à-dire préjugée sur des signes qui ne sont pas tout à fait clairs ni rationnels, mais je réduisais cette image noire. Maintenant il me faut l’apprivoiser et, selon les savants, suivre un dur traitement qui me retient à Paris six semaines. Pourtant, les choses lourdes semblent se diviser, mes autres soucis se font momentanément plus légers et j’ai pu ménager d’heureuses vacances à mes enfants.

Seule à Paris chez des amis, les Martinet (eux-mêmes partis aux Indes), je réserve les instants de vigueur, pour l’essentiel, à Fourier.

J’ai eu le temps de réunir — je crois, tous ou presque tous les inédits : Le Nouveau Monde amoureux et bonne part des textes cosmogoniques inconnus. On trouve certes des redites dans ces cahiers mais aussi bien des choses curieuses : 5 cahiers totalement inédits, un cahier incomplet et des fragments épars représentent 250 à 300 pages. Je ne sais pas encore comment publier ces textes ; une partie déjà paraîtra chez J.-J. Pauvert après la 2ème partie de La Théorie des quatre mouvements — mais il me faudrait je crois imprimer un jour le tout. Ces inédits — souvent le premier jet — découvrent les incertitudes de Fourier et l’élan vif de sa pensée.

Je pensais faire de l’étude de ces cahiers et de leur publication, ma thèse complémentaire — mais si je ne pouvais terminer ce travail, ils pourraient être imprimés avec des notes qui les relieraient à l’œuvre.

Je vous souhaite, Monsieur, un bel été et je vous prie de croire à mes pensées d’admiration et d’amitié.

Simone Debout

André Breton à Simone D [49]ebout, le 9 août 196249

St Cirq le 9 août 1962.

Chère Madame et Amie,

votre lettre m’émeut, m’alarme. Le front si haut, je vous ai déjà vue vous mesurer avec de très grands obstacles et dominer autant qu’il est permis l’adversité. Vous m’avez fait la grâce de m’en entretenir sur ce mode qui n’est qu’à vous et dont me touchent inséparablement l’une de l’autre la confiance et la discrétion. Je retrouve le grave sourire qui vous pare en ces circonstances et prête à vos paroles, par instants assez sourdes, cette si rare qualité humaine. Il me fait penser au seul soleil que j’aime, celui — très pâle — des matins d’hiver, quant il avait eu tout le temps de se faire oublier et qu’il n’existe encore, si l’on peut dire, qu’à l’état de promesse. Il glisse en ce moment sur mon cœur et je n’aspire à rien tant qu’à vous en retourner, au plus haut point propice, le rayon.

En attendant que vous me fassiez part d’un grand mieux en ce qui concerne votre santé — et je n’ai pas de préoccupation plus vive — il est beau que ce soit de vos mains que je reçoive ces pages toujours, avec Fourier, tellement au-delà de tout ce qui peut être attendu et désiré. De l’instant où le facteur me les a remises, je n’ai pas perdu une seconde pour les lire d’un trait. Elles me dispensent toujours le même bonheur que la première fois et vos commentaires les épousent on ne peut mieux. Je n’ai rien eu de plus pressé non plus que de donner lecture d’une grande partie de cette communication à ma femme et aux quelques amis parisiens qui me tiennent ici compagnie. Je n’ai été interrompu que par des marques d’allégresse, d’étonnement et d’enthousiasme.

Le jour où le volume sortira de chez Pauvert pour prendre le chemin des vitrines sera jour de fête pour moi, bien sûr et aussi pour quelques autres, dont le nombre par la suite, grandira vite. Je veux aussi et surtout que ce soit une fête pour vous, c’est-à-dire que rien à côté ne puisse la ternir.

Croyez, chère Madame, à ma fervente affection.

André Breton

André Breton ST CIRQ la POPIE (Lot).

Simone Debout à André Breton, le 15 août 1962 [50]

15 août 1962.

