Bandeau
charlesfourier.fr
Slogan du site

Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Clairefond, Marius (-Antoine)
Article mis en ligne le 28 mars 2009
dernière modification le 24 décembre 2013

par Desmars, Bernard

Né à Chabeuil (Drôme), le 4 février 1811, décédé à Moulins (Allier) le 31 octobre 1885, Archiviste, puis négociant. Conseiller municipal de Moulins, fondateur et dirigeant de plusieurs associations.

Fils d’un mégissier, Marius Clairefond fait des études secondaires, puis s’inscrit en faculté de droit et obtient la licence. Il entre à l’Ecole des chartes en 1836 ; pendant sa formation, il effectue un séjour à Moulins en 1838 pour commencer à classer les archives déposées à la préfecture ; reparti quelque temps à Paris pour finir sa scolarité et se voir décerner le diplôme d’archiviste paléographe, il reprend son poste à la préfecture de l’Allier en 1839 [1]. Marié en mars 1840 avec Jeanne Clémence Brunet, veuve d’un négociant, il abandonne les archives l’année suivante pour se livrer au commerce ; il est, selon les sources, présenté comme marchand de nouveautés ou comme négociant.

Archives, commerce, association

Parallèlement à son travail d’archiviste, puis de commerçant, Clairefond participe très tôt à la vie sociale et culturelle de Moulins. Dès 1838-1839, il collabore à une revue publiée à Moulins, L’Art en province, qui souhaite mettre en valeur les productions culturelles de la province ; il s’intéresse en particulier à l’histoire, au folklore et aux traditions du Bourbonnais. Il fait également paraître quelques textes dans le Mémorial de l’Allier, un journal d’information où Clairefond publie en 1839 une série d’articles présentant Fourier et la théorie sociétaire. Quelques passages sont repris dans La Phalange [2], avec les félicitations des dirigeants de l’Ecole : « Que les amis de la Théorie sociétaire contribuent tous aussi efficacement que M. Clairefond à éclairer les esprits dans la localité sur laquelle ils ont influence, et notre cause sera bientôt assez forte pour obtenir un succès définitif » (1er septembre 1839). En effet, ces « articles, écrits avec une sagesse qui n’exclut pas le verbe, ont dû exciter l’attention de tous les hommes sérieux à la connaissance desquels ils sont parvenus », estime la rédaction de La Phalange (15 septembre 1839). Ces textes du Mémorial sont repris dans une Notice sur Charles Fourier et son système [3].
Clairefond accorde une très grande place au principe associatif : il contribue lui-même à la formation de plusieurs sociétés à Moulins. En 1844, il fonde avec des cordonniers une société de secours mutuels dont il est lui-même le secrétaire, jusqu’à sa dissolution en 1852. Déjà secrétaire en 1840 d’une Société de statistique, il est l’un des membres fondateurs de la Société d’émulation du département de l’Allier, constituée en 1845 (qui, à la fin du siècle, prend le nom de Société d’émulation du Bourbonnais).
Il intervient dans les débats politiques sous la Seconde République. Au printemps 1848, il appelle à la formation d’une seconde assemblée (ou « congrès ») qui aurait pour fonction de représenter les intérêts des différents secteurs économiques et sociaux, des professions et des groupes d’intérêt (agriculture, commerce, ouvriers, clergé...) ; à l’issue de débats où pourraient s’exprimer les passions et les intérêts particuliers, ce congrès élaborerait des projets qu’il soumettrait à la première assemblée ; celle-ci, ainsi débarrassée des questions catégorielles, pourrait alors « s’élever au dessus des misérables querelles des partis, au-dessus des besoins locaux et des intérêts particuliers » et œuvrer pour le bien général [4] En décembre 1848, lors de l’élection présidentielle, Clairefond soutient, non pas le candidat démocrate- socialiste Ledru-Rollin, mais le républicain modéré Cavaignac, finalement battu par Louis-Napoléon Bonaparte [5]. Il continue cependant à correspondre avec l’Ecole sociétaire et publie dans La Démocratie pacifique la nécrologie d’une jeune condisciple de 14 ans [6].

