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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Bazaine (parfois dit Bazaine-Vasseur), (Pierre-)Dominique, dit Adolphe
Article mis en ligne le 28 avril 2014

par Desmars, Bernard

Né le 1er décembre 1809 à Versailles (alors en Seine-et-Oise, aujourd’hui dans les Yvelines), décédé le 2 février 1893 dans le XVIe arrondissement de Paris (Seine). Ingénieur des pont et chaussées, travaillant d’abord au service de l’Etat, puis pour des compagnies ferroviaires privées. Disciple de Fourier dès les années 1830. Actionnaire de la Société Européo-américaine du Texas. Abonné au Bulletin du mouvement social à la fin des années 1870

La situation familiale de Dominique Bazaine est assez compliquée [1]. Comme sa sœur aînée Mélanie et son frère cadet Achille (le futur maréchal du Second Empire), il est le fruit d’une liaison entre Pierre-Dominique Bazaine, polytechnicien et ingénieur des ponts et chaussées, et Marie-Madeleine Vasseur [2]. Parti en 1810 en Russie pour enseigner à l’Institut des ingénieurs en voies de communication (l’équivalent russe de l’École des ponts et chaussées) de Saint-Pétersbourg, Pierre-Dominique expédie de temps à autres de faibles sommes d’argent à la mère de ses trois enfants afin d’aider à leur entretien, envois interrompus pendant la guerre de Napoléon en Russie, Pierre-Dominique étant un moment déporté dans l’intérieur de la Russie. Marie-Madeleine Vasseur tient alors un commerce de lingerie à Versailles, tandis que Pierre-Dominique, après avoir dirigé l’Institut des ingénieurs pendant quelque temps, participe activement sous la Restauration et au début de la monarchie de Juillet au creusement de canaux, à la construction de ponts et d’écluses, ainsi qu’à l’installation de machines hydrauliques, qui lui assurent une excellente réputation et les faveurs du tsar, des titres prestigieux et quelques décorations. Il se marie en Russie avec Stéphanie de Sénover dont il a deux enfants et qui ignore bien sûr l’existence de la famille parisienne ; et quand Mélanie, Dominique et Achille rencontrent leur père après son retour de Russie en 1835, ou lorsqu’ils lui écrivent, ils doivent l’appeler « oncle » [3]. Ajoutons que dans leur correspondance familiale, la mère, Marie-Madeleine, prend souvent le prénom de Mélanie, qui est aussi celui de sa fille, tandis qu’Adolphe, prénom attribué à plusieurs membres de la famille, est également utilisé pour désigner le père, Pierre Dominique, et le fils, Dominique, ce qui ne simplifie pas l’identification des scripteurs [4].

Dominique Bazaine appartient à une famille de polytechniciens (son père, un oncle, un cousin et deux de ses fils passent par l’Ecole polytechnique, ainsi que Clapeyron, le mari de sa sœur Mélanie). Lui-même réussit le concours d’entrée en 1827 ; il y rencontre Victor Considerant. En 1829, il est admis à l’Ecole des ponts et chaussées. Après avoir semble-t-il été proche des saint-simoniens, il se rallie au fouriérisme. En 1837, alors qu’il est devenu ingénieur des ponts et chaussées, il est aux côtés de Charles Fourier, qu’il appelle « le père Fourier », dans les jours qui précèdent sa mort ; le 6 octobre, il croit « nécessaire de vous prévenir, mon cher Considerant, et par vous tous les membres de l’Ecole sociétaire, que notre Père Fourier touche à sa fin. Il s’obstine à refuser toute espèce de nourriture et périra d’inanition. Vous connaissez assez son caractère pour savoir qu’il est impossible, à M. Simon [le médecin de Fourier] et à moi d’en rien obtenir […] M. Simon est aussi affecté que moi de voir ce beau génie s’éteindre sans avoir joui des honneurs qui lui étaient dus » [5]. Après le décès et les obsèques de Fourier, Bazaine envoie à Considerant « les reliques de notre Père » enveloppées dans une serviette, qui, ayant elle-même « été posée sur le cercueil, est à ce titre précieuse aussi » ;

Je vous l’envoie pour la joindre à la collection de tout ce qui a servi à notre Maître. Je pense que vous réunirez tous ces objets dans une armoire vitrée afin que les enfants de la Doctrine puissent les contempler. De cette façon, tout le monde en profitera et on évitera un pillage qui, pour être sentimental n’en est pas moins inconvenant. Occupez-vous aussi de faire restituer la canne dont un M. Fugère s’est emparé. Ce monsieur n’a pas plus de titres que nous autres à la possession.

Je vous prie de venir me voir, mon cher Considerant quand vous le pourrez sans vous déranger. La mort de notre Père nous réduit au même orphelinage et j’ai grand besoin de voir quelqu’un qui ait compris, aimé, vénéré ce digne homme comme moi. Me voilà comme un chien perdu, ne sachant plus où adresser mes soins, mon respect et mon admiration [6].

Fin octobre 1837, il déclare qu’il est « décidé, à moins d’ordres supérieurs, à garder le grand deuil de notre maître jusqu’à l’instant où l’unité établie par le premier phalanstère permettra aux disciples d’en revêtir la couleur. » ; « la souscription pour les frais des funérailles est ouverte, mais cela ne me suffit pas. Je voudrais savoir où vous en êtes afin de proportionner mon offrande, bien plus aux nécessités de l’Ecole sociétaire qu’à mes moyens actuels ». Il espère aussi « coopérer efficacement à la plus prochaine réalisation des idées qui unissent la vraie foi et la vraie science » [7].

