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Chastaing, Marius (P.-F.), signe plusieurs articles « Marius Ch... » ou « M. Ch...g »
Article mis en ligne le 28 mars 2009
dernière modification le 28 mai 2012

par Chaïbi, Olivier

Né à Lyon le 8 Thermidor an VIII (1800), décédé après 1851. Gradué en droit, chef d’atelier en soierie, journaliste et rédacteur en chef de journaux lyonnais. Républicain convaincu et franc-maçon, il est l’un des premiers défenseurs des canuts lyonnais. Attentif aux questions sociales, il participe en 1846 et 1847 aux banquets du groupe phalanstérien des travailleurs de Lyon.

Une culture républicaine en héritage

Né à Lyon d’un père de « modeste origine », Marius Chastaing semble avoir hérité de son parent sa culture politique militante. C’est du moins ce que laisse sous-entendre l’avocat-général chargé de l’instruction de l’affaire de la souscription lyonnaise en faveur des détenus en vertu de la loi du 26 mars 1820 [1], dans laquelle Chastaing fils est prévenu d’avoir pris part. Dans son Appel à l’opinion publique, l’étudiant âgé de 20 ans, qui a déjà participé à l’insurrection républicaine et bonapartiste à Lyon du 8 juin 1817 [2], écrit :
« Je le dis ici : je me félicite que le ministère public ait rappelé ma modeste origine. Mais je ne veux pas l’oublier, et pourquoi désavouerai-je mon père ? Serait-ce parce qu’il aurait été aussi obscur en 1793 qu’en 1815. Mais il est des célébrités qu’un fils n’envie pas pour son père, et j’honorerai assez le mien pour l’appeler lui-même aux actes importants de ma vie ; sa présence, à mes yeux, ne déparerait pas mon contrat de mariage. » [3]
Marius Chastaing bénéficie d’une solide instruction, sans doute très orientée politiquement, puisqu’à 15 ans il revendique déjà son républicanisme dans une lettre publique adressée à Joseph Rey de Grenoble. En 1818, il doit interrompre ses études à la suite d’une insulte à l’encontre de Louis XVIII [4]. En 1820, il prend la défense de l’enseignement mutuel « au nom de ses camarades d’études » et « comme faisant partie de cette jeunesse qui [selon les dires de son contradicteur] a été bestialisée jusqu’au retour de l’auguste Maison des Bourbons. » [5]

