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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Gromier, Marc Amédée
Article mis en ligne le 18 décembre 2012
dernière modification le 3 mars 2018

par Desmars, Bernard

Né le 7 octobre 1841 à Bourg-en-Bresse (Ain), décédé en 1913. Enseignant, journaliste, publiciste (sous son nom et sous divers pseudonymes). Républicain, communard, militant pacifiste et partisan d’une Union méditerranéenne. Il apparaît dans les rangs fouriéristes dans les années 1890.

Marc Amédée Gromier est issu d’une famille protestante engagée en faveur de la République depuis plusieurs générations. Ses parents sont libraires à Bourg-en-Bresse. Il fait ses études au lycée de Bourg et son baccalauréat es lettres à Lyon en 1860, il fréquente brièvement le réputé

Marc-Amédée Gromier

collège Sainte-Barbe à Paris, puis exerce les fonctions de secrétaire particulier auprès d’une certaine Mme Gabart.

Journaliste républicain et communard

En 1861 et 1862, il occupe brièvement le poste d’assistant répétiteur aux lycées de Besançon puis de Tournon [1]. A partir de 1862, Gromier entame ce qu’il appelle dans une note rédigée lors d’un séjour en prison ses « vagabondages humoristiques, littéraires ou politiques » ou encore les « jalons de [sa] route » [2]. Il séjourne brièvement à Bâle et à Genève, se rend ensuite à Paris, à Londres, New York, reprend des fonctions d’enseignement au collège communal de Nantua (Ain) avant de s’établir quelques temps à Lyon. Il collabore à plusieurs journaux à partir de 1864 (Le Journal de l’Ain, La Revue du Lyonnais, la La France musicale).

Après un nouveau séjour à Londres, pendant lequel il aurait dirigé un journal, La Colonie, il combat dans les troupes de Garibaldi contre les Autrichiens dans le Tyrol (1866) et écrit pour un journal italien de Florence. Revenu en France, il est brièvement précepteur dans l’Ain, puis reprend ses activités journalistiques ; en 1868, il rédige le programme d’une Union libérale, avec le soutien d’Edgar Quinet, Jules Simon, etc., texte très hostile à l’Empire. Pour échapper aux poursuites, il quitte la France pour l’Angleterre, puis effectue un nouveau séjour aux Etats-Unis. En 1869, il vit à Paris et travaille pour plusieurs journaux, français – parisiens et provinciaux – et étrangers. Il collabore en particulier au Rappel et à La Réforme, le journal de Félix Pyat dont il est très proche. À ces multiples collaborations journalistiques, Gromier ajoute la rédaction et la publication de plusieurs brochures, sur la musique, sur la politique et d’autres sujets [3].

En 1869 et 1870, il est condamné à plusieurs reprises pour ses activités politiques (délits de presse, délit d’association électorale, participation à la manifestation après la mort de Victor Noir) ; il est en particulier condamné le 7 août 1870 par la Haute-Cour à 5 ans de prison pour avoir dans un banquet de libres-penseurs, à Saint-Mandé, en janvier 1870, lu le « toast à la balle » (ou « ode à la petite balle ») de Félix Pyat, mais il est libéré le 5 septembre, grâce à la chute de l’Empire.

Pendant le siège de Paris, il est à la tête du 74e bataillon, mais il est révoqué après le soulèvement du 31 octobre 1870. Il se marie en novembre avec Malvina Brunereau, fille de Louis Brunereau, négociant et ancien chef d’un bataillon de la garde nationale. Lors du mariage, il se présente comme « secrétaire de Félix Pyat ». Il collabore aux journaux de Pyat (Le Combat, puis Le Vengeur) ; il participe à la Commune, mais de façon assez discrète ; il est cependant arrêté et condamné à six mois de prison et 600 francs d’amende. Mis en liberté en juin 1872, il subit de nouvelles condamnations sous le gouvernement d’Ordre moral pour ses activités politiques, journalistiques et éditoriales ; la publication en 1873 de ses Lettres d’un bon rouge aux membres de la Commune de Paris lui vaut par exemple deux années de prison et 3 000 francs d’amende. Après sa sortie de prison, en 1876, alors qu’il est poursuivi par le fisc pour ses nombreuses amendes, il s’enfuit en Suisse, où il peut retrouver son beau-père Louis Brunereau, qui a participé à la Commune et a fui la France pour échapper à la répression ; mais il est expulsé en 1878 du canton de Genève ; il s’installe alors en Italie avec sa famille (dont Louis Brunereau qui y décède en 1880). Pendant ce séjour italien, il dirige une école française et publie plusieurs ouvrages.

