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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Boyron, Etienne (pseud. Roybon)
Article mis en ligne le 11 octobre 2011
dernière modification le 12 juillet 2021

par Sosnowski, Jean-Claude

Né à Lyon (Rhône) le 26 février 1810 [1]. Docteur en médecine à Montpellier (Hérault), Lyon puis dans l’Allier. L’un des fondateurs et président du Groupe phalanstérien des travailleurs de Lyon, l’un des fondateurs et directeur de l’Union harmonienne rebaptisée phalanstérienne, associé propriétaire et directeur des fermes des Royer et Valty [2] (commune de Saint-Gérand-de-Vaux, Allier). Membre de diverses sociétés médicales, littéraires et d’agriculture lyonnaises. Correspondant de La Tribune lyonnaise à partir de 1845.

Un médecin estimé

Fils de Vincent Boyron (épicier) et de Marie Passemard installés au 31 rue Grolée à Lyon, Etienne Boyron [3] suit des études médicales à Montpellier. Le 7 juin 1834, il présente une thèse intitulée Quelques réflexions sur la génésie et la génération des êtres développant des positions proches de la pensée de Fourier. Celle-ci est éditée plus largement dans les semaines qui suivent. Après avoir dressé un tableau des différents systèmes développés par les spiritualistes et les matérialistes, Boyron propose :

une conception [...] qui attache au mot être une signification nouvelle, qui fait vie synonime [ sic ] d’harmonie ou d’association ; celle qui établit que TOUT CE QUI EST VIT ; que le globe terrestre est un et ne saurait faire supposer d’interruption dans la série des parties qui le constituent ; que toutes se tiennent par une chaîne continue divisible à la fois et indivisible, et dont l’homme, le plus parfait des êtres de la terre occupe le sommet ; celle qui montre que l’homme a une existence spéciale tout en étant lié aux autres êtres : la conception enfin, qui présente le globe terrestre comme étant simultanément un seul corps et plusieurs corps, une unité diverse. [...] La vie est cette faculté que possèdent tous les êtres de se combiner, de s’associer entr’eux [sic] pour produire des résultats : la grande harmonie qui régit notre planète, son union avec d’autres, l’union de ses différentes parties entr’elles [ sic ], disent que la vie est générale et spéciale dans tous les êtres du globe, et les phénomènes auxquels chacun d’eux donne lieu individuellement, sont des témoignages de leur vie spéciale, comme le sentiment et le mouvement sont des témoignages de la vie observée à la partie supérieure de l’échelle. Tout est lié par l’attraction, tout vit, et cette attraction n’est pas une loi qui régit des êtres passifs, c’est une association à laquelle tous prennent part, c’est l’attraction qui devient de plus en plus vivante à mesure que nous rapprochons davantage des êtres les plus parfaits » [4].

Etienne Boyron s’installe alors à Lyon. Il réside au 1 rue Saint-Dominique [5] et est voisin d’Adolphe Brac de la Perrière. Membre titulaire et ex-secrétaire général du Cercle-médical de Montpellier, correspondant de la société chirurgicale de la même ville en 1834, il est docteur en médecine, chirurgien interne de l’Hôtel-Dieu et de l’Hôpital général de la maternité de Lyon, lorsqu’il s’illustre avec cinq autres de ses collègues, en apportant secours aux victimes de l’épidémie de choléra qui frappe la ville de Marseille durant l’été 1835. Son action et le rapport qu’il dresse avec ses collègues Fraisse et Ramadier sont salués par la presse lyonnaise et plus particulièrement par Le Censeur lyonnais. En avril 1838, Boyron, nouveau membre de la Société littéraire de Lyon, donne une communication sur l’hygiène publique. Sa présence éphémère au sein de la Société qu’il quitte en 1841 s’explique probablement par les attaques d’un de ses membres vis à vis de la théorie phalanstérienne développée par Victor Considerant devant le Congrès scientifique de France qui se tient à Lyon en 1841. Le 5 septembre, Antoine-Gaspard Bellin rangeait alors la théorie phalanstérienne au rang des « trompeuses promesses » et assurait qu’elle s’évanouira au jour « critique de l’expérimentation matérielle » [6].

