Bandeau
charlesfourier.fr
Slogan du site

Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Une lettre de Victor Considerant à Charles Magnin (août 1829)
Article mis en ligne le 28 décembre 2008

par Bouchet, Thomas

Voici une lettre très longue, très dense, très enthousiaste, adressée par Victor Considerant à Charles Magnin, Salinois d’origine, de quinze ans son aîné, bibliothécaire à la Bibliothèque royale (Paris). Le jeune homme dit son ennui à Metz. Il demande à Magnin si le journal Le Globe peut faire écho à la parution du Nouveau monde industriel et sociétaire de Charles Fourier. Puis il expose en détails les raisons pour lesquelles la pensée de Charles Fourier exerce un tel attrait sur lui. Son entrain n’est pas payé de retour. Magnin ne lui répond pas. Considerant lui envoie une nouvelle lettre, moins enflammée, en février 1830 (cette lettre est publiée in extenso dans le Cahier Charles Fourier 19 consacré à Victor Considerant). "La foi tend à l’expansion comme un vase trop plein à se répandre", conclut Considerant dans la lettre d’août 1829. La suite lui montre que le prosélytisme n’est pas chose facile.
La lettre est ici reproduite aussi fidèlement que possible - seules les majuscules ont été rétablies. Elle est conservée en Bibliothèque municipale de Salins (Fonds Magnin).

(transcription et introduction par Thomas Bouchet)

Metz, 20 août 1829

Mon cher Monsieur,

J’ai eu, en arrivant à Salins, le désapointement vivement senti de ne vous y plus trouver : je m’étais fait une fête de vous y voir et de faire avec vous quelques causeries : nous avions même un sujet tout prêt et déjà effleuré à Paris. Vous m’avez plusieurs fois offert de l’amitié ; moi qui vous ai pris au mot je veux que vous subissiez les conséquences en recevant de tems et tems une lettre qui vous le rappelle. Privé que je suis de vous voir c’est bien naturel de chercher à s’en dédomager un peu. J’espère bien qu’une petite lettre m’apportera à Metz des nouvelles de votre excellente bonne maman, et de Mme votre tante. Rappelez moi, je vous prie, au souvenir de ces dames, dites leur combien je suis reconnaissant de la bonté avec laquelle elles m’ont accueilli.

Je regrette Paris de tout mon cœur. J’y avais de si bonnes, si aimables connaissances. J’en aurais facilement fait d’autres que je désire de toute ma faculté de désirer. Dans ce grand centre de mouvement la vie est vraiment de la vie, elle y a dix fois plus d’intensité que dans nos stagnantes cités. Ah ! Ne venez pas vivre en province vous surtout, Monsieur, qui êtes depuis si longtems dans cette activité de la capitale. Si du moins je pouvais vaincre (et c’est le tems qui me manque) cette apathie qui me comprime d’autant plus que je désire une vie d’idées plus forte. Mais tous nos jours se ressemblent. Un travail graphique en absorbe la plus grande partie ; le soir, après le dîner, on se promène un peu, on cause avec des camarades, on va faire quelques visites ou écouter une pièce ; il est dix ou onze heures quand, fatigué, on rentre chez soi ; c’est à cinq heures qu’on se lève le lendemain. Toutes ces choses réunies contribuent à donner au lit beaucoup plus d’attraits qu’au travail. La fortification, l’art militaire, peuvent offrir de l’intérêt je l’avoue. J’aime bien aussi le vin [mots illisibles], mieux même que la fortification. Cependant je serais malade si je m’en gorgeais. Je voudrais connaître ici plus de monde : je vous demanderais même des lettres Monsieur si je vous savais des relations avec ce pays. Si j’étais resté à Paris je vous aurais prié de me présenter à Mr Dubois. Tot ou tard j’espère bien vous demander cette grace. Mr Jouffroy que j’ai vu chez Mr Nodier m’avait fait l’offre flatteuse de le voir. Veuillez lui dire, je vous prie, que je n’ai pas oublié ce témoignage de bienveillance et qu’il y a pour moi de la peine à n’en pas profiter. Je vous prierais aussi d’offrir à Mme Nodier et à son mari ma reconnaissance pour la manière toute affectueuse avec laquelle ils m’ont reçu, et vous n’oublierez pas une dame appelée Fany [?] dont l’autre nom m’échappe mais dont je n’ai pas oublié l’esprit et la bonté. Mr Joly, s’il pensait à moi, aurait droit de se plaindre. A une époque malheureuse j’ai été longtems sans voir personne ; plus tard j’ai souvent prié Bonvalot de me conduire chez Mr Joly dont le numéro lui avait échappé : toujours nous eûmes quelqu’empêchement du moment ; par un sot enfantillage, j’ai fini par ne plus en parler à Bonvalot parce que j’avais tardé trop longtems à revoir cet ancien ami de mon Père. Je tâcherai d’obtenir son pardon quand j’irai à Paris.

