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101-114
Fourier et les philosophes (Fourier lecteur de Louis Dutens)
Article mis en ligne le 15 décembre 2006
dernière modification le 2 avril 2010

par Schérer, René

On publie ici un manuscrit de Fourier consacré à la retranscription des passages les plus significatifs d’un ouvrage de Louis Dutens, auteur de quelque notoriété au XVIIIe siècle. Il s’agit de démontrer, textes à l’appui, que les philosophes et savants modernes n’ont rien inventé que ne savaient déjà les anciens. Cette charge, fine bien que quelque peu outrée, contre le Progrès des Lumières ne pouvait qu’enchanter le pourfendeur de la « civilisation perfectible ».

Présentation

Au hasard d’une exploration parmi les « Archives sociétaires » de Charles Fourier, j’ai eu le bonheur de mettre la main sur quelques pages qui m’ont paru d’un grand intérêt. Il s’agit de l’annotation d’un livre de Louis Dutens, intitulé  : Recherches sur l’origine des découvertes attribuées aux modernes. Où l’on démontre que nos plus célèbres Philosophe ont puisé la plupart de leurs connaissances dans les ouvrages des anciens ; et que plusieurs vérités importantes sur la Religion ont été connues des Sages du Paganisme.

Qui est ce Dutens, aujourd’hui tombé dans l’oubli ? Un adversaire des philosophes du XVIIIe siècle, incontestablement, mais également, par la nature de ses intérêts qui l’ont porté vers l’histoire des médailles, l’étude des pierres précieuses, la géographie et la publication de ses propres voyages, un de ces cosmopolites, de ces polygraphes encyclopédiques qui annoncent le romantisme et en relèvent même pleinement. Aussi, bien que partisan des anciens, Dutens, de même que Fourier, ne saurait-il être rangé, trop facilement, parmi les « réactionnaires » ; il est un de ces esprits originaux et libres qui ne se sont pas laissés prendre à ce que Baudelaire appellera plus tard, dans une perspective analogue, « l’infatuation » du Progrès.

Le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, en 1866, après celui, historique, de N. Bouillet, en 1849, et en y ajoutant une précision biographique que ce dernier, d’obédience catholique, avait omise, en parle en ces termes :

« Dutens (Louis), philologue et numismate français, historiographe du roi d’Angleterre, associé de l’Académie des inscriptions, né à Tours, de parents calvinistes, en 1730, mort à Londres en 1812. Il vit renfermer l’une de ses sœurs dans un couvent, par ordre de l’archevêque de Tours, et fut tellement indigné de cet acte d’intolérance qu’il se réfugia en Angleterre. Il y apprit les mathématiques, les langues de l’Orient et celles des principaux Etats de l’Europe, devint secrétaire de Stuart-Mackenale, ministre anglais à Turin, remplit ses foncions par intérim en plusieurs circonstances et obtint le riche prieuré d’Elson, par la protection du duc de Northumberland dont il accompagna le fils dans ses voyages sur le continent. C’était un homme fort instruit, mais singulièrement enclin au paradoxe ; il n’aimait pas les catholiques et avait une répulsion très prononcée contre les philosophes de son siècle. Il a laissé : Recherches sur l’origine des découvertes attribuées aux modernes (1766-1812, in 8°, avec des additions considérables), livre d’une érudition prodigieuse, où l’auteur prétend démontrer que toutes les innovations ou les idées dont les modernes se font honneur appartiennent aux anciens ; cette savante paraphrase du Nihil novi sub sole fit sensation, et Condorcet prit la peine de la réfuter ; le Tocsin (1766, in 12°), philippique contre Voltaire et Rousseau ; Dissertation sur quelques médailles grecques et phéniciennes (1773-1776, 3 vol. in 4°) ; Des pierres précieuses et fines (1776, in 12°) ; Itinéraire des routes les plus fréquentées de l’Europe (1777, in 8°) souvent réimprimé et surtout imité ; Moyens de réunion de toutes les églises chrétiennes (1781), utopie qui a été reprise plusieurs fois depuis ; Mémoires d’un voyageur qui se repose (1800, 3 vol. in 8°), histoire de la propre vie de l’auteur. On doit encore à Dutens une édition, en latin, des Œuvres de Leibnitz [1] (Genève, 1769, 6 vol in 4°), travail immense, devant lequel avaient reculé les savants de l’Allemagne. »

L’ensemble de ces traits compose une figure qui ne pouvait manquer d’attirer l’attention de Fourier. L’a-t-il personnellement connu, tout au moins croisé ? Il l’aurait pu, lors de ses propres voyages à titre de commis de commerce ; en a-t-il entendu parler ? Sans aucun doute. Il a été l’une de ses sources, propre à éclairer, pour nous, lecteurs curieux, ce que fut réellement l’information philosophique de celui qui s’est plu à se présenter comme « illitéré ».