Monsieur,

votre lettre m’a été une grande joie. En ce temps qui bute, pour moi, sur un avenir inconnu il me paraît merveilleux de recevoir ces lignes de vous, qui, depuis si longtemps, comptez très uniquement pour moi. Dans un monde à l’envers votre lettre est le signe d’un lieu bien réel où « les attractions sont proportionnelles aux destinées ». L’Express, déjà, m’avait porté l’écho de votre voix inflexible, si étrange en tel papier. Il n’est pas croyable que L’Express, ou son envoyé, ait mené cet « entretien » et vous êtes, assurément, le seul maître du jeu, un jeu d’une hauteur grave qui m’a touchée — (Je pense en particulier au passage où vous parlez de Bataille). Ces pages, et les photos, sont d’une extraordinaire présence actuelle [51], et vos paroles résonnent dans le Paris désert où je me promène, comme autrefois, accordée aux gris des pierres, des eaux et du ciel.

Je prépare le travail pour Pauvert, autant que courage et force s’y prêtent, puis avec Gouhier, très content de l’étude de la Revue, une prochaine édition de tous les inédits découverts — 250 à 300 pages environ — qui seraient imprimés, me dit-il, sur sa demande, par le CNRS. Si j’ai quelque loisir ce livre devrait être prêt à la fin de l’année.

Le traitement dur et lassant que je suis sera terminé au début du mois de septembre. Alors j’irai quelques jours en montagne, avant la rentrée scolaire, où je reprendrai — peut-être — quelques cours au lycée — et je resterai sous la surveillance de savants pleins de bonne volonté et d’ignorance, menacée de je ne sais quelle redoutable issue, mais avec une chance réelle aussi de voir le danger s’amenuiser. Une chance grandie depuis ma dernière lettre car les hypothèses les plus noires, alors formulées, n’ont pas été vérifiées — et je la cours cette chance aussi totalement que possible, aidée par les voix amies dont la portée est aussi grande que celle de tous les traitements — et je trouve dans l’étrange halte de cet été une sorte de bonheur.

Je vous prie de croire, Monsieur, à mon admiration et à ma très vive amitié.

Simone Debout

Simone Debout à André Breton, le 24 octobre 1962 [52]

24 octobre 1962

Clinique Geoffroy St Hilaire

Monsieur,

J’espérais vous voir un instant quand je suis arrivée la semaine dernière à Paris, mais votre téléphone ne répondait pas et j’entrai ensuite en clinique pour une intervention, banale, disent les maîtres de l’art — Daniel Martinet qui fut mon tortionnaire.

Maintenant j’envisage déjà mon départ et avec d’autant plus de hâte que je suis partie très inquiète : mon mari est très malade et, après longue hésitation, j’avais décidé de me faire faire au plus vite les soins nécessaires, afin d’être libérée du moins un temps de ce souci.

Mes enfants, mes amis mêlent une douceur inconnue à ces moments pour moi très durs.

Et cependant je lis en ma clinique des journaux qui font imaginer l’innommable. Ma révolte est trop grande pour le croire possible, mais je ne pense pas non plus que ma seule convalescence inquiète prête aux événements cette gravité et l’apathie des gens devant ces nouvelles m’étonne et m’attriste.

La semaine dernière j’ai donné à J.-J. Pauvert presque tout ce qu’il doit imprimer de Fourier, c’est-à-dire le texte de la théorie des quatre mouvements

80 à 100 pages d’inédits : le nouveau monde amoureux, qui seront imprimés après la 2ème partie de La Théorie des quatre mouvements et enfin plusieurs articles qui figureront en appendice — dont le 1er inconnu que j’ai trouvé dans le Bulletin de Lyon et La Lettre au Grand Juge.

Il manque encore la fin de l’introduction que j’espère terminer bientôt.

Je voudrais également voir imprimé un fac-similé qu’il reste à choisir, et des portraits — J.-J. Pauvert pensait vous consulter à ce sujet [53].

J’aurai joie à corriger ces épreuves et j’espère que J.-J. Pauvert ne tardera plus maintenant à commencer l’impression. J’espère surtout que ce monde affolé nous en donnera le loisir.

Votre pensée, Monsieur, m’est plus précieuse en de tels moments.