L’Union harmonienne ou resserrer les liens de la « famille » phalanstérienne

S’il est probable que Boyron est déjà en relation avec les milieux fouriéristes dès 1834, il se signale comme tel en 1837, étant l’un des fondateurs du Groupe phalanstérien des travailleurs de Lyon, aux côtés de « MM. [Brac de] La Perrière, Poulard et Louis Romano » [7], ancien saint-simonien. Le groupe réunit essentiellement des ouvriers. A la suite de Poulard, Boyron préside un temps le groupe, le plus ancien de Lyon. Lui succède Borivent [8]. En 1840, Boyron est également correspondant et membre de l’Union harmonienne. Lors du banquet anniversaire d’avril 1840 organisé par le Groupe phalanstérien des travailleurs lyonnais, il argumente au profit de la souscription phalanstérienne organisée par le comité constitué autour du journal Le Nouveau monde : « il expliqu[e] […] la nature et le but de la souscription phalanstérienne, il parl[e] de sa moralité et des garanties qu’elle offre aux souscripteurs » [9]. Après le second congrès de Cluny du 27 août 1840, il devient l’un des trois membres du « Groupe-directeur » de l’Union harmonienne, aux côtés de Stanislas Aucaigne et L. Passot. Les membres de l’Union harmonienne, constatant que « l’école sociale a pris corps » depuis la mort de Charles Fourier, considèrent que l’harmonie ne pourra voir le jour sans l’association de chacun. Il s’agit de resserrer les liens de la « famille » dans le cadre de la réorganisation de l’Union « en lui imprimant une direction vraiment digne de son nom ». Le Groupe-directeur énumère les outils nécessaires et disponibles pour cette organisation : « la correspondance, feuille autographiée, où chaque membre peut déposer librement ses observations sur la doctrine, sa propagation et la réalisation [...]. L’UNION, feuille imprimée non périodique publiant tous les travaux qui auront pour but la réalisation la plus immédiate de la théorie de Ch. Fourier » destinée à « quiconque comprend les bénéfices immenses de l’association » [10]. « Encourager et faciliter la propagation, et, s’il y a lieu aider les premiers travaux de réalisation » [11] sont les objectifs définis. Ce renouveau est à mots feutrés une critique des anciens responsables de l’Union. Initiative de Just Muiron, soutenue par Brac de la Perrière à Lyon qui en est le directeur en 1839-1840, le siège de l’Union harmonienne avait été transféré à Bordeaux sous la direction de Valois lors du Congrès de Cluny de 1839. Selon l’Almanach social pour l’année 1840, Brac de la Perrière « qui dirigeait la Correspondance dans ses moments les plus difficiles, a su gagner l’estime et la reconnaissance de tous ceux qui ont eu l’occasion d’être témoins et de son talent et de son dévouement ». Au second Congrès de Cluny, l’initiative prise de revitaliser l’Union explique sans doute les récriminations de Brac de la Perrière qui dénie au Groupe-directeur le droit de donner le titre d’Union harmonienne à l’organisation. Boyron est également l’un des correspondants lyonnais des Publications de l’Union devenue phalanstérienne [12].

