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Gamet, (Jean-Baptiste) Hector
Article mis en ligne le 5 novembre 2010
dernière modification le 14 juillet 2021

par Sosnowski, Jean-Claude

Né le 21 nivôse an XI (11 janvier 1803) à Vitteaux (Côte-d’Or). Décédé le 3 avril 1871 à Paris (Seine). Avocat à Semur-en-Auxois (Côte-d’Or) et à Paris. Journaliste. Membre de l’Association pour la liberté de la Presse. Correspondant côte-d’orien du « Comité de l’Extrême-gauche de Paris ». Fondateur de la Propagande orale et écrite à Paris. Membre de la commission de fondation de la Banque du peuple. Fondateur de la boucherie sociétaire de Dijon (Côte-d’Or). Proscrit du 2 décembre 1851. Franc-maçon.

Un père pour modèle : « J’ai moi-même marché sur ses traces autant que possible » [1]

Hector Gamet est issu d’une famille d’agriculteurs et marchands dont le berceau se situe à la Grange du Puits (Champagny, Côte-d’Or). Son grand-père, Antoine-Bernard Gamet (1737-1815), fils d’un marchand de Champagny, lui-même qualifié de bourgeois et propriétaire, né et décédé dans cette commune, est originaire de Blaisy-Haut (Côte-d’Or) lorsqu’il s’installe à Vitteaux en 1793. Il a épousé en 1759, Anne Chapuis, fille d’un marchand de Saint-Thibault (Côte-d’Or), localité voisine. En nivôse an III (décembre 1794-janvier 1795), un certificat de résidence lui est délivré à Vitteaux. Assesseur du juge de paix, le 1er germinal an VII (21 mars 1799), il est contraint à la démission, ayant été nommé commissaire du directoire exécutif près le canton de Verrey-sous-Salmaise (Côte-d’Or) et quitte alors la commune. Son second fils, Nicolas (1765-1850) occupe, quant à lui, les fonctions d’officier public élu de Blaisy-Haut (Côte-d’Or) en l’an III. Marchand en 1791, propriétaire cultivateur à Champagny en l’an XII (25 novembre 1803), il devient maire de la commune en mai 1813, après en avoir été adjoint, mais est destitué après les Cent-Jours.

Le père d’Hector Gamet, Pierre (1771-1841), benjamin des garçons de la fratrie, né à Champagny, engagé volontaire en 1791 au sortir du collège, est sous-lieutenant de la seconde compagnie du 1er Bataillon de la Côte-d’Or, le 4 septembre 1793, lors de la déclaration de naissance à Champagny d’une de ses nièces, Anne, fille de son frère aîné, Frédéric François Gamet, marchand en 1791, alors qualifié de propriétaire et cultivateur de la commune. Devenu capitaine de la seconde compagnie de grenadiers au même bataillon, amalgamé à la 146e demi-brigade alors attachée à l’Armée d’Italie et des Alpes, Pierre Gamet s’illustre lors des combats du 23 et 24 floréal an III (12 et 13 mai 1795) visant à assurer la prise du col du Saint-Bernard et du Mont Genièvre. Il franchit le premier les redoutes aux côtés d’un compatriote de Vitteaux, Jacques Peutat. Pierre Gamet a servi, d’après Hector Gamet, sans doute de manière discontinue, jusqu’en 1806, date à laquelle il a été rendu à la vie civile suite à une blessure. Il se marie néanmoins à Vitteaux le 21 nivôse an V (10 janvier 1797) avec Jeanne Gagey (1773-1818). Celle-ci est fille d’un propriétaire cultivateur de Beurizot (Côte-d’Or), commune du canton de Vitteaux, qui semble-t-il, avait quelques moyens. En effet, lors des différentes réquisitions commandées par le district en l’an III et en l’an IV, Jean Gagey dit La Riotte est le plus important contributeur. En 1792, il est également élu maire de sa commune pour quelques mois. Cette alliance matrimoniale est conclue moyennant, plus particulièrement, un apport respectif de 4 000 francs sur les biens paternels et maternels pour Pierre Gamet, soit le quart du domaine familial de Champagny alors amodié, et pour Jeanne Gagey, de 3 000 francs en « numéraire métallique » payables, sans intérêt, en trois annuités à compter des noces et un trousseau d’une valeur « numérique métallique » de 1 000 francs. Les époux s’installent alors à Vitteaux, chez les parents de Pierre Gamet.

Le 1er jour complémentaire de l’an V (17 septembre 1797), Pierre Gamet est nommé adjoint municipal, puis agent municipal du fait du désistement de François Belime père (1734-1809), notaire public. Cette nomination est effectuée directement par l’administration cantonale, sans repasser devant les électeurs. La loi du 19 fructidor an V (5 septembre 1797) annule en effet les élections précédentes, par « des mesures de Salut public, prises relativement à la conspiration royaliste ». L’année suivante, lors de l’assemblée primaire du 1er germinal an VI (21 mars 1798), Pierre Gamet est désigné électeur de la commune de Vitteaux, au second tour, aux côtés de François Belime père qui devient le 12 germinal (1er avril), président de l’administration cantonale. Le 5 floréal (24 avril), Pierre Gamet « agent municipal de Vitteaux » est quant à lui nommé commissaire municipal de Normier, chef-lieu d’un canton voisin. Enfin, le 1er germinal an VII (21 mars 1799), il tient le secrétariat du bureau provisoire de l’Assemblée primaire de la commune de Vitteaux chargée de procéder à la désignation de deux électeurs pour la commune. Maire de Vitteaux en mai 1807, après avoir été adjoint, il occupe ces fonctions jusqu’en août 1815.

En 1814, dénoncé par des habitants de Vitteaux aux Autrichiens pour avoir « correspondu avec les généraux Allix et Vaux [sic] [2] pour essayer de repousser la coalition étrangère », ceux-ci tentent de l’emmener au camp de Chanceaux (Côte-d’Or) pour le fusiller, mais la population « l’arracha des mains des dragons », d’après les écrits de son fils Hector Gamet en 1852. Lors des Cent-Jours, il accueille le Maréchal Ney en route pour Paris ; ce dernier lui permet dans les jours qui suivent de rencontrer et d’échanger longuement avec l’Empereur à Paris, qui lui propose une préfecture, ce que Pierre Gamet refuse en raison de ses activités commerciales, « ses bras [étant cependant] comme par la passé au service de la patrie ». Les vexations sont nombreuses lors de la Terreur blanche, mais n’atténuent pas les convictions de Pierre Gamet qui lors des élections législatives de 1817, appuie la candidature du marquis de Chauvelin, propriétaire de l’ancienne abbaye de Cîteaux. Chauvelin accusé d’être noble ne paraît pas le candidat idéal pour certains membres de l’opposition libérale. Pierre Gamet prend sa défense et vante, lors de la réunion électorale du 20 septembre 1817, son rôle à Londres lors de la proclamation de la République en 1792, où il avait obtenu aux côtés de Talleyrand, la neutralité du cabinet anglais. Pierre Gamet est conduit à la maison d’arrêt de Dijon en vue de comparaître le lendemain devant le tribunal correctionnel de Dijon, pour avoir « tenu un discours où il y avait plusieurs outhrages [sic] réputés séditieux ». Les faits n’étant pas suffisamment prouvés, il est remis en liberté. Ces persécutions ne cessent qu’à la fin de l’année 1818, lors de l’arrivée du ministre de la justice De Serres.

A ces vexations du nouveau régime, s’ajoute une « faillite considérable » en novembre 1829. Hector Gamet et son frère aîné Charles-Alexis (1798-1889) renoncent à leur héritage maternel et contribuent à apurer une dette de 15 000 francs afin de satisfaire l’ensemble des créanciers que la vente des biens personnels de leur père n’a pu permettre de régler. Hector Gamet renonce ainsi à sa dot de mariage. Si dans son testament, Jeanne Gagey avait fait son mari, héritier de la moitié de l’usufruit et de la jouissance de biens mobiliers d’une valeur de 8 817,50 francs, 300 francs d’apport au contrat de mariage déduit, d’un cinquième d’un domaine familial affermé à Beurizot rapportant annuellement un total de 1 180 francs, et 7 765 francs de biens acquis en communauté donnant un revenu annuel de 304,50 francs, celle-ci avait assorti cet héritage de conditions qui éclairent ce mariage. « D’après l’intimité qui a toujours régné entre [son mari et elle], et d’après l’attention qu’il a pour ses enfants », elle avait assorti ce legs d’une condition qui empêchait Pierre Gamet de se remarier sous peine d’en perdre le bénéfice immédiatement. Très pieuse, cette mère demandait d’ailleurs dans l’année de son décès, que « cent messes basses » soient données en l’église de Vitteaux. Cette faillite permet néanmoins à Pierre Gamet d’officialiser semble-t-il, dès le 19 mai 1830 sa relation avec Marguerite Brunot, fille d’un maître perruquier et propriétaire de Vitteaux. L’époux n’apporte rien au mariage, mais sa faillite ne l’a pas empêché de prêter 585 francs quelques jours auparavant. Le maire et conseiller général de Vitteaux, Edme Bordot-Godard, opposant libéral durant la Restauration, est par ailleurs témoin de l’époux. Les deux mariés quittent alors Vitteaux pour Moutiers-Saint-Jean (Côte-d’Or), où Pierre Gamet obtient les fonctions de percepteur qu’il occupe encore lors de son décès le 31 mai 1841.

