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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Poulard, Philippe-François (parfois François)
Article mis en ligne le 30 décembre 2013
dernière modification le 24 décembre 2014

par Sosnowski, Jean-Claude

Né le 14 frimaire an XI (5 décembre 1802) à Lyon (Rhône). Décédé à Lyon le 9 mai 1863. Fabricant d’étoffes de soie, puis fabricant de couvertures devenu rentier puis officier de santé. Membre du Comité exécutif du mutuellisme lyonnais en 1834. L’un des fondateurs et président du Groupe phalanstérien des travailleurs de Lyon en 1837 puis à nouveau président en 1846. Membre de l’Athénée magnétique de Lyon.

Fils de Benoît Poulard et Marie-Anne Claudine Grand, Philippe-François Poulard exerce le métier de couverturier (fabricant de couvertures) 12 rue du Boeuf à Lyon, lors de la naissance de sa fille Marie Charlotte le 23 août 1833. Il est alors veuf en premières noces d’Antoinette Savet et est marié à Rose Rivat. Philippe-François Poulard semble avoir une activité et une résidence fluctuantes. En 1832, il habite au n° 12 de cette rue, avec son père, Benoît Poulard également couverturier qui selon le recensement de population de 1833 exerce son activité avec un autre fils Claude. Philippe-François quant à lui est ouvrier en soie, 72 rue des Farges, adresse à laquelle on le retrouve comme fabricant d’étoffes de soie à Lyon, lors de la naissance d’une fille Jeanne Rose Constance le 28 novembre 1835. Le 29 mai 1838, lors de la naissance de son fils Joseph-Marie, il est redevenu couverturier, rue du Boeuf n° 12, à Lyon. Il l’est encore, à la même adresse lorsque naît Antoinette Charlotte Rose, le 25 janvier 1841. En 1843, dans les registres de recensement de population, François Poulard est dit ex-couverturier et vit avec son épouse et cinq enfants au 60 rue Saint-Jean à Lyon. Seul recensé d’après le registre de l’année 1845, il y héberge un autre individu ou ouvrier. En 1851, qualifié de rentier, il réside toujours à cette même adresse [1] avec son épouse, Rose Rivat, âgée de 49 ans et deux de ses enfants, Caroline [2] âgée de 10 ans et Joseph-Marie, âgé de 12 ans. En 1856 et 1861, la famille réside au 40 de la rue Saint-Jean. En 1856, Philippe-François Poulard est devenu médecin, - officier de santé selon son acte de décès de 1863. Sa fille Caroline est apprentie modiste et son fils étudiant en médecine. Devenu médecin, ce dernier épouse en 1865, Zoé Emilie Gangnières de Souvigny.

Un mutuelliste converti à la doctrine phalanstérienne

Philippe-François Poulard en 1834
Alphonse Urruty (graveur), Ligny (lithographe), « Prévenus d’avril : Poulard (Lyon) », Paris, Bourdin, Libraire, Rue Quincampoix, 57, [1835 ?] (Source : Bibliothèque nationale de France, De Vinck, 11971).


Philippe-François Poulard est l’un des membres du Comité exécutif du mutuellisme lyonnais incarcérés à la prison du Luxembourg et mis en accusation suite à l’insurrection lyonnaise d’avril 1834 [3]. Il est accusé d’avoir pris les armes et d’avoir combattu dans les quartiers ouest de la ville. Il est cependant acquitté par arrêt du 13 août 1835. Il est l’un des membres fondateur du Groupe phalanstérien des travailleurs de Lyon dont il devient le premier président [4]. Il préside le banquet de l’anniversaire de la naissance de Fourier célébré par le groupe en avril 1840. Il invite les participants « à contribuer autant que leurs efforts le permettront, à accélérer la fondation du premier phalanstère » [5]. En janvier 1843, il est l’un de ceux qui prononcent un discours lors des obsèques de la jeune Elisa Monmittonet. Il porte des toasts ou prononce des discours lors des banquets de 1843, 1844 et 1845. Lors de celui d’avril 1846, il donne lecture d’un dialogue « l’harmonien et le civilisé » [6]. Développant de manière didactique les théories phalanstériennes, il place Fourier dans la continuité du Christ « sans être obligé de faire aucun rapprochement [...] puisque nous ne contestons pas la nécessité de la mission morale du Christ [...] nous reconnaissons tous les germes de progrès qu’elle a déposé dans le sein de l’humanité et que mieux encore nous sommes fondés à soutenir que l’application des principes et des lois découvertes par Ch. Fourier ne sont que la pratique sur la terre des dogmes enseignés par Jésus ». Civilisé et harmonien, proclame-t-il, en accord sur le principe « qu’une bonne éducation peut améliorer beaucoup la nature humaine » s’opposent cependant sur la capacité de l’adulte à changer de nature. A la suite de l’affirmation du civilisé qui note que les annonces de fondation d’un phalanstère sont destinées aux adultes - « ce n’est point avec des enfants que vous le formerez, mais bien avec des hommes chez lesquels vous n’aurez point le bénéfice d’une éducation première dirigée à votre gré. Comment alors empêcherez-vous les mouvements désordonnés des passions humaines ? » -, l’harmonien, - et donc Poulard -, affirme que « dans l’ordre harmonien, l’homme peut avoir tout ce qu’il désire, parce que tout ce qu’il désire, il peut le gagner [...]. L’ordre harmonien, en donnant à toutes les activités un essor social, ne forcera jamais un homme à vivre avec ceux qu’il ne peut aimer [...], l’ordre harmonien alors aura évité les rencontres dangereuses en disséminant au loin les natures antipathiques ». Le civilisé reste incapable de comprendre le principe de l’Association « consacrant propriétés inaliénables le capital, le talent et le travail ». Selon Poulard « travail et talent se servent mutuellement d’appui [...]. Il n’y aura plus d’inégalité entre le talent et le travail ». Il convient cependant que Fourier, par nécessité du moment, a dû retarder au temps de l’harmonie, la suppression de distinction conférée au capital. Car pour Fourier, le travail est régi par le « système des vocations [...] qui plac[e] chaque être devant ses propres attractions, [...] la loi sériaire [fait] du travail non seulement un plaisir toujours plus grand à mesure que la dextérité acquise peut permettre de toucher à un plus grand nombre de travaux divers, mais encore une fièvre passionnelle [...] que pourront réprimer seules les fêtes de l’esprit [...] ». Poulard poursuit en devançant l’accusation d’atteintes aux mœurs, énonce les vertus de la liberté dans le monde phalanstérien, contraire au libertinage civilisé.

