Bandeau
charlesfourier.fr
Slogan du site

Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Lecoq de Boisbaudran, Horace
Article mis en ligne le 3 octobre 2017
dernière modification le 4 octobre 2017

par Desmars, Bernard

Né le 14 mai 1802 à Paris (Seine), décédé le 7 août 1897 à Paris (6e arrondissement). Peintre, puis professeur de dessin. Actionnaire de la société de 1843, auteur de plusieurs articles parus dans La Démocratie pacifique, abonné au Bulletin du mouvement social.

Horace Lecoq de Boisbaudran est le descendant d’une famille du Poitou, anoblie en 1624. Son père, Charles Lecoq est qualifié lors de son mariage en 1796 d’agriculteur

Horace Lecoq de Boisbaudran (dans Félix Régamey, Horace Lecoq de Boisbaudran et ses élèves : notes et souvenirs, Paris, H. Champion, 1903).

et d’ancien lieutenant-colonel en second du troisième bataillon de la Charente. Le couple rejoint ensuite Paris où Charles Lecoq est receveur de la loterie nationale quand naît Horace. Dans l’acte de mariage de Charles et dans l’acte de naissance d’Horace, le patronyme indiqué est Lecoq ; le 19 décembre 1859, Horace Lecoq obtient, par un jugement du tribunal de Cognac, la rectification de son état civil : il porte désormais légalement le patronyme « Lecoq de Boisbaudran », qui est déjà son nom usuel depuis au moins les années 1840 [1].

Peintre, enseignant et fouriériste

Horace est admis à l’École des Beaux-Arts en 1819 ; il y étudie la peinture avec Jacques Peyron et Guillaume Guillon-Le Thière. En 1831, il envoie au Salon un premier tableau, le portrait de son père. Il y présente encore régulièrement d’autres œuvres – principalement des sujets religieux et des portraits – jusqu’en 1844, puis une dernière en 1850. L’une de ses œuvres, La Purification de la Vierge est achetée en 1846 sur la liste civile de la Maison du Roi [2]. Il se consacre désormais principalement à l’enseignement. Il entre en 1841 ou 1842 à l’École royale et spéciale gratuite de dessin de Paris [3] ; il occupe d’abord un poste de professeur adjoint ; en 1844, il devient professeur titulaire. À partir de 1847, il donne également des leçons dans une maison d’éducation de la Légion d’honneur. Vers la même époque, il ouvre un « cours public sans aucune rémunération » [4].

À ce moment, il a déjà rejoint le mouvement phalanstérien. Il est abonné au début des années 1840 à La Phalange [5], puis à La Démocratie pacifique [6]. Il élabore une théorie sur l’importance de la mémoire visuelle dans l’enseignement de la peinture et du dessin, qu’il présente dans La Phalange [7]. Les élèves sont placés devant un modèle (individu, animal, objet, paysage), qu’ils observent pendant un certain temps ; puis, ce modèle étant soustrait à leur vue, ils doivent le restituer de mémoire par le dessin. L’article paru dans La Phalange est ensuite publié sous la forme d’une brochure par la Librairie sociétaire ; la Démocratie pacifique en recommande la lecture [8].

Lecoq de Boisbaudran est l’un des actionnaires de la Société formée en 1843 lors de la création de La Démocratie pacifique ; il participe à l’assemblée générale des sociétaires en 1847 [9]. Il collabore aussi à la rédaction et publie dans le quotidien fouriériste au moins deux articles, appelant au rapprochement des religions [10]. Il est l’un de ceux qui annoncent leur présence au congrès phalanstérien d’octobre 1848 [11].

Les succès professionnels de Lecoq de Boisbaudran

Sous le Second Empire, sa notoriété et son activité se développent. En plus de son enseignement à l’École de dessin, désormais « impériale et spéciale », il devient professeur de dessin au lycée Saint-Louis où il suit les élèves de la sixième à la troisième. Son travail est très apprécié de ses supérieurs hiérarchiques : selon le proviseur, il est un « professeur excellent, patient, zélé, ambitieux de progrès, convaincu de l’importance de son art et de son enseignement […] Il montre le travail d’un bon élève de sixième avec la même satisfaction que s’il s’agissait d’une œuvre d’art » ; pour l’inspecteur général, « c’est un excellent professeur, aimé de ses élèves à cause de l’intérêt qu’il leur porte et [ils] obtiennent des résultats très satisfaisants » ; enfin, le vice-recteur note : « maître très dévoué , très bons services » [12].

Sa méthode fondée sur « l’éducation de la mémoire pittoresque » (ou « observation conservée »), et sur des exercices réalisés en dehors de l’école et de l’atelier, bénéficie d’un succès croissant sous le Second Empire. Elle est accueillie favorablement en 1852 par l’Académie des Beaux-Arts [13]. L’architecte Viollet-le-Duc lui consacre un article très élogieux dans L’Artiste en 1858. En 1863, il reçoit l’autorisation d’ouvrir un atelier annexé à l’École de dessin pour approfondir sa méthode avec ses élèves.