Il est un des intervenants réguliers des banquets phalanstériens lyonnais. Le 7 avril 1841, « rendant hommage au génie de Fourier, [il] trait[e] la grande question de l’organisation du travail » [13]. Lors du 4e anniversaire de la mort de Fourier, célébré à Lyon le 10 octobre 1841 par les membres du Groupe phalanstérien des travailleurs, Boyron prononce un remarquable discours selon L’Echo de la fabrique de 1841 sur l’extinction du paupérisme [14]. La réunion, déclare le journal, sans doute en raison de l’exiguïté de la salle, est tumultueuse, d’autant que si des toasts sont portés « à Fourier, à la réalisation, aux femmes, à l’anglais Young qui vient d’acheter Cîteaux, pour y établir un Phalanstère » par les différents intervenants « Boyron, Reynier, Pouart (Poulard) et Joarhit », le banquet a été l’occasion d’annoncer « une scission parmi les disciples de Fourier » [15]. En 1842, Boyron, organise avec Romano le banquet de célébration de l’anniversaire de la naissance de Fourier. Le banquet devait se dérouler dans les locaux du Grand Orient de France lors d’une séance publique initiale [16] mais il est interdit, sans raison connue selon L’Echo de la Fabrique, par la maire de La Guillotière. Il a lieu finalement chez un traiteur et réunit une soixantaine de convives.

Un essai sociétaire : le domaine du Royer (Allier)

Lors de ce banquet d’octobre 1841, il est annoncé que Boyron s’est associé, avec un autre lyonnais, Cyprien Borivent (typographié Boyrivent) et Jean-Joseph Reverchon, maire de Gredisans (Jura), pour acheter le domaine du Royer (commune de Saint-Gérand-de-Vaux) dans l’Allier afin de tenter « un essai du système de Fourier relativement à l’association de l’agriculture et de l’industrie » [17]. Une société en commandite par actions au capital de 900 000 francs est formée. Les travailleurs de l’exploitation doivent être organisés de manière régimentaire, les travaux classés en catégorie. A chaque catégorie de travail doit correspondre une catégorie de ces travailleurs. Tous les enfants devront recevoir une « éducation morale et professionnelle [...]. Après un temps déterminé, tout travailleur devenant invalide aura droit à une retraite [...] » [18].

Le développement de l’exploitation est mûrement préparé. Les associés établissent ou font établir une « table analytique des calculs agronomiques et [des] plans de campagne [...] pour l’exploitation agricole, industrielle, manufacturière et commerciale » [19] du domaine. Reverchon et Boyron deviennent « directeurs des fermes de Royer et des Valty » [20], cette dernière contiguë au domaine du château. Le compte rendu qu’ils adressent à la Société d’agriculture de Lyon en 1842 laisse apparaître qu’à cette date la ferme n’est qu’une exploitation sur laquelle les directeurs tentent des aménagements et l’application de nouvelles techniques de culture. Les deux associés, postulant comme membres associés correspondants de la Société d’agriculture de Lyon, sont décrits comme s’occupant « avec zèle des perfectionnement à introduite en agriculture » [21]. Les deux fermes sont installées sur un domaine de 600 hectares, antérieurement morcelé en huit exploitations destinées à des métayers cultivant à moitié fruit. Une réserve de 150 hectares est exploitée par un fermier. Un moulin est également en activité. Néanmoins, à la prise de possession du domaine, le 11 novembre 1842, les nouveaux propriétaires ne trouvent qu’une centaine d’hectares cultivés, le reste, moins les prés, étant en friches. Les premiers travaux visent à assainir les terres en concevant des écoulements permettant de développer des prairies naturelles irriguées, à créer des voies de desserte de l’exploitation, à construire une habitation pour six familles de travailleurs, le personnel ayant été doublé. Des réparations sont faites aux bâtiments d’exploitation du domaine. D’autres, attenant au château, ont été construits. Les travaux agricoles mêmes ont consisté à ouvrir quatre marnières pour amender les sols, - la marne n’étant habituellement pas utilisée dans l’Allier -, à répandre de la chaux, des cendres et des fumiers d’écurie, et enfin à établir une pépinière de 3 000 mûriers et arbres fruitiers, 1 000 peupliers et saules et autant d’osiers. Soixante-dix hectares de prairies ont été ensemencés en trèfle, cent-cinquante hectolitres d’avoine semés et enfin vingt-cinq hectares d’oléagineux divers. Les premiers essais paraissent satisfaisants et « dès cette année, concluent Boyron et Reverchon, nous pourrons mettre la plus grande partie de nos terres en culture, et ce qu’il nous aura été impossible de travailler sera utilisé au printemps » [22]. Peu avant la publication de ce rapport, lors du banquet anniversaire de la mort de Charles Fourier organisé au sein du Groupe phalanstérien des travailleurs de Lyon le 15 octobre 1843, Etienne Boyron adressait une missive aux participants et signalait qu’il était retenu à Royer en raison des « occupations que nécessitent la fondation de la ferme agricole, la Ruche » [23]. Bien qu’associé correspondant de la Société d’agriculture et bien qu’ayant proposé des informations au fil des travaux, aucun autre détail ultérieur sur les aménagements n’est communiqué. Boyron est mentionné comme directeur de l’exploitation jusqu’en 1847. Le nom de Boyron disparaît néanmoins des compte-rendus des différents banquets phalanstériens organisés à Lyon après 1843 et dont rendent comptent L’Echo de la fabrique de 1841, la Revue sociale et La Tribune lyonnaise.