Je vous prie de croire à mon admiration et à mon amitié et de transmettre mon souvenir à Madame Breton.

Simone Debout

Simone Debout à André Breton, le 25 novembre 1963 [54]

Grenoble 25 novembre 1963

22 avenue St Ferjus

Monsieur,

Je ne peux vous laisser ignorer la mort de mon mari le 6 novembre. Sa souffrance m’était devenue très proche — intolérable et cependant je ne peux accepter la mort.

Je vous prie, Monsieur, ne m’écrivez pas, j’ai le grand désir seulement et confiance en votre pensée pour moi.

Simone Debout

André Breton à Simone Debout, le 14 décembre 1963 [55]

Paris le 14 décembre 1963.

Chère Madame et Amie,

je m’afflige bien vraiment de votre peine qui me fait encore mieux pénétrer ce qu’il y a de si noble en vous. Croyez, je vous prie, à ma très fervente pensée.

André Breton

Simone Debout à André Breton, le 29 décembre 1964 [56]

Les Praz 29 décembre 1964

Monsieur,

j’ai beaucoup regretté de ne pas vous trouver quand je vous ai téléphoné de Paris il y a quelques jours. Je passais très vite et J.-J. Pauvert m’a donné la meilleure nouvelle de fin d’année : La Théorie des quatre mouvements est enfin sous presse.

Je suis maintenant avec mon fils dans la neige, bourrasque au soleil !

C’est un monde fantastique que j’aime retrouver : tout brouillé et souvent sous la tempête, ou bien au grand soleil, de l’éclat net du cristal, éblouissant.
Je reprends mon travail à l’abri d’un vieux chalet où l’ombre est chaude de vieux bois, et je retrouve une liberté oubliée. Je vais aussi parler de Fourier à des jeunes gens de tous pays — noirs ou blancs — d’un collège de fin d’études, en montagne ; au premier instant ils sont enthousiastes, que cela dure !
Quant à mon fils difficile, il lit beaucoup, il dévore vos livres et je suis émue de retrouver en lui mon enthousiasme et ma première admiration. Antoine vit en marge et ces choses sont pour lui comme à leur premier jour. Leur prolongement déformé ne l’a pas touché, il les découvre intègres et j’en suis parfois bouleversée. C’est une manière de temps retrouvé et une promesse nouvelle.
Je vous prie de croire, Monsieur, à mes pensées d’amitié — à tous mes souhaits et de transmettre à Madame Breton mon souvenir.

Simone Debout

Simone Debout à André Breton, le 22 octobre 1965 [57]

22 octobre 1965

Monsieur,

Je vous envoie — ci-joint — le texte de Fourier : de l’orgie de musée, et la note qui peut le suivre [58].

Suzanne Varbanesco est très heureuse de la possibilité de montrer une toile de Varbanesco à votre exposition [59].
Celle qui conviendrait le mieux, je crois, est actuellement exposée au Musée de Grenoble. C’est la dernière toile du peintre où il rassemble ses recherches picturales et l’inspiration surréaliste qui fut la sienne. Peut être la conservatrice du musée acceptera-t-elle de l’expédier avant la fin de l’exposition de Grenoble. Sinon il reste plusieurs possibilités : les meilleures seraient, il me semble, l’exposition de dessins surréalistes de la première période : il y en a de magnifiques — ou bien celle d’une toile récente où le fantastique, le tragique sourd des couleurs et non d’une figuration exprès.
Les dessins et la toile auxquels je pense se trouvent chez Suzanne Varbanesco à Paris.
La conservatrice du musée est absente. Quand elle sera de retour, au début de la semaine prochaine, on connaîtra sa réponse ; si elle est positive la toile vous sera expédiée du musée de Grenoble. Si elle est négative Suzanne Varbanesco, qui sera à Paris les premiers jours de novembre, pourra, si vous le voulez bien, vous montrer la toile et les dessins, parmi lesquels vous choisirez : elle pourra par exemple vous montrer deux dessins et une toile.
Je vous remercie, Monsieur, pour Varbanesco et je vous prie de croire à mon admiration et à mon amitié.

