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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Boutroux, (Jacques)-Antoine
Article mis en ligne le 2 avril 2010
dernière modification le 30 janvier 2022

par Sosnowski, Jean-Claude

Propriétaire agricole et forestier dans le Loiret et le Cher, né à Cierge (commune de Cerdon, canton de Sully-sur-Loire, Loiret) le 8 octobre 1813. Décédé le 5 décembre 1897 aux Allingards (commune de Coullons, canton de Gien, Loiret). Maire de Coullons de 1840 à 1852. Contributeur financier de l’Ecole sociétaire. Participant au projet de réalisation « d’une fondation en échelle réduite d’un phalanstère de 400 enfants ». Membre de la « Société du 15 juin 1840 ».

Fils de Jacques Charles Borromée Boutroux, cultivateur à Cerdon et de Marie-Reine Notin, Antoine Boutroux naît dans une famille de notables du Loiret. Son grand-père maternel, Antoine Notin, témoin lors de sa naissance, alors propriétaire à Coullons et notaire impérial du canton de Gien (Loiret) est issu d’une famille de notaires d’Ancien Régime. Jacques Honoré Boutroux (de Grandmaison), grand-père paternel, dont l’épouse Jeanne Victoire Robert (de Montoux) est également témoin de la naissance, est alors propriétaire, cultivateur et maire de Coullons (1800-1815). L’un de ses fils, [Henri] Antoine lui succède à la tête de la municipalité de 1815 à 1817. Antoine Boutroux épouse Pauline Adrienne Nelcie Gastin le 10 mai 1849 à Orléans. Elle est la fille d’un juge de paix d’Orléans et est née le 2 janvier 1829 à Saint-Amand dans le Cher. La famille Gastin est très liée à la famille Danicourt dont la fille Louise Cribier est marraine de Jeanne Boutroux (1854-1932), second enfant d’Antoine et Nelly Boutroux. Le père de Louise Cribier, Danicourt est directeur du Journal du Loiret. C’est chez les Danicourt que Louis Pasteur et sa famille séjournent régulièrement. Ainsi, Jeanne Boutroux épouse le fils de Louis Pasteur, Jean-Baptiste (1851-1908) le 14 octobre 1874 à la mairie de Cerdon-du-Loiret, et le lendemain à la cathédrale d’Orléans, sans Antoine Boutroux. Jean-Baptiste Pasteur a été élève chez les Jésuites, en région parisienne, en même temps que Fernand Boutroux né en 1850, aîné de la famille Boutroux. Louis Pasteur embauche ultérieurement ce dernier comme agent commercial du laboratoire Pasteur. Instable, Fernand Boutroux, bien qu’ayant une famille en France, migre au Chili et en fonde une autre. Il revient en France après le décès de sa mère. Déshérité par sa mère, sa soeur se rapproche néanmoins de lui et le retrouve à Toulon durant la Première Guerre mondiale [1].

Si, lorsqu’il se lie avec Charles Fourier et l’Ecole sociétaire et souhaite contribuer à leurs besoins respectifs, Antoine Boutroux ne « jouit encore d’aucuns droits acquis, [il peut] espérer à un avenir assez brillant » [2]. En 1838, son père, alors maire de Cerdon [3] est effectivement parmi les électeurs les plus imposés du canton de Sully-sur-Loire [4]. En 1840, sa contribution, comme pour beaucoup d’autres, a largement chuté [5], certes temporairement puisqu’elle ne cesse de croître jusqu’en 1848 [6] et ce malgré la crise qui frappe la France à partir de 1846. Ainsi, en 1860, Antoine Boutroux, jouissant pleinement de son héritage familial met en vente un premier domaine « La Grande Bergerie » situé près d’Argent-sur-Sauldre (Cher) [7], « propriété d’avenir » comprenant fermes, bois, prés, pâtures, terres labourables irrigables par le canal de La Sauldre, le tout d’un seul tenant de 127 hectares. Antoine Boutroux réside alors au château des Ners, près d’Argent. En 1873, lors de la vente de son domaine de Cierge et des Ners situé sur les communes de Cerdon (Loiret) et d’Argent (Cher), d’une superficie de 1 162 hectares et comprenant un cheptel évalué à 26 000 francs, il annonce un revenu annuel de 25 000 francs. La vente est annoncée par une mise à prix de 500 000 francs. Antoine Boutroux appartient donc aux riches familles foncières du sud-est de la Sologne, région de transition au caractère proche du Val de la Loire. Cette fortune est confirmée par les curés de Coullons, même si les propos tenus sont partiaux : Antoine Boutroux est « un homme puissant par l’argent, la force de volonté, la loquacité et la popularité » [8].

