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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Allen, John
Article mis en ligne le 15 février 2008
dernière modification le 13 mars 2017

par Pratt, James

Né en 1814 (probablement à Gloucester, Massachusetts, Etats-Unis), mort le 2 octobre 1858 (Patriot, Indiana, Etats-Unis). Pasteur protestant, il consacre son existence, au fil des ministères qu’il exerce, à militer pour les grandes causes de son temps : tempérance, abstinence, abolition de l’esclavage, réforme du travail, et fouriérisme - ou plutôt association, puisque tel est son nom aux Etats-Unis.

John Allen est le fils de Solomon Jr et d’Abigail [1]. Avant lui naissent son frère Simeon et sa sœur Elizabeth (mariée ensuite à Geo C. Leach). Il naît peut-être à Gloucester [2]. Il est ordonné pasteur universaliste en 1837. Il se marie le 31 octobre 1841 avec Sarah Maria Parker (un garçon, Frederick, naît en 1843 ; Sarah meurt vers 1844). Il se remarie le 4 octobre 1848 avec Ellen Lazarus, 1825-1917 (quatre enfants : Victor Considerant, né le 3 septembre 1849 ; Mary Catherine, née le 3 septembre (elle devient au XXe siècle une dirigeante Shaker de premier plan) ; Urner ou Ernest, né le 21 octobre 1854 ; Caroline, née le 13 décembre 1857).

Les premières années d’engagement religieux

Petit par la taille, Allen est doté d’un noble front ; son énergie et son enthousiasme sont extrêmes, « mais ses traits sont quelconques ; une tignasse sombre et broussailleuse, qui couvre sans grâce le haut de son visage, en impose sans peigne ni brosse. Cela ajoute à l’impression de détermination que véhicule ce petit homme aux traits accusés, à la musculature tendue et sèche, et à cette expression volontaire qui coïncide si bien avec son caractère [3].
On ne sait rien sur ses années de formation. A vingt-et-un an environ (vers 1835), il étudie auprès de Sylvanus Cobb, un pasteur universaliste qui exerce sur lui une profonde influence. [4]
Les pensées d’Allen se forgent lors de la crise de 1837, sur fond de changements sociaux, politiques et économiques. Il est marqué par les plaidoyers d’Albert Brisbane en faveur du fouriérisme, par le transcendentalisme philosophique de George Ripley, par les idées de Cobb sur l’abstinence et l’émancipation [5]. Tout au long de sa vie, Allen suit l’exemple de son mentor Cobb : il donne inlassablement et avec passion des conférences sur la réforme, il participe aux conventions réformistes, il lance des périodiques ; comme lui il s’appuie d’abord sur son ministère transcendentaliste, puis il s’en affranchit pour mener à bien sa mission.

