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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Rivière Jacques, dit Rivière cadet
Article mis en ligne le 6 octobre 2010
dernière modification le 4 septembre 2011

par Bouchet, Thomas

Né le 20 février 1805 à Lons-le-Saunier (Jura), mort le 14 février 1845 à Montpellier (Hérault). Imprimeur sur étoffes à Lyon (Rhône), journaliste et propagandiste fouriériste, lié aux républicains lyonnais au début de la monarchie de Juillet.

Jacques Rivière est le second fils de Charles Rivière, teinturier, et de Pierrette Perraud, propriétaire. Sur son acte de naissance, les deux témoins sont respectivement pharmacien (Jean-Claude Doussard) et négociant (Jean-Marie Cornet) (Voir document 1). Il quitte jeune Lons-le-Saunier pour Lyon, où il exerce le métier d’imprimeur sur étoffes.

Document 1. Acte de naissance de Jacques, Etienne, Joseph Rivière
Ville de Lons-le-Saunier, Etat-civil, registre des actes de naissance

La conversion d’un républicain

Il se prend d’enthousiasme à l’annonce des Trois Glorieuses, fin juillet 1830 ; il adhère peu après à la loge maçonnique du Parfait Silence, qu’il quitte à la fin de 1831 pour rejoindre les rangs des républicains lyonnais. Ses préférences se portent sur les « jacobins » de La Glaneuse, plutôt que sur les « girondins » du Précurseur. Il participe à de nombreuses souscriptions (pour La Tribune, le journal d’Armand Marrast, en avril 1832 ; pour Jeanne et les condamnés de juin 1832 en décembre de la même année, etc.), et à des banquets patriotiques où il se fait remarquer par la virulence de ses propos (17 février 1833, en l’honneur de Granier, le gérant de La Glaneuse). En janvier 1833, il est élu membre de la Commission exécutive de l’Association pour la liberté de la presse lors d’une assemblée générale de l’Association qui se tient au café du Nord, quartier des Brotteaux. Il habite alors cours Lafayette (L’Echo de la Fabrique, 4 août 1833) ; il compte aussi parmi les initiateurs d’une entreprise de reconstitution de la Charbonnerie. Il fréquente alors les chefs républicains, tels Eugène Baune ou Antide Martin. On le retrouve aussi parmi les souscripteurs en faveur de Daumesnil, dit La Jambe de Bois - 1 franc 50 - et en faveur des ouvriers mineurs d’Anzin, condamnés comme coupables de coalition - 1 franc 50 - (L’Echo de la Fabrique, 4 août 1833)]
C’est de cette époque que semble dater son adhésion au fouriérisme : le 7 avril 1833, jour anniversaire de la naissance de Charles Fourier, paraît dans L’Écho de la fabrique un texte signé « R. cadet » et intitulé « Un disciple de Charles Fourrier [sic] à ses concitoyens » (voir document 2).