En 1840, Antoine Boutroux est désigné pour conduire la municipalité de Coullons, fonction qu’il occupe jusqu’en 1852 et doit s’opposer, comme son prédécesseur aux agissements des curés successifs de la paroisse, surtout en 1846, lorsqu’il met en place des « ateliers » destinés aux individus sans travail et relance le système dit des « prestations », contributions locales en nature, auxquelles il convoque également le curé Nottin et son vicaire. Ceux-ci refusant de verser un dédommagement pour en être exemptés, sont contraints de participer à l’élargissement d’une voie communale. Le conflit s’envenime, pour se cristalliser lors de la campagne électorale d’avril 1848, Nottin s’affichant avec virulence comme adversaire du socialisme « qui voulait détruire la religion catholique ». Les autorités considèrent effectivement que dans cette paroisse « le socialisme et l’immoralité s’allient... avec la fréquentation des offices » [9].

Lors de la campagne législative d’avril 1848, le curé apporte la contradiction lors d’une réunion « d’un club phalanstérien » organisée dans la commune par Antoine Boutroux, qui se porte à la candidature. Amalgamant communisme et doctrine phalanstérienne, Nottin, lors de cette réunion, réclame qu’Antoine Boutroux affirme qu’il est bien phalanstérien, ce qu’il ne manque pas de confirmer. La provocation du curé qui quitte alors la salle en déclarant « nous savons ce qu’est le phalanstérianisme », attise l’anticléricalisme de la population. Le dimanche suivant, relate toujours L’Ami de la Religion et du Roi, reprenant sans doute l’Union orléanaise légitimiste, « quelques regrettables violences provoquées, on veut bien le croire, par les gens du complot phalanstérien » ont lieu mais en l’absence d’Antoine Boutroux. La tension semble régner encore durant la nuit, le presbytère étant gardé par les fidèles du curé. Le lendemain, par crainte de la menace qui proviendrait de « perturbateurs réunis au cafés » menaçant de « couper le cou au curé », ceux-ci rameutent les campagnes environnantes et forcent deux « parents » d’Antoine Boutroux, Loiseau et l’ancien notaire Seguin à « jurer hautement, devant Dieu et les hommes, qu’ils renoncent au phalanstérianisme, et qu’il n’en sera plus question à l’avenir ». Boutroux revendique son appartenance à l’Ecole sociétaire et est parmi les trois candidats réellement socialistes du département, les deux autres étant Victor Considerant et Eugène Sue. Néanmoins, comme Victor Considerant, il rejette les théories de Fourier sur le mariage [10]. Mais Boutroux n’est pas retenu sur les listes démocratiques, non par suspicion des comités sur son engagement mais du fait d’absence de notoriété.