Je lis de tems en tems votre Globe et je suis au guet de l’article qu’il donnera, je l’espère, sur le nouveau livre que vient de publier Mr Fourier : cet ouvrage imprimé à Besançon sous le titre de Nouveau monde industriel et sociétaire est une espèce d’abrégé de celui dont je vous ai parlé à Paris. Il est trop remarquable, ne fût-ce que par son originalité, pour ne pas mériter une analyse dans votre journal et je voudrais bien, Monsieur, que vous vous chargeassiez de cet examen. Je le désire surtout depuis le jour ou je vous entendis blâmer sagement la précipitation avec laquelle un de vos collègues avait repoussé sans trop l’approfondir le système de communauté d’Owen. La société, disiez-vous, peut passer par bien des formes et peut-être que celle qui nous conviendrait le mieux vous paraîtrait absurde au premier coup d’œil. Et cela est si vrai que jamais on n’a su prévoir longtems à l’avance des changemens dans la base sociale, et l’on n’a guère osé proposer que des modifications, ce qu’on appelle des perfectionnemens. Pour vous dire cependant mon opinion sur Owen, je suis persuadé qu’une étude plus approfondie n’aurait servi qu’à démontrer davantage l’incompatibilité de ce système avec notre nature, que Mr Owen ne paraît pas connaître. Ses plans devraient être liés à une étude de l’homme, en être déduits. Il agit comme ceux qui font une théorie, sous laquelle ils forcent les faits à se plier tandis qu’au contraire elle ne devrait être que la conséquence de ces faits et l’expression la plus vraie de leurs rapports. Mr Owen voit dans notre société des maux provenant de la propriété, de l’esprit prêtre et du mariage, qui n’est qu’un cas de la propriété. : Hébien ? Il retranche sa religion et il met tout en commun, biens et femmes, c’est le système de Marat : supprimer l’obstacle. J’ai mal au bras, je le coupe. Si Mr Owen avait regardé de plus près, il aurait vu bien d’autres maux ; il aurait été obligé de couper les bras les jambes et de couper encore. Mr Fourier le maltraite beaucoup dans son dernier ouvrage. J’aurais voulu qu’il se fût contenté de signaler ses bévues mais il nous a dit qu’il avait à se plaindre de lui particulièrement et qu’il le croyait un charlatan qui n’avait pour but que de faire parler de lui.

Mon dessin en commençant cette lettre était de consacrer un long article à cet ouvrage de Mr Fourier. Si vous voulez, nous en causerons dans toute la place qui me reste et que j’ai à cette intention rendue aussi grande que possible en serrant mes lignes et mes lettres. Vous connaissez mon admiration pour ce génie. Elle n’a fait que croître. Quelle force n’a-t-il pas fallu pour suspecter toutes les sciences en crédit, pour sortir d’un chemin parcouru depuis trois mille ans par tout ce que l’humanité révère, pour regarder comme faux et pour nous de la plus fâcheuse influence le système des perfectionnemens et de l’atténuation du mal, par le moyen des lois et de la morale ! Jamais les plus hardis n’avaient pensé à sortir de cette route ; et Mr Fourier est arrivé à prouver que ce cortège de tous les génies qui l’a suivie jusqu’à ce jour a retardé bien plus qu’accéléré la marche de la société. Certes ceci aumoins est neuf et original. Il a fallu moins de hardiesse et de force pour suspecter les croyances astronomiques qui plaçaient notre petite planète au centre du mouvement sidéral que pour demander compte de l’état maladif de nos sociétés à l’esprit de législation et de moralisme, pour l’en accuser.

Et cependant comme toute idée primordiale du génie, celle qui le conduit ici à la lumière est claire, courte si je puis m’exprimer ainsi, et si naturelle qu’on s’étonne qu’elle ait si longtems échappé :

On donne à Dieu une intelligence infinie : qu’il ait seulement une des nôtres et l’on avouera qu’il ne peut rien avoir fait sans un but, sans des plans pour atteindre ce but ; et s’il a créé les passions, qui sont les rouages, les ressorts du monde social, n’a-t-il pas dû statuer sur leur emploi harmonique, les avoir faites précisément pour tel mécanisme social dans lequel ces forces, ces rouages, ces ressorts auraient un jeu bien équilibré. Du moment qu’une intelligence nous a créés avec une nature propre, dès ce moment il existe un état social préétabli, ordonné à cette nature que nous devons atteindre, qui est notre destinée. (ceci ne veut pas dire que nous sommes faits pour un état social stationnaire ; non : le mouvement est partout, même dans la mort qui n’est qu’une transition, je veux dire que nous devons atteindre un mouvement harmonique au lieu d’être ballotés dans un mouvement subversif et cahoté. On peut avec les mêmes instrumens faire une musique délicieuse et une affreuse cacophonie). Il existe donc une forme sociale qui harmonise toutes les passions. Frappé comme Archimède entrant au bain, le génie a vu, il s’est écrié Je l’ai trouvée. Une science, une science dans la plus rigoureuse acception du mot, une science exacte, celle de l’homme passionnel, s’offrait.