En bas de chez moi, à l’orée du quartier de la Butte aux Cailles, dans le XIIIe arrondissement de Paris, la rue Charles Fourier porte, entre parenthèses, la mention : « philosophe, économiste ». Qualifications d’autant plus remarquables qu’il ne fut, littéralement parlant, ni l’un ni l’autre. Car philosophes et économistes étaient, à ses yeux, les tenants de ces « sciences incertaines » qui témoignent de « l’égarement de la raison ». Ils ont « escobardé » le monde, responsables de ces « étourderies » ou « bévues » dont les plus beaux fleurons sont la « catastrophe de 93 », « les crimes du commerce », l’anarchie et les malheurs d’une civilisation qui entretient « la pauvreté au sein de l’abondance même » ; « secte », « tourbe » (philosophesque), le vocabulaire de Fourier se déchaîne à chaque fois en mots cinglants pour les désigner. Et pourtant, on n’a pas tort de le ranger parmi les philosophes, de lui accorder cette sorte de « promotion » (François Dagognet) relativement au poids (sinon au « sérieux », terme à n’utiliser à son égard qu’avec précaution), à l’importance de sa pensée. Philosophe, il le fut, mais, comme l’a noté très justement Louis Ucciani, pour dénoncer les philosophes de « l’institution », pour prendre avec eux ses distances, procéder à un « écart absolu », à la ressemblance de celui du monde sociétaire à l’égard de la civilisation [2]. Ainsi que procédera Nietzsche avec lequel son irruption inopinée, intempestive, dans le champ de la philosophie, présente de si nombreuses analogies.

Fourier, donc, n’a eu de cesse qu’il ne brocarde les philosophes, leurs écrits, l’institution philosophique dans son ensemble, depuis ses origines antiques. Toutefois, ce sont, et on le comprend, ses presque contemporains, les modernes du XVIIIe siècle qui furent ses cibles favorites. Les philosophes autoproclamés des « Lumières ». Et, recueillis auprès d’eux, véhiculés par ces « torrents de lumière » qu’ils sont censés avoir déversés, deux de leurs idées maîtresses, deux de leurs concepts les plus familiers : celui de progrès et celui de perfection, ou plutôt, de perfectibilisme. Toute occasion, par lui, ses lecteurs ne peuvent manquer d’en avoir été frappés, est saisie au vol, de dénoncer la civilisation perfectible et les perfectibilisateurs de tous poils, en tous les domaines. Bien que ce soit, à coup sûr, l’ensemble philosophique ou « philosophesque » que l’inventeur du Nouveau monde sociétaire se plaise à épingler, si les modernes sont électivement mentionnés, c’est, outre leur responsabilité engagée et leur intervention directe dans l’histoire contemporaine, leur prétention au progrès qui est visée particulièrement. Un « progrès de l’esprit humain » dont Condorcet s’était fait l’interprète le plus notoire et le plus apparemment incontesté.

Que les modernes soient allés plus loin que les anciens, en philosophie, dans les sciences, les techniques, qui en douterait ? A peine a-t-on pu soulever, au siècle précédent (le XVIIe) la fameuse « querelle » à propos de la littérature et des arts ; mais en matière de connaissances et de pratiques, le différend semble à peine pensable. Or, c’est précisément ce dernier point qui importe le plus au pourfendeur de la civilisation : contester qu’elle progresse ou que ses prétendus progrès aient apporté quelque chose de nouveau par rapport aux époques antérieures.