Un militant pacifiste

En 1886, Gromier revient en France ; sa femme tient pendant quelque temps un magasin de chapeaux à Paris [4] ; lui-même se consacre désormais principalement aux questions internationales et au militantisme pacifiste, avec la publication de bulletins, l’organisation de conférences, la participation à des groupes et à des congrès en faveur de la paix.

Dès 1865, il avait fondé une « Association internationale économique des amis de la paix », qui semble avoir été mise en sommeil rapidement ou en tout cas avoir été peu active pendant les années suivantes. A partir de la fin des années 1880, elle réapparaît, parfois sous l’appellation d’ « Union douanière internationale » ou de « Zollverein européen ». Elle publie un Bulletin qui bénéficie de collaborations internationales. Au fil de ses séjours à l’étranger, et grâce à sa connaissance de plusieurs langues étrangères (au moins l’anglais, l’allemand et l’italien), Gromier est en effet en relation avec de nombreux hommes politiques européens.

Parallèlement – et sans que les liens et les différences entre les deux entreprises soient très clairs – il est partisan d’une « Union méditerranéenne », aussi appelée Union latine, Union arménico-gréco-latine, Ligue des intérêts latins dans la Méditerranée, qui constituerait le prélude aux futurs Etats-Unis méditerranéens. Dès 1884, alors qu’il est à Florence, il lance un « appel » aux « Gréco-latins » pour la création « d’un Zollverein méditerranéen », c’est-à-dire d’une « union économique entre tous les peuples ayant des côtes sur la mer Méditerranée » ; il propose quelques mesures préalables à cette union économique, comme l’uniformisation du calendrier, des poids et mesures, des tarifs télégraphiques et postaux.

Gromier participe en outre à diverses associations pacifistes et publie des brochures sur le thème de la paix, comme Le Congrès de la paix à Budapest (1897) ; La Fédération douanière de l’Europe continentale (1898) ; La Conférence pour le désarmement (1899). Il fonde en 1887 une agence de presse (Correspondance de la presse étrangère, renommée en 1892 Correspondance Gromier), qui semble s’être limitée à un bulletin adressé aux journaux et traitant des problèmes internationaux. Il projette en 1889 la création de deux quotidiens, L’Echo de l’Europe et Paris-Municipal [5].

Là encore, il est difficile de savoir, au-delà des noms prestigieux invités lors des dîners-conférences organisés par Gromier, qui accueille quelques personnalités françaises (Léon Bourgeois) et étrangères (Emilio Castelar, des hommes politiques italiens, turcs, portugais, ainsi qu’un cheikh arabe) quelle est l’influence véritable de l’Union méditerranéenne et de son fondateur. Selon l’une des principales personnalités du mouvement pacifiste européen vers 1900, Gaston Moch, ce ne serait que l’une de ces « sociétés de farceurs » que l’on trouve alors parmi les sociétés de la paix [6]. Selon la police parisienne l’Union méditerranéenne serait « une assez jolie fumisterie inventée par son directeur, M. M.A. Gromier, lequel s’en sert pour vivre copieusement sans beaucoup de mal » ; mais, d’après « une source des plus sérieuses », Gromier pourrait être « un agent international à la solde des gouvernements italien, espagnol et portugais, sans préjudice des autres que l’on ne nomme pas, […] envoyant des renseignements politiques sur les réfugiés italiens, espagnols et portugais, avec lesquels il est en relations suivies et très intimes ». L’Union méditerranéenne, qui « n’existe que dans les nuages », ne serait qu’un « paravent » permettant à son directeur de conserver ses relations avec le monde des réfugiés de ces divers pays en même temps qu’avec beaucoup de personnages politiques français dont l’opinion et les renseignements sont utiles à connaître pour les correspondants de Gromier ». Ces puissances étrangères lui verseraient en retour des subsides expliquant son train de vie élevé alors qu’il ne dispose pas d’un « travail nettement défini ». Dès le début des années 1890, les milieux politiques français se détourneraient de Gromier en raison des suspicions pesant sur lui, et sur le secrétaire de l’Union méditerranéenne, Albert Rousseau, « agent d’affaires des plus véreux » [7].