En 1851, un disciple d’Auguste Comte, Auguste Hadery (1818-1884), ingénieur des Ponts-et-Chaussées, - l’un des exécuteurs testamentaires de Comte -, est devenu propriétaire, résidant à la ferme des Valtis. Il tente d’y réaliser un établissement selon le type du patriarcat agricole selon la formule positiviste [24]. Jusqu’en 1848, Hadery gravite dans la nébuleuse de l’Ecole sociétaire du fait de sa relation avec les frères Sauria, sans adhérer ou du moins en étant critique vis à vis des théories phalanstériennes. Proche de Reverchon [25], c’est sans doute cette relation qui le conduit à s’engager - une nouvelle fois - dans une expérience associative, agronomique et sociale. L’essai de Reverchon, Boyron et Borivent a tourné court. L’historiographie locale perpétue l’idée de mœurs scandaleuses de « l’associé principal » de Reverchon. Celui-ci « s’était dérobé quoiqu’il fût venu y vivre quelques temps avec sa maîtresse ». « Est-ce la présence de ce couple irrégulier ? Les toilettes de la jeune femme ? Les quelques fêtes organisées ? La réputation de l’expérience [...] demeura scandaleuse » [26]. Si Boyron et sans doute Borivent se sont retirés, Reverchon, bien qu’ayant vendu le domaine, garde une option d’achat sur la ferme des Valtis.

Convaincre par la propagande écrite

Malgré de prétendues mœurs dissolues imputées à l’un des associés de Reverchon, Etienne Boyron continue d’exercer les fonctions de médecin. En octobre 1845, il propose son concours à La Tribune lyonnaise, - il en est de même pour Stanislas Aucaigne de Cluny -, et il précise qu’il est installé comme médecin à Bessay-sur-Allier (Allier). La Tribune lyonnaise souligne qu’Etienne Boyron « a laissé à Lyon d’honorables souvenirs ». En 1848, le tableau des correspondants associés de la Société d’agriculture du Rhône n’indique d’ailleurs plus son rôle de directeur de la ferme, Boyron étant alors qualifié de docteur en médecine exerçant dans l’Allier. En 1850, lorsqu’il s’adresse à La Tribune lyonnaise, il est signalé comme exerçant à Varennes-sur-Allier (Allier). Sa « Lettre d’économie sociale » du 27 juillet 1850, publiée en septembre, conduit à la première condamnation du journal de Marius Chastaing [27]. Boyron y dénonce l’« antagonisme violent » dû aux inégalités sociales et appelle - seulement - à « l’Unité, c’est à dire de l’intelligence, de l’accord et de la fraternité pour tous [...] » [28].

Si la Société d’agriculture continue à la mentionner comme membre correspondant au cours du Second Empire exerçant dans l’Allier, Boyron serait néanmoins décédé avant 1868 [29]. Est-ce un homonyme qui est cité à partir de 1871 et ce jusqu’en 1892, comme correspondant de la Société d’agriculture, histoire naturelle et arts utiles de Lyon exerçant précisément à Moulins (Allier) ?