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BRIX Michel : L’Amour libre. Brève histoire d’une utopie (2016)

2e éd. revue et augmentée, s.l., Molinari, 2016, 238 p.

Article mis en ligne le 15 avril 2018

par Perrier, Florent

Toute tradition n’est pas bonne à prolonger. Tel est sans doute l’avis de Michel Brix relativement au fouriérisme, tel est aussi le nôtre, relativement à son étude dudit fouriérisme. Écrit et composé de manière souvent remarquable, faisant montre d’une capacité d’analyse littéraire riche pour tout lecteur passionné par le dix-neuvième siècle, proposant des références bibliographiques nombreuses bien que souvent datées, cet ouvrage, L’Amour libre. Brève histoire d’une utopie, procède, sous ses dehors affables, de plusieurs obsessions qui virent au délire obsidional. La première obsession est éditoriale : en 2001, Brix a publié L’Héritage de Fourier (cf. le Cahier Charles Fourier n° 14), sous-titré Utopie amoureuse et libération sexuelle, essai dont la table des matières diffère à peine de L’Amour libre dont c’est la deuxième édition, après celle de 2008. Trois rééditions d’un même ouvrage en somme, sur les quinze dernières années. Une autre obsession est d’ordre généalogique ; l’objet de ce livre est de « retracer l’histoire » de l’utopie de la libération sexuelle, d’en montrer les origines souvent très anciennes, « avant d’examiner, sous toutes leurs facettes, les discours des apôtres contemporains de l’amour libre » (7). Ce désir d’inscription de l’utopie dans une tradition généralement perçue comme délétère n’est pas nouveau, Louis Reybaud (1840) ou Alfred Sudre (1849) en furent les précurseurs et si Brix ne les cite pas, il mentionne par contre bien souvent René de Planhol, un auteur proche de l’Action Française qui, dans Les Utopistes de l’amour (1921), estime que les ouvrages de Fourier « sont manifestement ceux d’un fou » (218) et voit derrière les utopies de l’amour des « rêves plus ou moins malsains et fallacieux ». (267) Dans cette tradition, Platon occupe la place originelle de ce qui semble être une lente décadence jusqu’au « versant libertin des utopies amoureuses » où s’inscrivent les « doctrines de l’amour libre ». (23) Le caractère mensonger de cette approche généalogique a été suffisamment étudié et déconstruit (cf. Miguel Abensour, Bronislaw Baczko) pour que cette fallacieuse parenté qui associe, en droite ligne, l’utopie, « notion au sens mouvant et aux frontières fluctuantes » (9), au totalitarisme, ne mérite pas que l’on s’y attarde.

Une troisième obsession a trait au langage de l’auteur, à sa volonté acharnée de déprécier son objet d’étude avant même de l’exposer sous nos yeux. Parmi des dizaines d’exemples, notons seulement, faute de place, le souhait de se garder des « sophismes des fouriéristes » (237) qui mènent au « péril de l’utopie » (257), véritable menace pour « notre » civilisation. Ici se situe sans doute l’obsession la plus pernicieuse de Brix, véritable délire obsidional qui prêterait au dédain s’il n’était sous-tendu par une idéologie conservatrice proche de la xénophobie. L’obsession de l’auteur de L’Amour libre est d’abord de voir Fourier partout et ses idées décadentes triompher de « nos » modes de vie traditionnels. Brix évoque ainsi, aujourd’hui, « le règne de l’idéal fouriériste » (179) qui nous imposerait « une mobilisation de chaque instant » contre ce qu’il appelle « la perte d’intensité du désir ». Le paradis fouriériste ne sera d’ailleurs gagné qu’à « la condition expresse de nous perdre nous-mêmes, c’est-à-dire en contribuant au gommage de nos particularités individuelles » (185), contresens parfait des intentions de Fourier. Plus loin, « auréolée de la caution de Fourier » (256), « la doctrine de l’amour libre fait peser sur nos existences tous les traits caractéristiques du monde “utopien” et ne traîne pas moins de périls après elles que les illusions collectivistes. » Qui ne serait dès lors heureux d’apprendre que « notre quotidien doit beaucoup aux divagations du “caissier en délire” » et que « le “meilleur des mondes” que l’utopiste appelait de ses vœux est devenu pour nous une vérité de tous les jours. » Autrement dit, que « les idéologues fouriéristes pourraient bien être, aujourd’hui, sans que nous en soyons parfaitement conscients, les maîtres à penser de notre société et surtout les inspirateurs des modèles auxquels nous tentons de nous conformer. » (158) Mais attention, lecteur des Cahiers Charles Fourier, à ne pas céder trop vite à un excès d’orgueil et de gloire, car à ce premier point succède un second, bien moins avenant.