Ces événements marquent profondément Hector Gamet qui voue une rancœur tenace - si ce n’est une haine farouche - envers les royalistes à qui il attribue le décès de sa mère, Jeanne Gagey, le 10 juin 1818, victime de l’acharnement des autorités envers son époux. Il n’a alors que 14 ans et n’en avait que 11 ans lorsque son père avait été menacé d’être fusillé par les occupants autrichiens. Hector Gamet garde tout au long de sa vie un profond attachement à son père et admire son engagement, rappelant encore en mars 1848, dans une profession de foi électorale, ce parcours interrompu par la Restauration, lui-même ayant « marché sur ses traces autant que possible ». En 1852, Hector Gamet, alors qu’il cherche à faire lever les mesures de proscriptions qui le frappent, déclare encore « que sa famille et spécialement son père ont été dévoués à l’empereur qui représentait la révolution contre les royalistes ». Il avertit d’ailleurs le Prince président qu’il est victime des poursuites de royalistes : « Plus puissants qu’on ne le pense tout en se disant vos partisans sincères, ils ne manqueront pas de vous trahir à la 1e occasion ». Hector Gamet omet néanmoins le fait que lors de la Première Restauration, son père avait déclaré à son conseil municipal « rempli[r] un devoir cher à son cœur en [l’]invitant [...] à célébrer cet heureux événement » [3] initié par le Sénat qui replaçait « sur le trône de ses ancêtres [...] le petit-fils de Henri IV ».

L’influence paternelle n’est pas propre à Hector Gamet. Charles-Alexis Gamet, l’aîné des enfants de Pierre Gamet se consacre également au commerce ; sa sœur Anne-Angélique (1801-18..) se marie à un négociant de Vitteaux, Antoine Charlut (1787-1862), lui-même fils de négociant. Charles-Alexis Gamet est également militant. En décembre 1849, il est vice-président de la commission constituée pour la création d’une « Société fraternelle de secours mutuel pour les cas de maladies et d’accident » à Vitteaux. « [...] Président, vice-président et secrétaire sont connus pour leurs opinions démocratiques et leurs habitudes de propagande socialiste » écrit alors le préfet. Son fils Pierre-Edmond, géomètre à Vitteaux est d’ailleurs arrêté suite au 2 décembre 1851 pour « réunion secrète » puis relaxé. Tout deux sont alors surveillés par le juge de paix qui note, le 23 janvier 1852, la réapparition du « jeune Gamet » dont il ne connaissait a priori pas l’incarcération à Dijon et qu’il soupçonne d’avoir rédigé une liste d’arrestation à opérer par le « parti rouge ». Il dénonce Charles-Alexis comme étant parmi les « individus qui se désignent [comme démagogues] par leur conduite, à la notoriété publique ».

« Démocrate, depuis le moment où j’ai pu juger et raisonner, et socialiste depuis 1829, époque où apparurent les ouvrages saint-simoniens » [4]

Hector Gamet, quant à lui, devenu avocat après des études de droit à Dijon s’installe à Semur en novembre 1827 [5]. Il épouse le 29 septembre 1828, Anne Célénée Boillot, fille unique d’un ancien maire (août 1813-18 mai 1827) de la commune du Plat-Pays de Saulieu (Côte-d’Or), alors décédé. Anne Célénée reçoit 8 000 francs de propriétés que sa mère lui cède ainsi qu’un trousseau évalué à 2 000 francs. Hector doit percevoir quant à lui 10 000 francs de son père, payables en 1833, et apporte une bibliothèque et divers mobiliers d’une valeur de 6 000 francs, bibliothèque qu’il se réserve dans l’éventualité de la dissolution de la communauté. Il réside encore avec son père à Vitteaux. Deux enfants naissent de cette union, Anne Adélaïde, le 11 novembre 1829 à Saulieu (Côte-d’Or) qui décède le 19 décembre suivant et Pierre-Albéric le 25 janvier 1834 à Semur-en-Auxois (Côte-d’Or), chef-lieu de l’arrondissement, où Hector Gamet s’est inscrit au barreau en 1831. Il y réside lors de la naissance de sa fille, et habite selon le recensement de 1836, rue du Renaudot et ce jusqu’à la Seconde République. Il est bâtonnier du barreau de Semur-en-Auxois de 1842 à 1845.

Hector Gamet offre une orientation sociale nouvelle à la famille Gamet. Il « n’a jamais sollicité de fonctions publiques, [il] a voulu conserver son indépendance » explique-t-il en 1852. Son fils, Pierre-Albéric est étudiant en droit en 1851, lorsqu’il est arrêté à Dijon avec son cousin Pierre-Edmond suite au coup d’État du 2 décembre. En avril 1852, selon Hector Gamet, il prépare également le baccalauréat de lettres. Le 25 avril 1861 à Vitteaux, lorsqu’il décède, Pierre-Albéric est alors qualifié de rentier. Il n’a que 27 ans. Ce sont ses oncles Charles-Alexis Gamet et Antoine Charlut qui semblent l’avoir pris en charge, sa mère étant décédée le 29 janvier 1855, à Dijon, « au domicile de son mari », 21 place Saint-Michel.

A la suite de son père, Hector Gamet ne cache pas ses convictions politiques, tout d’abord contre le régime des Bourbons puis contre celui de la monarchie de Juillet. Il soutient dans un premier temps le bonapartiste Claude-Nicolas Vaudrey [6], candidat libéral aux législatives de 1831 contre Jean Vatout, ancien sous-préfet de l’arrondissement de Semur-en-Auxois sous le ministère Decaze (1818-1820) dont il était alors un des protégés et qui est présenté comme candidat ministériel. Vatout ne l’emporte que de quelques voix, dont certaines litigieuses, Vaudrey ayant quant à lui rallié l’ensemble de l’opposition libérale. Les Républicains s’associent sans conteste au culte napoléonien mais voient en l’Empereur, l’homme d’avant le 18 Brumaire, le soldat de la Révolution. Il trouvent un terrain d’entente avec les bonapartistes face aux « mesquineries et aux humiliations du régime de Juillet » [7].

Hector Gamet à cette période se considère, certes a posteriori, comme démocrate et socialiste. Démocrate, il l’est « depuis le moment où [il a pu] juger et raisonner et socialiste depuis 1829, époque où apparurent les ouvrages saint-simoniens ». Sa conversion saint-simonienne est l’œuvre du semurois Jean-Baptiste Touzet, ancien maire de la ville et député durant les Cent-Jours, membre de la Charbonnerie, soutien durant la Restauration du marquis de Chauvelin qu’il rencontre régulièrement à Cîteaux [8]. Il est originaire de Vitteaux. Touzet dans une correspondance au Centre parisien saint-simonien en date du 22 novembre 1831, relate le retard apporté à l’élévation « au degré d’initiation » d’Hector Gamet et de Ligeret de Semur, le « père » Léonard Nodot de Dijon ayant souhaité recevoir une profession de foi saint-simonienne des requérants « d’après laquelle il pourra savoir juger s’ils ont suffisamment progressé ». Selon Touzet, l’initiation peut avoir lieu dans la quinzaine qui suit. Le développement de l’Église en Côte-d’Or est récent et fait suite aux conférences dijonnaises de Jules Lechevalier en juin précédent. Mais le développement côte-d’orien est un échec, d’autant qu’il s’inscrit au moment où les dissensions éclatent au sein de l’Église saint-simonienne, entrainant le retrait de Léonard Nodot et d’autres dijonnais courant 1832, par refus de l’autoritarisme d’Enfantin. Hector Gamet reste fidèle à l’Église saint-simonienne jusqu’en fin d’année. Le 9 décembre 1832, Jean-Baptiste Touzet et lui-même reçoivent à Semur-en-Auxois les compagnons du quatrième exode se rendant en Orient, à la recherche de « la femme ». Ils n’ont donc suivi, ni Saint-Amand Bazard en novembre 1831 - dont les désaccords avec le Père Enfantin sont connus de Touzet par l’intermédiaire d’un Semurois ayant dîné chez Victor de Lanneau [9] en présence d’Enfantin -, ni Lechevalier qui est à l’origine de la mission côte-d’orienne et qui rejoint peu à peu les disciples de Charles Fourier. Il faut attendre le 4 décembre 1832, pour que Touzet demande des éclaircissements : « depuis une dizaine de jour, nous éprouvons une véritable inquiétude, non pas sur la doctrine, mais sur les divisions qui ont surgi dans son sein ». La rupture avec le Père Enfantin semble définitivement consommée, mais pas avec la doctrine saint-simonienne. Tout en s’étant rangé sous la bannière saint-simonienne, Hector Gamet est sans doute resté étranger à la dimension mystique perçue par nombres de disciples saint-simoniens. Religion et métaphysique semblent par ailleurs, de manière générale, lui être totalement étrangères.