En novembre 1837, à l’âge de vingt-trois ans, Allen propose de prêcher deux dimanches à la Société universaliste de Watertown (Massachusetts), contre le boire et le manger [6]. Par suite, il est désigné prédicateur en chaire à la Société. En avril 1839 la permission de faire usage de la salle de réunions quatre fois par an pour prêcher l’abolition lui est accordée, mais elle lui est retirée onze jours après [7]. Il trouve moins de deux mois plus tard une nouvelle chaire à Hanson. En mai suivant (1840), il est l’un des quatre prédicateurs pour la Convention de l’Association universaliste d’Old Colony.
En novembre 1840 il dépose une résolution à la Convention universaliste contre l’esclavage : « Attendu que l’institution de l’esclavage existe dans notre pays ; qu’elle soumet deux millions et demi de nos frères à un asservissement perpétuel et les prive de tous les privilèges afférents à une liberté civile et religieuse ; attendu aussi que nous, les Chrétiens, croyons en une origine commune, en la fraternité et en l’égalité universelles de la famille humaine ; nous proclamons dès lors qu’aucun individu ne peut être un universaliste conséquent s’il refuse de reconnaître que l’esclavage est un pêché et s’il refuse de donner de sa voix et d’exercer son influence au service de l’abolition. » La motion n’est pas adoptée en comité [8].
Allen rejoint en avril 1841 une Eglise plus libérale à Rockport (Massachusetts) ; là, il obtient l’autorisation d’utiliser la salle de réunions pour des conférences sur la tempérance, l’abolition, la paix, etc., mais à condition de ne pas perturber les services réguliers du Sabbat. C’est justement quelques mois plus tôt, en janvier 1841, que George Ripley s’est engagé dans son œuvre réformiste en quittant la prédication en chaire, qu’il a acquis Brook Farm avec les transcendentalistes ; Ripley pense alors que par le biais de Fourier et du communalisme, le christianisme peut être relié au progrès, à la démocratie, à l’avenir. Le sermon prononcé par Allen sur l’abolition est publié à Boston et lui procure une audience nationale ; un journal du Mississipi va jusqu’à le qualifier de « traître de la plus sombre espèce [9] ».
Allen convoque et préside pour le meeting de la Société de tempérance de Rockport en août 1841. Il épouse Sarah Maria Parker en octobre de la même année. En février 1843 la Société washingtonienne pour une abstinence totale publie une adresse signée par lui, et dont le préambule donne un bon exemple de son éloquence, de l’acuité de ses vues sur le monde de 1842 :
« Que voyons-nous ? La réforme, qui s’écrit par-dessus toutes les anciennes théories, coutumes et sphères des affaires humaines. [...] Et tout change. [...] Des voyages accomplis à grand-peine en quinze jours d’efforts il y a quelques années encore, le sont aujourd’hui en autant d’heures. Le vieux monde et le nouveau sont en contact direct. Les distances sont annihilées, la voûte bleue au-dessus de nous semble une galerie parcourue de chuchotements, qui transporte l’intelligence au bout du monde. Le tout-puissant esprit de progrès règne sur la communauté des humains, il multiplie les innovations aux dépens des coutumes d’ancienne observance et des mornes usages ; il décompose les éléments constitutifs des systèmes surannés. Et dans tous ces combats menés par la société, dans tous ces efforts de réforme, l’amélioration des conditions de la race humaine, la suppression de la souffrance, l’abolition des maux sociaux sont les idées directrices. Augmenter le bonheur social, tel est le grand projet de notre temps. A cet effet l’esprit de bonté tâche de trouver et de soigner les chagrins amers qu’éprouvent les âmes. Il s’occupe à connaître les droits des hommes, leurs dons moraux et intellectuels, l’étendue de leurs potentialités et de leurs capacités, la valeur qui s’attache à l’esprit des êtres, la révérence due à l’« image de Dieu » en l’homme, quels que soient son pays, sa physionomie, son caractère. Cette juste appréciation de la valeur de l’individu, cette soif de bonheur universel, cette charité, don du ciel, qui fait communier avec les publicains et les pêcheurs, qui ouvre ses mains compatissantes et aidantes aux dégradés et aux méprisés, sans souci des croyances ou du caractère de celui qui souffre, et qui n’a pour but que de soigner et d’élever, voilà la marque principale de notre âge. [10] »