A la même période, il contribue à la « souscription polonaise » [7] initiée par le Comité polonais des ouvriers de Lyon, soutenue par La Tribune lyonnaise et relayée par Curia lors du banquet d’avril. En octobre 1846, il préside deux banquets commémorant l’anniversaire du décès de Fourier, un premier tenu le 11 ou 16 octobre attribué fallacieusement, selon La Tribune lyonnaise, par L’Écho de l’industrie au Groupe phalanstérien des travailleurs de Lyon, le second officiellement organisé le 18 octobre par ce même groupe. Lors du premier, il donne « une allocution très bien sentie et prononcée avec un sympathique enthousiasme » [8]. Lors du second, il s’acquitte « de cette fonction à la satisfaction générale » [9]. Il complète son dialogue « l’harmonien et le civilisé » par une explication des « excentricités » scientifiques de Fourier, « toujours conséquent avec lui-même, soit qu’il traite de socialisme, soit que l’intuition l’emporte loin des lieux qui nous sont familiers » [10]. Il est appuyé dans cette défense de la « cosmogonie » de Fourier par Marius Chastaing. Le lendemain, il devient président du Groupe phalanstérien des travailleurs de Lyon, Louis Romano s’étant établi à Marseille [11]. En avril 1847, il exhorte les convives à l’étude de Fourier :

Du denier qui nous reste procurons-nous ses livres, avec plus d’ardeur qu’on se procure du pain dans un temps de disette, car le pain n’est que l’aliment d’un jour ; mais les œuvres de Fourier répandues deviendront un aliment éternel non-seulement contre la faim d’aujourd’hui mais contre la faim prochaine, mais contre la faim de nos descendants. Faisons cette étude avec l’attention dont nous sommes capables, et bientôt ne pouvant plus douter de la véritable cause du mal qui nous dévore, notre intelligence, guidée par l’admirable lucidité du maître, ne nous permettra pas davantage de douter de l’efficacité du remède qu’il nous propose, et dès ce jour il n’y aura plus qu’une voix et qu’un désir dans tous les rangs de la société, élevons les phalanstères ! [12]

En octobre 1847, c’est l’occasion pour lui de célébrer le dixième anniversaire du Groupe phalanstérien des travailleurs lyonnais [13].

Adepte du somnambulisme et du magnétisme

Poulard est également adepte du somnambulisme. En novembre 1846, il est traduit devant le tribunal de police correctionnelle pour exercice illégal de la médecine. Deux témoins affirment pour sa défense qu’il les a guéris grâce à « la seconde vue d’une somnambule » [14], Claudine Jacquand. Elle réside au 60 rue Saint-Jean, comme Poulard qui magnétise la jeune femme depuis plusieurs années lorsqu’elle donne des consultations. Désintéressé, n’ayant donc marchandé aucun paiement, Poulard écope d’une simple condamnation de quinze francs. Poulard est membre comme Louis Romano et Marius Chastaing de l’Athénée magnétique de Lyon où, il donne des cours en octobre 1847. Cet incident n’altère pas ses convictions puisqu’il publie en 1853 un Aperçu de la théorie médicale des somnambules relatant son expérience de douze ans auprès de Claudine Jacquant alors décédée :

Ce que nous nous proposons de présenter au public, c’est la doctrine médicale dont la nature se complut à doter cette misérable femme ; et nous, qui avons assisté douze ans à toutes ses consultations, aujourd’hui qu’elle n’est plus, nous croirions avoir rêvé pendant douze ans, si nous ne rencontrions encore à chaque instant des gens qu’un sentiment indéfinissable de gratitude fait arrêter devant nous pour nous dire : vous l’avez donc perdue. De même que, lorsqu’on voit un ouvrier exécuter aisément un ouvrage, il semble qu’il n’y aurait qu’à s’y mettre pour le faire comme lui, de même il semblait, à voir et à entendre cette fille, que rien ne fût plus simple que de traiter et de guérir les malades ; en effet, quand elle avait expliqué les causes de l’affection de la personne qui la consultait, qu’elle en déduisait les conséquences visibles, appréciables, on était tout étonné de n’avoir pas eu ces idées avant elle, puis encore après la médication prescrite.