Hector Gamet n’a pas abandonné l’action au sein de l’opposition libérale. Électeur censitaire, il est, depuis 1832, écrit-il encore ultérieurement [10], « correspondant du comité de l’extrême gauche de Paris ». En septembre 1832, une Association en faveur de la presse patriotique est créée à l’initiative du député de l’Ain, Cornemin. Celle-ci essaime dans le royaume. L’objectif premier, par l’association des adhérents et abonnés, est de surmonter le cautionnement nécessaire à la publication. La presse a pour objet d’exposer « les principes républicains [...]. Les masses sont républicaines par instinct ; il faut qu’elles le deviennent par raisonnement » proclame l’Assemblée générale des délégués des associations départementales en faveur de la presse patriote. Trois Côte-d’oriens sont parmi les vingt-trois signataires de l’appel : Étienne Cabet, député élu en 1831, pourfendeur du régime, poursuivi par les tribunaux pour la publication de Révolution de 1830 et situation présente, à nouveau Ligeret de Semur-en-Auxois et enfin Hector Gamet. Ce dernier est cité dans plusieurs pièces apportées au dossier des accusés d’avril 1834 dont les actes sont considérés comme ayant été suscités par les campagnes des différentes associations. Ces pièces révèlent son rôle au sein de l’Association pour la liberté de la presse. C’est Jules Pautet, rédacteur du Patriote de la Côte-d’Or qui le désigne à Anselme Petetin, rédacteur du Précurseur de Lyon, pour être délégué côte-d’orien. L’activité de l’Association a été en premier lieu de collecter des fonds pour assurer le paiement des amendes des journaux condamnés. Le 25 mai 1833, en tant que secrétaire du Comité de l’Association pour la liberté de la presse, il adresse à la Glaneuse un soutien de cinquante francs prélevés sur la caisse du Comité de l’arrondissement de Semur-en-Auxois afin de contribuer au paiement de l’amende de quatre mille francs à laquelle est condamné le journal lyonnais [11]. Il annonce qu’une collecte est ouverte. Ainsi, le 8 juillet 1833, il en transmet le fruit et dénonce dans une « protestation raisonnée » [12] selon le journal, « le juste-milieu composé des carlistes renégats, des lâches, des avares, [...] accroupi dans la boue où il a fait halte depuis la révolution de juillet, pour saisir les emplois et partager le budget et les croix dites d’honneur avec les chouans [...] » [13]. L’implication côte-d’orienne donnée en modèle s’inscrit dans le cadre de la campagne menée contre l’impôt indirect. A Semur-en-Auxois, en décembre 1833, c’est le frère de Léonard Nodot de Dijon, Charles Nodot, pharmacien qui est repéré par les agents du préfet. Il mène campagne pour inciter les débitants de vin à refuser de s’abonner au risque de perdre leur droit d’exercice et créer ainsi des troubles.

L’implication d’Hector Gamet dans le camp républicain et sa proximité avec Cabet sont confirmées en fin d’année 1833. Gamet est probablement membre des « Amis du Peuple » qui s’implantent très tardivement en Côte-d’Or à la faveur d’une tournée de Cabet dans sa circonscription à l’automne 1832. La Société des amis du peuple née de la Révolution de Juillet est à son origine « un amalgame de courants politiques » [14], mais au fil des évènements, elle fait acte de foi républicaine. Un culte est voué aux martyrs de la Révolution, l’œuvre extérieure de la Convention est glorifiée. Ainsi, Hector Gamet intervient lors d’un banquet en l’honneur des réfugiés polonais donné fin novembre 1833 à Dijon, banquet qui se transforme en ovation et tribune pour Étienne Cabet. Hector Gamet fait alors l’éloge de Robespierre, Saint-Just et Couthon et les offre en modèles à l’auditoire. Il accuse le gouvernement de lâcheté, promet avec véhémence que « bientôt le peuple verra plus clair et proclamera la République » selon le rapport du préfet de la Côte-d’Or.

Cet engagement au sein de l’opposition libérale et républicaine s’exprime également dans le cadre professionnel. Le 27 novembre 1833, Hector Gamet est défenseur aux Assises de la Côte-d’Or des individus, dont François Mouard, directeur des messageries à Seurre et pâtissier, originaire de Vitteaux, poursuivis pour « cris séditieux [...], outrages publics à maire dans l’exercice de ses fonctions ». Le maire de Seurre avait été menacé d’être passé par la fenêtre. Les prévenus sont relaxés, car non coupables.

Si Hector Gamet combat le régime de Juillet, prend-il part à la mise en place de ce que le régime nomme « sociétés secrètes » dans le département ? La Société des Droits de l’Homme et du Citoyen qui mène une existence discrète de 1830 à 1832, s’implante à Saulieu et dans sa région au printemps 1833 sans que le préfet Chaper ne révèle de ramification vers Semur-en-Auxois et ne cite Gamet parmi les membres identifiés dans le département [15]. En octobre 1836, alors qu’il est chargé de retracer le parcours du colonel Vaudrey et de déceler en Côte-d’Or les soutiens éventuels à la tentative de soulèvement des troupes de Strasbourg par Louis-Napoléon Bonaparte, le préfet Chaper signale que Gamet était, les 22 et 23 octobre, parmi « les coryphées du parti républicain de Dijon et Semur [qui] faisaient une grande partie de chasse, avec gala, à Chambolle chez James Demontry ». Demontry est membre du comité de direction de la Société des Droits de l’Homme et du Citoyen et est parmi les conseils des accusés d’avril 1834 déférés devant la Cour des Pairs [16]. Néanmoins, propos de circonstances ou expression d’une réalité vécue [17], Hector Gamet affirme en avril 1852 qu’il a « toujours été opposé à l’existence de toute société secrète, quelque [sic] soit le but qu’elles prétendent poursuivre, parce que je ne veux agir, [écrit-il] qu’au grand jour et n’être pas exposé à des dénonciations de ceux qui feraient partie des sociétés secrètes ».

Hector Gamet semble effectivement privilégier la forme légale pour transformer la société. En 1842, il est membre du comité électoral d’Edme Bordot-Godard, maire et conseiller général de Vitteaux, témoin du mariage de son père en 1830, « patriote connu [et] homme du peuple » [18] qui se présente aux élections législatives contre Jean Vatout, à nouveau candidat ministériel pour l’arrondissement de Semur-en-Auxois. Par ailleurs, en janvier 1844, un groupe de vingt-huit citoyens semurois, dont Hector Gamet et Charles Nodot ont le « projet de former en cette ville un cercle littéraire ou réunion d’agrément ». L’objectif est d’organiser un salon de lecture et de pratiquer des jeux de sociétés sans argent, hors des cafés de la ville. « Comme une partie des signataires, surtout ceux que leur condition distingue le plus des artisans, appartient à l’opposition » écrit le sous-préfet et qu’il craint l’utilisation de ce cercle pour une propagande électorale, le ministère de l’Intérieur refuse cette création d’un second cercle à Semur-en-Auxois. Depuis 1833, la pratique des cercles patriotiques ou littéraires est fréquente pour contourner la législation sur le droit d’association. Au cours de l’année 1842 a été fondée à Semur-en-Auxois, une Société des Sciences dont la volonté éducative est évidente et où se retrouvent parmi les fondateurs, opposants au régime et militants ou sympathisants de la cause sociétaire. Six des dix fondateurs, dont Jean-Jacques Collenot, fidèle de la cause phalanstérienne jusqu’à sa mort, s’affichent publiquement et montrent leur intérêt pour les théories de Charles Fourier en 1846. En 1844, Hector Gamet a adhéré à la Société. Le refus de création du cercle littéraire permet légitimement d’expliquer cette adhésion ; Hector Gamet ne semble avoir laissé aucune trace d’activité au sein de la Société des sciences, si ce n’est qu’il contribue financièrement à la constitution d’une société civile destinée à acquérir, en vain, l’ancien tribunal où elle se réunit. Celle-ci est alors un cercle d’enseignement mutuel. Elle crée des cours publics de vulgarisation pour les jeunes gens, les femmes et les ouvriers « de façon à remonter de ce qui est visible à ce qui ne l’est point ». L’étude de la géologie et des sciences naturelles « n’était que le point de départ de cette série d’évolution des êtres qui conduit du minéral à l’homme » déclare son président au début du 20ème siècle.