Document 2. L’article de Rivière cadet dans L’Echo de la fabrique, 7 avril 1833

En propagandiste consciencieux du fouriérisme, il s’engage dans un travail d’explication auprès des lecteurs de L’Écho de la fabrique, rédigeant une série d’articles sur « les droits du riche, du travailleur, et des vices de notre organisation sociale » (21 avril), sur l’expérience de Condé-sur-Vesgre (Seine-et-Oise) (5 mai), sur la nature des passions, qu’il passa en revue (19 mai, 23 juin, 30 juin, 25 août), sur « la situation de l’industrie lyonnaise » (4 août).
Il semble ainsi rompre brutalement avec le parti républicain et avec ses idéaux de jeunesse (« les grandes déclamations sur la liberté, la fraternité, l’égalité, l’idéologie des droits de l’homme [...] ne déterminent que de funestes orgasmes », affirme-t-il plus tard dans son Mémoire justificatif). Mais le but qu’à ses yeux les républicains poursuivaient - « le gouvernement du pays par le pays » et « l’amélioration du sort de l’humanité » - n’en gardent pas moins pour lui un côté séduisant.
Il multiplie les mises au point dans les colonnes de L’Écho de la fabrique, pour réfuter les attaques et pour dénoncer les impostures dirigées contre le fouriérisme. C’est ainsi qu’en janvier et février 1834, il engage une controverse avec Ravet sur certains points des idées de Fourier dont l’un et l’autre se réclament ; il se charge également d’annoncer la parution des Archives des sciences morales et politiques. Au mois de janvier 1834 il se décrit comme un véritable chef de file, « disciple de Fourier, au nom des fouriéristes lyonnais ». Son activité ne se borne d’ailleurs pas à la ville de Lyon et aux chefs d’atelier lecteurs de L’Écho de la fabrique. Il est correspondant du Phalanstère, et il se lie au fil des mois à des fouriéristes reconnus, tels Adrien Berbrugger (dont il organise la série de conférences lyonnaises à la fin de l’année 1833, au palais Saint-Pierre) ou encore Abel Transon.

L’Echo de la fabrique , et au-delà

L’Écho de la fabrique lui fournit un cadre idéal pour participer au grand débat ouvert sur le thème de la réforme sociale. Mais lorsque le rédacteur en chef Marius Chastaing quitte le journal, refusant le rapprochement avec le mutuellisme (été 1833), Rivière cadet ne le suit pas, bien au contraire. On relève à la lecture de ses articles d’août 1833 l’expression de prises de position de nature politique. Le 4, il soutient Le Précurseur et son dirigeant Petétin contre Le Journal du commerce, dans une polémique sur l’organisation du travail. Même s’il précise à cette occasion qu’il ne parle pour aucune « fraction de la société, soit monarchique soit républicaine », il trahit là des liens qui ne sont pas sans importance. Quelques jours plus tard d’ailleurs, il prend à nouveau position, cette fois contre un Courrier de Lyon jugé par trop favorable au gouvernement.
Les activités de Rivière cadet en dehors de L’Écho de la fabrique indiquent ses fidélités envers les républicains. Son nom figure aux côtés de ceux d’Eugène Baune, de Jules Favre, d’Antide Martin ou de Jules Seguin dans le « comité invisible » chargé de centraliser la propagande politique lyonnaise, à l’été 1833. Ce comité naît en juillet aux bureaux du Précurseur, sous l’impulsion de Godefroy Cavaignac. Rivière cadet garde une totale liberté de mouvement, et il ne franchit pas l’étape suivante, restant en dehors du Comité exécutif provisoire qui se constitue peu après en vue de se substituer à un « comité invisible » jugé trop attentiste. Il accepte en revanche de figurer, pour le compte de Granier alors en prison, parmi les gérants de La Glaneuse à partir du 10 août 1833.
En 1834, son nom apparaît moins souvent dans L’Écho de la fabrique. Pourtant, il y joue un rôle croissant : actionnaire, mais aussi responsable de la composition des numéros, et habilité à contrôler les articles. En un sens, Rivière cadet pourrait presque être considéré au début de l’année 1834 comme un invisible « rédacteur en chef ». C’est lui, très probablement, qui se charge de brûler le registre des procès verbaux du comité de surveillance du journal peu après les événements d’avril. Ces activités de Rivière cadet ne sont toujours pas dissociées d’une propagande suivie aux côtés des républicains. En février 1834, il s’associe à une initiative du Précurseur, appelant au calme les mutuellistes lyonnais alors qu’une nouvelle baisse des tarifs fait craindre une réaction violente des chefs d’atelier ; et il voit souvent Anselme Petétin.