On comprend, en ce cas, quelle confirmation Fourier a pu trouver chez un auteur qui, en s’appuyant sur des références précises, avec une érudition apparemment irréfutable, venait apporter la preuve que les anciens, philosophes et savants grecs et latins, avaient déjà découvert et exposé ce dont les modernes se vantaient d’être les inventeurs. Jubilation, sans doute, de Fourier à cette lecture qui confortait ses plus intimes convictions et pouvait transformer ses pressentiments, ses visions, en certitude. Ce Dutens, dont il a pris soin d’annoter ou plutôt de recopier les pages de conclusion, le comble, va même au-delà de ce qu’il pouvait souhaiter, puisqu’il étend sa confrontation critique et, si l’on peut dire, réductive des modernes aux anciens, à ces « sciences fixes » que Fourier oppose généralement aux incertaines. Sciences qu’il devait se résigner à ranger parmi les avancées incontestables de la modernité. Or, il va trouver chez Dutens un renfort inespéré. Les mathématiques, la physique n’ont pas plus progressé dans les temps modernes que la philosophie la religion ou la morale. Et il semblerait même qu’à la faveur de cette nouvelle lecture, de cette manière critique de voir les choses, il eût été légitime de détrôner Newton de ce titre de découvreur des lois de l’attraction que lui accordait à l’origine la théorie de l’attraction passionnée. Si tant est que, ainsi que l’établit Dutens, même le principe de « la raison inverse du carré des distances » avait déjà été découvert par certains des physiciens de l’antiquité. Et de même en devait-il être du système de Képler auquel, pourtant, l’inventeur de l’Harmonie universelle rend hommage à plusieurs reprises en divers passages de ses écrits.

Les limites de cet article ne me permettant pas un commentaire plus détaillé, je me contenterai donc de présenter, pour le moment du moins, le texte brut, tel que j’ai pu le relever. Fourier a recopié dix pages de la Conclusion de l’ouvrage de Dutens : de la page 342 à la page 354, dans le second tome de la quatrième édition (Gabriel Dufour, 1812). Sa retranscription est fidèle. Je me suis contenté de restituer une ponctuation fantaisiste ou absente, de compléter certaines abréviations peu intelligibles. Les quelques variantes avec le texte de Dutens sont indiquées entre parenthèses par (D :). Les notes de références ont été repoussées en bas de page. Fourier avait omis celles qui renvoyaient seulement au corps de l’ouvrage. Je ne les ai pas restituées, mais ai, en revanche, noté quelques divergences entre le texte de la première édition et celui, augmenté, de la quatrième. Le livre de Dutens est divisé en paragraphes numérotés et sous-titrés d’une note marginale. J’ai restitué numérotation et notes.

Le titre complet est : Recherches sur l’origine des découvertes attribuées aux modernes - où l’on démontre que nos plus célèbres philosophes ont puisé la plupart de leurs connaissances dans les ouvrages des anciens et que plusieurs vérités importantes sur la religion ont été connues des sages du paganisme. Quatrième édition augmentée de plusieurs notes et citations nouvelles et d’un chapitre sur l’usage des voûtes chez les anciens.

Le manuscrit qui fait l’objet du présent article se trouve, selon la classification d’Emile Poulat, dans le 32e cahier « gris piqueté » de la cote 9. Actuellement, dans le classement adopté par Edith Thomas, ce cahier est recensé à la cote 10 AS 5, dossier 4, mentionné dans l’inventaire du Fonds Fourier et Considérant, archives sociétaires (1991), sous le titre : « les philosophes talés sur le point d’honneur ; alternative et capitulation pour la philosophie ancienne et moderne ». Le texte existe en double dans le dossier : l’original écrit par Fourier lui-même a été très fidèlement retranscrit par un copiste en écriture plus lisible et c’est ce second texte que j’ai utilisé.

Que Madame Magali Lacousse, conservatrice des Archives qui m’a autorisé à consulter directement le cahier (car le microfilm en est pratiquement inutilisable) trouve ici l’expression de ma reconnaissance. Je remercie également Asgard Tison-Mallegol, dont l’aide technique m’a permis la reproduction photographique des documents.


Transcription du document

Citroduction

Alternative et capitulation pour la philosophie ancienne et moderne

Commence à 34

Transcrit de Dutens tome 2è 342 [3]]. Conclusion et récapitulation des 4 parties

[Ignore qui a dit l’aug(uste) vérité par plaisante pour perfect( ) : si cherchent vérité ici comme à bal masqué.]

[Dutens : 333. Les anciens ont précédé les modernes dans les vérités les plus importantes]

Nous venons de voir que dans presque toutes les vérités importantes les anciens ont précédé, les modernes qu’ils ont du moins indiqué ou frayé le chemin à leurs découvertes. Il paraît même que ceux-ci n’ont pas toujours eu le désintéressement de déclarer quels étaient les guides qu’ils avaient suivis pour arriver à leur but. [souligné par Fourier].