Gromier fouriériste

Probablement est-ce par le biais des organisations pacifistes que Gromier rencontre les fouriéristes et rejoint l’École sociétaire. Ses projets d’Union méditerranéenne sont en tout cas mentionnés dans la Revue du mouvement social (mai 1884) et dans L’Unité humaine, un supplément de La Rénovation (20 juin 1889). Et Gromier figure en 1891 dans le comité de la Société de la paix perpétuelle par la justice internationale, association présidée par le fouriériste Hippolyte Destrem et comprenant plusieurs autres disciples de Fourier (Etienne Barat, Jenny Fumet, entre autres) [8]. Il est aussi membre de l’Association pour la solution pacifique des conflits sociaux, également créée en 1891 par Destrem [9]. L’année suivante, il assiste, pour la première fois semble-t-il, aux cérémonies organisées pour l’anniversaire de Fourier, chaque 7 avril ; il est présenté par Destrem comme « [s]on ami Gromier » [10] ; il est à nouveau régulièrement présent dans les années suivantes ; et il publie dans La Rénovation un texte en faveur de l’Union méditerranéenne (n°103, 30 septembre 1898). En sens inverse, il invite plusieurs (ex-)fouriéristes à présider des banquets de l’Union méditerranéenne (Vauthier, Destrem) ou à y faire des conférences (Duponchel, Morin, Verrier) ; et il accueille au Zollverein européen le fouriériste Textor de Ravisi [11].

Aux alentours de 1900, quand le mouvement sociétaire se divise en deux courants, l’Ecole sociétaire dirigée par Alhaiza d’un côté, l’Union phalanstérienne et l’Ecole sociétaire expérimentale de l’autre, avec Barat et Fumet, il déclare d’abord regretter cette division et reste dans une premier temps avec les partisans d’Alhaiza avant de rejoindre les manifestations organisées par l’Union phalanstérienne, l’Ecole sociétaire expérimentale et les milieux coopératifs ; mais il figure en 1901 sur une liste des membres de l’Ecole Sociétaire Expérimentale [12]. La rupture avec Alhaiza est consommée quand Gromier publie en 1906 une brochure sur Charles Fourier et ses disciples, parmi lesquels il cite Jaurès et Zola. Alhaiza, antidreyfusard et très hostile à l’écrivain et au leader socialiste, lui reproche alors vivement de dénaturer la pensée de Fourier [13]. Cette brochure témoigne d’ailleurs, soit d’une connaissance approximative du fouriérisme et de l’histoire du courant sociétaire, soit d’une volonté d’exagérer son influence et son importance en y intégrant des individus qui lui sont largement étrangers ; il fait ainsi de Fourier un théoricien de la nationalisation du sol, et cite parmi « les disciples » Louis Reybaud, Benoît Malon, Camille Pelletan, Sébastien Faure, Jean Jaurès et Jules Guesde.

Dans cet ouvrage, ainsi que dans un compte rendu de l’ouvrage de Jollivet-Castelot, Sociologie et fouriérisme [14], il croit observer un intérêt croissant des contemporains pour les « théories régénératrices de Fourier » qui comportent de « faciles applications […] à la société moderne », et auxquelles se rallieraient un nombre de plus en plus élevé de Français. Il estime à 1 600 000 le nombre de travailleurs syndiqués et à près de 2 000 000 le nombre de mutualistes : « cela représente, pour 1907, une Fédération fouriériste française de quatre millions d’électeurs ». Croyant également dans la formation prochaine d’une Union européenne, il conclut, avec beaucoup d’optimisme : « les lois des Harmonies de Fourier occasionneront, bientôt, la fraternisation des « ententes cordiales » avec les ententes économiques internationales … et le reste suivra ! »

Il participe encore au banquet de l’Union phalanstérienne en 1913 [15], peu de temps avant son décès.