Combats de 1834

Un violent article contre Charles Dupin, dans L’Écho de la fabrique du 9 mars 1834 (« À M. Charles Dupin, député, professeur des ouvriers et membre de l’Académie des Sciences, les mutuellistes lyonnais », et dont il est selon toutes les apparences l’auteur - il en fait lui-même la lecture lors d’une séance à la commission de surveillance du journal avant parution, le situe à la convergence du républicanisme et du fouriérisme. Les vertus de l’alliance entre « travail, capital et talent » y sont affirmées avec force, tandis qu’un hommage appuyé est rendu au « parti républicain, si riche de coeurs et de talents ». L’appel tout politique à la résistance contre le régime y est à peine voilé : « Pour nous, lorsque nous verrons ABATTRE [sic] les derniers lambeaux d’un ordre déjà presque éteint, nous applaudirons. » Et le soutien apporté à l’interdit général des métiers prôné par les mutuellistes achève de dessiner les contours d’une union sacrée des oppositions lyonnaises.
L’article lui vaut des poursuites après l’échec de l’insurrection d’avril. Il est accusé d’avoir comploté contre la sûreté de l’État et d’avoir commis des provocations directes à la révolte par voie de presse. Il prend la fuite. S’il refuse de comparaître aux côtés des républicains parce qu’ils ne sont plus « apôtres d’une même croyance », il leur rend un vibrant hommage. Charles Lagrange, Antide Martin, Édouard Albert, Eugène Baune ont toujours su faire preuve, selon lui, de « nobles qualités » et de « bons désirs ». Ce sont de « nobles coeurs dévoués, poursuit-il, qui croiyaient se consacrer corps et âme au service de l’humanité » alors qu’ils étaient les jouets du parti républicain. Il importe de faire ici la part de la solidarité exprimée par un accusé à l’égard de ses compagnons d’infortune, mais il n’empêche que ce désir de leur venir en aide s’ancre sur une sympathie toujours ardente.

Le Mémoire justificatif , plaidoyer et prosélytisme

C’est alors qu’il rédige à l’attention des pairs son Mémoire justificatif (voir document 3).

Document 3. Mémoire justificatif, extraits

Il tente d’établir son innocence auprès de ses juges, profitant de l’occasion pour présenter un exposé du système sociétaire et pour raconter l’histoire circonstanciée de son adhésion au fouriérisme. Victor Considerant participe peut-être à la rédaction du livre, mais dans des conditions qui restent obscures (dans une lettre du 16 août 1836, Rivière cadet le remercie de l’avoir « tiré des mains de la Haute-Cour », mais il est difficile de savoir si Considerant est intervenu dans la rédaction du Mémoire justificatif ou s’il soutient les arguments de Rivière cadet directement auprès des juges).
Son comportement supposé à la veille des événements d’avril, ainsi que la nature des accusations qui pèsent sur lui, conduisent les fouriéristes à s’interroger sur l’attitude à tenir à son égard. Fouriériste authentique et injustement soupçonné ? C’est ce que semble penser Charles Pellarin en mai 1835, si l’on en croit du moins la teneur d’une lettre qu’il adresse à Clarisse Vigoureux :

Ce n’a pas été non plus une des moins vives satisfactions de mon voyage [à Lyon] que de voir notre ami Rivière et de trouver en lui un homme d’une haute intelligence, et malgré les persécutions dont il a été l’objet, jugeant avec impartialité et uniquement du point de vue social les hommes et les choses.

Just Muiron, lui, est beaucoup plus circonspect. Sans retirer sa confiance à l’homme - « du moment où il est entré dans nos rangs, nous ne l’avons point cru, nous ne le croyons point républicain » -, il interprète sévèrement ses relations avec L’Écho de la fabrique, en quelques mots adressés à Clarisse Vigoureux, discutables mais fort éclairants : « L’Écho de la fabrique déploie un étendard sur le coin duquel il est écrit Fourier, et qui ne revêt pas moins les insignes de la république ; la république figure comme le principal et le phalanstère comme l’accessoire. » (document 4)

Document 4. Lettre de Just Muiron à Clarisse Vigoureux, extraits
Bibliothèque d’Etude et de Conservation de Besançon, acq. 115.