Sur ce (D : quoi) il est bon de remarquer que lorsque ces mêmes philosophes ont vu leurs opinions attaquées ou lorsqu’ils ont craint qu’elles ne le fussent, ils se sont appuyés de l’autorité des anciens pour imposer silence à l’envie et à la calomnie. Descartes, Mallebranche [4] et quelques newtoniens nous en fournissent des exemples :

[334] Descartes (D : Le premier) à la fin des (D : de ses) Principes de Philosophie (1) [5] prévient le lecteur qu’il n’a rien avancé que d’après Aristote, Démocrite et autres philosophes de l’antiquité ; Mallebranche voyant son système sur les idées accusé de fausseté et (D : d’être capable de favoriser l’) d’impiété cherche aussitôt à l’appuyer de l’autorité de St Augustin (2) [6] et quelques neutoniens [sic] voyant que l’attraction était regardée comme une chimère ont tenté de prouver ensuite que les anciens l’avaient connue et enseignée (3) [7] croyant par là lui donner plus de cours. Les uns ont voulu prévenir en faveur de leur système en s’appuyant de l’autorité des anciens, les autres se voyant attaqués ont cherché des autorités (D, première éd. : protecteurs) parmi ces philosophes, d’autres encore craignant d’avoir de la peine à se soutenir ont mieux aimé renoncer à la gloire de l’invention que d’abandonner entièrement leurs idées favorites à la poursuite de leurs adversaires et en ont retracé l’origine de plus haut pour les mettre hors d’atteinte des modernes. Il s’en est trouvé aussi quelques uns qui se voyant sûrs du succès de certaines opinions hasardées sans avoir indiqué les sources où elles étaient puisées leur ont laissé prendre cours sous leur nom et ne les voyant point restituées par la voix publique à leur propre auteur ont joui tacitement d’une gloire empruntée les uns souvent avec connaissance de cause et d’autres (D : quoiqu’) en petit nombre dans la bonne foi.

335 : [récapitulation des choses traitées dans la première partie]

1ère partie. Le peu que nous avons dit de Descartes Locke et Mallebranche suffit pour autoriser ce que l’on avance ici. Descartes n’a point désigné les auteurs d’où il avait tiré ses idées particulières ; il a dit seulement en général et d’une manière vague que les grands philosophes de l’antiquité avaient pensé comme lui (souligné par Fourier) (4) [8], Locke a passé pour original quoique ses principes fussent les mêmes que ceux d’Aristote et ses divisions les mêmes qu’employaient les stoïciens (5) [9], Mallebranche n’a point déclaré d’abord que son opinion sur les idées avait été celle des Chaldéens, de Parménide, de Platon, (et) de St Augustin, mais lorsqu’il s’est vu attaqué vivement par ses adversaires, il fut (D : s’est) armé contre les philosophes du bouclier de Platon et il a fait intervenir l’autorité de St Augustin pour arrêter les poursuites des théologiens.

C’est aussi à tort que l’on attribue à Descartes la gloire d’avoir le 1er distingué clairement les propriétés de l’esprit d’avec celles du corps et d’avoir démontré que les qualités sensibles n’existaient point dans les objets mais dans l’âme qui les aperçoit. Nous avons vu qu’il avait été précédé en cela par Leucippe Démocrite Platon Straton (Aristippe), Plutarque et Sextus Empiricus

336 [Récapitulation de la 2ème partie]

2e. p(arti)e Leibnitz a non-seulement fait revivre les monades de Pythagore mais il a encore employé les mêmes arguments dont se servaient les Pythagoriciens pour démontrer la nécessité d’admettre l’existence des êtres simples antérieure à celle des composés et comme le fondement de l’existence des corps.

(D : M. de) Buffon a cité quelque fois Aristote et Hyppocrate (D : Hippocrate) mais non pas lorsqu’il a été question du fond de son système que l’on a toujours cru nouveau et qui paraît cependant avoir le plus grand rapport avec celui d’Anaxagore, Empédocle et Plotin (1) [10] Les principes actifs et les agents simples qui produisent tout dans la nature forment un système que Pythagore Platon et Epicure avaient exposé avant (D : M.) Needham. La philosophie corpusculaire de Gassendi et des newtoniens n’est autre chose que celle des Moschus [11], Leucippe Démocrite et Epicure. L’accélération du mouvement a été connue d’Aristote et la manière la plus satisfaisante de rendre compte de cet effet est encore celle qu’employait ce philosophe. Lucrèce avait déjà dit avant Galilée que les corps les plus inégaux en pesanteur comme le duvet et l’or devaient tomber avec la même (D : une égale) vitesse dans le vide, la pesanteur universelle la force de gravité les forces centripètes et centrifuges ont été clairement indiquées dans Anaxagore Platon Aristote Plutarque et Lucrèce