Un notable sous le Second Empire et la Troisième République

Dans les années 1860, Marius Clairefond est devenu une personnalité de Moulins. Il s’est semble-t-il rallié à l’Empire de Napoléon III ; en 1865, il est élu au conseil municipal, sur une liste bénéficiant de l’appui des autorités impériales ; il arrive en deuxième position, sur 27 conseillers, par le nombre de voix obtenues (la première position est occupée par celui qui est maire depuis déjà plusieurs années) [7]. Comme d’autres fouriéristes, il s’engage dans les mouvements en faveur de l’éducation populaire et du mouvement coopératif. En 1864-1865, il fonde la Société pour la propagation des connaissances utiles qui organise des cours du soir et dispose d’une bibliothèque pour des ouvriers et des employés ; l’instruction, déclare Clairefond, est à la fois un moyen de progrès social pour la nation, une possibilité aux individus appartenant aux classes populaires de s’élever dans la société, et un facteur de moralisation du peuple. « L’instruction seule peut féconder nos travaux et élever le niveau moral de la société. Ce n’est que le degré d’instruction qui sépare les diverses catégories de citoyens, d’ailleurs égaux en droit. C’est cette distance qu’il faut amoindrir, c’est cette barrière qu’il s’agit de faire disparaitre, et ce n’est que par l’association que nous pouvons y parvenir » [8]. Il fait également partie d’une Association scientifique et industrielle de l’Allier, constituée en 1865, avec des préoccupations moins littéraires et plus économiques que la Société d’émulation [9]. En 1867, il contribue à la constitution en 1867 d’une coopérative de consommation ; elle disparaît assez rapidement, à cause, dit Clairefond, des pertes provoqués par les activités de boulangerie et de boucherie, alors que la troisième partie, l’épicerie, était tout à fait viable.
Clairefond reste pendant cette période en relation avec d’anciens disciples de Fourier. Il correspond avec Riche-Gardon, qui, dans plusieurs périodiques successifs, s’efforce de conjuguer un projet religieux (le « déisme rationnel »), la création d’une organisation franc-maçonne et un programme de réforme sociale inspiré de la théorie sociétaire [10]. Clairefond apporte également son aide à Guyard, ancien disciple de Fourier, qui s’efforce à Frotey-lès-Vesoul (Haute-Saône) de généraliser l’instruction, d’améliorer la santé et de promouvoir le progrès agricole [11] ; en retour, Guyard offre des ouvrages à la Société de la propagation des connaissances utiles [12].
Quand quelques disciples reconstituent une Ecole sociétaire au milieu des années 1860, Clairefond leur apporte son soutien, en particulier quand l’on prévoit la fondation d’un périodique : il accepte non seulement de souscrire à son capital et de s’y abonner, mais il est prêt à devenir le « correspondant et collaborateur » du futur organe fouriériste [13]. Et les années suivantes, il fait effectivement partie des abonnés de La Science sociale [14]. Clairefond doit cependant arbitrer entre ses engagements locaux et sa contribution à l’Ecole sociétaire : « nous avons plusieurs œuvres locales à fonder et partout il faut payer de sa personne et de son argent. Nous relevons en ce moment une institution d’enseignement professionnel qui menaçait de sombrer et de tomber entre les mains des cléricaux. Nous devons inaugurer au mois de novembre une école maternelle en nous inspirant de la méthode Froebel » [15].
Lors du plébiscite de mai 1870, Clairefond vote en faveur du régime impérial et de son évolution libérale. L’année suivante, il se rallie à la République sans enthousiasme, et par raison plus que par véritable conviction ; « après 1871, j’ai fait comme Thiers et beaucoup d’autres », explique-t-il quelques années plus tard, « je me suis rangé du côté de la République avec d’autant plus de raison que c’est le seul gouvernement issu du suffrage universel que nous ayons eu depuis 1789, bien qu’il n’ait été constitué qu’à une voix de majorité, et c’est sur ce terrain légal que je resterai comme je suis resté toute ma vie » [16].
Il publie à cette époque une brochure, Plus de parti au pouvoir, la nation souveraine et le gouvernement national, où il appelle à l’unité du pays. Non réélu au conseil municipal en 1870, il se représente lors des nouvelles élections en 1874 ; il est placé à la fin d’une liste sans étiquette politique, contre une liste de candidats républicains ; le nombre de voix obtenues ne lui permet pas d’accéder au conseil municipal [17]. Il continue cependant à participer aux débats publics locaux [18]. Il est élu président du tribunal de commerce dans les années 1870 (il avait déjà exercé cette fonction sous le Second Empire). Les autorités républicaines le nomment à la présidence de la commission d’administration de l’Ecole normale des institutrices. Il reste également très actif au sein des différents groupements associatifs (savants et philanthropiques) auxquels il appartient et dans lesquels il exerce souvent des responsabilités ; toujours à la tête de la Société de propagation des connaissances utiles, il devient vice-président de la Société d’émulation du Bourbonnais de 1877 à 1879, puis président de 1880 à 1882. Son adhésion à l’Ecole sociétaire se traduit par son abonnement au Bulletin du mouvement social et sa correspondance avec les dirigeants du mouvement phalanstérien [19].
Cet esprit très curieux publie en 1878 une étude sur les origines du langage [20] ; utilisant des travaux de médecine, de linguistique et d’anthropologie, il affirme que l’homme a d’abord imité les sons produits par la nature (« La voix humaine reproduit toutes les voix de la nature. Elle éclate comme la foudre, - roule comme le tambour, - frappe comme le marteau, - sonne comme la cloche, - siffle comme le serpent, - bourdonne comme l’insecte, - gazouille comme l’oiseau, - bêle comme la brebis, - meugle comme le taureau, - hurle comme le loup, - rugit comme le lion » ( [21] avant de leur donner une signification et d’en faire ainsi un moyen d’expression et de communication. Peu après, autour de 1880, il fait paraître dans Le Courrier de l’Allier, un organe conservateur, une série de textes sur les questions sociales, qu’il rassemble ensuite dans une brochure intitulée Essai de simplification et de solution du problème social [22].