La Voix des travailleurs lyonnais

Après des études en droit, dont il sort gradué, il devient chef d’atelier de soierie, ce qui laisse supposer que ses origines industrielles ne sont pas si modestes. Mais c’est essentiellement dans la carrière du journalisme qu’il s’illustre à partir de 1831. Collaborateur alors au journal dirigé par Joseph Beuf, La Sentinelle nationale, Marius Chastaing rejoint L’Echo de la fabrique après l’insurrection des canuts en novembre. Un an après, il leur rend hommage dans un article en « Une » bordé de noir dans lequel il écrit :
« Passerez-vous inaperçues et veuves de tout souvenir, déplorables journées que novembre ramène ? Serai-je seul à célébrer votre anniversaire funèbre ?... J’écoute et n’entends pas les hymnes religieux qui vous furent promis ! Où donc sont les prêtres... ? Où est la cassolette ? Ma voix profane s’élèvera seule libre de toute crainte. [...] Ils n’arborèrent pas non plus le drapeau rouge de la guerre civile, oriflamme de sang, signal de vengeance et de proscription, mais un drapeau noir !... Emblème lugubre et sacré, tu fus leur seul guidon. Une courte inscription te servait de devise : Vivre en travaillant ou mourir en combattant ! DORMEZ EN PAIX, VICTIMES DE NOVEMBRE ! Que la terre vous soit légère !... votre sang a fécondé le sol où doit croître l’arbre de l’émancipation des prolétaires. » [6]
Le 1er juillet 1832, Chastaing devient rédacteur en chef de L’Echo de la Fabrique, nomination que confirme l’assemblée des actionnaires le 3 septembre. Il conserve son poste jusqu’au 18 août 1833. Le journal, qui organise une souscription en faveur des veuves, des orphelins et des blessés de novembre 1831, traite principalement des prud’hommes (Vidal, un de ses premiers gérants avec Falconnet y est nommé conseiller en décembre 1831), de l’industrie textile, de la banque et de l’administration locale. Chastaing y ajoute une rubrique littéraire, ce qui explique son appellation de Journal industriel et littéraire de Lyon à partir du 9 septembre 1832.
A la suite de désaccord avec les autres membres de l’équipe, Marius Chastaing quitte L’Echo de la Fabrique au cours de l’été 1833 pour créer en novembre L’Echo des Travailleurs, journal de Lyon et du progrès social. Selon ses dires, la raison de la séparation « aurait été l’émission trop franche de principes républicains ! » [7] Mais ses anciens collègues s’insurgent contre cette « imputation à la fois mensongère et calomnieuse ». Il semblerait que Marius Chastaing soit en réalité défavorable à la tournure mutuelliste que revêt le journal, auquel il reproche de devenir « un cahier de doléances ». [8] Bihebdomadaire, L’Echo des Travailleurs, dont le prospectus est publié le 5 octobre 1833 « s’adresse à toutes les classes de travailleurs. Il n’est pas le journal spécial d’une industrie, mais celui de toutes. » [9] Son dernier numéro paraît le 22 mars 1834. En décembre 1833, il dispose de plus de 300 abonnés. On retrouve dans les 35 numéros, composés chacun de 4 pages, les thèmes de prédilection de Chastaing, à savoir une correspondance des prud’hommes, des articles politiques et économiques, mais aussi diverses correspondances et des chansons.
En avril 1834, les émeutes des canuts entraînent la chute de L’Echo des Travailleurs et de L’Echo de la fabrique. Marius Chastaing prend la relève et lance en septembre La Tribune prolétaire, Journal du Progrès social. Les numéros sont envoyés gratuitement aux abonnés de l’Echo et le journal annonce une souscription « en faveur des citoyens détenus préventivement à Roanne et à Perrache par suite des événements d’avril. » [10] Le ton du nouveau journal est d’ailleurs donné par l’insertion suivante : « Le Courrier de Lyon prétend que les réunions d’ouvriers se reforment et les dénonce à l’autorité. Pour ne pas rester en arrière avec notre confrère, nous dénonçons les réunions de négociants qui ont lieu chaque jour... à la bourse. » Le journal disparaît après 22 numéros le 15 février 1835.
Infatigable, Marius Chastaing lance en août 1835 Le Nouvel Echo de la Fabrique. Il ne semble pas participer directement à L’Echo des ouvriers de 1840, mais le rédacteur en chef fait plusieurs fois référence à ses journaux, tandis qu’il y publie plusieurs lettres sur les prud’hommes. Par contre, la présence de Marius Chastaing dans L’Echo de 1844 est assurée par le fait que son départ est annoncé pour la création de La Tribune lyonnaise.
De mars 1845 à février 1851, Chastaing est le rédacteur en chef de La Tribune lyonnaise, revue politique, sociale, industrielle, scientifique et littéraire des Travailleurs. Dans le premier numéro, il est écrit que « l’organisation du travail [est] la plus importante des questions sociales. » Révélant son intérêt pour ces questions, le journal souligne que « le fouriérisme, le communisme, sont des systèmes traités aujourd’hui d’utopies, mais qui n’en ont pas moins des adhérents nombreux ; nous ne pourrions examiner ces doctrines, les combattre dans ce qu’elles peuvent avoir d’exagéré, les approuver dans ce qu’elles peuvent avoir de bon ; car ce sont là des questions sociales, et le pouvoir judiciaire les transforme en question politique. »
Les poursuites pour délit de presse ne calment pas les ardeurs de Marius Chastaing qui écrit en janvier 1846 : « 15 ans se sont accomplis. C’est la fin du cycle que parcoururent l’Empire et la Restauration. La dynastie de juillet a franchi la borne funèbre. » A cette époque, il continue à prôner la « Sainte alliance des Peuples » en prenant la défense des Polonais. En janvier 1848, il prophétise : « La France qui s’ennuyait, selon la belle expression de M. Lamartine, s’indigne. [...] De toute part le drapeau de la liberté fait flotter ses banderoles ; on dirait que les peuples s’apprêtent à un combat décisif. »

