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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Ackersdijck (parfois Ackersdijk), Jan
Article mis en ligne le 19 octobre 2007
dernière modification le 31 mai 2020

par Moors, Hans

Né le 22 octobre 1790 à ‘s-Hertogenbosch (Bois-le-Duc), mort le 31 juillet 1861 à Utrecht (Pays-Bas). Economiste et statisticien reconnu, il est l’un des fondateurs de l’économie politique aux Pays-Bas, professeur à l’université de Liège puis, à la suite de la révolution belge et du détachement de la Belgique du Royaume Uni des Pays-Bas, à l’université d’Utrecht. Intéressé par les imaginaires sociaux, en particulier par le fouriérisme, il publie une critique remarquablement bienveillante de la seule brochure fouriériste néerlandaise d’alors.

Jan Ackerdijck grandit dans une famille orangiste aisée qui a donné sous la République des Sept provinces une dynastie de régents du pays de la Généralité. Il étudie à la fois dans des établissements d’enseignement (Fransche school et Latijnsche school) et auprès de son père, avocat, collectionneur de livres et érudit. Il s’inscrit en 1807 à l’université d’Utrecht ; il y soutient sa thèse le 31 août 1810. Docteur en droit, il ouvre avec succès un cabinet. Il devient en 1817 juge substitut - puis substitut du procureur du roi - auprès de la cour de justice. En 1817, le voici secrétaire du Conseil des gouverneurs de l’université d’Utrecht. Il occupe ces fonctions jusqu’en 1825. Pendant ce temps il se lance dans des études d’économie politique. En 1825, parlant couramment le français, il devient professeur d’économie politique, de statistique et d’histoire politique à l’université de Liège (fondée en 1817 par le roi hollandais Guillaume Ier d’Orange-Nassau).

A Liège, Ackersdijck se déclare nettement partisan de l’idéologie politique libérale. Il met l’accent sur la liberté et le développement de l’individu, sur l’égalité des droits et la démocratie. Il met en évidence dans ses conférences la pensée politique d’Adam Smith : le marché est le principal mécanisme pour mettre à profit les atouts respectifs des individus. La division du travail qui en résulte tendra à une augmentation constante des revenus. La Flandre et les Provinces wallonnes sont alors parmi les premières en Europe pour le développement des industries et des entreprises ; les conférences d’Ackerdijck enthousiasment ceux pour qui la politique protectionniste et mercantiliste d’un roi hollandais « étranger » ne sont pas en phase avec l’atmosphère industrielle du moment et avec l’ouverture des nouveaux marchés. Les conférences remportent un succès considérable. Ackersdijck garde ensuite de ces années liégeoises un excellent souvenir qui n’est pas dû seulement à sa rencontre avec Maria Anna Walthertum, sa future épouse.

En août 1830, il croit devoir quitter Liège et il voyage dans les Etats allemands ; il suit des cours avec des professeurs célèbres, tels Hoffmann (statistique), Von Raumer (histoire), Hegel (philosophie). De retour à Utrecht à la mi-1831, il entre à l’université de la ville. Comme les cours d’économie politique sont déjà dispensés par ses collègues, il devient professeur - sans chaire - avec peu à faire, sauf des conférences en statistique et en économie politique ; en 1839 il donne des cours particuliers (capita selecta) sur l’économie politique d’Adam Smith. Pendant les années 1830 il prononce des conférences sur un thème qu’il a probablement inventé : l’« Historia Gentium Recentorium Politica » (histoire politique des peuples contemporains), ce qui lui permet de mener des recherches de terrain et de voyager souvent. Voyageur insatiable, il visite la plupart des pays d’Europe ; il se fait connaître au cours de ces années par ses récits de voyages publiés. Il devient en 1832 membre de la Société pour la littérature néerlandaise (Maatschappij der Nederlandse Letterkunde) en 1832, membre régulier de l’Académie royale des sciences (Koninklijke Academie van Wetenschappen) en 1836. Alors qu’il devient professeur ordinaire en 1840, il lui faut attendre 1848 pour renouer avec l’enseignement d’économie politique.