Son étude des « questions phalanstériennes » date de 1833-1834. Elles sont une véritable révélation semble-t-il, « [l’]ayant distrait par leur importance des plaisirs du monde ». Ainsi, il exprime une véritable admiration envers Fourier, qu’il a rencontré, en compagnie de son oncle, Honoré Boutroux, oncle au nom duquel il écrit également. Dans cette lettre adressée à Fourier en décembre 1836 afin d’avoir des éléments sur le projet de constitution d’actions pour le financement de La Phalange et l’appel à contribution au cautionnement pour une parution bi-hebdomadaire [11], il demande son aval afin de participer « au grand mouvement qui se prépare » et a besoin de savoir si « le maître a [...] sanctionné les travaux des adeptes ». Il conclut ainsi : « Un trésaillement [sic] involontaire se fait sentir en tout mon être à cette pensée que je m’adresse au grand homme, rédempteur de l’humanité souffrante... que son nom soit béni !! que ses œuvres soient bénies !! puissé-je sans détacher rien de sa couronne, puissé-je saisir une étincelle de son génie... Oh ! le vouloir brûlant ne manque pas à ma faiblesse ». Le 19 mars 1837, il poursuit avec lyrisme : « Grâces et gloires vous seront enfin rendues pour vos grands et immortels travaux, vous révélateur de la loi divine éternelle de l’attraction, soleil des intelligences, novateur hardi, habile pilote qui avez su, au milieu des orages et des tempêtes et des écueils, conduire au port la barque des destinées » [12]. Un échange épistolaire soutenu avec Fourier a lieu au cours de cet hiver. Celui-ci répond, de manière détaillée à une seconde demande de Boutroux en janvier 1837 [13] et l’informe des modalités, difficultés rencontrées et des retards du fait des querelles intestines entre disciples : la « Grippe des Chefs, avec fièvre du principal [Victor Considerant] qui a failli périr mais qui est maintenant hors de danger ».

Le 27 juillet 1837, alors que Victor Considerant doit faire face aux attaques des dissidents et attend avec impatience, et semble-t-il, agacement et rancœur une réponse de Boutroux et de son oncle depuis le 15 mai, afin de réaffecter « aux actions du journal », les fonds qu’ils ont versés pour « l’essai » de réalisation, Antoine Boutroux lui réaffirme son amitié et sa fraternité, alors que des propos emplis de « fiel » ont été proférés. Ce silence d’Antoine Boutroux, relatif d’ailleurs, puisque lui-même et son oncle ont renouvelé entre temps leur offre à Charles Fourier, n’est alors dû qu’à la nécessité d’un entretien direct avec Victor Considerant étant donné sa demande. Antoine Boutroux affirme même qu’il a conscience que Victor Considerant porte « seul le fardeau du labeur et [reçoit] les premiers coups de l’attaque, les premiers feux de l’ennemi... Grâce à dieu, [poursuit-il], je ne suis pas descendu si bas ; tant de fiel n’entre point dans l’âme du vrai croyant, et je le suis [...] ». Leur offre est d’ailleurs confirmée dans un courrier à Charles Fourier même. Antoine Boutroux regrette de ne pouvoir contribuer à la hauteur de son oncle, devant « courber sous la nécessité de sa position, [...], [son] père et [sa] mère ne participent point à ces idées et ne veulent nullement s’y prêter », écrit-il. Il contribue néanmoins « pour mille francs pour l’essai, mille francs pour actions du journal et mille francs pour ouvrages de Mr Fourier », laissant néanmoins à Victor Considerant le soin de l’affectation totale ou partielle des fonds nécessaires aux travaux du projet d’essai.

Antoine Boutroux, comme sans doute son oncle, assiste donc à la séance du 20 août 1837, convoquée par Victor Considerant, qui a pour objet de présenter les plans et travaux d’architecture sociétaire exécutés pendant les trois dernières années par l’architecte Maurize dans le cadre d’un projet général de phalanstère. Cette séance fait donc suite à l’appel lancé dans La Phalange n° 30 et dans la circulaire du 31 juillet qui relance, opportunément, l’appel à la réalisation. La souscription lancée « pour la formation d’un crédit de dix mille francs » est alors destinée à l’étude de la réalisation « d’une fondation en échelle réduite d’un phalanstère de 400 enfants ». Il y rencontre à nouveau Charles Fourier à qui il remet 1 000 francs pour contribuer à ses publications. Ce lien entretenu avec Charles Fourier se traduit également lors de son décès. Antoine et son oncle s’inquiètent de ne savoir comment et à quelle hauteur contribuer aux frais des funérailles. Mais la douleur engendrée par la mort du maître « se reconnaîtra aux actes ultérieurs... et nous sommes dévoués » déclare-t-il.

