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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Faneau (de la Cour), (Ferdinand-) Valère
Article mis en ligne le 30 juillet 2011
dernière modification le 5 janvier 2017

par Desmars, Bernard

Né le 23 octobre 1843 à Mosnes (Indre-et-Loire), décédé le 24 mai 1871 à Paris (Seine). Médecin. Rédacteur de la Science sociale en 1870, un des fondateurs du Cercle parisien des familles.

Valère Faneau est l’une des rares jeunes recrues de l’Ecole sociétaire à la fin du Second Empire ; il en devient même l’un des membres les plus actifs et les plus prometteurs, avant sa mort intervenue pendant les combats entre les Versaillais et les Communards en mai 1871.

Médecin et journaliste

Fils de Louis-Julien François Ferdinand Faneau de la Cour et d’Eugénie Egret, Valère Faneau obtient à Poitiers son baccalauréat littéraire en 1862 et son baccalauréat scientifique l’année suivante ; puis, il suit des études de médecine, d’abord à l’École préparatoire de Tours pendant quelques mois, et ensuite à Paris à partir de 1864, jusqu’à sa thèse de doctorat soutenue en janvier 1871 [1]. Cette thèse est intitulée Du Féminisme et de l’infantilisme chez les tuberculeux, ce qui fait de son auteur, selon Geneviève Fraisse, l’inventeur du mot « féminisme », entendu cependant, non dans le sens politique et social de mouvement d’émancipation des femmes, mais dans un sens médical et biologique : il désigne la présence de caractères « féminins » chez un homme en raison d’une maladie (ici la tuberculose) qui provoque un « arrêt de développement » du corps (d’où l’association avec « l’infantilisme ») et une « masculinisation » incomplète [2].

Parallèlement à ses études médicales, V. Faneau pratique le journalisme politique. Il collabore au National de 1869, quotidien républicain qui se situe dans une opposition résolue au régime impérial ; il y publie des articles sur les conditions de vie populaires, sur les problèmes sociaux, le mouvement ouvrier, la coopération, le socialisme.... : « nous avons dit assez souvent que nous considérions comme la question la plus importante et la plus pressante à résoudre, comme la question capitale de notre époque, le problème de l’organisation du travail et l’amélioration du sort des travailleurs. La société actuelle, nous l’avons dit, et nous le répétons, si elle ne veut pas être bouleversée de fond en comble, doit se faire en ce sens socialiste » [3].

Une ascension rapide dans le mouvement fouriériste

Faneau fréquente également les réunions de l’Ecole sociétaire ; c’est « un disciple convaincu et plein d’ardeur » qui « assist[e] régulièrement à nos soirées du mercredi », note E. Tallon, l’un des responsables de la Librairie des sciences sociales [4] ; lors de l’assemblée générale des actionnaires de l’Ecole, le 19 décembre 1869, il est présenté à ses condisciples et il est chargé de la direction de La Science sociale, l’organe fouriériste créé en 1867, afin d’améliorer son contenu et d’accroître sa diffusion ; il devient le principal rédacteur de la revue, jusqu’en août 1870, quand sa parution est interrompue par la guerre. Le 7 avril 1870, il figure parmi les orateurs du banquet, aux côtés de Pellarin, Baudet-Dulary et Considerant ; il porte un toast « au ralliement des écoles socialistes et des partis politiques dans une entente et une conciliation fraternelle, [...] au bonheur prochain de cette classe ouvrière, souffrante et déshéritée, à nos frères les noirs mineurs qui de leur pic infatigable fouillent les entrailles de la terre ; à tous les forçats du bagne industriel » à qui il promet que « l’heure de la délivrance est proche » [5].

Faneau souscrit à la Maison rurale d’expérimentation sociétaire, fondée à Ry (Seine-Maritime) par le Dr Jouanne [6] ; et, alors que les dirigeants précédents de La Science sociale avaient accordé peu d’attention à cet essai sociétaire, il en parle à deux reprises dans les colonnes de l’organe phalanstérien (16 mars et 16 juin 1870) et publie des lettres de Jouanne (1er mai et 1er juin 1870). Il manifeste cependant quelques doutes quant au succès de l’établissement, car il considère que c’est à Paris même ou dans ses environs immédiats que sont réunies les conditions d’un succès d’une entreprise sociétaire.

Aussi, il contribue très activement à la création du Cercle parisien des familles ; le projet est tout d’abord porté par Césarine Mignerot, qui, au milieu des années 1860, souhaite la formation d’un « familistère-hôtel » ou d’un « ménage sociétaire » à Paris ; des fouriéristes loueraient un immeuble et y disposeraient d’appartements privés ainsi que de services collectifs. Cependant, la faiblesse des ressources de l’Ecole, ainsi que les hésitations des militants obligent C. Mignerot et ses amis à réduire leurs ambitions à la création d’un cercle. Faneau, à partir de 1869, joue un rôle décisif dans la réalisation de ce qui prend le nom de « Cercle parisien des familles » ; il le présente aux lecteurs du National [7], ce qui permet d’élargir le recrutement à des non-fouriéristes, avec l’espoir de rallier ainsi à l’Ecole de nouveaux disciples ; il fait partie du conseil d’administration, qui, en juin 1870, prend en location plusieurs pièces d’un immeuble de la rue Saint-Honoré. Mais le cercle commence à peine à recevoir ses membres que la guerre éclate....

