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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Huger, Eugène-Félix
Article mis en ligne le 11 janvier 2020
dernière modification le 27 décembre 2021

par Sosnowski, Jean-Claude

Ouvrier menuisier puis ébéniste. Président du banquet anniversaire du 7 avril 1846 à Rio de Janeiro (Brésil). Correspondant du Centre parisien de l’École sociétaire à Rio de Janeiro à partir de 1850. Ouvrier poète, auteur des paroles d’un Hymne à Fourier. Membre de la Société française de secours mutuels de Rio de Janeiro.

En avril 1846, il préside le banquet organisé à Rio de Janeiro pour célébrer l’anniversaire de la naissance de Fourier. Le banquet marque la réconciliation entre les différents groupes de colons phalanstériens qui depuis 1841 ont tenté de fonder une colonie sociétaire dans la province du Sahy et plus particulièrement entre Michel Derrion et Benoît Mure. Comme ce dernier, avant le discours de Derrion, Huger lit une « pièces de vers » [1] dont il est l’auteur. A Lyon, L’Écho de l’industrie en donne un extrait :

Marchons, frères, marchons, car les temps vont venir
Où l’on adoptera nos projets d’avenir.
Apôtres de la foi, nous souffrirons sans doute ;
Les dédains, les mépris, nous barreront la route ;
Mais de la vérité le culte est un devoir,
Et nous la défendrons de tout notre pouvoir.
Qu’importe les échecs qui pourront nous surprendre ?
Nous vivons pour souffrir, étudier, apprendre !
Apprendre aux travailleurs, apprendre aux opulents,
Que de l’étroit sentier qu’ils suivent à pas lents
Il faut enfin sortir ; que l’immortel génie
Veut les guider aussi dans la route infinie
Qu’il ouvrit devant nous : monde semé de fleurs
Que les mortels jamais n’arroseront de pleurs ! [2]

Quelques jours plus tard, le docteur Mure, connu pour son engagement phalanstérien, fait paraître dans le Jornal do Commercio un article qui vante l’homéopathie [3]. Une polémique s’ouvre avec les médecins allopathes qui dénoncent pêle-mêle « Fourier e o divino Hahnemann » [4]. Le lendemain, une nouvelle communication anonyme en réponse à l’article de Mure condamne une hérésie et une atteinte au pouvoir impérial [5]. « Au nom des ouvriers phalanstériens » [6], Huger, ouvrier menuisier compose un poème en réponse à cet article. Il est inséré à la suite d’une « protestation phalanstérienne » [7] de Derrion quant à elle publiée en réponse aux attaques professées dans l’article du 21 avril :

Arrière ! hommes jaloux, possédés de l’envie ;
[…]
Quoi ! c’est au nom du Christ, Dieu plein de charité,
Pardonnant toute erreur, prêchant la vérité,
La faisant triompher par son noble martyre,
C’est en ce nom sacré que vous osez écrire
Des mensonges outrés, appelant le malheur
Sur des hommes de bien ? O misère ! et douleur !
Leur persécution vous ferait donc sourire,
Puisque vous répétez dans votre affreux délire :
On veut nous renverser ? Le pouvoir est à nous ;
À ces hommes ingrats montrons notre courroux !
D’une secte infernale, un infernal apôtre,
Prince, par son pouvoir, veut s’emparer du votre [sic] ?
C’est un ambitieux qui désire régner,
Et que votre bonté ne doit pas épargner,
Il est Saint-Simonien ! Oh ! Noble platitude,
Avant de nous juger, faites un peu l’étude
Des hommes, de leurs lois, Mr. Le grand Docteur,
Et ne vous posez point premier persécuteur,
Étudiez d’abord notre sainte doctrine,
Qui, loin de renverser, suit une loi divine
Dont le système entier est basé sur la paix,
Sur l’ordre et le travail ! La licence [8], jamais !
Accusez, accusez de lèse-médecine !
Dansez sur les débris de la grande officine
Que dirige Hahnemann ; peu nous importe à nous ! …
Nous nions St.-Simon, mais Fourrier [sic] ? À genoux ! …
Fourrier [sic] ! nous le suivons, comme on suit une étoile
Vous conduisant au port que cache un sombre voile ;
Nous le suivons encore, comme un guide certain
Qui doit de la vertu vous montrer le chemin !
Quel est celui de nous, accusateur infâme,
Dont vous avez sondé jusqu’aux replis de l’âme ?
Quel est celui de nous qui n’a point respecté,
Sitôt qu’il l’accepte, votre hospitalité ?
Quand avons-nous prêché contre la monarchie,
Et semé le levain d’une basse anarchie ? …
Nous avons au Sahy cherché la liberté,
L’organisation de la société ;
Nous avons dans des bois tenté de pouvoir vivre,
Et de tous nos efforts on peut faire un beau livre.
Mais nous calomnier, on n’en a pas le droit,
Chacun de nous sait trop, ce qu’au Brésil il doit !!