Les systèmes, les républiques idéales, toutes les conceptions des imaginations philosophiques tombent devant une science rigoureuse, mathématique. L’homme analysé, les passions définies, classées, découvertes pour dire vrai, on reconnaît leurs exigences, leurs buts, et voilà les conditions du mécanisme social cherché : la synthèse se construit avec ces conditions. C’est la marche générale de toute science exacte, c’est celle d’un problème mathématique, c’est la formule qui résume l’opération de toute découverte.

Comme l’on voit alors qu’on a bien présumé de l’intelligence divine, la nouvelle forme sociale satisfait à toutes les conditions avec la plus admirable précision, elle y satisfait comme les mouvemens planétaires à ces lois où l’analyse mathématique a écrit en espace, en tems et en vitesse le principe universel de la gravitation.
Au lieu de cette marche les hommes les plus éclairés n’ont cherché qu’à modifier, perfectionner l’état dans lequel ils vivaient n’imaginant pas des phases sociales supérieures. Ils ont voulu pallier les maux qu’engendrent nécessairement les passions dans nos sociétés pour lesquelles elles ne sont pas plus faites que l’homme n’est fait pour être toujours enfant, débile et informe. Ils n’ont pu s’élever plus haut que d’enchaîner ces ressorts qui s’entrechoquent autour d’eux et chez eux : pour cela faire, ils ne disposaient que de la contrainte, de là les bases sur lesquelles reposent nos sociétés : les peines, les supplices qui étayent tous les systèmes de lois humaines de concert avec la morale c’est-à-dire la contrainte physique et la contrainte de l’âme. De là, les pivots de nos sociétés, les soldats, les geôliers, les bourreaux, les moralistes. Encore ces derniers sont-ils la mouche du coche. Leurs plus belles paroles n’ont nulle influence sur les masses humaines ; quand elles s’améliorent, comme ils disent, ils s’en rapportent tout l’honneur ; pour moi je suis bien convaincu que le changement est du à la force des choses, à des [illisible] qu’ils n’ont pas amenées, qu’ils ont même rarement su prédire d’un peu loin : eux ni leurs livres n’ont été rares dans les tems de plus grande corruption.

En méconnaissant les fonctions rectrices des passions, en reniant leur suprématie en mécanique sociale, les philosophes n’ont-ils cessé d’être en contradiction avec la nature ? Ils se contredisent même les uns les autres tous ; ils n’évoquent pas de principes fixes, réels, aussi toutes les absurdités ils les ont avancées et soutenues, dit l’un d’eux. Peut-être n’ont-ils été d’accord que contre la vérité, c’est-à-dire dans leur coalition contre les passions ou la nature de l’homme. Ils proscrivaient par exemple à qui mieux mieux le luxe l’amour des richesses : autant vaudrait engager à couper les nez, les oreilles, crever les yeux et coudre les bouches : c’est proscrire les cinq sens car la nature nous pousse au luxe par leurs besoins, leurs exigences, leurs plaisirs.
Je reviens à l’analyse que je vous indiquais tout à l’heure et dont vous ne serez pas fâché de voir une esquisse. Elle est si neuve, si vraie !

Mr Fourier entend par passions des forces dont sont douées nos âmes dans des degrés très différents en nombre et en intensité et qui jointes aux instincts aux vocations font les différences naturelles des caractères.
Ces forces tendent à se développer - dans ce développement elles produisent le bien ou le mal suivant que leur essor favorise ou contrarie les passions, les intérêts des autres hommes suivant les circonstances, les relations ambiantes.

Les voici, ces forces distribuées en trois groupes avec trois buts généraux ou foyers.

Nota : le mot foyer est un mot technique de la science du mouvement passionnel ou social. Il exprime bien le point où concourent plusieurs passions, puisqu’il signifie en optique celui où convergent les rayons lumineux qui frappent une lentille

Sensitives / appétit, plaisirs de / vue, ouïe, odorat, goût, toucher / foyer : Lune

Affectives / ambition, amitié, amour, famillisme / groupes... réunions

Mécanisantes ou distributives / Cabaliste ou intrigante, papillonne ou alternante, composite ou exaltante / mécanique des passions.

On remarque que chaque affective se développe en matériel et spirituel, ainsi

Ambition - intérêt (?) gloire

Amour - platonique, sensuel

Amitié - rapprochement par caractère, par l’industrie comme deux fabricants associés

Famillisme - adoption, consanguinité

Vous voyez que notre société repose sur le groupe que tend à former l’une de ces passions affectives, le groupe de famille. L’industrie s’exerce par ménages isolés. Voilà le principal caractère des phases sociales subversives de l’état actuel que nous appelons civilisation, et Mr Fourier morcellement à cause de ce caractère, cause de l’opposition nécessaire des intérêts de ces individus industriels.

Je me hâte d’en venir aux passions qu’il nomme mécanisantes ou distributives. Elles s’exercent sur les combinaisons des précédentes ; je les définis :
Le nom de cabaliste ou intrigante (ou tout autre nom qu’il plaira de substituer car Mr F. tient peu à la nomenclature) : ce nom est donné au besoin de mettre nos passions en activité, d’être occupés, intrigués. Quand elle n’a pas d’alimens nous trouvons l’ennui : nous lui créons des intrigues factices par les castes, le jeu où elle agit en général par l’amour-propre (nuance d’ambition), par l’intérêt et par sa propre [illisible] à elle-même. Là elle est transformée en la passion du jeu. « C’est donc le besoin des intrigues. »

La papillonne ou alternante c’est le besoin de changement, le même plaisir se prolongeant fatigue au bout de peu de tems, il en appelle un autre. Evidemment cette passion joue sur les autres.