Nous avons vu aussi que sans télescope Démocrite et Favorinus [12]] avaient eu des idées justes sur la voie lactée et avaient annoncé la découverte des satellites ; que la pluralité des mondes avait été enseignée avec toute la clarté et la précision possibles parmi les anciens, que Platon avait eu des idées assez nettes de la théorie des couleurs.

Nous avons vu que 2000 ans avant Copernic, Pythagore avait proposé son système, (D : et) que Platon, Aristarque et plusieurs autres l’avaient admis et que ces mêmes philosophes avaient admis sans peine l’opinion des antipodes, opinion (adjonction de Fourier) si raisonnable et qui a pourtant eu tant de peine à s’établir parmi nous. Les révolutions des planètes sur elles-mêmes ont aussi été connues des écoles de Pythagore et de Platon. Les comètes n’ont fourni rien de nouveau à dire aux modernes sur leur retour, leur nature et leur cours. Les Chaldéens, les Egyptiens, Pythagore, Démocrite, Hyppocrate de Chio, Artemidore [13] et Sénèque avaient déjà épuisé la théorie de cette matière que les modernes il est vrai ont ensuite démontrée plus clairement. Les montagnes, les vallées et les habitants dans la lune avaient été supposés par Orphée, Pythagore, Anaxagore et Démocrite (sages dans l’erreur sur les habitants puisque n’avaient pas les instruments nécessaires à s’assurer que cette planète est privée d’atmosphère et par conséquent morte et inhabitable) [cette parenthèse est de Fourier].

[337]

Aristote a connu la pesanteur de l’air, Sénèque a parlé de son ressort et de son élasticité, Leucippe, Chrysippe, Aristophane et tous les stoïciens avaient épuisé le sujet de la cause du tonnerre et des tremblements de terre. Pythéas [14] et Seleucus d’Erythrée [15] ont précédé Descartes dans son explication de la cause du flux et du reflux de la mer et Pline avant (D : le chevalier de) Newton en avait attribué la cause aux forces combinées du soleil et de la lune.

[338]

3è p.e On a vu aussi qu’Hippocrate, Platon et Galien avaient connu la circulation du sang et que Rufus (D : Ruffus) [16] et d’autres écrivains avaient décrit il y a nombre de siècles (D, 1ère éd. : Ruffus avait écrit, il y a 1600 ans) les parastates variqueux que l’on appelle trompe de Fallope [17] suivant l’opinion même d’un habile chirurgien de ce siècle on a fait voir que la chirurgie était aussi avancée il y a 2000 ans qu’elle l’est à présent et que l’art de travailler les métaux, de rendre l’or potable le verre ductile et malléable l’art de distiller celui de peindre le verre, la composition de la poudre à canon et mille autres opérations chimiques que nous avons prouvé avoir été connues des anciens ne nous laissent aucun doute de leur habileté dans la chimie. On a vu que le sentiment de Harvey, de Stenon et de Rédi [18] sur la génération par les œufs avait été renouvelé d’Hippocrate Empédocle Aristote et Macrobe que celui de Hartsoeker et de Leuwenhoeck sur les vers spermatiques et les animalcules se trouve dans Aristote Hippocrate Platon Lactance et Plutarque ; quant au système sexuel des plantes dont on attribue le principal mérite à Morland, Grew, Vaillant et Linnée (D : Linnaeus), il est précisément exposé dans Empédocle Théophraste Pline et Diodore de Sicile.