Le groupe reste actif. En 1848, Huger se charge de recevoir les souscriptions destinées au banquet anniversaire du 7 avril. Il réside au 47 rue San José [9]. Avec d’autres phalanstériens (Jacques Piel, Charles Leclerc, Nicolas Gilbert, Antoine-Joseph Jamain et Michel Derrion), Huger est « dépositaire des listes en circulation » destinées à la « souscription française en faveur des veuves, orphelins et blessés des journées de février 1848 » [10]. Après le décès de Michel Derrion en mars 1850, décès dont il est l’un des déclarants aux autorités consulaires et qu’il annonce aux « rédacteurs de La Démocratie pacifique », Huger assure la correspondance et le lien entre le groupe phalanstérien de Rio de Janeiro et le Centre parisien de l’École sociétaire. Il diffuse La Démocratie pacifique aux abonnés et les livres édités et vendus par la librairie sociétaire. Il gère les réclamations et envois financiers. Il est trésorier du « comité des renteurs » [11] de Rio de Janeiro, dont les membres s’engagent à verser régulièrement une somme d’argent pour financer les activités du Centre parisien. Il signe ses courriers en se qualifiant d’ébéniste, exprimant ainsi une certaine fierté vis-à-vis de ce nouveau statut social. Il est recensé comme tourneur sur bois (« Torneiros em madeira ») dans l’Almanak administrativo mercantil e industrial do Rio de Janeiro de 1851 et 1852.
En 1850, l’anniversaire de la naissance de Fourier est exceptionnellement célébré le 14 juillet en raison de l’épidémie de fièvre jaune qui a emporté Michel Derrion et celle du choléra qui a sévi dans la ville au printemps. Huger relate que Jacques Piel préside l’évènement qui réunit « cent-dix personnes [qui] ont pris part à cette fête, parmi lesquels seize femmes et six enfants » [12]. Il fait l’éloge du défunt Michel Derrion « en analysant sa vie » et déclare que « celui qui a obtenu le beau triomphe de la soirée, c’est M. Auguste Robillon, auteur de la musique de l’Hymne à Fourier, dont les paroles sont de moi. Exécuté par des ouvriers, ce chœur et celui du Chant des Travailleurs, par Pierre Dupont, l’ont été avec une précision que nous n’avons pas rencontrée souvent dans nos représentations théâtrales... ».
En 1851, après avoir rejeté la proposition de Piel, visant à transformer le traditionnel banquet anniversaire de la naissance de Fourier en une simple « communion », - « je tenais au banquet parce que c’est grâce à eux que nous avons vu chaque année grossir les rangs des phalanstériens » [13], explique-t-il - il finit par se ranger à cette initiative après avoir analysé « la position de l’école ». Il annonce que finalement la « Sainte table a reçu 63 serments de fidélité avec un enthousiasme difficile à décrire » et adresse 235,10 francs issus de la collecte organisée lors de cette réunion. Il y ajoute 419,66 francs de rente. Il s’interroge sur la possibilité que la librairie sociétaire pourrait avoir de publier « un manuscrit de poésies […] œuvres de nos amis ayant habité Rio de Janeiro et tous phalanstériens ».
Mais le 13 août 1851 [14], le ton est moins enthousiaste. S’il prend contact avec le Centre parisien pour confirmer que le groupe a bien pris note via les petites annonces de La Démocratie pacifique de la réception à Paris de la somme que les renteurs ont adressée, il s’attarde surtout sur le fait que ses affaires étant au plus mal, il s’est décidé à terminer les travaux de son atelier d’ébénisterie avant de le vendre et que « probablement » il devra quitter Rio. « Ce n’est pas sans douleur » qu’il se démet de ses fonctions de correspondant qu’il transmet à Vannet. Il poursuit ainsi :

[…] j’abdique. Je voudrais que ma position fut [sic] égale à celle de beaucoup d’entre nous, c’est a [sic] dire a [sic] l’abri du besoin [...]

Malgré ses déboires, il ne manque pas de rappeler son attachement à la cause sociétaire :

croyez toujours a [sic] la sincérité de mes sentimens [sic] phalanstériens. La Foi [sic] qui m’anime aussi n’est point réduite, mais il faut que je cède aux circonstances qui m’assaillissent [sic pour assaillent], […], soyez certains que je serai toujours associé aux principes que nous défendons, et heureux des bons résultats que vous pourrez obtenir dans votre mission apostolique.

A partir de 1853, il n’a plus d’activité recensée dans l’Almanak administrativo mercantil e industrial do Rio de Janeiro [15]. Il réside néanmoins encore à Rio de Janeiro. En septembre 1856, une « oraison des prolétaires amateurs du théâtre » [16] signée « E. Huger » est adressée aux directeurs du Théâtre français dont une troupe se produit à Rio de Janeiro. L’année suivante, Huger, « ouvrier-poète » [17]compose un poème en l’honneur du docteur Jogand, médecin français exerçant gracieusement, décédé avec son fils en mai 1857 lors d’une épidémie. En 1858, Eugène-Félix Huger est l’un des deux témoins qui déclarent le décès de Jamain [18]. En mars 1860, Huger prononce un discours sur la tombe de la fille de Jogand [19]. En juin, C’est probablement lui [20] qui représente « la classe malheureuse » [21] lors des obsèques de Charles Ribeyrolles [22]. Huger est amené à prononcer un bref discours en l’honneur du « publiciste français humanitaire ! […] La classe ouvrière de Rio de Janeiro sera heureuse de participer à la perpétuité de [sa] mémoire » conclut-il. Il est membre de la commission qui se constitue en vue d’ériger un monument à Charles Ribeyrolles [23].
Comme d’autres phalanstériens, (André Forest, Albert Gierkens, Francis-Charles Vannet, B. Gay, Henri Désiré Domère), il participe activement aux activités de la Société française de secours mutuels [24]. Il semble proche du président de celle-ci, le docteur Chomet, condamné à la déportation en Algérie (Algérie +) après le coup d’État du 2 décembre 1851 et exilé volontairement au Brésil [25].
En septembre 1867, Eugène Huger est cité dans une liste de destinataires de courriers étrangers (« cartas estrangeiras » [26]) non distribués en août à Rio de Janeiro.