Simone Debout

Simone Debout à André Breton, le 23 octobre 1965 [60]

23 octobre 1965

Monsieur.

Je vous envoie quelques corrections pour la note qui suit le texte de Fourier : je l’ai dictée trop vite hier et je vous prie de m’excuser si je vous la donne en deux fois. Pour ne pas trop gêner l’imprimeur si le travail a été commencé, j’ai modifié seulement quelques mots.

Croyez, Monsieur, à mes pensées et à mon admiration.

Simone Debout

André Breton à Simone Debout, le 25 octobre 1965 [61]

Paris le 25 octobre 1965.

Chère Madame et Amie,

votre lettre-express m’est parvenue samedi matin, bien à temps pour que je la remette à Pierre Faucheux, qui termine la mise en page du catalogue. J’ai omis, avant de m’en séparer, de prendre note des deux dernières lignes de la copie de « l’Orgie de musée », qui me paraissent présenter une faute de frappe et sont, ainsi, peu intelligibles. Puis-je vous prier de me les recopier à la main ?
En cas de refus du musée de Grenoble, j’attendrai donc un signe de Madame Suzanne Varbanesco.
Mercredi dernier, vous veniez à peine de sortir quand m’a appelé Jean-François Revel. Il était tout disposé à vous voir l’après-midi et je me suis hâté de vous le faire dire, comme m’a assuré qu’allait le faire la personne qui répondait à Odéon 94-22, en l’absence de Madame Merleau-Ponty. Je l’ai priée de répéter le message — heure et adresse précise — pour éviter toute erreur. Comme vous ne m’en dites rien, je crains que la transmission n’ait pas été faite, ce qui serait à tous égards si regrettable. Je n’ai pas revu Revel depuis lors. (Il vous attendait à 15h30 à son domicile place de Furstenberg).
Croyez, chère Madame, à mon affectueuse pensée.

André Breton

Simone Debout à André Breton, le 26 octobre 196562 [62]

Grenoble 26 octobre 1945

Monsieur,

il y a en effet une faute dans la copie de « l’orgie de musée » : il faut un point après moralité, à l’avant dernière ligne — et il manque un blanc quatre lignes au-dessus après ce. Je vous envoie ci-joint une copie avec ces deux corrections. Si la dernière phrase, cependant, ne vous paraît pas claire, on peut supprimer à partir de : Civilisés inhabiles à orgie…
Je suis fâchée d’avoir laissé échapper ces deux fautes, mais j’ai du préparer ces copies au milieu d’autres travaux obligés et si vite que je n’ai pas vu l’erreur.
Je voulais de même vous écrire à nouveau pour vous rapporter ma rencontre avec J.-F. Revel — très agréable. Il souhaitait éditer un Fourier. Il ne recherche pas les inédits mais les textes les plus importants : je pourrais lui choisir des textes, et des inédits qui seraient déjà une interprétation de Fourier. Il y aurait une courte introduction et des notes de liaison entre les textes et l’on pourrait je pense donner une idée vraie — pas trop partielle de l’œuvre — en 160 pages.
J. F. Revel m’a donné son accord. Il doit voir J.-J. Pauvert et m’écrire ensuite pour le confirmer et surtout pour fixer la date de parution du petit livre — en même temps peut-être que le gros — j’espère recevoir bientôt la lettre qui assurera ce projet — très important je le crois, car cette petite collection peut atteindre des lecteurs multiples [63].

