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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Déchenaux (ou Deschenaux, Décheneaux), Paul Alexandre
Article mis en ligne le 28 septembre 2015
dernière modification le 11 décembre 2023

par Desmars, Bernard, Sosnowski, Jean-Claude

Né le 12 janvier 1792 à Grenoble (Isère), décédé le 10 janvier 1864 à Paris (Seine). Professeur au collège de Sorèze, puis médecin à Paris. Correspond avec Fourier et Considerant dans les années 1830. Membre de l’Union harmonienne vers 1840. Participe au projet d’Union des associations sous la Seconde République.

Le père d’Alexandre Déchenaux est le secrétaire du directoire du département de l’Isère, en 1792. Alexandre fait des études de médecine à Paris où il obtient le doctorat en 1818. On le retrouve ensuite dans les années 1830 professeur de chimie au collège de Sorèze. La ville est à la fin de la Restauration et au début de la monarchie de Juillet un « haut-lieu du mouvement saint-simonien » [1]. Le collège a compté parmi ses enseignants Charles Lemonnier et Émile Barrault. On ignore si Déchenaux les a connus et s’il a lui-même adhéré au saint-simonisme. Il est en tout cas en relation avec en 1833 avec un certain Rességuier, sans doute Jacques Rességuier, le principal organisateur de l’Église saint-simonienne dans le Midi, abonné au Phalanstère [2].

Déchenaux est un disciple de Fourier, dès les années 1830. En 1833, il est abonné au Phalanstère et correspond avec Charles Fourier. Il commande le Traité de l’Association domestique agricole et le Nouveau Monde industriel [3]. Il se rend en 1836 au domicile de Fourier, rue Saint-Pierre Montmartre, afin de rencontrer « l’illustre Révélateur du Monde harmonien » [4]. L’année suivante, il contribue financièrement à l’étude du projet de phalanstère d’enfants.

Peu après, il fait partie des fouriéristes qui, en marge de l’Ecole sociétaire dirigée par Victor Considerant, se regroupent dans l’Union harmonienne [5] ; leur organe, La Correspondance harmonienne, accueille leurs réflexions, leurs questions et leurs propositions. En effet, ils se situent du côté de la « réalisation » et souhaitent mettre en pratique certains des principes fouriéristes. « Notre mission actuelle est de diriger le mouvement d’association simple et de garantisme », écrit Déchenaux [6]. Depuis Sorèze, il envoie plusieurs courriers, en abrégeant son nom (Déch., de Sorèze) ou en utilisant un pseudonyme (Xuancheed). Dans l’un d’eux, il propose un système de « tontine sociétaire », permettant aux travailleurs de se constituer une retraite pour leurs vieux jours ; mais c’est surtout

un moyen que nous pouvons habilement employer pour amener le riche et le pauvre à contribuer à l’établissement d’une ferme d’asile où l’on recevrait les travailleurs qui manquent d’ouvrage et où l’on donnerait l’éducation harmonienne aux enfants. L’idée d’un phalanstère a déjà été l’objet de tant de plaisanteries, qu’il vaudrait mieux, je crois, annoncer les fondations d’une ferme d’asile. Ce titre paraîtrait moins étrange aux Civilisés [7].

Il s’efforce aussi de recruter de futurs participants à un projet d’inspiration phalanstérienne. En 1838, les « adeptes » qu’il déclare avoir recruté « sont au nombre de 50, savoir 18 hommes de professions très variées, 14 femmes et 18 enfants », annonce-t-il, sans préciser quel est le niveau d’adhésion à la théorie sociétaire et le degré d’engagement à un projet phalanstérien de ces « adeptes » [8]. En janvier 1839, il propose un projet « d’Association des travailleurs en ménage, capital, travail et talent » [9]. Favorable au projet de « boulangerie garantiste modèle » des phalanstériens parisiens, il souhaite aussi la création d’autres établissements : « une boucherie garantiste modèle, une cuverie garantiste modèle, un ménage garantiste modèle, une cordonnerie garantiste modèle, une chapellerie garantiste modèle, une lingerie garantiste modèle, etc. [10] En 1840, il présente au conseil municipal de Sorèze un projet de « colonie agricole et industrielle sur les biens communaux » [11]. Quelques années plus tard, il propose aux lecteurs de la Correspondance des disciples de la science sociale d’aider financièrement une « œuvre de transition, c’est-à-dire une « maison rurale d’asile et d’apprentissage pour les enfants pauvres », installée à Maintré, sur la commune de Saint-Benoît, près de Poitiers [12].

L’analogie, la clef pour comprendre le monde

Déchenaux ne se contente pas d’élaborer ou de soutenir des projets de « réalisation sociétaire ». Il veut aussi agir dans le domaine scientifique, en s’appuyant sur les travaux de Fourier. Ses études portent sur trois domaines en particulier : la médecine, la musique et la botanique. Il entend en particulier reprendre et développer le principe de l’analogie et l’appliquer à divers domaines de la connaissance.