Enfin, lorsque plusieurs passions sont à la fois éveillées, elles créent l’enthousiasme. La faculté, la cause dont cet enthousiasme est l’effet, Mr F. l’appelle composite pour exprimer qu’elle est incitée par plusieurs passions, agissant en même tems. C’est elle qui fait faire les grandes choses, surmonter les obstacles. Elle dompte tout, le péril comme la répugnance.

Voilà donc les forces qui jointes à nos instincts, nos goûts particuliers, nos vocations ou destinations particulières, mettent en mouvement toutes les facultés de notre triple naturel, sensitive, animique et intellectuelle : ces passions qui appartiennent, dans cet ordre, à ces trois natures, veulent donc, les premières le luxe, les richesses, la santé et la force, pour porter leurs jouissances au plus haut point. Les secondes nous réunissent en groupes, elles rassemblent les amis, jettent leur charme sur les sociétés où elles ont conduit les sexes différens, serrent les rangs des corporations et attachent par les liens de famille. Enfin les dernières ont pour but de combiner harmonieusement les autres, d’entretenir le mouvement la vie en faisant passer les individus d’un groupe dans un autre, en multipliant les relations par ces passages continuels et généraux en activant et fortifiant chaque groupe. Leurs propriétés sont de rivaliser, d’exalter les groupes et de les alimenter par des permutations continuelles, ce que je rendrai si vous le voulez par l’expression de s’engrener.
Ces propriétés, je tâcherai de vous les montrer plus tard en action, et j’espère qu’il ne vous restera là-dessus plus rien de louche.

Mr F. donne encore le nom de favoritisme à ce penchant de notre nature dont il réveille l’idée. Cette passion s’exerce sur tous les sujets : les hommes réunis soit en nations, soit en partis ou en cotteries, n’ont-ils pas toujours, leurs favoris, qu’il s’agisse de littérature, de philosophie, de polytique, de médecine, d’industrie etc. etc.

Sous le nom d’unéitéisme, il comprend une passion qui ne se fait jour que sous de bien rares directions dans nos sociétés incohérentes, c’est la tendance passionnée à l’unité. Le bon ton, par exemple, est l’unité passionnée en mœurs et en usages. En Harmonie (nom de période sociale heureuse), le bon ton entraînera à la grande industrie ; car il n’est pas nécessaire de dire qu’à elle on doit appliquer toutes les passions. Les mots Industrie, Production, consommation, ont bien entendu l’acception vaste qui les applique à l’agriculture, aux beaux-arts comme aux fabrications de toute espèce, etc., au matériel comme au spirituel.

Arrêtons-nous un moment, si vous le voulez, pour jeter un coup d’œil en arrière. Nous avons vu qu’on était conduits par une preuve a priori de la préexistence d’un ordre social harmonique, à la recherche de ses lois, à la recherche du problème de notre existence, à la mise en accord de la raison, conscience ou de l’intelligence avec la passion et le besoin. Nous avons vu que cet a priori nous indiquait pour arriver à la solution, d’étudier l’homme dans sa constitution passionnelle, de prendre comme conditions le libre développement de tous les penchans naturels et d’introduire ces données dans la formule indéterminée d’une chose variable, savoir le mode des relations sociales : ces conditions, ces données de notre nature fixant précisément tout ce qu’il y a d’indéterminé dans cette formule. Ensuite si, fidèle au principe que tout penchant naturel est bon dans l’ordre harmonique, on vient à soumettre à la formule déterminée par l’opération précédente, le développement libre d’un quelconque des penchants qu’on n’aurait pas fait entrer dans la détermination de cette formule, il faut, et ceci est la vérification, que ce penchant quelconque, qui n’apporte que son breuvet d’existence, satisfasse intégralement sans qu’on lui fasse subir de gêne, à la formule déterminée.

Or cette marche est bonne, c’est trait pour trait celle de Newton dans une découverte bien plus facile, puisqu’il s’agissait seulement de démontrer qu’un effet connu, le mouvement matériel, dont les 3 lois avaient été données par Kepler, était la conséquence de cette cause, l’attraction matérielle. Newton a eu à découvrir le principe de l’attraction universelle, c’est-à-dire à reconnaître que les astres pèsent les uns vers les autres comme la pomme pesait vers la terre, puis à vérifier si ce principe satisfaisait aux 3 lois connues. La découverte de Fourier a tout autrement compliquée, utile, immense (et je ne veux nullement ici diminuer le grandiose de celle du géomètre anglais : voyons en effet :
Le mouvement social harmonique n’existait pas. Il fallait le décréter possible, le placer d’autorité dans la destinée humaine : il le fallait, et cela au milieu d’un tourbillon subversif qui dure depuis le crépuscule des tems historiques. Après une si longue habitude du mal qu’elle a produit un dogme religieux, philosophique, adopté même par les indifférens, qui consacre l’impossibilité de l’harmonie sociale : le bonheur, s’accorde-t-on à dire, n’est pas fait pour cette terre.

