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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Anglemont (d’), Arthur (Henri)
Article mis en ligne le 25 juin 2007
dernière modification le 28 avril 2014

par Desmars, Bernard

Né le 9 septembre 1821 à Verdun (Meuse), mort le 20 juillet 1898 aux Lilas (alors Seine, aujourd’hui Seine-Saint-Denis). Coopérateur, garantiste, fouriériste hétérodoxe.

Descendant d’une famille aristocratique lorraine, Arthur d’Anglemont adhère à la doctrine sociétaire dès les années 1840, grâce à un officier du génie, Parmentier, qui lui fait lire la Théorie des Quatre Mouvements. Ses convictions phalanstériennes déplaisant à sa famille, il s’installe à Paris où il étudie la chimie pendant quelque temps. Il aurait ensuite participé, d’après sa biographie parue dans La Rénovation en 1899, à l’une des expériences de Condé-sur-Vesgre, probablement à celle de la fin des années 1840.

Après la dissolution de cette société, et tenant compte de l’échec de Réunion (Texas), il considère que les tentatives de commune sociétaire sont vouées à l’échec ; il se déclare désormais partisan du garantisme, c’est-à-dire du passage très progressif de la Civilisation à l’Association intégrale, grâce à la création de coopératives et de mutuelles. Dans les années 1860, avec quelques fouriéristes, mais aussi avec d’autres militants coopérateurs, dont Jean-Pierre Beluze, l’ancien disciple de Cabet, il participe à la création de l’Association générale d’approvisionnement et de consommation, dont les statuts élaborés en 1864 manifestent une nette inspiration fouriériste tout en empruntant certaines techniques commerciales aux Equitables pionniers de Rochdale, la coopérative anglaise ; les fondateurs prévoient la rétribution du capital, et surtout ils envisagent l’extension et la diversification des activités de l’association ; ses bénéfices devraient en effet permettre de constituer des coopératives de production, des boulangeries et des buanderies sociétaires, puis de financer des pouponnières, des garderies et des crèches, d’établir des bibliothèques, des cours et des orphéons pour les adultes, de construire des maisons pour les malades, les convalescents, les infirmes et les vieillards...

Vers le milieu des années 1850, d’Anglemont s’est installé à l’est de Paris, dans une belle propriété d’abord située sur le territoire de Romainville, puis sur la commune des Lilas créée en 1867. Après la chute du Second Empire, il en devient maire pendant quelques mois, du 5 septembre 1870 au 26 janvier 1871 ; cette magistrature s’effectue dans des conditions très difficiles, puisque Paris est alors assiégé par les troupes allemandes ; un conflit avec les gardes nationaux provoque la démission d’Arthur d’Anglemont de ses fonctions municipales. Dans les décennies suivantes, sans exercer de mandat public, il continue à s’intéresser à sa commune, soutenant en particulier les œuvres de bienfaisance et les associations philanthropiques.

Pendant cette période, Arthur d’Anglemont apparaît assez éloigné des différentes structures et manifestations de l’Ecole sociétaire ; on ne le voit pas parmi les collaborateurs des revues fouriéristes des années 1860 et 1870, il n’est pas mentionné parmi les convives des banquets phalanstériens de la même période, et n’apparaît pas parmi les souscripteurs de la Librairie des sciences sociales, rénovée au milieu des années 1860 par François Barrier. Cependant, dans les années 1880, il se rapproche des militants fouriéristes : il siège très brièvement au conseil d’administration des Orphelinats du Sig, cette association dirigée par le fouriériste Henri Couturier afin d’installer un orphelinat sur les terres de l’Union agricole du Sig, en Algérie (il y entre lors de l’assemblée générale du 23 juillet 1884, mais envoie sa démission avant l’assemblée générale du 3 juillet 1885 [1]. Veuf, il se remarie avec Joséphine Huart, elle-même fouriériste et veuve d’un officier, Viette de la Rivagerie, également disciple de Fourier et décédé en 1881). Quand quelques disciples se regroupent à la fin des années 1880 pour créer La Rénovation, dirigée par Hippolyte Destrem, il fait partie des premiers souscripteurs de la revue qu’il continue à soutenir dans les années suivantes [2]. Il est sans doute assez proche de Destrem, qui, comme lui, a peu participé aux activités de l’Ecole sociétaire des années 1860-1870, professe des conceptions garantistes et entretient des relations avec les milieux occultistes.