« Allonger les vestes sans raccourcir les habits »

La dernière grande intervention publique de Clairefond se situe en 1882, lors d’une élection législative partielle consécutive à la mort du député élu l’année précédente. Les républicains, malgré de profondes divisions, désignent Léon Roquet comme unique candidat du camp républicain. Clairefond est le seul adversaire de Roquet et se présente comme « candidat national, indépendant » ; il ne bénéficie d’aucun soutien partisan, même si le journal conservateur et antirépublicain, Le Courrier de l’Allier, lui exprime sa sympathie, tout en regrettant qu’il ait donné son adhésion, même mesurée, à la République. Son programme peut pourtant paraître assez audacieux dans certains domaines : dans sa seconde profession de foi, adressée « aux travailleurs », Clairefond demande l’égalité devant le service militaire (il durerait trois ans ; mais pendant cette période, il n’occuperait que trois à quatre jours par semaine, afin que les personnes concernées puissent exercer leur profession ou continuer leurs études) ; l’instruction gratuite à tous les degrés - et non seulement dans le primaire comme l’a décidé la loi Ferry de 1881 - « de telle sorte que l’enfant, à quelque catégorie sociale qu’il appartienne, puisse avoir dans son carton d’écolier, son brevet de préfet, de ministre, de député, de maréchal de France » ; le développement de la protection sociale et en particulier l’organisation des retraites des travailleurs ; la participation des salariés aux bénéfices des entreprises, « solution du problème social sans révolution », qui permet d’ « allonger les vestes sans raccourcir les habits et [de] donner satisfaction à tous » [23]Lors de la campagne électorale, il se présente comme « disciple de Fourrier [sic], un des plus grands génies du siècle, quoi qu’en dise, auquel la postérité rendra la justice qui lui est due » [24].
Son programme et son positionnement semblent avoir suscité la perplexité dans les milieux politiques locaux et peut-être parmi les électeurs. Battu dès le premier tour, il arrive cependant en tête dans la partie de la circonscription qui se situe sur le territoire de Moulins, tandis qu’il est nettement distancé par son adversaire dans les communes rurales. Bénéficiant sans doute de sa notoriété, de son investissement associatif et de ses différentes fonctions publiques, il reçoit à la fois des voix des conservateurs, qui n’ont présenté aucun candidat, mais aussi des républicains avancés de Moulins, qui avaient d’abord voulu présenter un concurrent à Roquet, trop modéré à leurs yeux sur le plan social.
Eloigné des affaires depuis la fin des années 1870, Clairefond s’écarte ensuite de la scène publique. Il continue à soutenir l’une des dernières œuvres phalanstériennes, la Maison rurale de Ry (Seine-Maritime), dans laquelle Jouanne s’efforce de mettre en application les principes pédagogiques fouriéristes [25].
Les associations et les organes auxquels il a collaboré rendent un hommage ému à cet homme dont « l’existence [a été] toute consacrée au travail et à la recherche incessante des améliorations matérielles et morales dans la voie du progrès que doivent parcourir les individus et les sociétés. Notre regretté collègue se repose maintenant, nous aimons à l’espérer, dans la contemplation des harmonies divines que son noble cœur aurait voulu introduire ici-bas ». [26]