Selon Déchenaux, avec l’analogie, Fourier « est venu à l’appui de la doctrine médicale homéopathique » et du principe de similitude identifié par Hahnemann. Aussi,

en déterminant les propriétés des substances, nous connaîtrons les remèdes aux maladies les plus rebelles à l’art, telles que goutte, rhumatismes, épilepsie, hydrophobie, etc. La théorie de l’analogie peut seule nous conduire à ce but [13].

Déchenaux est également l’auteur d’une « méthode musicale harmonienne propre à établir l’unité du langage musical ».

Cette méthode facilite étonnamment l’étude et la lecture de la musique en établissant l’unité des clés de l’échelle musicale et en permettant de supprimer la plupart des lignes ajoutées [14]

.

La brochure qu’il publie en 1838 est soumise au Conseil royal de l’Instruction publique, qui autorise l’année suivante sa diffusion dans les bibliothèques des écoles normales primaires. En 1845, Déchenaux s’adresse au ministre de l’Instruction publique, à qui il demande

de favoriser l’enseignement de cette méthode en en prenant 200 à 300 exemplaires pour toutes les écoles normales primaires des départements. Ces exemplaires seraient déposés dans la bibliothèque de chaque école, soit pour servir à l’enseignement, soit pour être donnés chaque année aux élèves-maîtres qui mériteraient des prix et des accessits pour les cours de musique.

En favorisant ainsi l’étude de la musique, vous rendriez en même temps un grand service à l’auteur, en lui permettant de recouvrer la somme qu’il a dépensée pour éditer lui-même un ouvrage indispensable à l’enseignement public [15].

Le ministère répond qu’il n’a pas de budget pour une telle dépense.

Dans la Correspondance harmonienne, Déchenaux signale qu’il étudie les plantes, les fruits, les fleurs, à la lumière de l’analogie [16]. Ses travaux aboutissent à la publication en 1845 de la première partie d’un ouvrage intitulé alors Clé de l’analogie en botanique. Genèse des plantes, ou classification des familles selon l’ordre des périodes sociales. L’auteur, dans l’introduction, indique qu’il entend

engager les savants à s’occuper de l’analogie, qui sème dans l’étude de la botanique tous les charmes de la poésie et nous dévoile l’histoire du passé, du présent et de l’avenir.

Là encore, il se situe explicitement dans le sillage de Fourier qui

nous a mis sur la voie de l’analogie en disant que chaque être du règne végétal, animal et minéral nous offrait l’emblème d’une passion, d’un fait se rapportant à l’état social soit subversif, soit harmonique.

L’ouvrage paraît en treize livraisons, la dernière étant publiée au printemps 1848, avec un titre légèrement modifié : Clef de l’analogie en botanique des classifications des familles selon l’ordre des périodes sociales [17].

La Seconde République : association et répression

Probablement au début des années 1840, Déchenaux quitte le collège de Sorèze pour Paris où il exercice la médecine (il est encore à Sorèze en 1839 ; il est installé à Paris en 1845, rue des Prouvaires, dans le quartier des Halles). La Démocratie pacifique insère à plusieurs reprises en 1848 un encart publicitaire qui annonce des « consultations homœopathiques » dans son cabinet de la rue Saint-André-des-Arts [18].

L’ensemble de son ouvrage sur la botanique étant désormais paru, il s’adresse au « citoyen ministre de l’Intérieur » afin qu’il en fasse acheter « un certain nombre d’exemplaires », pour les placer ensuite dans « les bibliothèques publiques de Paris et des départements ». En effet,

Cet ouvrage a pour but de dévoiler par les analogies physiques, passionnelles et historiques, les destinées passées, présentes et futures de l’humanité ; de prouver que rien n’est dû au hazard [sic] et qu’au contraire, Dieu a présidé à toutes les créations et a donné à l’homme un enseignement sublime dans les variétés infinies qui caractérisent tous les êtres du règne végétal.

Le ministre de l’Intérieur transmet la demande à son collège de l’Instruction publique qui, pas plus que son prédécesseur de la monarchie de Juillet, ne donne suite à la demande [19].

En octobre de la même année, il ouvre un « cours d’analogie appliquée à la botanique » [20]. Il fait paraître une nouvelle édition de sa Clé de l’analogie avec un titre un peu modifié ; l’accueil fait à l’ouvrage dans La Démocratie pacifique n’est pas vraiment enthousiaste :

le système de M. Descheneaux [sic] nous semble donc plus ingénieux que solide, parce qu’il a le tort, comme la classification de Linné, d’être fondé sur un seul caractère.