Un républicain « quarante-huitard »

En 1848, Marius Chastaing accueille naturellement avec ferveur et enthousiasme la proclamation de la République. Il témoigne alors de son légalisme à son égard : « Pour la première fois que nous avons pris la plume pour la défense des droits du peuple, nous n’aurons pas à faire de l’opposition ; nous n’aurons qu’à encourager le gouvernement, qu’à émettre des propositions dans l’intérêt général.... La Tribune est aujourd’hui avec le pouvoir ; elle lui prêtera son concours avec la même vigueur qu’elle avait mise à attaquer le gouvernement déchu. »
Le 14 mars 1848, Chastaing tient un discours au Club de l’Egalité [11] et en avril 1848, il se présente à Lyon pour les législatives, mais ne parvient pas à attirer suffisamment de voix sur son nom, sur lequel se répand d’ailleurs selon ses dires des « bruits calomnieux ». [12]
Alors qu’il avait défendu les combattants de 1831 et 1834, il blâme les insurgés de juin 1848 et ose écrire « Honneur au brave général Cavaignac ». [13] Cela ne l’empêche pas pour autant de s’opposer aux mesures contre la presse. En 1849, Marius Chastaing critique la politique de Bonaparte. Il participe d’ailleurs à la propagande démocrate et socialiste, ce qui lui vaut d’être arrêté à la suite des manifestations des 13, 14, 15 juin 1849 et d’être incarcéré jusqu’au 9 juillet. En 1850, La Tribune, déjà affaiblie financièrement par le rétablissement du cautionnement, subit un nouveau procès. En février 1851, Chastaing se retire de la vie publique et on perd alors sa trace. Dans un des derniers numéros de La Tribune, il écrit : « Je demande pardon aux lecteurs de les entretenir de mon obscure individualité, mais je ne sais quand je pourrai leur parler de nouveau dans un écrit périodique, et d’ailleurs toute insignifiante que puisse être mon individualité, elle a personnifié pendant près de 20 ans, la presse populaire à Lyon. »

La justice au cœur de son œuvre

Tout en menant sa carrière dans la presse, Marius Chastaing est franc-maçon, comme en témoignent en 1836 son Discours à un nouvel initié ou en 1838 son Discours maçonnique sur la justice. Il est membre de la loge de la Bienveillance d’influence misraïmite. Il est sans doute aussi en lien avec des saint-simoniens, notamment Félicien David, dont il rédige une courte biographie.
Chastaing manifeste dès 1832 un intérêt pour la pensée de Fourier dans un article sur « l’association agricole et manufacturière » : « Le problème de l’abolition du prolétariat serait résolu par le fait. Mais lors même que cette société projetée ne pourrait réussir, il sera glorieux de l’avoir entrepris. » [14] Appartenant au « groupe phalanstérien des travailleurs de Lyon », il participe en 1846 et 1847 à leurs deux banquets annuels. Chastaing les évoque alors dans La Tribune lyonnaise et publie en mai 1847 un supplément en l’honneur de l’anniversaire de Charles Fourier.
L’œuvre de Marius Chastaing est surtout marquée par un souci profond de justice incarnée par la figure d’Astrée. « Haine à l’arbitraire - Respect à la loi » [15] pourrait être la devise de sa vie. Républicain de longue date, il est sensibilisé aux questions sociales dès les années 1830. A partir de 1848, il s’oppose aux conséquences des théories des socialistes les plus radicaux (notamment Proudhon et Cabet), sans néanmoins les condamner. Méfiant à l’égard de l’Eglise, il n’envisage pas pour autant une société sans Dieu [16].