Et maintenant, où est le guide inconnu qui conduira aux lois inconnues ? Qu’il fallait une vue perçante, assurée, une vue forte qui ne se trouble pas sur l’abîme pour reconnaître ce qui dans l’attraction, mot, pour le dire en passant, qui résume tout ce que contiennent ceux de passions, goûts, instincts, penchants etc. et qui est l’admirable expression de l’accord des lois d’harmonie du mouvement matériel et du mouvement social puisqu’il nous apprenant qu’elles ont une cause analogique chacune : là, l’attraction matérielle, ici l’attraction passionnelle. Cette vérité confirme cet aphorisme ancien, sans doute bien peu compris, que « le mouvement est image et répétition de lui-même ».

Ce guide suprême, il l’a donc vu dans l’attraction traitée jusqu’alors en esclave, dans l’attraction que le moralisme philosophique et religieux n’aspire qu’à courber au joug de la raison, qu’elle veut comprimer par la raison au lieu de la développer en accord avec la raison ou l’intelligence et la conscience, enfin dans l’attraction que les lois aussi n’ont pour but que de comprimer par la terreur. Il n’y a pas de loi humaine sans la peine qui l’étage, sans contrainte. Si les législateurs avaient le pouvoir de frapper d’attraction pour leurs systèmes, s’ils pouvaient attacher un plaisir à chacune de leurs dispositions légales, il serait non seulement odieux qu’ils préférassent employer la contrainte et les sanctionner par des peines, cela serait encore absurde car l’attraction leur assurerait l’obéissance universelle puisqu’il serait alors dans la nature humaine d’exécuter leurs lois comme il est dans celle d’une mère de prendre soin de son enfant. L’homme obéit au bonheur. Et Dieu souverain dispensateur de l’attraction voudrait-il, pourrait-il asseoir sur la contrainte le règne de ses lois. S’il eût adopté ce système, il nous eût, par exemple, forcé par la douleur aux lois premières, qui auraient été douloureuses, de la reproduction et de la conservation de l’espèce ; l’amour et la table eussent été des maux auxquels des maux plus grands nous auraient contraints.

Après ces deux lois premières de notre destinée, ces lois constitutives de l’existence de l’espèce viennent les lois de développement ou des relations industrielles, s’exerçant sur la production, la répartition, la consommation : car l’action sur ces choses, dans l’acception universelle du mot, de nos force physiques, passionnelles et intellectuelles, voilà toute la société, rien hors de là.

L’unité de système aussi exige donc qu’à ces relations soit applicable la loi d’attraction et si la fumée précède le feu, les ténèbres la lumière, si des cacophonies sauvages ont retenti sur la terre avant les harmonies musicales, si les comètes tantôt loin, tantôt près du pivot solaire vagabondent avant d’être implantées ou fixées dans un mouvement planétaire et mesuré, si sur notre planète les créations n’ont paru que successivement dans l’ordre de la perfection croissante, si pour tout dire la loi générale du mouvement consiste dans un développement successif croissant d’abord puis décroissant ensuite depuis la naissance jusqu’à la mort qui sont des transitions près desquels par une conséquence nécessaire se trouvent la faiblesse, l’infirmité, le mal tandis que le reste de la période est plein de force, de santé, de bien, si enfin cette loi est universelle, observée partout et surtout, sur l’astre, l’homme, l’insecte et la plante, qui pourrait prétendre que la socialité humaine n’y est pas soumise et repousser par un despotisme d’ignorance et de présomption, la possibilité de l’ordre, du bien, de l’unité, parce que jusqu’ici nous avons été emportés dans la tourmente de désordre, de mal et d’incohérence ?

Et si le siècle fait parade de l’esprit d’examen, peut-il ici réfuter une étude sérieuse ? Comment ceux qui se disent de loyaux juges osent-ils affecter un dédain hypocrite peut-être chez plusieurs et cracher des sarcasmes à la figure d’un homme auquel on ne peut réfuter impuissant génie sans descendre en-dessous du rang des créatures intelligentes ? Comment osent-ils caricaturer ses conceptions et donner des parodies ridicules ? Ou par une affectation plus perfide encore, de sérieux et de bonne foi, donner au public un compte rendu faux, entièrement faux, et d’une fausseté qui déchirait si vivement les oreilles qu’il faut pour s’en être rendu coupable avoir à peine lu la table de l’ouvrage ou bien être affligé d’une intelligence bornée, obtuse, nullement [illisible], ou bien encore, si l’on a lu et compris, s’être jeté dans une voie d’iniquité qui n’a pas de noms.
Je sais bien que la vérité est toujours baffouée, conspuée à son apparition, une grande découverte frappe d’ignorance tous les beaux esprits, ils ne sont pas disposés à délivrer un sauf conduit pour sortir de leurs frontières, ils refusent toujours le vaisseau à Christophe Colomb. Mais la vérité doit vaincre la force d’expertise de la routine et de l’ignorance ainsi que l’hostile activité de l’amour-propre. La vie humaine, si je puis dire ainsi, la vie relative, car elle a une vie absolue éternelle, est soumise aussi à la loi générale du mouvement ; mais elle ne meurt pas dans son enfance, elle est d’une nature vivace, elle a pris racine dans le sol de l’intelligence, elle y porte des fruits avec une vitalité d’autant plus forte que nous sommes dans un siècles où toutes les idées qui nourrissaient la société ancienne, toutes les croyances sont sappées ou déjà mortes. Une conviction d’une grande puissance s’élève, elle s’appuie sur le calcul et l’enthousiasme, qu’importe qu’elle n’ait encore que son chef et deux ou trois apôtres.