Il participe en 1849 au « projet d’organisation pour l’association fraternelle et solidaire de toutes les associations », aux côtés de Jeanne Deroin, Pauline Roland, Jean-Baptiste Girard et des fouriéristes Augustin Joffroy et Joseph Delbrouck [21] (le projet est détaillé par Jeanne Deroin dans L’Opinion des femmes, août 1849, ainsi que dans La Démocratie pacifique, 7 décembre 1849). Cette « Union des associations », dont les statuts sont élaborés à partir d’août 1849, est véritablement constituée le 5 octobre suivant ; Il s’agit « d’établir la solidarité entre les associations, de fonder le crédit gratuit, d’organiser l’échange et la mutualité du travail et de centraliser toutes les opérations d’intérêt général » [22]. En regroupant des sociétés coopératives, mutualistes, éducatives – elles sont au nombre de 104 le 5 octobre – elle vise à la formation de circuits économiques parallèles au marché classique, et à l’organisation concrète de la solidarité, à la fois au sein de chaque société et entre les sociétés qui la constituent. Pour cela, elle émet des « bons d’échange […] qui seront acceptés par les associations faisant partie de l’Union, afin de venir en aide à la circulation des produits entre elles » [23].

Mais la police surveille les activités de l’organisation, assiste aux réunions et intervient parfois pour empêcher qu’elles ne prennent une orientation politique. Afin d’échapper au contrôle des autorités, Jeanne Deroin loue un local privé, rue Michel-le-Comte, dans lequel ont lieu plusieurs réunions en avril et mai 1850. Le 29 mai, la police fait irruption alors que plusieurs dirigeants de l’association sont rassemblés ; elle ferme le local et arrête les personnes présentes, parmi lesquelles Déchenaux. Des poursuites judiciaires sont lancées contre les dirigeants de l’Union qui, après plus de cinq mois de détention préventive, sont renvoyés devant la cour d’assises de la Seine pour avoir « fait partie de réunions non publiques dont le but était politique et qui n’avaient pas été autorisées » ; quelques-uns, dont Déchenaux sont en outre poursuivis en tant que « fondateurs et chefs desdites réunions » [24]. Selon l’accusation,

peu de membres de l’Union se sont le plus occupés de cette association que le docteur Deschenaux ; comme médecin (ce sont ses paroles consignées dans son interrogatoire du 6 juin), « il offrait ses soins en échange de marchandises contre des produits, tels que casquettes, souliers, etc. » C’est Deschenaux qui, le premier, a eu et a émis l’idée de donner à l’Union des apparences d’un contrat commercial, afin de la placer ainsi sous les auspices de l’exception légale ce qui semble établir que, connaissant mieux que personne le véritable but de l’Union, il voulait, par une fraude à la loi, placer l’association à l’abri de recherches et de poursuites judiciaires.

L’Union est de façon générale accusée d’être un instrument de propagande socialiste. Pour leur défense, les accusés rédigent un texte lu à l’audience par Delbrouck : l’Union, affirment-ils, s’est « occupée de questions qui se rattachent à la plus haute économie sociale » et a recherché les moyens d’aller vers « l’abolition de la misère ». Dans cette perspective, ils se sont efforcés de développer les associations et d’encourager la solidarité. Mais l’Union est restée à l’écart de tout projet politique. Quelques accusés prennent ensuite la parole individuellement dont Déchenaux qui revient sur quelques remarques faites par le parquet :

On m’a reproché de recevoir en échange de mes soins, comme médecin, des objets fabriqués. Je crois que c’est là un système excellent ; je crois aussi qu’il y aurait grand intérêt et grande économie à ce que les médecins fussent en même temps pharmaciens. On aurait ainsi toutes les garanties au point de vue de la science.

Déchenaux, sans que l’on en connaisse les raisons, bénéficie des circonstances atténuantes et d’un verdict plus clément – trois mois de prison – que la plupart des autres dirigeants [25].

Après ce procès de 1850, Déchenaux semble abandonner ses activités militantes. Il continue à pratiquer la médecine ; en 1854, alors que sévit une nouvelle épidémie de choléra, il publie une Instruction populaire sur les moyens préservatifs et sur le traitement de cette maladie grâce à la méthode homœopathique. Affirmant qu’à Vienne (Autriche), en 1832, la méthode homéopathique a obtenu de meilleurs résultats que la médecine allopathique (seules 9% des personnes atteintes par le choléra été soignées par homéopathie seraient décédés, contre 52% pour celles traitées par allopathie), il veut « faire connaître à tout le monde les moyens de se préserver du choléra et de s’administrer soi-même les médicaments nécessaires » ; il indique les remèdes à chaque étape de la maladie.

En 1862, il publie Aperçu de la religion d’harmonie ou de l’harmonisme, que Just Muiron signale aux lecteurs des Communications familières du doyen.