Hector Gamet est alors conseiller municipal de Semur-en-Auxois, fonction qu’il occupe de 1840 à 1846. Les électeurs ont en juin 1840 porté aux affaires de la cité, une majorité d’opposition dans deux sections sur trois. Son revenu annuel au cours des années 1840 est estimé à 7 000 francs. Électeur censitaire au titre des capacités pour les élections législatives, il est imposé en 1846 pour un montant total de 252,33 francs, dont 214,28 au titre de propriétaire foncier. C’est à cette date qu’il apparaît publiquement comme phalanstérien et exprime une rupture, certes temporaire, avec l’aile républicaine.

« La féodalité financière [...] fléau [...] redoutable pour les masses prolétaires » [19]

Phalanstérien, Hector Gamet l’est sans doute depuis 1837, c’est ce qu’il déclare pour sa défense en 1852. Il est abonné à La Phalange au moins depuis octobre 1840 [20]. En avril-mai 1846, il organise aux côtés du Semurois Jean-Jacques Collenot, trois réunions publiques menées par « l’apôtre », Jean Journet, réunion qui se tiennent dans l’ancien tribunal où se réunit donc la Société des sciences. Prétextant de n’avoir pu porter une contradiction publique, Hippolyte Marlet, républicain convaincu, publie fin mai 1846, un pamphlet contre la doctrine phalanstérienne qu’il juge « fausse [...], immorale et athée, [...] subversive de tout ordre social » et auquel répondent Collenot et Gamet. Il s’inquiète de l’audience grandissante de ceux qu’il considère comme nouveaux venus dans le combat qu’il mène : « un ennemi déloyal, qui s’est couvert de nos habits, et qui s’est introduit dans notre camp ».

L’École sociétaire prend à cette époque une nouvelle orientation. En décembre 1845, « une réunion des publicistes partisans d’une réforme électorale » a été organisée. La Démocratie pacifique satisfaite de ce rapprochement des « hommes qui se sont donné mission de former l’opinion », rallie au cours de la campagne électorale de juillet 1846 son action, malgré quelques réserves, à celle du « Comité central de l’Opposition », qui prône « l’amélioration du sort des classes populaires » et dont Hector Gamet est le correspondant. Au printemps 1846, les phalanstériens semurois, sans apparaître comme tels, tentent également de relayer la campagne de souscription en faveur de la Pologne insurgée, lancée par La Démocratie pacifique dès le 8 mars. La souscription, ouverte dans les études des notaires semurois dont celle de Collenot, doit conduire à une campagne publique d’affichage refusée par le maire Joly-Saint-Florent. Malgré ce refus, l’affichage est effectué dans différents lieux publics. Hector Gamet s’adresse également au Courrier de la Côte-d’Or afin de relayer l’initiative. La rédaction, qui venait de lancer une campagne similaire dans le département, ne peut que « féliciter les habitants de Semur de la générosité de leurs sentiments » mais ironise sur les préoccupations de Gamet, prétextant que seules des armes sont nécessaires. Même si le Courrier de la Côte-d’Or proclame alors que « l’opinion publique saura [...] juger » les autorités pour leur entrave aux libertés individuelles, l’activité phalanstérienne et l’action de Gamet dérangent.

Ces conférences phalanstériennes s’inscrivent donc dans un cadre politique général tendu, y compris au sein de l’opposition. Marlet, s’il ménage Collenot, prend un malin plaisir à dénigrer son confrère Hector Gamet qu’il accuse d’avoir fui « par le trou de la serrure, par la fenêtre ou par la cheminée » lors des premiers échanges houleux. Cette polémique révèle néanmoins quelques-unes des idées phalanstériennes qui motivent Hector Gamet et la haine qu’il suscite chez certains républicains. Son évolution vers la pensée fouriériste explique peut-être cette animosité. Comme pour bon nombre de phalanstériens, le régime politique ne semble pas la préoccupation première d’Hector Gamet. Il appartient, dit-il, à la fraction des « démocrates socialistes qui, pensent à faire arriver le progrès par les voies pacifiques, en répandant par la presse toutes les lumières possibles, afin qu’on sache où on marche, et qui ne se décideraient à courir les chances d’une révolution contre un gouvernement qu’autant qu’il s’opposerait précisément au développement des théories sociales ». Il énumère alors toutes les théories sociales développées depuis la Révolution, de Saint-Just en passant par Babeuf jusqu’aux saint-simoniens, théories visant à établir une communauté de biens et à fixer l’intervention de l’État. Celui-ci « doit l’éducation et le travail à la société, en retour celle-ci doit lui abandonner une partie de sa fortune publique, sous la forme d’impôts ». Hector Gamet voit cependant en Fourier le seul proposant « un système social qui, tout en conservant la propriété individuelle [...] assurât à tout le monde une aisance convenable, une bonne éducation, un travail constant et conforme au goût du travailleur [...] ». Fourier est le seul à avoir proposé « un développement régulier et pacifique du progrès », faisant la synthèse de toutes les sciences humaines qu’il connaissait et proposant une abolition du salariat par la rétribution selon « les trois facultés productives, le capital, le travail et le talent ». La « civilisation » touche à sa fin et « la féodalité financière » doit se dessaisir de sa fortune et contribuer à l’amélioration sociale et matérielle de la société dans le cadre du « garantisme », sous peine de devoir changer de système, « soit pacifiquement, soit par suite d’une révolution ». L’essai phalanstérien est le seul à permettre cette convergence des intérêts par association et éducation de ses membres dès l’enfance en fonction des penchants de chacun. 1789 et 1793 doivent être dépassés car la « révolution [a détruit] l’aristocratie féodale, elle [a constitué] la féodalité financière : ce qui [est] un fléau aussi redoutable pour les masses prolétaires ».

Hector Gamet, Réponse à la brochure de M. Hippolyte Marlet [...], 1846
Bibliothèque municipale de Semur-en-Auxois, L439

Au cours de la campagne législative qui suit les conférences de Jean Journet, Hector Gamet s’engage à nouveau avec virulence contre l’inamovible député de l’arrondissement, Jean Vatout, symbole de l’affairisme et de la soumission du régime au capitalisme financier, candidat duquel La Démocratie Pacifique n’attend rien. Elle en combat même le programme en publiant le 1er août, un commentaire d’un « électeur de l’arrondissement de cette ville », qui n’est autre qu’Hector Gamet :

« La lutte électorale engagée [...] doit avoir pour résultat de soumettre le pays à la féodalité financière personnifiée dans M. Rothschild, et au vasselage de la cour, ou de replacer la France à la hauteur de la révolution de juillet, pour qu’elle puisse marcher librement à l’amélioration du sort des masses à l’intérieur, et aider pacifiquement à l’extérieur les peuples opprimés à sortir de l’esclavage où les retient la politique barbare de M. de Metternich. De la part de l’aristocratie bourgeoise, [...] on conçoit ce désir de se faire représenter par un député entièrement à la discrétion du pouvoir qu’elle pense dominer. Mais de la part des citoyens indépendants et travailleurs, ce serait chose inconcevable ».

Ce texte est extrait d’un long article que Gamet signe dans le nouveau journal côte-d’orien largement favorable aux idées fouriéristes, l’Écho de la Côte-d’Or. Il y accuse Vatout d’avoir fait nommer une série de fonctionnaires dans l’arrondissement, fonctionnaires qui viendront conforter les votes en faveur des « pritchardistes » [21]. A défaut de présenter un candidat, La Démocratie pacifique publie le programme électoral de Léon de Laferrière, qui se distingue par ses idées sociales un « peu progressive[s] [sic] » et se proclame « de la gauche indépendante » [22]. Gamet le soutient publiquement ce qui conduit le Journal de la Côte-d’Or à une charge virulente contre ce candidat qu’il accuse d’être légitimiste. Le Courrier de la Côte-d’Or concède que M. de Laferrière « n’est pas un candidat parfaitement donné » mais Vatout est « une calamité publique ». Des rapprochements, certes de circonstances, voient donc le jour. Le Spectateur de Dijon appelle également « les électeurs indépendants de la gauche et de la droite  », « amis de la liberté religieuse et de toutes les libertés » à porter leur voix sur son nom.