Je viens de me laisser aller loin de la route que je me traçais en commençant cette lettre : l’effet de cette violence que je voulais me faire en m’imposant la froideur d’une brève analyse s’est fait sentir dans l’expression de ces idées. J’écris en courant, j’ai été plus d’une fois obligé de quitter la plume et en ce moment encore c’est à un cours poussée des voûtes et sur mes genoux que j’écris pour être interrompu dans un instant. Mon but sera rempli si j’ai pu me faire comprendre après une seconde lecture. Vous me trouvez peut-être exigeant cependant, Monsieur, je vous le répète, il s’agit d’une science, elle a son langage, ses idées toutes neuves, ou bien elle exprime des rapports tout neufs contre d’anciennes idées. Il faut d’abord s’y faire l’esprit, une simple lecture ne suffit pas, il faut une étude sérieuse. Je me suis convaincu que des esprits mieux qu’ordinaires se sont plus d’une fois mépris sur le sens d’une proposition. Et ceci n’implique pas contradiction avec ce que je disais tout à l’heure car vous conviendrez qu’il n’est pas permis à un rédacteur de la revue française de confondre les principes de communauté et d’association. Le plus ignare fabricant civilisé distingue parfaitement.

J’ai insisté sur une preuve a priori, qu’aucun homme quelqu’encroûté qu’il soit dans l’idée de la réussite de l’ordre ici-bas ne peut refuser de regarder au moins comme de puissantes inductions, comme des raisons suffisantes de chercher. Les opposans viennent toujours attaquer ici parce que ne comprenant pas ou affectant de voir là autre chose que ce qui y est, on a des subtilités, des faux-fuyants à l’aide desquels on divague, divague, divague. Il faut donc bien préciser, il faut même leur accorder pour les forcer au silence et trancher toute discussion, qu’ils peuvent ne voir ici que des inductions conduisant à l’essai de l’analyse et de la synthèse de l’attraction passionnelle, ici, plus de divagations possibles, ici poussés, serrés, pressés entre des faits inexorables et des conséquences nécessaires, comme un destin, il faut céder et confesser, aussi se garde-t-on bien d’attaquer cette redoutable enceinte, on la bloque, on voudrait la vaincre par le silence.

Ceci s’applique peut-être à l’universel, qui du moins n’argumente pas mieux qu’il ne comprend. J’aurais déjà tâché de lui prouver si j’avais eu le temps.

Il me reste à vous esquisser le système de l’attraction ou à décrire la série de groupes et sa formation.

Nous avons reconnu pour 1er foyer de l’attraction le luxe. Les groupes sont le second.

Voyons le 3e, celui des passions distributives, voyons s’il sera aussi malfaisant inopérant sur des groupes qu’inopérant comme dans nos sociétés sur des individus. Rappelez-vous la passion définition des passions

1-Cabaliste ou intrigante

2-Papillonne ou alternante

3-Composite ou exultante

La première se développe entre plusieurs individus ou groupes qui ont la même prétention comme au jeu, dans la poursuite d’un même plan, ou quand leurs fonctions se ressemblent au point de faire balancer la critique et l’opinion sur le produit. Donc pour que cette passion s’applique aux groupes il faut que ceux-ci s’exercent sur des objets très voisins, séparés seulement par de faibles nuances, et voilà que déjà vous formez la série en appliquant un groupe à chacune des nuances dont se compose une branche quelconque de l’industrie ; de telle manière que chaque groupe dans la série, comme chaque son dans la gamme ou série des sons musicaux, soit en discordance avec les contigus. La série doit donc être compacte, ou formée de groupes très serrés, appliqués à des objets très voisins, pour développer l’émulation, l’esprit cabalistique et jaloux de ces groupes, pour en réunir les membres, par la puissance de l’esprit de parti.
Et pour que l’on puisse organiser des séries très compactes, il faut former un grand nombre de groupes. C’est aussi le rôle de la papillonne : du besoin de variété hors lequel il n’y a pour l’homme ni plaisir ni santé, du besoin principe de mouvement et de vie, de cette heureuse passion destinée à maintenir l’équilibre entre toutes les autres en opposant un plaisir vif, piquant neuf à un plaisir qui s’émousse déjà et ne se prolongerait pas sans faire naître les excès, l’orgie.
Cette passion concourt donc avec la précédente, à former la série compacte. Elle en donne le moyen en conduisant les hommes dans une foule de groupes choisis librement et où ils rencontre partout des amis passionnés pour la plus grande gloire du groupe. Disons aussi que le groupe offrira lui-même des sous-groupes animés [?] de fonctions et se décidera au sous-groupe mais unis entre eux et concourant à l’envie au perfectionnement du produit du groupe.