Allen et l’Association - Brook Farm

Les comptes rendus des articles d’Albert Brisbane sur le fouriérisme par Horace Greeley (mars 1842) font l’objet d’une attention soutenue. Près de cent périodiques ouvrent leurs colonnes à la discussion dans les quinze mois qui suivent [11]. Allen quitte Rockport au printemps 1843. Cette année-là, le lendemain de Noël, il organise avec son beau-frère George Leach et deux autres personnes une Convention des Amis de la réforme sociale de Nouvelle-Angleterre, à Boston, pour « aider par ses conseils et son soutien la grande cause de la réorganisation sociale, méditer sur les progrès du fouriérisme aux Etats-Unis et à l’étranger, bâtir une Association - un espace fondé sur le principe de l’industrie attrayante ». Il participe aux travaux du Comité des Affaires avec trois personnalités de premier plan (W. H. Channing, G. Ripley, F. Douglass) et trois autres personnes.
Début 1844, Allen s’engage dans une nouvelle mission à Hollowell (Maine). En mars, il prononce des sermons sur le fouriérisme, incarnation des vertus chrétiennes. La société en place, explique-t-il, est fondée sur un système d’antagonismes ; les hommes s’évertuent à déjouer les intérêts de leurs semblables et à vivre les uns contre les autres au lieu de se conformer à la règle chrétienne qui incite à aimer mieux son prochain que soi-même. Neuf fois sur dix, la société provoque et occasionne les vices et les crimes qu’elle punit. Le principe de la loi chrétienne, au fondement de la société, doit être rétabli à la lumière des principes de Fourier, qui conduisent sur le chemin de l’Eden. Les lectures d’Allen à Hollowell remportent un tel succès que la Chambre est ouverte pour accueillir la foule des auditeurs [12]. Allen participe en avril à une convention à New York, avec Greeley, Brisbane et Channing ; il participe aux travaux de trois comités importants : Affaires, Finances, Propositions. La plupart des contributeurs et conférenciers intéressés sont dans la fleur de l’âge, tous rêvent de socialisme, sous une forme ou sous une autre. Cet idéal nourrit les esprits de tous ces jeunes gens, et au-delà l’intelligence de la nation toute entière. Allen, en tant que fouriériste, prend à l’été 1844 fait et cause pour la journée de dix heures ; il joue un grand rôle dans la défense d’une protection des travailleurs au cours de la décennie 1840. Lui et les trois autres fouriéristes convoquent à une rencontre de délégués, dont naît l’Association des Travailleurs de la Nouvelle-Angleterre (octobre 1844). Ils œuvrent ces années-là avec les principales organisations de travailleurs [13].
En juin 1844, Charles Dana écrit à Allen pour lui demander de sélectionner une Association pour procéder à un essai complet. Au même moment (le 20 juin), Allen organise justement une convention des Amis de l’Association à Hollowell. Des délégués de tout le bassin de la rivière Kenebec affluent. En janvier 1845, Allen (désormais pleinement Associationniste [14]), est secrétaire au meeting annuel des Amis de l’Association ; il en est de même l’année suivante. Il sert quatre Eglises universalistes de la Nouvelle-Angleterre ; puis, quittant la chaire, il rejoint Brook Farm au moment où l’expérience rompt avec l’idée fondatrice transcendentaliste pour devenir une phalange fouriériste [15]. Car il a entendu Ripley expliquer que l’Association est la réforme qui l’emporte sur toutes les autres, et que le fouriérisme est le seul plan de réorganisation cohérent [16]. C’est là ce qui donne à Allen, semble-t-il, le moyen de réaliser toutes ses passions. Rejoignant Brook Farm en mars 1845, il arrive avec son enfant ainsi qu’avec les restes de sa femme, qu’il porte en terre sur-place. Il entre dans un groupe de plus jeunes que lui, volontaires pour recueillir des fonds afin que Brook Farm subsiste. Parcourant la Nouvelle-Angleterre et le nord de l’Etat de New York, il fait de fréquents déplacements pendant plus d’une année ; il tâche de réunir des souscriptions pour le périodique de Brook Farm, The Harbinger ; il donne aussi des conférences sur la doctrine de Fourier. Il devient un conférencier célèbre. Il est alors si convaincu par les idées de Fourier qu’il note : « Je ne suis bon à rien, mis à part l’Association [17] ». C’est un homme passionné d’action. Il n’écrit au total que deux contributions pour The Harbinger mais il prononce des centaines de discours en Nouvelle-Angleterre, puis dans le Midwest, pour exposer les idées de Fourier.
Vingt-six mois durant, il apporte son concours à l’expérience de Brook Farm. Ironie de l’histoire : défiant vis-à-vis des vertus de la vaccination, il laisse son jeune garçon s’installer avec une variole (il a contracté la maladie par un esclave en fuite, hébergé dans l’hôtel grahamite de la sœur d’Allen, sur le site du train souterrain de Boston). Le garçon infecte Brook Farm... L’épidémie décime l’école, principale source de revenus - elle affecte par ailleurs la santé future du jeune Fred [18].
En 1847, après l’échec de Brook Farm, Allen est consacré au cours d’une cérémonie ad hoc par W. H. Channing et par un nouveau groupe, l’Union religieuse des Associationnistes ; il est envoyé dans le Midwest pour évangéliser [19]. Il ne ressemble en rien à un archi-conservateur de la Nouvelle-Angleterre. Il se remarie en 1848 avec Ellen Lazarus, une femme au caractère très indépendant ; Ellen est issue d’une ancienne famille conservatrice israélite de Caroline du Nord. Elle a participé à Brook Farm avec dévotion. Pour débuter leur mission associationniste dans le Midwest, les Allen se rendent dans l’Indiana. Grâce à la fortune de sa femme, John oublie ses années de prêche pour la tempérance : il établit un vignoble le long de la rivière Ohio [20]. Tous deux sont si engagés dans la cause associationniste qu’ils prénomment leur premier fils Victor Considerant. Au recensement américain de 1850, Allen est censé exercer l’occupation de « fourieux » [« furyite »]... Puis il revient à sa vocation première. Le voici pasteur universaliste à Terre Haute (Indiana), à la recherche de fonds pour la cause de Kossuth.

