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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Bertin, Alexandre
Article mis en ligne le 14 mars 2011
dernière modification le 12 juillet 2021

par Sosnowski, Jean-Claude

Né en 1796. Décédé en 1855. Négociant-armateur au Havre. Souscripteur pour la fondation d’un « phalanstère de quatre cents enfants ». Commissaire de banquets parisiens de la célébration de la naissance de Charles Fourier. Elu municipal du Havre sous la monarchie de Juillet. Républicain modéré en 1848, membre de la commission municipale provisoire en mars 1848, adjoint au maire du Havre en 1848, puis maire par intérim du 12 juillet au 1e septembre 1849. L’un des sept fondateurs de la Société d’études diverses du Havre en 1833. Franc-maçon.

L’ascension sociale d’un négociant-armateur havrais

Négociant-armateur au Havre, il fonde en 1822 une société assurant le transport de marchandises par bateau du Havre à Paris. En mai 1827, il s’associe avec Marc Rey-Thorin dans une compagnie maritime de transport direct par eau de marchandises du Havre à Paris, sans transbordement à Rouen. La société est dissoute au 1er janvier 1831. Il est alors à la tête de neuf petits bateaux à vapeur qui remorquent des barques à fond plat vers Rouen et qui sont ensuite halées par chevaux sur la Seine jusqu’à Paris. Il devient directeur d’une compagnie de paquebots à vapeur assurant la liaison maritime quotidienne entre le Havre et Caen, société anonyme autorisée en 1837 et prorogée pour vingt ans en 1852. En 1840, sa société est équipée de trente chalands pontés et trois remorqueurs à vapeur pouvant tracter des bateaux de 1 000 tonneaux. Il s’associe de 1846 à 1850 avec ses principaux concurrents au sein de la société, L’Union. En 1850, il développe une ligne du Havre à Rouen et Caen qui compte jusqu’à sept paquebots à vapeur. En 1854, il cède sa compagnie à son fils Louis et se retire de toutes activités commerciales. Dans une ville où la traite négrière est soutenue par les négociants libéraux, Alexandre Bertin pratique également « à l’occasion la traite clandestine » [1]. En 1823, le navire Le Furet, qu’il a affrété pour Paraïbo et Pernambouc, rapporte une cargaison de bois estimée à 165 000 francs. De 1824 à 1829, il affrète également plusieurs navires à destination de Marseille, Port-au-Prince, Jacmel, Buenos-Aires.

Propagation phalanstérienne et contribution à la réalisation sociétaire

Alexandre Bertin découvre Fourier en 1832. Il est alors membre de la loge maçonnique havraise Les Trois H depuis 1825 et ce jusqu’en 1854. Il est vénérable de son atelier pour l’année maçonnique 1832-1833 et à nouveau de 1838 à 1840, puis est nommé Très Sage du Chapitre des Trois H de 1841 à 1843. Constituée initialement en juillet 1794, peu avant Thermidor à partir d’une société populaire jacobine, Les Trois Haches, la loge transforme son intitulé en 1805, Les Trois H faisant dorénavant référence aux vertus Honneur, Harmonie, Humanité. La loge des Trois H est la plus réceptive aux idées socialistes. Dans une correspondance adressée à Jules Lechevalier en juillet 1832, il s’enthousiasme à la lecture du Phalanstère, qu’il a découvert par l’intermédiaire de « l’ami Lainé » [2]. Cette lecture fait naître chez lui « un désir irrésistible de posséder et d’étudier les ouvrages de M. Fourrier [sic] » qu’il commande. Il souhaite également recevoir les écrits de Jules Lechevalier. Alexandre Bertin se fait alors propagandiste au sein de la Société havraise d’études diverses dont il est l’un des sept fondateurs en 1833. En 1834, il donne une communication sur « les spéculations sur place qu’il flétrit comme jeux de bourse conduisant à la démoralisation du commerce, et qu’il propose de réprimer par des cercles commerciaux partiels de chaque genre de commerce » [3]. Sa position est combattue par un des membres de la société. L’année suivante, il présente aux sociétaires un travail sur le « système de Fourrier [sic] sur l’origine du monde et la constitution des sociétés » qualifié en 1858 de « roman quelque peu ridicule » [4]. Le pasteur Poulain, secrétaire de la Société, explique dans le compte-rendu des travaux qu’il dresse en 1837, que Bertin vient de démissionner avec cinq autres membres, que le propos « rivalise de bizarrerie avec les plus fabuleuses traditions de l’Inde », mais convient qu’il ne s’agissait pas d’une allégorie. Bertin a développé la pensée de l’analogie de Fourier et exposé les différents âges de l’humanité, propos dont la transcription par le pasteur Poulain se limite à une condamnation de l’idée du « paradis terrestre » relayé sous forme de fable par les religions et à un rejet du mariage, « qui engendra [les] ménages, puis l’ordre patriarchal [sic] et barbare », sources de l’indigence. Malgré les critiques et l’ironie, - il ne semble d’ailleurs pas pouvoir poursuivre sa communication au cours d’une autre séance comme cela était prévu -, Bertin fait néanmoins quelques émules au sein de la société. Le poète Jean-Baptiste Fort Meu ne cesse de proclamer que Fourier est « le plus profond penseur du siècle » et en novembre 1844, Délié, clerc de notaire, également franc-maçon, développe une étude prônant « l’association volontaire » afin que dans l’entreprise, « le talent et le travail puissent prendre place en concurrence avec l’argent » [5].