Cette prise de position vaut à Gamet d’être inquiété à titre professionnel, sous des prétextes fallacieux de spéculations anciennes, faits de plus de 10 ans, sur des créances dues par un couple de clients et une lenteur dans les versements d’honoraires à un confrère du barreau de Paris. A l’initiative de l’implacable procureur du roi à Semur, Plaquet-Harel, secondé par le sous-préfet Mouzard-Sencier que Gamet a accusé de ne pouvoir être électeur dans l’arrondissement faute d’y payer l’impôt, il est poursuivi et suspendu du barreau pour un an. Il est réinscrit sur ordre de la Cour d’appel, le 18 août 1848, ses confrères ayant cru pouvoir transformer la sanction en radiation.

Hector Gamet, « socialiste exalté, faisant une active propagande ; très dangereux ; orateur des clubs de Paris » [23]

Avec la Révolution de février 1848, s’ouvre alors cette nouvelle période sociale qu’attendaient les phalanstériens : « Des institutions transitoires applicables à la France tout entière, et formant une société intermédiaire entre le bien et le mal, entre le morcellement et l’association, entre l’incohérence et l’harmonie [... :] le garantisme » [24].

Hector Gamet s’investit immédiatement dans le Comité électoral républicain de Semur pour les élections d’avril 1848. Figurant dans un premier temps parmi les candidats à l’investiture pour l’arrondissement, aux côtés de son condisciple Collenot et de son confrère et adversaire Marlet, les divisions locales et les tractations départementales font qu’aucun des candidats semurois n’est retenu. Il s’avère qu’il entretient encore d’étroites relations avec « quelques hommes éminents de la presse parisienne », ce qui explique l’annonce de sa candidature dans le National d’Armand Marrast. Une profession de foi est par ailleurs éditée. Assez timoré dans ses propos, Hector Gamet déclare que les mesures électorales prises par le Gouvernement provisoire instituant le suffrage universel sont censées garantir « l’ordre et la stabilité dans les relations sociales ; car sans l’ordre, il ne pourrait y avoir qu’anarchie ; de même sans liberté, il n’y aurait que compression au profit d’un petit nombre ». Seuls les candidats « franchement démocrates », refusant la politique du « juste-milieu » doivent recevoir les voix de l’électorat et permettre de conforter les premières mesures et déclarations du Gouvernement provisoire, dont celles de Louis Blanc « remarquables sur l’organisation du travail », et celles de Lamartine, dont le discours pacifique et non interventionniste doit rassurer l’Europe. Hector Gamet revendique « la légitimité absolue du droit de propriété » et condamne l’idée de partage des biens. Néanmoins, l’État doit s’organiser « de manière à élever convenablement ses enfants pauvres ou riches, à fournir du travail à tout homme qui en demandera, l’idée de communisme disparaîtra aussitôt ». Bien entendu, comme il l’a toujours revendiqué, Hector Gamet réclame le maintien des libertés de la presse, de pétition, d’association, d’expression, d’élection, de culte, d’enseignement « en augmentant le traitement des instituteurs primaires ». Il préconise la création d’un « ferme-modèle » dans chaque canton. Enfin, il prône l’incompatibilité du statut de fonctionnaire et de celui de député, fonctionnaires qu’il semble exécrer tout autant que les royalistes, les poursuites subies expliquant sans doute cette position. Il appuie sa candidature sur son parcours, ses compétences et études, sa fidélité aux causes démocratique et populaire qu’il ne veut « certainement pas abandonner [...] au moment où elles viennent de triompher ». Sa candidature, bien que non maintenue, si on en croit sa déclaration au Comité électoral de Semur-en-Auxois, recueille quelques voix, essentiellement dans les cantons de Vitteaux et Précy-sous-Thil.

Évincé en province, fort sans doute de son réseau et de ses amitiés anciennes, il milite alors dans les clubs parisiens. Il intervient le 7 mai 1848 au club des Socialistes unis, devenu club des Républicains socialistes, présidé par Bureau puis Brunier, club qui regroupe nombre de phalanstériens. En janvier 1849, il est signataire, au nom des clubs, de la pétition parue dans les journaux et à laquelle s’associe La Démocratie pacifique, pétition dénonçant les restrictions au droit de réunion. Il intervient régulièrement lors des banquets. Le 31 octobre 1848, à celui des démocrates de Batignolles-Monceaux, présidé par Pierre Leroux, il porte un toast : « A l’association universelle, et spécialement à la prompte abolition du salariat ». Le 6 novembre, il réitère son vœu lors de celui de la Fédération des peuples de l’Europe, présidé par Pierre Lachambeaudie, à défaut de la présence de Ledru-Rollin excusé. Le 13 novembre a lieu le banquet des Ouvriers délégués du Luxembourg, tenu à la barrière du Maine, présidé « de fait » par Vinçard et « de droit » par Louis Blanc, alors en exil à Londres. Le représentant du peuple, Dupont (de Bussac), est pris à partie lorsqu’il exprime l’idée que le droit au travail n’a pas été inscrit dans la Constitution mais que celle-ci permet néanmoins de donner ce travail réclamé. Chahuté, il doit quitter la tribune. Hector Gamet, « pour calmer l’agitation », rappelle que le député a été collaborateur de Louis Blanc et porte un toast à « l’association générale » [25]. Il souhaite qu’une pétition de deux millions de signatures soit adressée à l’Assemblée nationale afin que le droit au travail soit inscrit dans la Constitution [26]. Il est également présent à celui du 1er avril 1849 au cours duquel Félix Pyat s’adresse « aux Soldats ». Lors du « banquet égalitaire du jour des rois » de janvier 1849 donné à l’Association des cuisiniers, il réclame à nouveau « l’association universelle des travailleurs ». Le 23 janvier 1849, à celui des Démocrates socialistes du 6ème arrondissement, salle Valentino, alors que « l’intrigue monarchique lève son front audacieux », 1 800 personnes selon La Démocratie pacifique, 500 convives selon le Journal des Débats, écoutent, en particulier Charles Dain, défenseur des accusés du 15 mai, réclamant l’acquittement des condamnés et mettant en garde contre toute tentative ou expression de force. Hector Gamet porte alors un toast « à l’abolition du salaire et à l’association générale ».