A cette époque sa réputation d’économiste politique grandit, non qu’il ait acquis un grand renom comme professeur à Liège, mais en raison de son statut intellectuel, de son incomparable savoir dans ce domaine, de ses analyses sur l’économie de marché et la nouvelle société de l’individu. En outre, il se met enfin à publier en économie : articles dans la presse, courtes études sur les affaires du moment. Il n’écrit aucun ouvrage, aucune monographie importante ; il s’affirme pourtant comme l’un des maîtres à penser du mouvement libéral hollandais qui se trouve en première ligne pour la réforme institutionnelle de 1848. Il applaudit aux réformes du nouveau gouvernement (1848-1853) et il s’engage ponctuellement dans la vie politique locale et provinciale. Certaines de ses propositions reçoivent un accueil très favorable à l’échelle nationale et sont mises en pratique. Homme d’étude, il préfère néanmoins poursuivre sa carrière académique, et ce jusqu’en 1860. Il est parallèlement membre de la Société pour la promotion de l’industrie (Maatschappij ter Bevordering van de Nijverheid) ; il joue aussi un rôle important à l’Association de statistique (Vereeniging voor de Statistiek), fondée en 1857 ; deux ans plus tard, il devient officiellement le président de la toute nouvelle Commission gouvernementale pour les statistiques (Rijks-commissie voor Statistiek).

Ackersdijck n’entretient aucun lien direct avec Fourier ou l’Ecole sociétaire, même s’il se peut qu’il ait rencontré Considerant en janvier 1839. En tant qu’universitaire, pourtant, il manifeste un intérêt très soutenu pour les premiers socialismes qu’il est l’un des premiers à considérer aux Pays-Bas comme un sujet digne d’études sérieuses. Comme le montrent ses papiers privés [1], il étudie de très près à Liège le mouvement saint-simonien en 1829, avant l’arrivée de la première mission saint-simonienne à Bruxelles et à Liège [2]. Après son départ de Belgique, il suit de (très) près les développements des premiers socialismes. Il rassemble des coupures de presse, il étudie les écrits qu’il peut se procurer. L’une de ses sources sur le fouriérisme, par exemple, est la Revue encyclopédique. Dans ses notes il met sans cesse en avant - fait unique pour l’époque dans les milieux académiques et intellectuels néerlandais - les différences entre les composantes du premier socialisme. Le 21 mars 1843, il prononce une conférence sur « les systèmes de Saint-Simon, Owen, Fourier, Louis Blanc ». Fourier mérite une attention particulière, note-t-il, en raison de ses idées sur les relations sociales, fondamentalement apolitiques et non égalitaires [3].

Une brochure anonyme est publiée à Rotterdam en 1841 (éditeur : A. Wijnands) sous le titre Beknopt overzicht van het leerstelsel van Charles Fourrier [sic] (Abrégé de la doctrine de Fourier) Sous un angle favorable, la Science sociale y est présentée comme la solution possible au problème de la pauvreté. C’est là le seul livre élaboré et détaillé paru aux Pays-Bas sur le fouriérisme, ou du moins certains de ses aspects [4]. Parmi les critiques tièdes ou même hostiles qui accueillent cette publication dans la presse néerlandaise, celle que signe en 1844 Ackersdijck dans De Gids (Le Guide), le fameux journal libéral, se signale par une tonalité très positive. Même si Ackersdijck souligne lui aussi ce qu’il y a d’impraticable dans la doctrine de Charles Fourier, il prend au sérieux ses objectifs charitables et humanitaires. Selon lui, le fouriérisme contient d’« énormes inconséquences » mais présente aussi « de nombreux éléments de toute première importance pour qui étudie la nature humaine et les sciences politiques ». Il considère que là réside surtout l’intérêt de la brochure ; il ajoute une seconde raison, moins centrale : jusque là, le fouriérisme n’a entraîné « aucune réaction chez les Hollandais [5] ». Ackersdijck a raison sur ce point : Fourier et le fouriérisme ne sont pas vraiment pris au sérieux aux Pays-Bas. Même la contribution d’Ackersdijck est modeste sur ce plan. Pourtant, il se peut qu’il ait fait évoluer les choses : c’est en 1846 que Gerrit de Clercq publie dans De Gids la première étude élaborée et substantielle sur les premiers socialismes.

(traduction de l’anglais : Thomas Bouchet)

Portrait de Jan Ackersdijck par P.W. van de Weijer