Cette même année, le 20 août 1837, Alexandre Bertin assiste à Paris, aux bureaux de La Phalange, à la réunion des souscripteurs engagés « pour la formation du crédit de dix mille francs » destiné au projet d’étude de la réalisation « d’une fondation en échelle réduite d’un phalanstère de 400 enfants » [6]. La séance, à laquelle participe Charles Fourier, a été convoquée par Victor Considerant pour relancer opportunément le projet de réalisation, alors qu’il est en butte avec les dissidents réalisateurs. La réunion a pour objet de présenter les plans et travaux d’architectures sociétaires exécutés pendant les trois dernières années par l’architecte Maurize ; d’établir un résultat de l’appel lancé dans La Phalange n° 30 et dans la circulaire du 31 juillet ; de fournir un état d’utilisation des crédits apportés par les coopérateurs ; de nommer les commissaires chargés de vérifier leur utilisation. Bertin ne semble cependant pas s’impliquer au delà d’une participation financière. Néanmoins, il semble être l’un des commissaires des banquets anniversaire de la naissance de Fourier du 7 avril tenus à Paris de 1841 à 1844. C’est sans doute lui, « armateur du Havre », qui en 1843 prononce le toast suivant : « Aux nobles coeurs qui, les premiers, sont venus en aide à la Théorie de Fourier ! Chez eux le saint amour de l’Humanité et de la Justice a prévalu sur les préoccupations de l’intérêt individuel. A ces dévouements, aussi modestes qu’éclatants, qui ont assuré les premiers pas de notre cause régénératrice ! Nos coeurs les connaissent, nos coeurs les bénissent ; et l’avenir, qui recueillera les fruits de leur dévouement, signalera leurs noms à la reconnaissance de l’humanité toute entière ! » [7]. En septembre 1846, Victor Hennequin donne une série de conférences en Normandie. Bertin l’accueille au Havre et l’héberge dans sa maison de campagne d’Ingouville. Il lui remet encore 300 francs pour l’Ecole et, se rendant à Paris avant la dernière exposition, est chargé de faire un premier compte-rendu à l’Ecole sociétaire. Est-ce également Alexandre Bertin qui est désigné comme membre suppléant du conseil de surveillance de la Société du 10 juin 1843, chargée de la gestion de La Démocratie pacifique lors l’assemblée du 18 novembre 1849 [8] ?

Un élu municipal républicain

Favorable à la Révolution de Juillet, il entre au conseil municipal du Havre et y reste jusqu’en 1848. Nommé membre de la Commission municipale provisoire le 14 mars 1848, il rejoint le camp républicain et s’affilie au Comité central républicain qui regroupe les éléments les plus avancés. Alexandre Bertin est présenté comme candidat aux élections législatives d’avril 1848 par La Démocratie pacifique pour le département de la Seine-Inférieure. Il est inscrit sur la liste proposée par le Comité central républicain mais n’obtient un score honorable (19e position) que dans la ville du Havre. Lors des élections municipales de juillet-août 1848, bien que dénoncé comme républicain « du lendemain », il est inscrit sur la liste de ce Comité et est l’un des seuls élus républicains d’une municipalité tenue par les conservateurs. Lors des élections présidentielles de décembre 1848, Bertin signe le manifeste publié par les négociants havrais contre la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte. Néanmoins premier adjoint au maire Jules Ancel, le 12 juillet 1849, suite à l’élection de celui-ci comme député, Bertin assure l’intérim. Il occupe la fonction de maire jusqu’au 1er septembre 1849, date à laquelle il doit démissionner pour « républicanisme », car mis en minorité de deux voix par son conseil. Bertin ne pas participe pas au vote. Un premier tour de scrutin avait donné une égalité de voix. Le 12 août, lors du passage du président Louis-Napoléon Bonaparte au Havre, au cours du banquet donné par la municipalité, Bertin a porté un toast qui, s’il résume les voeux des républicains modérés, n’en reçoit pas moins un accueil glacial : « Vous dites avec nous : Assez de révolution ! La France, depuis soixante ans et plus, fait des expériences politiques qui l’épuisent et la démoralisent : il est temps qu’elle s’arrête. Le dernier terme des révolutions politiques, la République, est arrivée pour le pays. [...] Soyez le premier fondateur régulier de la République française » [9]. Le 11 octobre 1849, le chef de parti républicain Charles Morlot lui remet une pétition de soutien signée par 1 900 électeurs démocrates du Havre. Malgré cette reconnaissance, Bertin se retire de l’action politique et n’a plus d’autre activité publique que celle de membre du bureau d’administration du collège de la ville, fonction qu’il occupe jusqu’à son décès en 1855.