Chemins de fer et Seconde République

Bazaine effectue les premières années de sa carrière d’ingénieur dans l’Est de la France où il contribue à la construction des lignes de chemins de fer de Mulhouse à Thann (1839), puis de Strasbourg à Bâle (en 1841). Il est admis au sein de la Société industrielle de Mulhouse [8]. Il se marie avec Elisabeth Hayter, la fille du peintre Georges Hayter. Trois garçons naissent de cette union, deux embrassant une carrière militaire (Adolphe et Albert), un troisième, Georges, devenant ingénieur. Dominique Bazaine obtient la Légion d’honneur en 1841.

Après l’Est, il continue dans les chemins de fer, dans les départements du Rhône et de la Loire. Puis il s’occupe de la construction de la ligne entre Amiens et Boulogne (1846). En 1848, le gouvernement provisoire républicain l’affecte à la direction des Ateliers nationaux en Sologne ; leur suppression le ramène à Paris, au secrétariat général de la section des chemins de fer des Ponts et chaussées.

Sous la Seconde République, il figure parmi les souscripteurs de la rente sociétaire [9]. Au lendemain de la manifestation du 13 juin 1849, que le pouvoir considère comme une tentative insurrectionnelle et qui est suivie de nombreuses arrestations, Considerant se cache pour échapper à la police ; c’est sans doute Dominique Bazaine qui lui fournit d’abord un abri, puis un faux passeport et des papiers qui lui permettent de quitter la France et de se réfugier en Belgique [10]. L’année suivante, Laverdant souhaite constituer un fonds destiné à aider les exilés qui pourrait être géré par Bazaine, « l’ami dévoué qui a sauvé le proscrit en 1849, et qui depuis trois ans, a donné des preuves de rare dévouement à la cause » ; Laverdant renonce finalement au projet, car il prévoit l’opposition de Considerant [11].

En 1853, Dominique Bazaine travaille à l’établissement des premiers tramways parisiens ; l’année suivante, il dépose une demande de brevet pour un nouveau « système de voies ferrées à établir notamment dans les chaussées pavées ou empierrées », système qui facilite la pose des voies, offre plus de solidité et de sécurité [12]. Il passe ensuite dans le secteur privé, d’abord à la Société des chemins de fer du Bourbonnais ; il met alors en valeur l’intérêt des chemins de fer d’intérêt local, avec des voies étroites. Puis il passe au service de la compagnie PLM ; il travaille à la construction de plusieurs lignes (Roanne à Montbrison et Lyon ; Moret à Nevers et à Vichy). Ses travaux lui valent d’être promu au grade d’officier de la Légion d’honneur en 1865. Il reste en relation avec Considerant et le mouvement sociétaire ; en 1854, il devient actionnaire de la Société européo-américaine du Texas [13] et il encourage ses amis qui partent pour le Texas ; en 1860, il envoie de l’argent à Bourdon [14]. Il soutient aussi le projet de « commune modèle » expérimenté à Frotey-les-Vesoul (Haute-Saône) par Auguste Guyard, qui s’efforce d’y développer l’instruction et l’hygiène et d’y perfectionner l’agriculture [15]. Il est par ailleurs l’un des associés de Guéroult dans la société fondée en 1859 pour publier L’Opinion nationale [16]. En 1868, il apporte 100 francs à la société qui exploite la Librairie des sciences sociales [17].

Le frère d’Achille Bazaine

Il enseigne à l’Ecole des ponts et chaussées pendant une quinzaine d’années ; mais les poursuites contre son frère Achille, consécutives à la reddition de son armée à Metz en octobre 1870, l’amènent à interrompre ses cours et à demander sa mise à la retraite du corps des ingénieurs d’État. Sa correspondance avec son fils témoigne d’ailleurs de sa « situation embarrassée vis-à-vis des connaissances et amis de France qui veulent bien encore s’intéresser à [lui] et [lui] demander des renseignements » [18]. Il va rendre visite à son frère Achille, prisonnier à Cassel [19]. Les lettres échangées entre les deux frères soulignent les liens d’affection qui les unissent. Dominique dépose, à sa demande, lors du procès du maréchal Bazaine, afin de défendre son frère ; et quand Achille, après avoir été condamné à mort, est gracié par le président Mac Mahon et condamné à 20 ans de prison, Dominique effectue des démarches auprès du président de la République, afin que la détention soit commuée en bannissement [20]. Puis, quand le maréchal est détenu au fort Sainte-Marguerite, Dominique séjourne à proximité, à Cannes, avec son épouse afin de rendre de longues visites à son frère (son épouse Elisabeth Hayter décède le soir de l’une de ces visites) [21]. Il s’occupe de l’éducation de l’un de ses neveux [22]. Enfin, le maréchal s’étant évadé en 1874 et ayant trouvé refuge en Espagne, Dominique l’aide en lui envoyant de l’argent et en lui versant une pension [23]. Il défend la mémoire de son frère après sa mort dans des lettres envoyées à la presse [24]. Mais l’un de ses fils, Albert, abandonne le nom Bazaine devenu trop lourd à porter pour celui de sa mère, Hayter.

A partir de 1875, Dominique Bazaine reprend une activité dans le secteur privé ; il travaille dans l’administration du réseau de la Compagnie des chemins de fer des Charente. A la fin des années 1870, il est abonné au Bulletin du mouvement social [25]. Puis, en 1885, il est chargé de la direction des travaux de la Société internationale du canal de Corinthe, société déclarée en banqueroute en 1889, les travaux se révélant beaucoup plus longs et difficiles que prévu. Depuis longtemps déjà, il ne semble plus avoir de lien avec le mouvement sociétaire ; son décès en 1893 n’est d’ailleurs pas mentionné dans le dernier organe fouriériste, La Rénovation.