Cette responsabilité à la tête de la rédaction de La Science sociale, cette rapide promotion au sein de l’Ecole d’un jeune homme entouré de militants dont l’adhésion fouriériste remonte en général aux années 1830 et 1840, et aussi les positions franchement républicaines adoptées par Faneau et sa sympathie pour les revendications ouvrières, indisposent certains de ses condisciples, avec lesquels il entretient des relations tendues au début de l’année 1870. Le conflit est violent et s’étale dans les colonnes de La Science sociale (1er juin 1870), en particulier avec Le Rousseau, le précédent responsable de la revue, partisan d’un fouriérisme conservateur et autoritaire. Charles Pellarin semble également irrité par Faneau, dont, en 1871, il déplore « l’irascibilité excessive », ainsi que les « tendances vers le parti révolutionnaire et vers l’Internationale » [8].

Médecin pendant le siège de Paris, puis la Commune

Pendant le siège de Paris par les armées prussiennes, puis pendant la Commune, Faneau soigne les blessés dans des ambulances de la Croix-Rouge. Mais il ne participe pas au mouvement communard lui-même ; il déplore au contraire l’insurrection et ce que, dans une lettre au directeur du National, il décrit comme un « temps de tourmente », où « les esprits s’affolent et s’égarent, perdant tout équilibre et toute sagesse, et menacent de nous entraîner dans une ère de luttes stériles et d’incalculables malheurs » ; il considère que les dirigeants de la Commune accordent trop d’importance aux problèmes politiques et institutionnels, alors qu’il faudrait d’abord et avant tout s’occuper de la question sociale « qui prime et domine toutes les autres » ; la vraie lutte ne concerne pas le pouvoir politique et les institutions, prédit-il, mais va bientôt opposer « patrons et ouvriers, propriétaires et salariés, capitalistes et prolétaires », cela dans une société « où tout est incohérence, morcellement, individualisme, insolidarité, antagonisme ». Il souhaite d’ailleurs publier dans Le National des articles exposant « la solution [qui] est l’association du capital, du travail et du talent ; notre solution est pacifique, pratique, acceptable par tous les partis, elle satisfait tous les intérêts, elle rapproche, elle concilie, elle unit » [9].

Malgré cette distance avec les Communards, le Dr Faneau est victime de la répression menée par le gouvernement dirigé par Thiers. Pendant la Semaine sanglante, les troupes versaillaises, qui reconquièrent Paris, investissent le 24 mai le séminaire Saint-Sulpice, où ont été transportés de nombreux fédérés blessés dont s’occupe Faneau. Un officier, affirmant que des coups de feu ont été tirés depuis le séminaire sur ses hommes, en rend responsable Faneau et le fait aussitôt exécuter, tandis que ses soldats se précipitent à l’intérieur du bâtiment et tuent plusieurs dizaines de fédérés [10]. Quelques jours plus tard, Le National rend hommage à son « collaborateur » : « Erudit, savant même, plein de sève et de talent, il promettait de devenir un homme utile à son pays et à la société. Par une déplorable erreur, des balles français ont, en un instant, tué cette jeunesse brillante d’avenir, laissant dans la désolation une vieille mère et de nombreux amis » [11]. C’est généralement à cette fin tragique, et non à son rôle - certes éphémère - au sein de l’Ecole sociétaire, que Faneau doit d’être mentionné dans quelques dictionnaires et ouvrages, avec d’ailleurs un malentendu sur ses positions politiques.

Ce malentendu part sans doute du Siècle, qui annonce le 12 juin la mort de Faneau, une « des victimes innocentes de nos discordes civiles » ; « nous avons bien connu le docteur Faneau », ajoute le rédacteur du Siècle, « et nous pouvons affirmer que, bien loin de sympathiser avec les membres de la Commune, il déplorait leurs funestes égarements et attendait avec impatience le rétablissement de l’ordre » [12]. Cet article, qui veut surtout disculper Faneau de tout lien avec les insurgés alors que ceux-ci sont attaqués de toutes parts, est utilisé et retranscrit en annexe dans l’Histoire de la Commune de 1871, de Lissagaray ; l’auteur, afin de dénoncer la répression aveugle menée par les Versaillais, présente le médecin comme « très peu sympathique à la Commune » [13]. C’est cette formule qui est reprise dans la notice du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier (notice « Fano ») [14], tandis que, plus récemment, dans un ouvrage sur la Commune, Faneau est rangé parmi quelques « authentiques conservateurs » victimes des exécutions sommaires perpétrées par les Versaillais [15]. Le jeune militant fouriériste, incarnant la branche la plus progressiste de l’Ecole sociétaire vers 1870, mais en désaccord avec les orientations communalistes, est ainsi devenu dans l’historiographie un anticommunard conservateur !