La conservatrice du musée de Grenoble a refusé d’envoyer une toile avant la fin de l’exposition. On ne peut la contraindre. Mais Suzanne Varbanesco possède à Paris de très beaux dessins et des toiles récentes que j’aime beaucoup. Elle vous téléphonera, et vous les portera dès son retour à Paris.
J’ai vu à mon retour des reproductions et une œuvre d’un très jeune artiste inconnu — extrêmement provocant — des sculptures objets violentes et colorées qui attaquent religion – fascisme – hôpitaux – vie quotidienne inhumaine. L’histoire de ce jeune homme est elle-même extraordinaire. Il simule la folie pour ne pas partir en Algérie. Réformé, après une enquête délirante, il tomba malade. On découvrit qu’il avait une tumeur cérébrale. Opéré il fut longtemps aphasique, il ne distinguait plus les couleurs. Il était devenu énorme — ascétique maintenant il revit et recrée des œuvres de révolte, saisissantes, presque insoutenables, très provocantes. Il serait très heureux de vous montrer quelques-uns de ces objets, si vous acceptez de le recevoir ; il irait volontiers et rapidement à Paris. Voici son nom et son adresse :
Henri Ughetto
6 rue André Hermann
Bron
un surréaliste sauvage — et dont l’histoire aussi a quelque chose d’extraordinaire [64].
Je vous prie de me pardonner, Monsieur, l’erreur qui ne sera pas je l’espère trop difficile à corriger et je vous prie de croire à mes pensées d’amitié et à mon admiration.

Simone Debout

Simone Debout à André Breton, le 17 mars 1966 [65]

17 mars 1966

Monsieur,

Je souhaite avec ferveur apprendre que vous êtes en meilleure santé. Madame Breton m’a parlé de votre projet de voyage en Bretagne ou, peut être, en montagne. Mais j’ai tant tardé à vous écrire : j’étais moi-même souffrante et le temps était si froid qu’on ne pouvait imaginer trouver quelque bien en cette région. Depuis hier enfin, il y a comme un bonheur de résurrection : le soleil est chaud et la neige animée fond. J’ai revu le petit hôtel de Chartreuse dont j’ai parlé à Madame Breton. C’est une maison simple — dans un bel endroit à quelque distance du village : St Pierre de Chartreuse est à 900 m. d’altitude. Près de l’hôtel il y a deux ou trois fermes et le chalet de mes amis, un peintre et son fils. Le prix est de 23 francs par jour. Du 30 mars au 16 avril il y aura beaucoup de monde mais à partir du 17 avril, l’hôtesse, avertie par mes amis, serait très attentive pour vous. Les chambres sont chauffées. De St Pierre, des autocars vont en Chartreuse, au col de Vence et à Grenoble d’où l’on parcourt facilement tout le pays.
À la fin d’avril et en mai les prairies sont fleuries de gentianes narcisses trolles pâquerettes violettes et boutons d’or. C’est un merveilleux moment et j’ai souvent pensé, aux printemps derniers, qu’il serait plus beau d’être mesuré à votre pouvoir de l’aimer.
Mes amis vous conduiraient avec plaisir. Pour moi j’aurais joie à vous donner les moyens de voir le Vercors, le Trièves, la Matheysine ou le Dévoluy. Je pourrais soit vous prêter ma DS soit vous conduire.
Si vous vous décidiez il suffirait de me le dire quelques jours auparavant. Je préviendrais l’hôtel et je vous conduirais de Grenoble en Chartreuse (il y a 25 km environ).
Le savant maître des pierres de montagne vous dirait peut-être où il a trouvé une collection fort belle.
Je travaille cependant pour terminer les deux thèses sur Fourier et à chaque reprise il me paraît plus riche. Je pense à une rapide étude et au choix de textes pour la collection de J.-F. Revel. Il me donnera je l’espère une date pour cette édition quand Pauvert enfin sera prêt — préoccupé tout de même par le projet des éditions Anthropos de faire une édition des Œuvres complètes de Fourier par un procédé photographique très rapide. Je ferai pour cette édition les corrections utiles et je donnerai le texte des manuscrits inédits.
Il me semble que tout cela va aboutir mais ce fut bien long.
Je vous prie, Monsieur, de transmettre mon souvenir à Madame Breton, et de croire à mon admiration et à mon amitié.

S. Debout

Faire-part de décès envoyé à Simone Debout daté du 28 septembre 196666 [66]

ANDRE BRETON
1896 - 1966

je cherche l’or du temps

Les obsèques auront lieu
le Samedi 1er octobre
à 10h45
au cimetière des Batignolles