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FOURIER Charles : Du libre arbitre (2003)

suivi de "Charles Fourier et l’utopie" par Franck Malécot, Bordeaux/Paris/Barcelone, Les Saints Calus, 2003, 145 p.

Article mis en ligne le décembre 2003
dernière modification le 21 février 2006

par Guillaume, Chantal, Ucciani, Louis

C’est avec pertinence que les éditeurs ont su isoler ce texte de Fourier, dont ils rappellent à propos la provenance. On le trouve dans le tome II des Œuvres Complètes de 1841. Ce court traité a la particularité de voir Fourier aborder une notion philosophique classique et donc de le voir à l’œuvre sur le terrain des philosophes qu’habituellement il contourne. Certes le naturel prend vite le dessus ; subsiste une trame tenue autour des questions de Dieu et de la liberté. Fourier y confronte les idées des philosophes à la réalité du vécu et mesure l’écart. Dans le texte de Franck Malécot, Charles Fourier et l’utopie, l’auteur tente une lecture deleuzienne de Fourier. Il le situe dans les logiques de déterritorialisation, leur applique le plan d’immanence, le confronte aux textes deleuziens sur Leibniz, à Logique du sens et à Qu’est-ce que la philosophie ? Or là l’auteur touche un point crucial qu’il ne soulève cependant pas : que signifie le silence de Deleuze sur Fourier ? - Si on peut en effet faire la lecture agréable et brillante que fait l’auteur et appliquer à Fourier le schème deleuzien, il n’en subsiste pas moins que Deleuze a fermement tenu à l’écart Fourier de toutes ses constructions autour du multiple et de toutes ses mises en procès de la raison. Il a choisi contre Fourier Leibniz et Marx. Le problème de cet évitement réside certainement dans le respect de la philosophie mais aussi dans une position de type politique qui valut par exemple à Deleuze d’être rejeté par Debord qui, lui, contre Leibniz choisissait Fourier et Marx. Faut-il faire de Deleuze un fouriériste qui s’ignorerait ? Certes non. Il y a une réelle réticence de Deleuze vis-à-vis de Fourier qui sut résister aux sollicitations du deleuzien et fouriériste Scherer. Il n’en demeure pas moins que l’essai de Malécot est séduisant et qu’a priori l’association Deleuze Fourier fonctionne. Cependant est-il si évident que le plan d’immanence qui se définit précisément dans le refus de toute transcendance colle à Fourier ? Apparemment oui, si n’était précisément ce que pose Fourier dans son essai sur le Libre arbitre, à savoir la présence de Dieu et des destinées !

Le texte de Malécot révèle ainsi tout son intérêt en mettant le doigt sur un évitement. Quant au reste on notera la pertinence de la lecture, sa contemporanéité et surtout la question qui la sous-tend autour de la question du sujet. Effectivement chez Fourier on assiste à un effacement de l’individu et de l’être sujet et sans doute aussi à un éclat de la représentation. Peut-être pourrait-on alors dire que l’auteur arrive aux bonnes conclusions en suivant une voie un peu trompeuse. Mais ce que je pose ici de critique n’est qu’une invitation à discussion...

Louis Ucciani


« Du Libre arbitre » a déjà fait l’objet de deux publications. En 1841 (soit 4 ans après la mort de son auteur) il a figuré dans le tome II des Œuvres complètes de Charles Fourier ; en 1967, il a été reproduit par procédé anastatique aux Editions Anthropos (Théorie de l’unité universelle, 1er volume). Cette nouvelle édition signale aux lecteurs « les plus remarquables des libertés » que les premiers éditeurs de ce texte prirent par rapport au manuscrit. L’édition originale « comblait des lacunes, ajoutait certains passages, restituait des expressions biffées et remplaçait parfois un mot par un autre... ». Initiative de réédition que nous saluons, d’autant que ce texte est étonnant de subtilité et de vérité (à croire que la vérité est nécessairement subtile ; en tout cas elle doit être traquée dans ce que nous croyons être nos plus belles et plus sûres théories). En effet la théorie du libre arbitre, telle que la philosophie et la théologie nous l’enseignent, n’a pour finalité que de nous apprendre à être les bourreaux de nous-mêmes. C’est un abus de mots de nous proposer la liberté de choix, le civilisé n’étant libre d’opter que pour le plus ou le moins de privation et de supplices. Le libre arbitre des philosophes et des théologiens est de toutes façons contraire à la nature de l’homme et va même à l’encontre de la liberté de Dieu (renversement de l’ordre admis : Dieu opprimé par l’homme !). L’exercice réel et actif de la liberté supposerait que la nature de l’homme ne soit pas obstruée, empêchée dans la combinaison des deux impulsions majeures : la raison, attribut humain, et l’attraction des passions, attribut divin. Les Civilisés crétinisés par cette philosophie et cette théologie n’ont le choix qu’entre la raison et la passion et sont dans l’impossibilité de les faire fonctionner ensemble. Ainsi vont les théories en Civilisation reposant sur des principes faux : la raison et la passion s’excluraient et ne pourraient converger au bonheur composé de l’homme. Libre arbitre en Civilisation signifie renoncer à tous les plaisirs ; plus encore : philosophie et théologie concourent à façonner le peuple au malheur. On sait que dans l’ordre civilisé les jouissances sont limitées à 1/8e du corps social, les 7/8e n’y ont pas droit. On voit que l’écart est absolu dans la pensée de Fourier et qu’il n’est pas superflu de s’attaquer aux soubassements mêmes de la philosophie et de la théologie.

Franck Malécot propose à la suite de ce texte de Fourier une réflexion sur les lieux de l’utopie fouriérienne, en postulant que contrairement à l’essence de toute utopie (être sans lieu), il s’agit pour Fourier de donner ici et maintenant, en premier lieu un plan d’immanence des attractions passionnées, en deuxième lieu un plan des séries passionnelles capables de générer et d’actualiser des sujets et des individus libres, en devenir, jamais fixés dans leur identité. Le parcours d’une journée d’un harmonien serait conditionné par les combinaisons de plaisirs, d’intensités passionnelles. Le sujet ne préexisterait pas au plan de combinaisons des intensités passionnées. F. Malécot nous convie ainsi à une nouvelle
ontologie (dans la lignée de Deleuze) fondée sur l’unité dans le multiple et dans le devenir.

Chantal Guillaume