[339]

Quoique nous ne nous soyons pas arrêtés longtemps sur les mathématiques et la géométrie, nous avons cependant fait voir que les plus belles découvertes dans ces sciences ont été faites par les anciens. Tous les géomètres anglais [un blanc ; D : suivis de] de Leibnitz et de Wolf (1) [19] conviennent que malgré les tentatives faites par les plus habiles géomètres des derniers siècles, la méthode d’Euclide est encore la plus rigoureuse et la plus parfaite. Nous voyons que les problèmes les plus difficiles dans ces sciences ont été résolus par Thalès, Pythagore et Platon, Archimède, Apollonius, etc. Nous avons vu que leurs productions dans la mécanique ont été portées à un point qui a surpassé même les conceptions de nos plus illustres savants ; les miroirs ardents d’Archimède nous en ont fourni un exemple [20]. L’isochronisme des vibrations du pendule, la connaissance de la réfraction de la lumière et de sa cause, les tentatives sur la quadrature du cercle, les découvertes des propositions fondamentales de la géométrie et surtout de l’algèbre et celle de la précession des équinoxes ont dû nous convaincre de la profondeur et de la subtilité du génie des anciens.

Nous avons fait voir aussi qu’ils avaient connu le microscope, que dans les arts de la peinture de la sculpture et de la musique ils nous avaient non seulement égalés mais surpassés (D : non seulement ils nous avaient égalés, mais même ils nous avaient surpassés). En mettant sous les yeux du lecteur une esquisse de tous leurs ouvrages admirables en architecture et en art de la guerre ; nous avons prouvé qu’ils n’étaient pas moins habiles dans les arts que dans les sciences de sorte qu’il n’est aucune partie branche (mot ajouté par Fourier) de nos connaissances dans laquelle les anciens ne nous aient devancés guidés ou surpassés.

[340 Récapitulation de la 4ème partie]

4ème partie Il est un autre genre de vérité que je ne mets point au rang des découvertes quia (D : parce que] les modernes même (souligné par Fourier) ne se flattent pas de les avoir trouvées et qu’ils reconnaissent en devoir la connaissance à la religion chrétienne. Telles sont l’existence de Dieu, l’immortalité et la spiritualité de l’âme, la création du monde et de la matière et enfin l’origine du mal. Mais quoique l’on convienne que la morale chrétienne a beaucoup contribué à perfectionner les connaissances, il n’est pas raisonnable de soutenir que les anciens ne les aient pas eues et il me semble au contraire avoir démontré qu’ils avaient connu parfaitement ces principaux dogmes ; on ne peut pas parler plus noblement et plus sublimement de Dieu et de l’âme que Platon l’a fait et la création de la matière se trouve aussi clairement soutenue dans cet auteur et ses sectateurs que quelque autre part que ce soit.

Il semble que ce serait rendre un mauvais service à la religion que de récuser des témoignages aussi clairs et aussi solides que ceux que ces grands philosophes pouvaient (D : peuvent) rendre sur ces vérités contre quelques personnes qui avec les plus grands secours pour parvenir au but que tout homme doit se proposer ferment les yeux à la lumière qui les environne de toutes parts et s’aveuglent pour ainsi dire afin de n’être pas forcés de voir le grand jour.

[341 Conclusion pour engager à remonter aux sources de la vérité]

Or, s’il est démontré que les écrits de ces grands maîtres contiennent la plus grande partie de nos connaissances et que les découvertes les plus célèbres des modernes y aient pris leur origine, nonne [21] (D : il est donc) raisonnable que nous allions puiser directement à la source sans nous en tenir entièrement aux ruisseaux qui en découlent (1) [22]]

[Ici Fourier insère deux notes qui, dans l’ouvrage de Dutens, appartiennent au paragraphe suivant, qui commence par « En recommandant ». Je conserve la graphie du manuscrit, mais les indique, par (1), (2), à la place qu’elles occupent dans le texte imprimé - R. S.]

(1) Le célèbre Guy Patin avait une si haute opinion des écrits des anciens qu’il dit dans une de ses lettres à un ami (D : « ) l’Histoire de Pline est un des plus beaux livres du monde ideo (D : c’est pourquoi) il a été nommé la bibliothèque des pauvres ; si l’on met Aristote avec lui, c’est une bibliothèque presque complète ; si l’on ajoute Plutarque et Sénèque, toute la famille des bons livres y sera, père et mère, aîné et cadet. (D : Lettres choisies de Guy Patin, Paris, 1685)

(2) Je vois, dit Leibnitz d’habiles gens croire qu’il faut abolir la philosophie des écoles et en substituer une toute autre à sa place ; mais après avoir tout pesé, je trouve que la philosophie des anciens est solide et qu’il faut se servir de celle des modernes pour l’enrichir non pour la détruire (Leibnitz miscellana à Feller p. 113 otio Hannov.)

