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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

"Je les aimais comme des philanthropes". Sébastien Commissaire (1888)
Article mis en ligne le 15 février 2009

par Bouchet, Thomas

Sébastien Commissaire est âgé de vingt-six ans lorsqu’il est élu en 1849 à l’Assemblée législative de la Deuxième République. Né à Dole en 1822, il arrive à Lyon en 1829 où il travaille dès son plus jeune âge comme ouvrier dans l’industrie de la soie. Parallèlement, il s’instruit à la faveur de cours du soir et de lectures.
Sous la monarchie de Juillet, il appartient aux milieux d’opposition républicaine et socialiste au régime. En 1848, il doit rejoindre l’armée ; en garnison à Metz puis à Strasbourg, et devient sergent. Républicain affirmé, il est candidat aux élections de 1849. Elu à la fois dans le Bas-Rhin et dans le Rhône ; il choisit le Rhône.
Le texte que voici évoque les lendemains de son élection et son arrivée à Paris. Il est extrait de ses Mémoires et souvenirs.
C’est en 1888, l’année de ses 66 ans, que Sébastien Commissaire publie ses Mémoires et souvenirs. Il y évoque deux histoires liées entre elles : les combats des républicains et des ouvriers au XIXe siècle, son parcours personnel. La rencontre de 1849 avec Victor Considerant est, dans l’économie du livre, un épisode secondaire, mais instructif. Le narrateur indique qu’il connaissait, dès avant 1849, des œuvres de Fourier et de ses épigones ; il analyse les raisons pour lesquelles, selon lui, le fouriérisme et le monde ouvrier ne se sont jamais rencontrés ; il livre des éléments sur la présence et l’action de l’Ecole sociétaire dans les assemblées de la Seconde République ; il décrit certains réseaux de l’époque - à domicile, dans les rédactions des journaux, à l’Assemblée, pendant des réunions politiques. Il permet ainsi de se faire une idée de la manière dont les phalanstériens étaient perçus dans des milieux qui ne leur étaient pas hostiles, mais qui considéraient leur combat inadapté.
(Merci à Françoise Commissaire, dont le grand-père comptait Sébastien parmi ses oncles, d’avoir repéré et sélectionné cet extrait)

XXVIII - Mon arrivée à Paris. Le 13 juin 1849
[...] A peine arrivés dans notre logement, deux représentants du Bas-Rhin, partisans de la doctrine de Fourrier [sic], me proposèrent de les accompagner dans les locaux de la Démocratie pacifique pour faire une visite à M. Victor Considérant [sic]. J’avais lu la Théorie des quatre mouvements ouvrage de Fourrier, dans laquelle se trouve toute la doctrine de l’Ecole phalanstérienne ; j’avais lu aussi les écrits des principaux apôtres du fourriérisme.

Le phalanstère n’a guère trouvé de partisans dans la classe ouvrière. La répartition des bénéfices n’était pas en harmonie avec les idées égalitaires des travailleurs qui s’occupaient de questions sociales ; les parts de bénéfices faites au capital et au talent étaient trop considérables par rapport à celle qui restait au travail. La raison qui empêchait les ouvriers de devenir phalanstériens était précisément celle qui flattait le plus ceux qui acceptaient la doctrine de Fourrier, lesquels appartenaient en grande majorité à la classe bourgeoise.

Quoique non partisan du phalanstère, j’avais néanmoins beaucoup de sympathie pour M. Victor Considérant et pour ses collaborateurs ; je les aimais comme des philanthropes qui voulaient sincèrement améliorer la condition du peuple.
M. Victor Considérant nous fit un excellent accueil. Après avoir causé quelques instants avec nous, il nous dit qu’il était l’heure d’aller à l’Assemblée. Nous nous disposions à le quitter lorsqu’il nous proposa d’aller avec lui.
Vous verrez quelques-uns de nos nouveaux collègues, ainsi que quelques anciens qui n’ont pas été réélus. La proposition fut acceptée par mes amis et par moi.

C’est en compagnie de M. Victor Considérant que j’entrai pour la première fois dans le Palais-Bourbon. Ce jour-là, j’eus l’honneur de voir plusieurs représentants non réélus que je n’aurais jamais vus sans notre visite au chef de l’Ecole phalanstérienne. Il y en a un surtout dont j’ai conservé un excellent souvenir, je veux parler de M. Audry de Puyraveau qui me fit un accueil cordial auquel j’étais loin de m’attendre.

J’allai ensuite à la questure porter mon acte de naissance et donner mon adresse ; puis, le soir, en compagnie de mes collègues du Bas-Rhin, j’allai à la réunion de la Montagne (extrême-gauche de ce temps-là), rue du Hasard, 6. M. Deville présidait la séance ; plusieurs membres de la réunion parlèrent, notamment MM. Ledru-Rollin, Félix Piat [sic], Gent, Gambon, etc.

[N.B. : Les italiques sont de Sébastien Commissaire]
Mémoires et souvenirs de Sébastien Commissaire, ancien Représentant du peuple, Lyon-Paris, Meton et Garget & Nisius, 1888, tome 1, p. 223-224.