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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

103-105
« Fourier inutilisé » : chutes et rebuts du Fourier de Roland Barthes
Article mis en ligne le 23 février 2010
dernière modification le 2 octobre 2016

par Perrier, Florent
« L’utopie, c’est l’état d’une société où Marx ne critiquerait plus Fourier. »
R. Barthes, « Plaisir / écriture / lecture » [1]

Avec la publication de Sade, Fourier, Loyola (Seuil, 1971), Roland Barthes rend visible son intérêt déjà ancien pour l’œuvre littéraire et politique de Charles Fourier après avoir livré au public, en octobre 1970, l’article préliminaire « Vivre avec Fourier » (Critique, n° 281), compte rendu détaillé des 12 volumes des Œuvres complètes du « rêveur sublime » publiées chez Anthropos en 1967 par Simone Debout. C’est à partir de 1951, à l’occasion d’une thèse principale de lexicologie sur « Le vocabulaire de la politique économique et sociale de 1825 à 1835 » qu’apparaît le nom de Charles Fourier dans l’univers de Roland Barthes. Ce dernier ne consulte pas seulement à la Bibliothèque nationale des textes sur le commerce ou la question sociale en 1830, il noircit encore de nombreuses fiches en vue de ce projet inachevé [2] et envisage surtout, comme thèse complémentaire sous la direction de G. Matoré, la possibilité d’une « Edition critique d’un chapitre du traité de l’association domestique-agricole de Fourier : “De l’éducation unitaire” » [3].

Proche par l’exclusion même du chantre de l’attraction passionnée — « Utopie (à la Fourier) : celle d’un monde où il n’y aurait plus que des différences, en sorte que se différencier ne serait plus s’exclure. » [4] —, Roland Barthes souligne chez le sergent de boutique illitéré l’usage d’une « poétique de rebut, magnifié par l’économie sociétaire » [5]. A cet égard comme par les thématiques étudiées (cette passion commune pour les « petites hordes » et les « petites bandes », fiertés du Phalanstère [6]), il pourrait être rapproché de son illustre devancier à la Nationale que fut Walter Benjamin et qui, lui aussi, laisse Fourier hanter en sourdine, telle une basse continue, nombre de ses textes [7]. Si, comme l’écrit Roland Barthes, « Fourier met en déroute » [8], s’il cultive l’écart et le doute absolus, s’il réserve toujours dans ses énumérations une part qui échappe et dérange — un mouvement continu de décentrement —, les chutes, les rebuts, les fragments d’écriture de l’auteur de « Vivre avec Fourier » rassemblés ici ne sont ni à délaisser et moins encore à sous-estimer, mais à réintroduire dans le mouvementé même de cette poétique de rebut pour renouer non seulement les liens d’une intense relation trop souvent passée inaperçue, mais pour en repenser à neuf, depuis les origines, les éclats dispersés, les traces négligées : une invitation à penser Barthes avec Fourier, à les faire vivre ensemble.

Conservées à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC), les archives de Roland Barthes [9] comportent, outre 4 fiches de citations brèves, deux ensembles distincts rattachés à la partie Fourier du Sade, Fourier, Loyola. Le premier ensemble est une liasse titrée « Fourier inutilisé » et le second, une autre liasse titrée « Chutes », chacune d’elles comportant des feuilles manuscrites et des pages dactylographiées avec annotations manuscrites. De l’une à l’autre liasse, les versions des textes publiés ci-après évoluent, se modifient et nous nous sommes efforcés, dans les pages qui suivent, d’en restituer toutes les variations [10]. Les fiches de citations et les paragraphes dont les changements sont peu significatifs au regard du Sade, Fourier, Loyola publié (« L’arbre du bonheur », « Passions », « Nombres », « L’argent fait le bonheur ») n’ont toutefois pas été reproduits. Les sept fragments retenus n’apparaissent donc ni dans « Vivre avec Fourier », ni dans Sade, Fourier, Loyola et l’ordre respecté est ici celui des liasses.