Plusieurs artistes importants de la fin du XIXe siècle suivent ses cours [14] ; les futurs sculpteurs Jules Dalou et Auguste Rodin ; Jules Chéret, Alphonse Legros, les frères Guillaume, Frédéric et Félix Régamey, ou encore le peintre Henri Fantin-Latour qui, selon l’un de ses biographes, apprécie la pédagogie de son professeur et en particulier :

la grande liberté que le maître laissait à ses élèves, car il entrait dans le système d’enseignement de M. Lecoq de ne les contraindre en rien, d’éviter de peser sur eux le moins du monde, fût-ce en leur montrant sa propre peinture ; de respecter enfin les dispositions individuelles, de cultiver d’une façon plus ou moins intense la personnalité de chacun par le développement de la mémoire de l’œil, à laquelle le maître attachait une si grande importance [15].

D’après l’un de ses biographies,

il brisait avec la routine des académies ordinaires […] Au lieu de confiner les élèves dans l’étude du nu académique, il inventait toutes sortes d’exercices pour développer toutes leurs facultés, les guidait d’expérience en expérience, leur apprenait à regarder la vie avec leurs propres yeux [16].

Il reçoit la Légion d’honneur en 1865. La même année, il commence à donner des cours à l’École libre d’architecture qui vient d’être ouverte. Cette nouvelle charge, ainsi que sa nomination au poste de directeur-adjoint de l’École de dessin en juin 1866 le conduisent à interrompre son enseignement au lycée Saint-Louis. En janvier 1867 [17], il est promu directeur de l’École de dessin. Il est nommé aussi membre d’une commission de l’Exposition universelle de 1867, manifestation où les travaux de ses élèves sont appréciés très favorablement.

Cependant, ses succès lui valent quelques inimitiés, venant notamment de l’École des Beaux-Arts, concurrencée par ses cours de l’École de dessin. Ses projets de réforme de l’enseignement du dessin, exposés lors de la cérémonie de distribution des prix aux élèves de l’École impériale et spéciale de dessin en août 1866 [18], lui suscitent des adversaires au sein même de l’établissement qu’il dirige [19]. Selon l’historien et critique d’art Charles Saunier,

sa direction fut en butte à toutes les taquineries, l’hostilité s’étendant jusqu’à ses élèves, qui se voyaient écartés systématiquement des Salons ou mal placés et privés des récompenses avec des œuvres aujourd’hui honneur de nos musées [20].

En septembre 1869, il cesse ses activités à l’École impériale et spéciale et demande sa mise à la retraite, qu’il obtient par un décret de mars 1870 ; elle lui est accordée, selon le dossier qui est alors constitué, pour « infirmités graves résultant de l’exercice de ses fonctions » [21]. Il interrompt ses autres enseignements peu après.

Il vit désormais à l’écart des milieux artistiques, mais publie en 1872 et en 1876 deux brochures pour défendre ses idées sur l’enseignement des beaux-arts ; il recommence à peindre.

Lecoq de Boisbaudran et les fouriéristes

On ne lui connaît pas de relation avec l’École sociétaire dans les années 1860 : il n’est pas mentionné parmi les actionnaires de la Librairie des sciences sociales, ni parmi les convives des banquets phalanstériens, dont la tradition, un moment interrompue, reprend en 1865. Toutefois, il peut rester en relation individuelle avec quelques-uns de ses condisciples. César Daly, le directeur de la Revue générale de l’architecture et des travaux publics le mentionne à plusieurs reprises et reproduit en 1866 le discours qu’il prononce lors de la distribution des prix à l’École impériale et spéciale de dessin [22]. En 1868, il est l’un des signataires, avec Achille Mercier, collaborateur du périodique fouriériste La Science sociale, d’un projet de fondation d’une École professionnelle coopérative, qui délivrerait un enseignement sur la coopération ; deux réunions publiques sont organisées. Mais le projet ne semble pas avoir de suite [23].

Abonné au Bulletin du mouvement social dans les années 1870 [24], il n’est cependant pas mentionné lors des manifestations (assemblées générales, banquets du 7 avril) qui continuent à se dérouler pendant cette décennie et la suivante.

Il publie tardivement Quelques idées et propositions philosophiques. Il l’adresse en 1890 à Victor Considerant en l’accompagnant de quelques mots :

Mon cher ancien condisciple,

Espérant que vous ne m’avez pas entièrement oublié, je vous adresse une petite brochure que je viens d’écrire dans ma solitude où personne ne vient distraire un vieillard de 88 ans révolus.

Votre opinion si compétente me serait bien précieuse et ce serait avec un bien vif intérêt que j’apprendrais des nouvelles (espace de trop) de votre santé. J’espère qu’elle est restée bonne car je vous ai toujours connu vaillant et robuste. Vous êtes d’ailleurs beaucoup plus jeune que moi.

Adieu, mon cher ancien maître et ami. Recevez mes plus affectueux souvenirs [25].

Selon sa volonté, il est enterré au cimetière Montparnasse, « sans fleurs, sans discours et sans prière » [26].