Son engagement politique le conduit de nouveau devant la justice. D’une part en tant qu’avocat. En novembre 1848, il défend Simon Bernard, également phalanstérien [27], président du Club de la barrière des martyrs accusé d’avoir fait percevoir un droit d’entrée en club. D’autre part comme prévenu. Il est poursuivi fin 1848 dans deux affaires dirigées contre plusieurs membres des Clubs du Bazar Bonne-nouvelle et de la rue de Chabrol, dont on l’accuse d’être vice-président, ce qu’il nie. Il est considéré comme complice de propos contrevenant au décret du 28 juillet 1848 sur les clubs, propos jugés diffamatoires qui ont été tenus par le même Simon Bernard, président fondateur, lors de la séance du 30 septembre. Hector Gamet est condamné à un mois de prison et 200 francs d’amende, peine réduite en appel à la seule amende. La peine initiale entraînait également la perte « des droits civiques, civils et de famille » [28].
Lors du procès en appel, il doit répondre de sa radiation antérieure du barreau de Semur-en-Auxois. Le 4 janvier 1849, la création d’un nouveau club est cependant annoncée. Les cartes d’entrées sont à retirer 15 rue Coquillère, aux bureaux de la Propagande socialiste (ou sociale) dont les fondateurs présentés sont Eugène Bareste [29], Joseph de Filippi, Édouard Hervé [30], Jérôme-Amédée Langlois [31], François-Simon Bernard, Jean Macé et Hector Gamet, ces derniers étant dans la mouvance phalanstérienne. Les locaux de la Propagande socialiste avait été perquisitionnés dès le 12 novembre dans le cadre des affaires du Bazar Bonne nouvelle et de la Rue de Chabrol. L’objectif premier, annoncé en novembre 1848, est de propager et diffuser gratuitement en province, « tous les ouvrages, toutes les brochures, tous les journaux indistinctement qui traitent du socialisme ». Elle centralise en particulier les éditions de la veille du Peuple, du Populaire, de La République, de La Démocratie pacifique et de la Révolution démocratique et sociale que chacun est chargé d’apporter dans les points de collecte parisiens en vue de leur envoi en province. Elle fait appel à « tout citoyen voulant l’émancipation des classes laborieuses » et souhaite « répandre dans la capitale et les départements les idées sociales, sans distinction de sectes ni d’écoles, au moyen de missionnaires socialistes » [32]. Conjointement, elle propose de former et d’indemniser les travailleurs désignés pour siéger comme jurés. Les fondateurs précisent que l’organisation est bien distincte de la Propagande démocratique et sociale fondée en octobre 1848 par Gabriel Mortillet, société aux statuts commerciaux chargées « de faciliter et d’étendre le placement des publications socialistes de toute nature » dont les bureaux sont à proximité, au 12 ter, et dont les buts sont « au profit de la même cause » [33]. Cette « Association générale pour la propagande parlée et écrite des principes de la démocratie sociale », telle que désignée dans ses statuts provisoires, est le 3 janvier 1849 dirigée par un comité provisoire de 19 membres dont les fondateurs et en particulier Pierre Leroux. Jean Macé, dont le « socialisme, frais émoulu se rapprochait de la nuance phalanstérienne à laquelle appartenait beaucoup de [ses] amis » s’octroie la paternité totale de la création et du fonctionnement de la structure jusqu’au 13 juin 1849 [34]. Une assemblée générale est programmée pour le 28 janvier 1849. Hector Gamet est désigné membre du comité directeur de la « Propagande orale », aux côtés de Désiré Pilette, fondateur du Journal des écoles, avec Louis Blanc en 1845, ancien commissaire du Nord et membre du conseil général de la Solidarité Républicaine, de Cyprien Tessié du Motay, publiciste et inventeur, proche de l’Ecole sociétaire, d’Édouard Hervé rédacteur de la République et de Benoît Jean, homme de lettres qui fonde, à Blois, en août 1849, le journal L’Utopie. Une souscription pour financer l’organisation, dont le « but [est] de propager par la parole, les idées contenues dans le Manifeste de la Montagne et de la Presse démocratique socialiste », est lancée. Il s’agit de permettre « un nouvel apostolat » auquel se consacreront « tous les orateurs éprouvés, [...] en dehors du parlement ». Face à l’impossibilité de collecter des fonds sous forme de droits d’entrée aux réunions des clubs qui conduisent à des poursuites systématiques, Gamet, tout en posant sa candidature à l’investiture pour les législatives de mai 1849, propose de recevoir « à titre de souscription volontaire de chaque candidat démocrate socialiste, une somme plus ou moins forte, suivant la position du citoyen qui se présente à l’élection ». Si cette perception doit permettre de financer la propagande orale de deux orateurs dans tous les départements et d’adresser les journaux dans toutes les communes, elle a également pour objet d’aider au « cautionnement des journaux socialistes qui paraissaient avant la révolution de 1848 » afin d’étendre ainsi leur périodicité, mais également « secourir les transportés, leurs familles et les autres détenus politiques ». Il professe également une foi indéfectible en l’Association, principe scientifique à la base de la doctrine phalanstérienne. Il réaffirme son adhésion « au manifeste rédigé par le Comité central socialiste lors de l’élection du président », aile maximaliste du mouvement républicain que bien peu de fouriéristes avaient soutenu, hormis Victor Hennequin et Édouard de Pompéry. Ardent défenseur de la Constitution et de la République démocratique, Hector Gamet n’en espère pas moins « la plus prompte arrivée de la République sociale, sans président, bien entendu, en jurant de la défendre jusqu’à la mort ». Lors de l’élection présidentielle, il avait effectivement appelé à voter pour Raspail, allant défendre cette opinion, aux côtés d’Althon-Shée, des frères Madier de Montjau à l’assemblée des Compagnons de tous les devoirs réunis en comité électoral, assemblée qui se rangeait cependant derrière Ledru-Rollin, même si elle condamnait par principe l’idée même de la nomination d’un président de la République [35]. Au cours de la campagne d’investiture des candidats, il développe des arguments relatifs à la « théorie sociale devant servir à formuler les questions pratiques à poser aux candidats » [36]. Il s’oppose à Jeanne Deroin au cours d’un banquet électoral tenu le 9 avril, salle de la Fraternité, rue Martel et dont l’objet était de soutenir la candidature de la rédactrice de l’Opinion des Femmes. Celle-ci s’insurge contre le fait que la Révolution de février a « commis une grande faute, [...], en ne prononçant pas l’affranchissement de la femme ». Hector Gamet, « en sa qualité d’homme, [...], s’est livré à une courte, mais assez mordante digression sur un certain nombre de femmes qui, donnant plein essor à leurs penchants naturels, ne s’occupent nullement d’affranchissement ni de politique, mais passent des semaines entières pour savoir quelles toilettes elles mettront pour écraser ou éclipser madame une telle » [37]. Le Président, journal napoléonien lyonnais complète l’intervention en s’offusquant de la tentative d’Hector Gamet « de prouver que Saint-Just et Robespierre étaient les plus philanthropiques des mortels » [38].

Non investi, Hector Gamet reprend son activité. Il participe à la constitution d’un nouveau club, « club de la salle Roisin », 169 faubourg saint-Antoine dont il doit présider la première séance, le 12 mai, aux côtés de l’abbé de Montlouis, qui avait participé le 29 avril au « banquet des prêtres socialistes » organisé par La Démocratie pacifique [39] et d’Aimé Baune, républicain, ancien sociétaire de la colonie de Cîteaux [40], tout deux gravitant dans la mouvance phalanstérienne. L’ordre du jour programmé est « la mise en accusation du président de la République et des ministres » [41] pour avoir violé la Constitution en ordonnant l’expédition de Rome, motion pour laquelle la Démocratie pacifique du 10 mai avait été saisie. Il développe son action au sein de la « Propagande orale ». Il est arrêté suite à la manifestation du 13 juin 1849 en tant que « chef de club ». Il est poursuivi dans le cadre des procès qui touchent les « sociétés secrètes ». Jean Benoît, membre du Comité directeur de la « Propagande orale » avait été envoyé dans le Loir-et-Cher pour organiser des comités de la Solidarité républicaine dès novembre 1848. Au cours de l’été 1849, avec l’accord des députés de la Montagne, il œuvre comme propagandiste dans le département où Cantagrel avait été élu député et qu’Etchegoyen, aristocrate fouriériste, remplace après son exil suite au 13 juin 1849. Le 9 juillet 1850, la cour d’Appel d’Orléans met l’ensemble des dirigeants de la « Propagande orale » en accusation, dont Hector Gamet pour fondation et direction d’une « société secrète ». L’affaire est portée devant la Cour d’Assises du Loir-et-Cher, mais les prévenus sont acquittés en novembre 1850.

Trois documents sur Hector Gamet en 1849

Hector Gamet en 1849 (1)
Propagande orale, (signé) le Comité Directeur, lith., [1849]. [Bibliothèque Nationale de France 4-LB-55-953]
Hector Gamet en 1849 (2)
Propagande orale, Liste [vierge] de souscriptions, lith. Blouet, [1849]. [Bibliothèque Nationale de France FOL LB-55-954].


Hector Gamet en 1849 (3)
Le Citoyen Gamet aux électeurs démocrates socialistes, Paris, le 16 avril 1849, Paris, Association d’ouvriers, Desoye imprimeur, 1849. [Bibliothèque Nationale de France 8-LE70-1296].


« La formule : Vérité, bien être [...] résume à elle seule le problème humanitaire » [42]

L’engagement politique constant d’Hector Gamet au cours de la Seconde République reste marqué par une croyance accrue en la réalisation du principe de l’Association. Au-delà des toasts et allocutions proférés lors des séances des clubs et au cours des banquets, Hector Gamet est investi dans le projet qui doit conduire à la fusion des projets de Banque d’échange de Proudhon et des structures coopératives de production et de consommation souhaitées par Jules Lechevalier, le tout augmenté des divers propositions issues des travaux de la Commission du Luxembourg. Le 16 janvier 1849, la fusion « des deux grands projets socialistes de l’année 1848 » [43] est opérée par un vote unanime des délégués du Luxembourg, donnant ainsi naissance à la Banque du Peuple. On peut légitimement supposer que Gamet est devenu adjoint à la commission qui a contribué à cette création en tant que représentant de la « Propagande socialiste », le projet étant ouvert à l’ensemble du mouvement socialiste. Sa présence est significative des liens qu’il entretient avec les différentes mouvances qui tentent de se rapprocher suite à la division et à l’échec des élections présidentielles et forment peu à peu le courant « démoc-soc ». Même si l’idée de banque d’échange n’était perçue par La Démocratie pacifique que comme une annexe du comptoir communal, « ligue des producteurs vrais », la commission contribue à un rapprochement des différentes tendances et à des échanges. Bien que non participant à la commission de travail, Henri Dameth, - qui avait été à l’origine d’un projet de « Solidarité. Société populaire pour la propagation et la réalisation de la Science sociale » aux côtés de Jean Macé et Jeanne Deroin et dont les objectifs de propagande s’apparentent en partie à ceux de la « Propagande socialiste » -, souligne d’ailleurs, face aux réticences de la rédaction de La Démocratie pacifique, en particulier vis à vis de Proudhon, que cette institution est en fait « d’une importance égale pour la réalisation du GARANTISME » [44]. Néanmoins, la notion de capital n’était pas abolie malgré le souhait phalanstérien.