Allen et l’Association - Réunion

Au printemps 1853, Brisbane vient le rencontrer avec Victor Considerant, qu’il accompagne en prospection en vue d’un essai fouriériste à l’ouest. Allen ravit Considerant, et il lui dit que dès qu’un site sera trouvé, il ne lui faudra que huit jours pour se préparer à le rejoindre. Considerant est également charmé par le bon caractère du petit Victor Considerant, âgé alors de quatre ans : il envoie à Julie une boucle de ses cheveux blonds [21]. A l’automne 1854, occupé à tenir la promesse faite à Considerant et Brisbane l’année précédente, il n’est certes pas parvenu à rassembler des fonds pour la nouvelle société de colonisation au Texas, mais il a recruté deux frères pour qu’ils apportent de l’équipement de Cincinnati à Réunion, ainsi que cinq cents boutures de sa vigne ; il accompagne aussi François Cantagrel dans la recherche d’un site parent de Réunion, au nord du Texas.
En février 1855 Cantagrel et lui s’aventurent dans les profondeurs du territoire ; il fait office de traducteur. Ils cherchent à repérer au nord du Texas des terres vacantes et sans prétendant aux archives de l’Etat (Service général des terres, Austin). Son accent de Yankee, son caractère bien trempé, ses convictions enracinées limitent probablement son audience auprès des hommes du Sud. Ses relations avec Albert Brisbane et Horace Greeley, son catalogage par les journaux du Mississipi contribuent aussi au mauvais accueil qu’il rencontre dans les éditoriaux de la presse texane : « Nous préférerions que le Texas soit un désert hurlant que de le voir peuplé par des hommes comme John Allen. » L’infortuné Cantagrel pâtit de cette réputation de Yankee ; ils ne parviennent pas à obtenir du Corps législatif du Texas la moindre terre.
Considerant et Savardan considèrent qu’Allen joue un rôle majeur dans les débuts de Réunion. Selon le colon belge Fred Haeck, il se lève chaque matin à quatre heures pour établir la ferme de la colonie, constituer un troupeau, planter avec lui des patates douces, des pois et des fèves ; Allen abat des bœufs pour la nourriture des colons, il récupère leur cuir, etc. Quand les cent trente personnes présentes sur le site se voient proposer de constituer les terres en société anonyme par actions, il rejoint ceux qui fondent la Compagnie de Réunion pour assurer la direction des opérations en août 1855. Aux dires du Polonais Kalixt Wolski, « ce pasteur est un sacré pistolet, il aime montrer son adresse, en particulier contre les serpents. Il ne sort jamais sans son fusil, et il récupère les cadavres de tous les serpents qu’il tue. [22] » Après qu’il a quitté Réunion à l’automne 1855 pour s’occuper des récoltes dans sa propriété de l’Indiana, les cinq cents boutures envoyées au Texas par bateau de ses « vignes du Mont Allen » - c’est ainsi qu’il les appelle - ne résistent pas à une vague de sécheresse. Il laisse son fils Fred, alors âgé de douze ans, aux bons soins des colons ; il envisage de revenir, mais il meurt brutalement d’une « fièvre congestive » dans son vignoble de la rivière Ohio le 2 octobre 1858. Il laisse en plan les projets qu’il a formés pour communiquer son idéal associationniste.
Marx Lazarus, le beau-frère d’Allen, observe qu’il était « peu fait pour les affaires et l’argent ». Sa femme ajoute qu’« il ne savait tirer les leçons d’une trahison, même avec la pire engeance, tels les hommes à qui nous avons eu affaire ici [dans l’Indiana] ; cela, ajouté à sa générosité sans limites et à son altruisme, a conduit à notre ruine et a largement contribué à la déception et au découragement qui se sont emparés de lui. [23] » Il réagit sans doute toujours comme après l’échec de Brook Farm, lors du meeting des Associationnistes : « Comme l’a rapporté le Christian World, Allen a commencé en disant qu’il s’adressait pour la dernière fois à ceux avec qui il avait passé d’agréables années à Brook Farm ; il a exprimé une émotion profonde dans son message d’adieu. L’échec de Brook Farm n’avait selon lui rien d’exceptionnel. Toute structure orientée vers le progrès social de l’humanité, a-t-il ajouté, a conduit à l’échec : échec dans le travail, échec pour l’école ; de même pour le christianisme, le gouvernement, la politique. Echec partout ! Tout l’indiquait. L’Association était la dernière révélation en date pour l’humanité. Un véritable évangile ; et cette grande, cette divine mission se devait de rencontrer la demande générale de l’humanité pour rendre la société aussi vraiment heureuse qu’elle est aujourd’hui universellement et vraiment misérable. [24] » Dans les grondements du temps, cela pouvait sembler ridicule - sauf pour John Allen.

(Traduction : Thomas Bouchet)