Antoine Boutroux ne se contente pas seulement d’un rôle de financier. Il mène également une action de propagande et de diffusion afin de populariser la pensée phalanstérienne. En décembre 1837, il réclame « cent exemplaires d’almanachs », sans doute « le Mathieu-Laensberg pour l’industrie ». Pour cette édition, les rédacteurs de La Phalange déclarent avoir fourni « une partie de sa rédaction » ; ils la considèrent comme « essai d’un almanach phalanstérien » bien que n’en prenant pas la responsabilité : ils regrettent, écrivent-ils, « d’y voir figurer quelques morceaux que nous aurions été loin de choisir » [14].

Antoine Boutroux prolonge son engagement en devenant membre de la « Société [du 15 juin 1840] pour la propagation et la réalisation de la doctrine de Fourier ». Il affirme encore sa solidarité envers Victor Considerant et exprime, dans une déclaration du 11 novembre 1861 annexée au procès-verbal du 10 novembre 1860 actant la dissolution de la Société, « le vœu formel que le portrait de Fourier et ses manuscrits, restent bien la propriété exclusive [15] de Madame Vigoureux et de Mr. et Mme. Considérant [sic], ainsi qu’il en a exprimé la volonté, à son lit de mort ».

A la fin du Second Empire, Boutroux adresse à plusieurs reprises des pétitions au Sénat. Le 13 mars 1866, il réclame un retour à la loi de 1831 qui garantissait à la Nation, la nomination des maires parmi les membres des conseils municipaux et réclame la fixation définitive des élections municipales à la date du 1er mai, propositions toutes deux rejetées. Le 18 juillet 1867, il demande l’institution d’un « congrès universel et permanent, tribunal international de justice et de paix, siégeant chaque année, à tour de rôle, dans toutes les capitales du monde, et jugeant sans recours tous les différents internationaux ». Il propose la « mise en quarantaine générale » du peuple qui « n’accepterait pas le jugement ». L’initiative revenant à la France, celle-ci victime d’un « grain de vanité », doit faire amende honorable en supprimant tous les signes « offensants pour les autres peuples ». Boutroux préconise « la démolition de la colonne Vendôme, dont le bronze serait transformé en outils de travail, la restitution des drapeaux des Invalides aux Nations auxquelles ils ont appartenu ». Sa proposition scandalise les sénateurs qui refusent alors de délibérer lors de la séance du 3 mars 1868. Malgré cet échec et le sarcasme dont il est victime, il approfondit sa réflexion et publie un ouvrage sur le sujet, Le Salut de la France, sa rénovation et sa glorification qu’il soumet, en résumé, à nouveau sous forme de pétition aux Assemblées. Il y réitère sa demande de « Paix universelle et [d’] Emancipation des communes ».

Lors de son décès en 1897, Antoine Boutroux vit de ses rentes. Son épouse, Pauline Adrienne Nelcie Gastin est décédée auparavant à Cerdon dans sa propriété des Mignans le 15 avril 1892. Après le mariage de leur fille Jeanne, Antoine Boutroux et son épouse se sont éloignés l’un de l’autre et ont vécu, semble-t-il, séparément. Il est inhumé au cimetière de Cerdon, dans une tombe contiguë à celle de son père et derrière celle de sa fille et de son gendre. Son épouse est à côté de ces derniers. Si la tombe de son épouse est surmontée d’une grande croix, les stèles de la sienne et de celle de son père ne portent aucun signe religieux ; sont gravés pour celle de son père, une charrue, pour la sienne trois arbres, dont deux semblent exotiques [16].