Après l’échec de son investiture aux élections de 1849 dans le département de la Seine, Hector Gamet semble tourner son action vers la Côte-d’Or. Il poursuit son activité d’avocat au barreau de Semur-en-Auxois et en fin d’année 1849 défend, sans succès, deux prévenus pour colportage d’Almanach du paysan, du député de la Côte-d’Or, Pierre Joigneaux. Après les lois de 1849 interdisant les clubs politiques, la réduction de la liberté de la presse et de sa diffusion doit permettre de museler l’opposition socialiste, ce qu’il ne manque pas de dénoncer dans un article « Guerre aux almanachs ! Mort à l’idée ! » que publie le journal côte-d’orien le Travail.

Au printemps 1851, Hector Gamet retourne à une action plus proche de la doctrine phalanstérienne et est à l’initiative d’un projet de création d’une boucherie sociétaire à Dijon dont l’objectif est de réaliser « la formule : Vérité, bien être qui résume à elle seule le problème humanitaire [...]. Vérité puisqu’une association ne pouvant spéculer sur aucun de ses membres, les produits seront livrés au prix de revient [...], bien être, puisque la viande est un objet de première nécessité, et que le prix en sera réduit à sa juste valeur ». Comme nombre de membres de l’École sociétaire, il revient à un discours où la démarche individuelle peut se substituer aux carences ou lenteurs de l’État « Il faut que les citoyens éclairés prennent l’initiative des réformes, qui peuvent être obtenues sans [son] concours, et par une simple association communale ». Il refuse néanmoins la présidence de la société qui ne semble pas avoir d’activité.

Proscrit bien « que n’ayant été ni arrêté, ni recherché pour les troubles du 2 décembre » [45]

Cependant, l’approche des élections législatives de 1852 réactive sa propagande, tout d’abord, dans le cadre d’une pétition aux représentants du peuple, également publiée dans le Courrier républicain de la Côte-d’Or. Il dénonce tant le projet de rachats de canaux par l’État, « ce qui est très bon en principe, mais ne serait d’aucune utilité réelle à la circulation » que celui de la commission de l’Assemblée qui vise à les affermer. « La féodalité financière qui ronge la France, depuis la restauration de la monarchie, parviendra-t-elle, sous la République à se maintenir dans cette position » dénonce-t-il. Il finit par conclure qu’elle est en fait « le seul obstacle sérieux à la constitution de la République démocratique ». Quelques semaines avant le coup d’État du 2 décembre, il s’évertue également à dénoncer les dangers du bonapartisme. A partir d’octobre 1851, il rédige pour le Courrier républicain de la Côte-d’Or, une série d’articles « pour raconter avec impartialité, non seulement les écrits de l’Empereur Napoléon, mais ses actions et surtout ce qu’il appelle législation. J’espère, dit-il, convaincre tous nos citoyens, que s’ils veulent sincèrement le règne de la liberté et de l’égalité, ils doivent renoncer à tout rêve d’Empire, de royauté et même de présidence [...]. Chaque envahissement du despotisme non seulement refoule la liberté, mais nous obligera plus tard à des combats plus opiniâtres pour replacer partout l’égalité sur son piédestal ».

Bien que n’ayant pas participé aux rassemblements qui suivent le 2 décembre, alors qu’il était, dit-il, « constamment sous les yeux de l’autorité à Dijon », il reçoit le 16 mars un passeport pour Bruxelles, la commission mixte du département de la Côte-d’Or l’expulsant du territoire. C’est dans un premier temps, en avocat qu’il tente de prendre sa défense, ne comprenant pas la mesure dont il est victime puisque la mesure ne comprenait que les participants aux troubles qui suivent le coup d’État Il considère donc que la décision n’a été fondée que sur son activité phalanstérienne et aux rancœurs locales. Habitué des tribunaux, il ne pouvait pas ignorer que les autorités avaient connaissance de son activité au sein des clubs parisiens et de son rôle de propagandiste. Mais dans son esprit, l’action au sein des clubs n’était destinée qu’à l’avènement des théories qu’il a toujours défendues et en aucun cas ne pouvait être qualifiée d’action subversive, procédé qu’il a toujours rejeté. Il écrit au Prince président, « je ne demande que la conservation et le progrès. La conservation pour [que] ceux qui après avoir acquis en travaillant, soient assurés de posséder leur fortune. Le progrès, c’est à dire l’application d’un moyen scientifique permettant aux travailleurs de vivre et de s’éclairer, sans avoir besoin de recourir à la violence, à l’anarchie, ou révolution ». Ses références sont alors Victor Hennequin et François Vidal. En août, de retour temporairement à Paris, suite à l’intervention des trois députés de la Côte-d’Or, il a beau invoquer la maladie de son épouse - dont on pense même qu’il est séparé -, et l’état d’abandon de son fils de 18 ans, avertir du danger des ralliements royalistes, affirmer encore soutenir les mesures sociales et économiques de baisse du taux d’intérêt de la rente, de création des sociétés de Crédit foncier et de secours mutuels, il doit gagner l’Angleterre, n’ayant été toléré à Bruxelles que parce qu’il était malade. L’intervention du conseiller général de Précy-sous-Thil, Pierre-François Donet, n’y fait rien, malgré l’« engagement d’honneur » de « rester étranger à la politique et à respecter les lois ». Cependant, grâce à la recommandation d’Amédée Grehan, sous-chef au Ministère de la marine, le 18 décembre 1852, une grâce impériale transforme son exil en assignation à domicile.

Reprenant son activité professionnelle, Hector Gamet semble tourner sa carrière vers Paris, même s’il est encore inscrit au barreau de Semur-en-Auxois et réside à Dijon. Il se remarie à Paris, avec la veuve Cerent, Antoinette Hudelot, le 21 juillet 1857, deux ans après le décès de son épouse. En 1858, il s’adresse A messieurs les membres du conseil de discipline des avocats au barreau de Paris en vue d’ intégrer le barreau de la capitale. « Il sait, écrit-il dans cette adresse, qu’un grand talent et une haute impartialité dirigent les décisions du Conseil, abstraction faite des opinions politiques du réclamant, ce qui ne se rencontre que très rarement en province ». Mais la question sociale reste sa principale préoccupation, même si la propagande politique n’est plus possible. C’est la maçonnerie qui lui offre l’opportunité de poursuivre sa réflexion et son action.

Intégrer le barreau de Paris, 1858
A messieurs les membres du conseil de discipline des avocats au barreau de Paris, Paris, impr. de J.-B. Gros et Donnaud, [1858], 4 p. [ Bibliothèque Nationale de France 4-FM-13084].


« Vous n’admettez que des personnes loyales » [46].

Ainsi, malgré toutes ces vicissitudes, c’est un militant qui est initié l’année de son mariage, dans une loge parisienne, dont nous ne savons rien. En revanche, les réponses aux questions posées à l’impétrant Gamet éclairent sur sa pensée.

Prenant le soin de réunir, à partir de citations, ce qui est épars chez différents penseurs, Hector Gamet dégage les valeurs qui l’ont conduit à demander son admission : étude par la lecture, « pour peser et examiner (Bacon) », établir les lois de la société sur celles de la nature (Bernardin de Saint-Pierre), étudier l’héritage des anciens par « respect pour l’espèce humaine » (Mme de Staël), comprendre que la vérité varie en fonction de l’espace et du temps (Lamennais), se prémunir de condamner l’utopie - sans doute parce qu’on n’a cessé de le faire avec Fourier -, « les grands réformateurs dans l’ordre de la pensée ont vu traiter de rêveries leurs puissantes conceptions » (Kant), éduquer le peuple pour faciliter le changement (Fénelon), unir les esprits vers un but commun (Thiers en 1840, précise-t-il) et enfin développer l’intelligence de tous pour assurer les besoins matériels de l’humanité (Socrate et Platon).

C’est à la porte d’une institution qui « a pour but de constituer l’égalité de l’homme et de la femme sous tous les rapports sociaux [...] par des voies pacifiques et scientifiques » qu’il frappe, en vue de faire triompher la « fraternité universelle ». « Frères, le but commun vers lequel il faut diriger les esprits est l’anéantissement du paupérisme matériel et intellectuel », déclare-t-il. La science appliquée en est le moyen. « Il ne suffit pas que quelques-uns soient doués de bons sentiments, d’un grand dévouement pour leurs semblables, pour arriver à l’anéantissement de la misère, et à faire dominer partout la fraternité », propos osés alors que certains Frères souhaitent faire de la maçonnerie une simple œuvre philanthropique.