Si le personnage est l’objet de controverses, son ouvrage fait l’unanimité parmi les fouriéristes. Chacun salue le Mémoire justificatif, dont le succès nécessite une deuxième édition. À Besançon, L’Impartial n’attend même pas le résultat du procès pour annoncer la parution dans les termes les plus louangeurs, et pour en livrer le contenu « aux réflexions d’une jeunesse que fascine et égare le fallacieux prestige des idées révolutionnaires. » Quelques mois plus tard, Considerant lui-même le remet à l’honneur. Dans un ouvrage où il traite justement « de la question politique et en particulier des abus de la politique actuelle », il reproduit in extenso le texte de Rivière cadet. En guise d’introduction, il note que l’ouvrage est « jusqu’ici la seule publication de cette École [l’École sociétaire] faite dans une circonstance politique ». En n’accordant à la politique qu’un rôle purement circonstanciel, Considerant place le Mémoire justificatif dans l’orthodoxie fouriériste. Et pourtant, Rivière cadet continue à intégrer dans sa défense de 1835 une remise en cause directe des orientations gouvernementales du moment. À plusieurs reprises, il fustige la politique de résistance, appliquée par « des esprits sans portée », néfaste à la concorde et à la paix ; nouvelle preuve de sa sensibilité constante à l’actualité politique, nouvelle illustration aussi de ses relations de bon voisinage avec les républicains.

Rivière cadet et la presse

Après son acquittement par les pairs (28 août 1835), une période nouvelle commence pour lui. En 1837, il participe un temps comme propagandiste à l’expérience du Commerce véridique et social, aux côtés de Michel Derrion, avant de s’en éloigner pour des raisons doctrinales, et de se retirer à Neuville-sur-Saône. En 1840, il devient directeur-gérant d’une petite revue “mensuelle, politique, sociale, industrielle et littéraire” La Démocratie lyonnaise, à laquelle collaborent de nombreux fouriéristes : A. Favier, Auguste Morion, Reynier, etc. Le premier numéro de La Démocratie lyonnaise paraît le 5 janvier 1840. Dans l’introduction de son Livre du compagnonnage, Agricol Perdiguier évoque le “loyal appui” que Rivière cadet lui prête dans les colonnes de son journal. On trouve de fait dans le numéro du 5 avril 1840 une longue lettre de Perdiguier sur le compagnonnage, sur ses “mœurs, [s]es habitudes toutes particulières, [sur le] contraste frappant avec tout ce qui l’entoure”.

Rivière Cadet meurt le 14 février 1845 d’une affection de poitrine à Montpellier - il y est sans doute venu pour s’y faire soigner dans un climat plus propice que le climat lyonnais. L’acte de décès indique que Rivière était "homme de lettres", qu’il était l’époux de Françoise Vivian, qu’il résidait à la maison Claparède (cour des casernes, à Montpellier) ; il est signé par Jacques Bouchet-Doumenq et par Adolphe Oscar Gervais, tous deux propriétaires et domiciliés à Montpellier. Il est à noter que Bouchet-Doumenq est un militant républicain et socialiste, partisan de la doctrine phalanstérienne (voir sa notice dans le Dictionnaire). La mort de Rivière est annoncée dans la rubrique "Nécrologie" de la Revue sociale de Lyon le 15 mars ; la courte notice ne fait pas mention de l’engagement fouriériste du défunt au début de la monarchie de Juillet.

L’engagement de Rivière cadet, au long de ces années, illustre bien la vitalité et l’inventivité du mouvement politique et social à Lyon, notamment dans les années 1830. Il donne aussi une idée des multiples combinaisons possibles entre des familles de pensée a priori distinctes : l’importance des fidélités personnelles, la continuité dans les pratiques alors que le cadre théorique semble avoir radicalement changé, l’appartenance conjointe à deux univers d’orientation différente, conduisent à insister autant sur les continuités que sur les ruptures dans la surprenante trajectoire de Rivière cadet.


Aphorisme du jour :
Les sectes suffisent à elles seules à guider la politique humaine dans le labyrinthe des passions
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