Car si les « idéologues fouriéristes » triomphent en effet aujourd’hui selon Brix, ils triomphent comme des termites, le péril est donc insidieux, il s’infiltre partout pour venir dissoudre une certaine idée de la famille, une certaine idée de la France. Et là, bien évidemment, plus question de rire avec Brix. Dénonçant la substitution « au dialogue intrafamilial » du monologue « du père, de la mère ou de l’enfant devant le psychanalyste, le sexologue, le pédopsychiatre, le sociologue », l’auteur voit en ces derniers les « représentants modernes des confesseurs et des confesseuses rêvés par Fourier », tous « termites obstinés du noyau familial. » (172) Et qu’advient-il alors « avec le délitement des familles » et sous l’influence de « fouriéristes patentés » qui font étalage public de leurs vies sexuelles délurées : la France, et « la France en particulier », tend à avoir « une image de phalanstère fouriériste » (173). Résumons à ce stade les obsessions de l’auteur que l’on aurait aussi pu décliner dans leurs rapports à l’utopie comme monde clos (33), à la sexualité frénétique supposément imposée par Fourier (66, 162), à l’idée d’une soumission permanente au désir de l’autre qui vient nier toute liberté (97, 122), au libéralisme comme expression achevée du fouriérisme (163, 164), à la pédophilie inhérente à la pensée sociétaire (152), à l’homosexualité comme marqueur de cette décadence (239, 249, 251, 260). Le point central, pour l’auteur, est la question du mariage. Selon Brix, et alors que la vie a peut être accordé à tel individu « des biens de toutes sortes : une famille, la santé, la santé des siens, un métier stable, etc. » (181), l’idéologie fouriériste, par son incitation supposée à la consommation exponentielle de plaisirs illégitimes, serait à l’origine d’une non moins exponentielle épidémie de divorces : « Les principaux ennemis du mariage monogamique, ce sont les penseurs masculins de l’amour libre, qui voient les unions conjugales comme des barrages à la société qu’ils veulent établir. » (236) Autrement dit, le fouriérisme serait devenu l’idéologie porte-drapeau des libertins qui travaillent à « saper cette institution [du mariage monogamique] pour revenir à une polygamie déguisée, tout à l’avantage de l’homme. » Que « le nouvel ordre amoureux » tende à « détruire les liens “nucléaires” qui fondent la société traditionnelle » n’est pourtant qu’une étape, car en s’attaquant « à la famille, et plus encore au mariage monogamique », l’idéologie fouriériste aurait également transformé toutes les femmes en « esclaves heureuses » (258), autrement dit en prostituées soumises ou désirant se soumettre au seul désir polygame de l’homme.

Se refermant sur une étude du roman Soumission de Michel Houellebecq, « qui décrit dans un futur proche l’élection d’un président de la République musulman et l’application généralisée en France de la charia » (293), Brix reste fidèle à sa méthode linéaire : née avec l’œuvre de Platon, systématisée par celle de Charles Fourier, exacerbée et répandue par les idéologues de 1968, la pensée de l’amour libre serait à l’aube de son triomphe absolu qui verra, par la dissolution totale de l’institution traditionnelle du mariage, le règne généralisé d’un rapport polygamique et aliénant des hommes sur les femmes dont le nom à venir n’est autre que celui d’islam. Autrement dit, sous couvert de libertés sexuelles, le péril fouriériste assurera au contraire la décadence première de la France et ses idéologues la victoire seconde de l’étranger. L’utopie excitative d’effroi a semble-t-il de beaux jours devant elle, Michel Brix ne représente ici que le maillon le plus récent de cette tradition conservatrice où le cœur même de la pensée fouriériste n’est en réalité jamais compris comme pensée de l’émancipation, une pensée bien étrangère, en effet, à ce repli sur soi comme au refus de l’autre dont L’Amour libre dresse un pitoyable plaidoyer.


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