Commence alors un discours où pointe la doctrine phalanstérienne. Sans citer directement l’œuvre de Fourier et sans se limiter à cette pensée, il réaffirme certains concepts. « L’Association est un des moyens inspirés par la nature pour atteindre au bonheur, c’est le complément de l’ordre naturel », d’après Siéyès, à la Constituante de 1789. Telle est sa conception de la fraternité universelle. A la question de définir ce qu’est le travail, Gamet développe un descriptif de l’activité humaine et des rapports économiques. La société est divisée en trois classes ou modes : les producteurs paysans et manufacturiers qui doivent être associés selon le principe de travail, capital, talent ; les improductifs ou non-essentiels à la société (avocats, avoués, huissiers et sophistes), mais ne diminuant pas son produit ; et enfin les destructeurs qui diminuent directement la masse de la production, par la guerre, l’agiotage. Les activités humaines sont quant à elles régies par trois principes à conjuguer et à canaliser : la production qui doit être réglée par l’association ; la circulation représentée par le commerce, à réguler en un rapport direct entre producteurs et consommateurs au sein « d’agences communales intermédiaires » évitant ainsi la spéculation, et par la banque devant relever de l’État ; enfin la consommation qui n’a pour but que l’intérêt du consommateur comme dans le cas du restaurant sociétaire grenoblois qui vient d’être fondé [47]. Un obstacle à cette réalisation doit être levé par l’État qui doit mettre fin à la « féodalité financière ». Après avoir rappelé de manière simplifiée les différentes périodes historiques fouriéristes qu’a connues l’humanité, Gamet précise que « des hommes à vue incomplète [...] ont conclu que la civilisation était le dernier terme de la perfection [...]. La civilisation a eu son enfance, sa jeunesse, son apogée, elle est maintenant à son déclin ». Seul le garantisme, par ses réalisations transitoires permettra de sortir la société de « la détresse où elle est plongée » et prépareront l’homme à une nouvelle ère. Mais pour cela, l’éducation du peuple est primordiale. Il suffit de « créer, dans tous les villages, des écoles, en rétribuant assez l’instituteur, pour trouver un homme capable de vulgariser les principes de physique, de chimie, de géologie, indispensable à celui qui voudra devenir cultivateur ». Il suffit de lire quelques volumes des grands penseurs « socialistes » pour « connaître ce que serait une vraie société, au lieu de ce qui existe ». Il suffit que « les ouvriers intelligents, ainsi que les femmes et les filles, lis[ent] quelques volumes [...] pour que la société de France [soit] transformée [...] parce que le plus grand ennemi de l’humanité, c’est l’ignorance ». Il invite à lire Hippolyte Colins, chef de file des socialistes rationnels qui vient de publier chez Didot, Société nouvelle, sa nécessité. Il a d’ailleurs auparavant souscrit à son Économie politique source des révolutions et des utopies prétendues socialistes. Il apparaît également en 1863 comme souscripteur de l’ouvrage de Pierre Vinçard, Les Ouvriers de Paris.

Mais, Hector Gamet n’oublie pas son action unitaire sous la Seconde République. « Les vrais principes » ne pourront triompher sans l’entente entre les travailleurs « citoyens majeurs ayant le droit de voter pour nommer les députés ». Il prévient d’ailleurs ses Frères du risque de « violence, qu’il faudrait éviter à tout prix » si les « difficultés scientifiques » - le socialisme reste pour lui la science sociale - « ne sont pas résolues à temps opportun par la discussion ».

C’est donc un militant resté convaincu, mais ouvert aux nouvelles doctrines sociales qui vient travailler en loge, dit-il, « avec l’aide de [ses] frères et sœurs, au développement et à la vulgarisation de ces idées pacifiques [...] afin d’arriver à faire triompher le vrai principe fraternel : fais à autrui ce que tu voudras qu’il te fût fait » [48]. Hector Gamet, fidèle à son parcours et à sa pensée, libre et de bonnes mœurs, conclut en se félicitant de sa réception « puisque je sais, dit-il, que vous n’admettez que des personnes loyales ».

Mais, la maçonnerie n’est pas une fin en soi pour Hector Gamet. En 1863, il s’intéresse également à l’association ouvrière, « le Crédit au travail », de Jean-Pierre Beluze, gendre de Cabet, banque coopérative dont l’objet est d’aider les projets ouvriers à se développer. Hector Gamet cherche à le rencontrer après la lecture de l’annonce de création de la société et de ses premières actions, parue dans Le Siècle. Il joint à sa correspondance « un discours » [49] démontrant sa conviction ancienne que « la société ne s’organisera véritablement et pacifiquement qu’en donnant au travail la supériorité sur le capital ». Son intérêt se porte sur la « société des tailleurs ». Il souhaite « faire triompher [le] principe dans toutes les classes de travailleurs ». Il conclut en écrivant que « c’est l’isolement qui jusqu’à présent a rendu les révolutions presque inutiles à la généralité des citoyens, (aux travailleurs) ». La rencontre qu’il cherche alors à avoir a-t-elle eu lieu donnant ainsi à Hector Gamet une ultime opportunité de réaliser l’Association ouvrière à laquelle il a consacré sa vie ? S’il joue un rôle dans le développement du Crédit au Travail, il ne semble pas avoir retenu l’attention. Il n’est pas inscrit parmi les associés commanditaires en 1865 et 1868 [50]. Il en voit cependant l’échec, car bien qu’essaimant en province, cette initiative avorte en décembre 1868.

Le 3 avril 1871, alors que les Communards lancent un attaque en direction de Versailles, Hector Gamet décède à son domicile conjugal, 52 rue du Lancry.

Hector Gamet a donc joué un rôle essentiel au sein du mouvement républicain et « démoc-soc ». Son action au sein du mouvement phalanstérien, qui n’a laissé a priori aucune trace dans les archives sociétaires, car semble-t-il en marge de l’École même, est pourtant constante. L’homme n’était pas cet avocat accusé d’indélicatesse par un tribunal sous la pression politique et administrative. Il n’était pas ce couard présenté par son rival Marlet lors des conférences de Journet à Semur-en-Auxois en 1846, cet « ennemi déloyal, qui s’est couvert de nos habits, et qui s’est introduit dans notre camp », formule qui montre que Marlet n’avait aucune connaissance de l’action antérieure d’Hector Gamet. Lors de sa venue à Semur-en-Auxois en juin 1846, suite au scandale déclenché par Jean Journet, Victor Hennequin dit de Gamet qu’il est « un phalanstérien dévoué, toujours prêt aux sacrifices pécuniaires mais un peu étoudi et bavard ». Etait-il ce « socialiste exalté, faisant une active propagande » ? Sans aucun doute. « Très dangereux » ? Nullement. Il n’était cependant pas cet homme aux mœurs dissolues que tentent de décrire les agents de la Commission mixte de la Côte-d’Or, sa vie militante et donc vagabonde, loin de son foyer, étant considérée comme une séparation d’avec son épouse. Le conseiller général côte-d’orien, Pierre François Donet écrit, certes dans des circonstances particulières que « c’est un homme de théorie, mais parfaitement honnête, ennemi par caractère et par principe de toute espèce de désordre, et auquel on ne peut reprocher aucun acte répréhensible ». N’était-il pas effectivement cet « homme loyal » reçu franc-maçon, homme d’étude, - sa riche bibliothèque et ses lectures constantes et actualisées le confirmant -, qui souhaitait dépasser la théorie en s’engageant tant sur le terrain politique électoral que dans toutes les initiatives d’association qui pouvaient conduire à la suppression du salariat ?

Mais les propos qui définissent le mieux ce militant phalanstérien, sont sans doute ceux de Pierre Leroux. En mai 1858, alors qu’il lance L’Espérance et souhaite convaincre Louis Blanc de participer, Pierre Leroux lui écrit alors : « Vous souvient-il de nos batailles, quand l’avocat retors et singulièrement spirituel (le plus étrange et comique orateur que j’aie jamais entendu), Gamet (de Sémur) nous invitait à dîner pour nous entendre causer et causer lui-même. Nos paroles, depuis ce temps-là se sont un peu gelées en courant dans les airs » [51].

La lettre de Leroux à Blanc (1858, 1)
BNF NAF 11398, Correspondance de Louis Blanc, f. 136 v.-138 v., lettre de Pierre Leroux à Louis Blanc adressée de Jersey (?) en date du 31 mai [1858].


La lettre de Leroux à Blanc (1858, 2)
(référence : voir doc. précédent)