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BOZON Michel : "Fourier, le Nouveau Monde amoureux et mai 1968. Politique des passions, égalité des sexes et sciences sociales" (2005)

Clio, Histoire, femmes et sociétés, n° 22, 2005

Article mis en ligne le 15 décembre 2006
dernière modification le 21 avril 2007

par Guillaume, Chantal

L’auteur rappelle l’histoire de ce texte, Le Nouveau Monde amoureux, écrit au début de la Restauration et publié en 1967 seulement. Il s’efforce de mettre en valeur son originalité et surtout sa seconde vie dans le contexte culturel et social de sa parution, les années 1968. Il tient à montrer que l’Amour libéré du carcan de la monogamie devait être le « principal ciment social en Harmonie ». C’est dire que Le Nouveau Monde a toute sa place dans la théorie sociétaire. Il importe encore de s’interroger sur cette occultation des textes sur l’amour. Michel Bozon apporte des réponses qui dépassent le simple constat de la censure volontaire des disciples choqués par la hardiesse des propositions de Fourier. Il note d’ailleurs que les disciples, dans la préface de la seconde édition de la Théorie des quatre mouvements (1841), tiennent à préciser que les générations futures sauront s’approprier ces questions liées aux conduites amoureuses. Michel Bozon tient d’ailleurs à préciser que Fourier ne traite pas de « sexe » mais de relations entre les sexes, y compris celles qui sont dénuées d’élément matériel, l’amour céladonique. Fourier va lui-même déserter dans ses textes de maturité ce terrain de l’amour et de l’égalité des sexes. Peut-être (telle est l’hypothèse de l’auteur) Fourier veut-il ne pas faire fuir son public et un éventuel mécène pour mettre en pratique sa théorie. On peut douter de cette motivation, car Fourier a manifesté des réactions complexes et ambiguës face aux possibles réalisations de son idéal phalanstérien.

L’auteur nous livre ensuite une présentation du Nouveau Monde amoureux en privilégiant la critique radicale que Fourier fait du mariage exclusif et de l’avilissement de la femme dans et par le mariage. Fourier dénonce cette incroyable absurdité d’obliger deux personnes à vivre toute leur vie ensemble ! Le cocuage est donc l’inévitable destin de la nécessité hypocrite de la monogamie en Civilisation. Michel Bozon replace cette critique des mœurs matrimoniales dans la théorie globale des passions chez Fourier. L’amour est la passion la plus apte à multiplier les liens sociaux, elle a le plus de propriétés sociales. En Harmonie les multiples institutions amoureuses garantissent à chacun, les vieillards comme les jeunes « un service amoureux ». La politique de l’amour chez Fourier est organisatrice et classificatrice : les rencontres, les institutions, les cinq ordres d’amour et même les orgies. Ainsi l’amour sous toutes ses formes, dans les multiples institutions, favorise les liens sociaux mais maintient aussi une égalité radicale entre les hommes et les femmes en ne préjugeant jamais d’une essence ou spécificité de l’éros masculin ou féminin.

L’auteur, après cette lecture pertinente du Nouveau Monde, questionne la nature de la réception de cette œuvre à la fin des années 60. Après Stendhal, André Breton, la critique littéraire d’avant-garde s’empare de Fourier (Tel Quel, Topiques). Mais rattacher cette utopie aux études littéraires, remarque Michel Bozon, c’est la dépolitiser. On peut lui opposer que l’avant-garde telle qu’on la définit dès le début du XXe siècle, est par essence politique ou ne dissociant pas art et politique. Un autre courant inscrit Le Nouveau Monde amoureux dans le mouvement de libération sexuelle des années 1960-1970 : Fourier, dit l’auteur, « le Nostradamus de la libération sexuelle » ! Il relève l’anachronisme de cette lecture de Fourier qui ignore et occulte la volonté fouriériste de faire une nouvelle science sociale, systématique, modélisatrice et taxinomique. Fourier après observation des comportements amoureux construit la logique d’un nouveau monde fondé sur les principes de la multiplication des liens amoureux et sur l’égalité des sexes. Il s’agit plus, dit Michel Bozon, d’une déduction théorico-empirique que du volontarisme d’un utopiste. Cette liberté amoureuse que les libertaires revendiquent en se réclamant de Fourier est antinomique d’une volonté fouriériste d’organisation et d’institution des relations amoureuses. Michel Bozon a raison... à croire que ceux qui veulent en faire un maître ne l’ont pas lu.