Les uns seront, par exemple, affectés à la correspondance scientifique du groupe, d’autres à la tenue de ses comptes, ceux-ci à telle manutention, ceux-là à telle autre. Chacun pourra se reposer sur les autres des soins qu’ils auront passionnément choisis et se livrer lui-même avec ardeur à la nuance qui est spécialement de son goût dans les fonctions diverses du groupe.

Or cet accord d’identité avec les sectaires du groupe et de contraste avec les groupes voisins, de tous les développements des passions affectives que favoriseront si puissamment ces réunions où du reste les accessoires réfléchiront toute la propreté, l’élégance, le luxe dont ils seront susceptibles, enfin et surtout du charme de ce mouvement continuel qui renouvellera sans cesse et combinera mille manières d’aussi nombreux, d’aussi variés, d’aussi brillants accords, des essors simultanés de tant de passions et de plaisirs jaillira cet enthousiasme devant qui peine, difficulté, obstacle, tout disparaît qui ne vise et ne s’arrête qu’à la perfection. A quand ce soleil de bonheur baignera dans les flots de la lumière, notre monde habitué à des nuits froides et si longues, ce concert de félicité et d’amour de toutes les créatures, cet élan d’un sublime unitéisme, ne sera-t-il pas le plus beau, le plus grand, le plus religieux hommage rendu à l’intelligence universelle, le seul digne d’elle. Et pour quiconque a compris ces harmonies, que la civilisation est misérable avec ses vues étroites, fausses, égoïstes, et la croûte de lèpre qui la ronge. Mais je m’aperçois que je ne fais plus de l’analyse. Pardonnez-moi ces écarts ; nous sommes convenus que je suis un fanatique.

Revenons en observant que ces trois passions source du mouvement équilibré ou harmonique, produisent dans nos sociétés les plus grands maux parce qu’elles réagissent sur des individus et non sur des groupes pour qui elles sont faites. - Développez l’esprit cabalistique entre des groupes : il ne peut avoir rien d’hostile puisque deux heures après des sectaires de ces groupes rivaux se trouveront dans un même groupe réunis par un énergique accord d’identité.

 Voyez comme la papillonne si nuisible à l’industrie dans nos sociétés où elle tend sans cesse à arracher l’homme à l’unique et monotone occupation dans laquelle il est condamné à passer sa vie, voyez comme elle est sert merveilleusement cette industrie en concourant à l’extrême division du travail, gage d’une immense production, en permettant à chacun de se livrer aux nuances de fonctions qu’il choisira par goût et où il réussira parce que la passion sera son premier professeur, voyez surtout comme elle la sert en substituant à l’action individuelle imparfaite, changeante, éphémère, l’action de groupes qui ne meurent pas plus que l’académie.

Il est inutile de faire les remarques analogues sur la passion cause de l’enthousiasme.

La série est en unité avec les choses sur lesquelles elle est appelée à agir avec tout ce qui est créé : les mondes, les animaux, les plantes, tout est divisé en [illisible] qu’on appelle la série, tourbillon, classe ou famille.
Que nous a donné cette analyse des passions et son application à la grande industrie ? Elle nous a donné les lois d’association naturelle et attrayante. En effet il est évident que pour appliquer la série à l’industrie générale, il faut réunir les capitaux et le travail.
Ceci n’est pas la communauté, ce n’est pas comme le dit sottement la revue française, réformer à la manière des couvents, car il y aura bien association, on répartira bien suivant les facultés industrielles : capital, travail, talent. Louer ses biens à un fermier, ce n’est pas entrer en communauté avec lui. Il n’y a pas communauté dans une compagnie d’actionnaires. En harmonie l’esprit de propriété sera poussé à l’infini jusque là que le possesseur d’un seul écu pourra être possesseur d’un fragment d’action.

Remarquons en passant que l’association est un mode éminemment harmonique : deux hommes adonnés isolément à la même industrie cherchent à s’écraser ; qu’ils réunissent leurs capitaux, leurs moyens, qu’ils s’associent, ils vont s’intéresser à leurs avantages réciproques aussi puissamment qu’ils y étaient opposés tout à l’heure.
Dans l’association que propose Fourier la propriété, l’individualité pour changer de forme dans quelques cas n’en est pas moins conservée et augmentée même (la propriété d’ailleurs n’est peut-être raisonnable que sous cette forme).

Dans les couvents religieux ou industriels comme chez Owen ou les frères moraves, chaque homme a la même valeur : les produits sont rejetés sur la masse, la communauté est complète, elle est représentée par 1.