Les malades eux-mêmes ne conservaient point de doutes sur les salutaires effets des remèdes qu’ils allaient prendre, si l’on peut appeler remèdes, des feuilles, des fleurs, des racines amalgamées, toutes connues et toutes inoffensives. Au lieu de craindre, ils se seraient plutôt demandés si tout cela n’allait rien produire autre que des effets insignifiants [15].

L’attrait pour le somnambulisme semble dérivé de celui pour l’harmonie phalanstérienne et le conduit probablement à devenir officier de santé. Par ailleurs, il conclut dans son ouvrage que son intérêt pour le somnambulisme l’a mené à l’étude du magnétisme et du vitalisme :

L’effort constant de la médication des bons somnambules est de rétablir l’harmonie entre les différentes humeurs et le sang [16].
[...] Quand la terre a besoin de pluie, et que celle-ci vient d’une manière normale, cette pluie est imprégnée du fluide vivifiant ; mais lorsqu’elle tombe, contre nature, longtemps et en trop grande abondance, la somme d’électricité qui nous est départie des rayons solaires diminue considérablement, et l’on pourrait dire alors qu’un élément s’en trouve gorgé au détriment de l’autre. Cet équilibre, cette juste répartition, cette harmonie, pour une raison ou pour une autre, se rompt parfois, et il n’y a pas le moindre doute pour nous que c’est à ces dérangements que nous devons les épidémies, le choléra, etc [17].
[...] Pour nous, le fluide solaire, électrique, magnétique, vital, sont une seule et même chose, modifiée par les corps qu’ils traversent. Ils ont la même origine, et tendent aux mêmes effets ; la vie du globe, la vie végétale, minérale et animale. Tout se rapporte à l’homme qui a, lui, une destination future, et chez qui la forme seule peut changer, mais qui demeure homme, visible ou invisible. C’est-à-dire qu’à la mort, il garde sa personnalité, sa distinction, sa vie, son être réel, son corps qui doit périr et se dissoudre n’étant que fictif, illusoire, et purement la dernière manifestation de la vie formale [sic]. Cette essence vitale est-elle la même chose que ce que les théologiens ont nommé âme humaine ? Cela n’est guères [sic] admissible, car il s’en suivrait que tout ce qui vit serait doué de raison, et participerait aux facultés humaines ; mais d’autre part, si cette essence vitale, la même pour tous les êtres de la création, ne manifeste sa souveraineté spirituelle dans l’homme, que parce qu’elle rencontre la forme spirituelle, ou l’homme fait à l’image de Dieu, voici encore le système de l’âme humaine renversé. En effet il y aurait eu par ce principe économie de ressort. On ne conçoit pas bien cette multitude d’instincts différents créés pour chaque être différent. Quoi qu’il en soit, cela importe peu à notre objet. Nous croyons que l’essence vitale est la même pour tous les êtres de la création, dans tous les règnes, et nous nous soumettons pour le reste à ce que la religion enseigne ; car il en est de ces différents systèmes philosophiques et théologiques, comme de celui des anciens astronomes jusqu’à Galilée ; le système de démonstration quant à la science demeure le même dans l’une ou l’autre supposition [18].

Clubiste durant la Seconde république

Au printemps 1848, il est probablement membre du club lyonnais de l’Egalité auquel appartiennent Marius Chastaing et Pierre Montmitonnet. En mars, Poulard prend la défense des phalanstériens attaqués par le citoyen Jules Cote qui les juge « indignes » de siéger à l’Assemblée nationale. Il est désigné membre de la commission des pétitions instituée au sein du club. En juin, il fait adopter à l’unanimité une motion de soutien aux auteurs de la séquestration du commissaire de la République près le Tribunal civil de Lyon, Tabouret, membres de la milice populaire des Voraces, bien que désapprouvant leur méthode et « les arrestations arbitraires commises au préjudice de différentes personnes » [19]. En décembre, il en est un des vice-présidents. Il présente une « découverte [...] si toutefois elle est susceptible de s’appliquer sur une grande échelle sans frais énormes et sans détérioration des produits, c’est-à-dire si ces derniers conservent leur saveur et leurs qualités nutritives. Cette découverte consiste à sextupler les récoltes au moyen de la préparation des germes et de la terre destinée à les recevoir. En quelques minutes ont fait croître une laitue, une rose ; on a fait fermer un grain de blé. L’appropriation de ce procédé à la culture des céréales serait toute une révolution, mais il faut sa garder des illusions de ce qu’on appelle la physique amusante ou magie blanche. Il faut encore examiner si, en forçant par des moyens artificiels la production, on n’épuise pas le principe végétal de la terre » [20].