Cependant, très rapidement, Anglemont semble se détacher du groupe de La Rénovation et tente de propager par ses propres moyens les idées qu’il a élaborées dans les années précédentes. Anglemont a en effet édifié une nouvelle doctrine, qui, même si elle possède de nombreuses affinités lexicales et conceptuelles avec le fouriérisme (il utilise abondamment les notions de « loi d’analogie », de « série », de « garantisme », d’« association intégrale », d’« harmonie ») ne cite pas le nom de Fourier et ne se réfère pas explicitement à la théorie sociétaire. Cette doctrine associe deux dimensions : d’une part, une vision organiciste de la société (« l’Etre social collectif », analogue au corps humain) et le projet d’une « société harmonieuse » grâce à la formation de coopératives et de ménages sociétaires ; d’autre part, une cosmogonie, où, dans « l’Etre social astral », les âmes voyagent d’une planète à l’autre et se réincarnent périodiquement ; ceci fait l’objet d’une série intitulée Omnithéisme. Dieu dans la science et dans l’amour, publiée entre 1891 et 1894, où il est question de « l’omnivers », du « fractionnement de l’infini », des « règnes déitaires » et des « sous-règnes anthropoïdes »...

Afin de propager ses idées, Anglemont fait des conférences, notamment dans le cadre d’un groupe parisien appelé « les Harmoniens » ; il publie de gros ouvrages sur ses conceptions métaphysiques et ses propositions de réformes sociales, dont il propose parfois des « extraits » et des « abrégés » censés en faciliter l’accès. Pour élargir son public et s’adresser notamment à « la classe des travailleurs », il prend la rédaction en chef d’un périodique, Le Monde Nouveau, qu’il fonde en 1894 avec un nommé Adolphe Argence, celui-ci étant principalement chargé de l’administration. Il s’agit, écrit d’Anglemont, « de mettre à l’étude les éléments d’une société nouvelle destinée à faire disparaître peu à peu le paupérisme et la misère sous toutes ses formes, afin de créer le bien-être qui, par la suite, sera un des éléments du bonheur universel » [3]. Dans les premiers mois, alors que le périodique a pour sous-titre, « Organe sociologique, littéraire, scientifique [puis artistique, puis satirique], politique illustré », Anglemont est le principal rédacteur et il expose dans de longs articles ses réflexions sur les problèmes sociaux (la pauvreté, les inégalités, la violence), « la science sociale » qu’il faut approfondir, « les garanties » qui sont nécessaires, et la « société harmonieuse » qu’il veut établir ; puis, sa contribution rédactionnelle diminue un peu au cours de l’année 1895, et plus nettement à partir de janvier 1896 ; le sous-titre devient alors « Journal socialiste hebdomadaire » et on lit dans les colonnes du Monde nouveau les signatures de Paule Mink, Henri Turot et Paul Argyriadès, soit des socialistes proches ou membres du Comité Révolutionnaire Central d’Edouard Vaillant. Ce voisinage surprenant entre des courants socialistes très différents cesse au printemps 1896 avec la disparition de l’hebdomadaire.

Anglemont se rapproche à nouveau de La Rénovation  ; en 1897-1898, alors que l’Ecole sociétaire désormais dirigée par Alhaiza est divisée entre les partisans du garantisme et des dissidents qui veulent passer à la réalisation phalanstérienne, il affirme ne pouvoir « admettre la création fructueuse d’une commune sociétaire isolée, abandonnée à ses faibles moyens d’action au sein de la Société actuelle, que les institutions contraires à son développement étoufferaient infailliblement dans son germe » ; il renouvelle sa foi dans le rôle des coopératives de consommation qui, « de proche en proche, conduiraient à la réalisation définitive de l’Association intégrale » [4]. Il apporte sa contribution financière à la statue de Fourier en 1897 et à nouveau en 1898, peu de temps avant sa mort [5].

Dans son testament, il lègue à la mairie des Lilas la somme de 30 000 francs pour la création d’un Refuge gratuit pour les vieillards des deux sexes, en souhaitant que cet exemple soit imité et qu’un tel établissement soit ensuite édifié dans de nombreuses autres communes [6]. Il demande également un enterrement civil très sobre. Dans son éloge funèbre, le maire de Lilas déclare que « ce philanthrope a consacré la plus grande partie de sa vie à plaider la cause des indigents et dépensa largement sa fortune à les assister » [7].