[342 Qu’il ne faut pas cependant négliger l’étude des modernes]

En recommandant l’étude des anciens, je suis fort éloigné de penser qu’il faille négliger les modernes. Je crois au contraire qu’on doit porter un esprit attentif à leurs travaux pour observer ce qu’ils ont ajouté par leur expérience aux connaissances des anciens (D : car il n’est pas douteux que l’on peut tous les jours ajouter au progrès des connaissances (2)) [23] ou aux obscurités de quelques uns de leurs traités. Les travaux des modernes peuvent de plus servir à remplacer les traités que nous avons perdus des anciens et dont les titres qui nous restent servent à nous faire comprendre la grandeur de notre perte. (D : Note 1)

(1) Voici comment s’exprimait là-dessus un des plus grands hommes du siècle, le savant Atterbury évêque de Rochester : la modestie nous apprend à parler et penser avec respect au sujet des anciens surtout quand nous ne connaissons pas parfaitement leurs ouvrages. Newton qui les savait presque par cœur avait pour eux eux le plus grand respect et les regardait comme des hommes d’un grand génie et d’un esprit supérieur qui avaient porté les découvertes en tout genre beaucoup plus loin qu’il ne nous paraît à présent par ce qui reste de leurs écrits. Il y a plus des anciens perdus qu’on ne nous en a conservé et peut-être nos nouvelles découvertes ne valent-elles pas nos anciennes pertes. (souligné par Fourier)

Opinion de Newton transcrite par Atterbury.

Ce livre ignoré quia dit vérité déplaît (ces deux annotations, de Fourier)

Citroduction. Indiquée à 30

Ici les pages 37, 38

[Ecrit à la suite, sur la même page, le brouillon suivant, esquisse d’un Avant-propos, où les philosophes sont interpellés, mérite également d’être reproduit - R. S.]

La génération présente se méfie de l’histoire et ce n’est pas sans raison. Les équipées de 89 et 93 ont dévoilé le secret de leurs doctrines avec ces beaux verbiages de douce fraternité et de sainte égalité [barré : et perfectibilité). On ne trouve plus aujourd’hui à faire des dupes. La philosophie convaincue de sa faiblesse [barré : de ses vieilleries] change de batterie, elle nous promet la perfectibilité du commerce et de la charte le règne des saintes doctrines de balance contrepoids [en marge : garanties équil(ibre)] et des aperceptions de sensations [barré : sur quoi le siècle répond aux sophistes]

Vaines excuses [jongleries, barré, en surcharge] le siècle ne voit dans ces sophistes que des intriguans dangereux qui sous un masque de philanthropie cherchent à exciter des intrigues [à saper les trônes et les autels, barré] et envahir [barré : par fas et nefas] les richesses et le pouvoir dont ils prêchent le mépris.

Le siècle qui les juge ainsi a-t-il tort ou raison dans cette opinion ? Je m’abstiens de prononcer, je me borne à exposer aux philosophes leur situation critique et leur représenter combien ils sont intéressés à l’épreuve de la découverte d’où dépend l’avènement du monde social à l’unité et l’avènement des philosophes mêmes à cette fortune dont ils sont idolâtres en feignant de la mépriser.

Je pourrais dire aux philosophes qu’on n’a ici nul besoin de leur secours, que la théorie de l’association simple reposant sur des calculs rigoureusement arithmétiques et par conséquent à portée de tout le monde on n’a que faire de chercher des promesses quand on peut prouver à chaque propriétaire que s’il a mille écus de rente effective en civilisation il a 3000 écus de rente en association agricole, c’-à-d qu’il aura la masse de denrées qui est représentée aujourd’hui par 3000 écus en démontrant cette thèse je n’aurai pas besoin d’autre appui que la justesse d’un calcul qui offre tant d’autres avantages, il sert les vues de tous les souverains en prévenant sans retour les révolutions anarchiques dont notre génération a été si cruellement victime.

[barré  : Avant d’exposer les principes de la science dont je vais traiter dans la section suivante] Je croirais manquer de procédé si je n’intercédais pour obtenir la grâce des sophistes dont je renverse l’ouvrage 400 000 volumes de controverse politique morale métaphysique et économique vont tomber dans le néant le siècle [tout ce qui précède barré] Le siècle qui a eu la faiblesse de les croire se doit à lui-même de [ne point insulter] pardonner ces auteurs [barré : et moi qui les confonds] confondus et moi qui lève au siècle la cataracte et qui vais lui [fin de la page]