Dans nos sociétés elle serait déjà 1/5 à ne considérer que le côté politique, l’impôt, la cession faite à la commune et au gouvernement ; mais son chiffre est bien plus fort quand on en vient à nos lois et habitudes domestiques. Dans l’association harmonique son chiffre sera zéro malgré l’énormité du nombre des fonctions puisque sa répartition sera faite suivant la vraie valeur de chacun, suivant les 3 facultés industrielles, capital, travail, talent.
Mais direz-vous comment pourra se faire cette juste répartition ? Les proportions relatives aux capitaux seront fixées, je le veux ; mais s’entendra-t-on sur celles du travail et du talent ? Oh, fiez-vous en à la série de groupe, gage de toute vérité pratique : si les grades dans les groupes sont accordés par des pairs, par des pairs qui ont un grand intérêt à mettre chacun à sa place dans le groupe et les plus méritants en tête : fiers des talents de leur groupe ils sont les premiers à leur rendre hommage. Un grade au reste n’est pas une sinécure : chacun fait ses preuves continuelles et si quelqu’un était au 1er rang sans le mériter chacun s’en apercevrait vite, lui-même serait mal à son aise, son amour-propre souffrirait comme celui d’un moniteur d’école mutuelle mis souvent en défaut par quelque camarade plus fort dans le cercle : il résignerait alors la médaille et solliciterait le rang où il pourrait réellement briller. D’ailleurs l’amour-propre et l’ambition ne s’arment plus ici d’hostilité comme dans nos sociétés où l’on ne court qu’une carrière. Mon supérieur dans ce groupe, va dans un autre où j’excellerai, se trouver au dernier rang.
Quant à la répartition générale entre les séries la cupidité même ferait seule voter justement. Car si l’une d’elles était plus rétribuée qu’elle ne mérite ce serait autant de moins à distribuer sur tant d’autres dont on fréquente aussi les groupes et qu’on ne voudrait non plus ravaler par une estimation au-dessous de leur valeur.
Toutes les passions concourent dans cet admirable régime, à la vérité pratique en répartition. Il faudrait de l’espace pour le démontrer et je me contente de cette indication sur l’action de la cupidité, qui ne peut rien fausser.

Une des belles propriétés de ce régime de séries c’est de purger chaque passion de tout sentiment égoïste et offensif en lui ménageant une multiplicité de voies d’essor. C’est avec notre régime la différence du gourmand devant une table où il n’y a qu’un bon morceau. C’est alors un égoïste et détestable voisin et du même gourmand assis à un somptueux banquet qui le transformera en convive affable et gai en raison de l’intensité même de sa gourmandise.

Vous devez entrevoir que cet état harmonise les relations sociales, qu’il les active et les développe en des progrès inouïs.

Tout ce que je vous envoie ici, Monsieur, n’est qu’une bien faible esquisse. Mon seul but était diriger votre attention sur cette découverte. J’aurais dû peut-être aussi faire une ombre d’application de la série à l’éducation. Cette partie surtout est brillante de génie, de vérité et d’intégralité.

Vous devez penser que sa partie négative, l’analyse et la critique de la civilisation et des périodes subversives tiennent une place dans cet ouvrage qui n’est que l’abrégé de deux volumes qui eux-mêmes devaient être complétés par plusieurs autres. Si je n’ai pas été trop inintelligible, vous sentirez, je pense, la nécessité où est le monde savant de donner une critique saine et loyale. Je m’adresse à vous parce que je sais que vous ne serez pas blessé par ce cri d’examen et de combat que pousse la science nouvelle, et qui se changera je l’espère en un cri de victoire. SI vous n’aviez pas de temps à donner à l’étude nécessaire pour l’analyse dont je vous prie de vous charger, je pourrais moi-même faire dans les limites que vous me prescririez une analyse exempte de blâme, de louange, de tout jugement : ce serait une simple exposition sous forme de lettre qui dans le globe ne prouverait rien d’autre sinon qu’il est éclectique et ennemi de tout système d’étouffement.

Je suis vraiment honteux de vous envoyer cette énorme et sale lettre. On devrait bien adopter une écriture sténographique pour les correspondances, on serait dans ce cas impardonnable de ne pas recopier au net une lettre comme celle-ci. Mais vous me pardonnerez, à cause du peu de temps dont je puis disposer, vous rirez sans doute à plus d’une ligne qui serait peut-être de la phrase pure si je l’avais écrite à froid comme une amplification de rhétorique. Mais j’écris en courant et je ne puis souvent m’empêcher de me lancer un peu. La foi tend à l’expansion comme un vase trop plein à se répandre.

Montrez, je vous prie, ces deux feuilles à notre ami le Solitaire du collège Charlemagne. Il n’a jamais
voulu rien entendre de près, peut-être serai-je plus heureux de loin. Je voudrais qu’il vît au moins dans toutes ces choses des traces de raison car je crois qu’il me soupçonne quelque peu d’être fou. Il dira peut-être que je suis un grand bavard, vous l’avez déjà dit sans doute aussi. Eh bien oui, je passe condamnation, mais sous condition que vous n’en diminuerez pas l’amitié que vous m’avez promise. Les dernières nouvelles de ma famille étaient bonnes. Pourquoi faut-il que 16 mois me séparent encore de mon premier congé. - Salut et bonheur

Victor Considerant

Mon adresse sous-lieutenant du génie à Metz