Bandeau
charlesfourier.fr
Slogan du site

Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Unienville (d’), (Antoine) Ernest (Marrier)
Article mis en ligne le 3 avril 2015

par Desmars, Bernard

Né le 10 octobre 1806 à Savanne (île Maurice), décédé le 27 avril 1873 à Savanne. Enseignant, puis agriculteur et filateur. Participant aux banquets phalanstériens.

Ernest d’Unienville est le fils d’un officier français établi à l’île Maurice. Jeune, il est ami d’Eugène Leclézio avec lequel il fait du théâtre [1]. Il se marie en 1828 avec Sophie Louise Marie Beaugendre de Montrie, fille d’un capitaine de la gendarmerie installé à Port-Louis. Il tient pendant plusieurs années un collège, à Mahébourg, qu’il vend en 1840. Il devient agriculteur et, alors que l’économie est dominée par les plantations de canne à sucre, il s’efforce de diversifier les productions dans ses terres de Savanne ; il expérimente la culture de la vanille, mais aussi celle du mûrier et l’élevage du ver à soie. Les produits de ses filatures sont présentés en 1848 et 1849 lors des expositions de la Société royale des Arts et des Sciences.

Former une association agricole

Ses innovations concernent aussi les modes de faire-valoir. En 1846, dans Le Cernéen, des articles signés « l’Ami du Progrès » - il s’agit très vraisemblablement du fouriériste Evenor Dupont – incitent les planteurs à appliquer les principes de l’association et de la société par actions dans le domaine sucrier afin de résoudre les difficultés que connaît ce secteur de l’économie. Ernest d’Unienville passe à la pratique ; après avoir attribué quelques parcelles plantées en canne à sucre à cinq familles sous le régime du métayage, il s’associe en novembre 1846 à plusieurs employés et à 135 travailleurs, lui-même conservant la propriété des terres. Ces travailleurs sont nourris et logés par l’association qui possède également une boutique où ils peuvent s’approvisionner, le montant de leurs achats étant prélevé sur leurs bénéfices ; la direction prévoit la fondation dans l’avenir d’une école pour les enfants et pour les adultes. A vrai dire, le fonctionnement de la société ne paraît guère conforme à l’association de type fouriériste ; la moitié des bénéfices est accordée au propriétaire, l’autre partie aux travailleurs, ce qui diffère de la répartition prévue par Fourier (5/12e pour le travail, 4/12e pour le capital et 3/12e talent). L’opération semble avoir pour but de lutter contre l’absentéisme et de stimuler l’ardeur des travailleurs en liant leur rétribution aux profits de l’entreprise. Cette association cesse au printemps 1847 par décision d’Ernest d’Unienville, pour « des motifs qui tiennent à ses affaires particulières » [2] ; les travailleurs, promus au rang d’associés pendant quelques mois, redeviennent des salariés. Pourtant, continue Le Mauricien,

pendant les six mois qu’a durés l’Association, le planteur et les travailleurs en ont été également contents. Le travail a été d’une nature plus satisfaisante, et les hommes de meilleure volonté. Aucune plainte n’a été portée de part ni d’autre, au magistrat du quartier. M. d’Unienville nous prie de déclarer, en son nom, qu’il est fermement convaincu par cette expérience pratique, que l’Association est bien supérieure au salaire. Il regrette vivement que des circonstances particulières ne lui permettent pas de la continuer pour le moment. Il est bien décidé à y revenir aussitôt que cela lui sera possible [3].

Ernest d’Unienville lui-même, dans une lettre envoyée aux représentants locaux du gouvernement britannique, semble attribuer la fin de l’Association à l’attitude défavorable des autorités envers cette expérimentation. En mars 1848, il répond à une lettre du Magistrat Elliott lui demandant des renseignements « sur les systèmes d’association et de métayage » entrepris dans son domaine de Saint-Martin.

Permettez-moi d’abord, Monsieur, de vous exprimer ma surprise de voir le Gouvernement s’informer de systèmes dont il a entravé la réussite dès le principe […]

Quand j’eus cessé de renouveler l’association avec mes laboureurs, ils m’exprimèrent leurs regrets, et me dirent qu’ils eussent continué volontiers.

Du reste, lorsque j’ai entrepris ce genre de travail, j’étais persuadé qu’il serait avantageux, non seulement à moi, mais à la colonie s’il était adopté, et l’expérience me confirme dans cette opinion [4].

Le gouverneur de l’île Maurice, dans un courrier expédié à Lord Grey, secrétaire d’Etat aux colonies du gouvernement britannique, propose une analyse plus réservée de l’expérience associative :

J’ai l’honneur de soumettre de nouveaux rapports sur le fonctionnement des systèmes d’« Association » et de « Métayage » en milieu de travail agricole dans la colonie, qui confirment plus avant le peu de goût qu’ont les laboureurs pour le premier, et les avantages découlant du second là où il s’est établi quoiqu’il ne paraisse pas avoir acquis une grande extension depuis le dernier rapport du Juge spécial Regnard à ce sujet [5].

Partisan des idées fouriéristes

A la fin des années 1840, Ernest d’Unienville fait partie du groupe fouriériste de l’île Maurice, animé principalement par ses amis Evenor Dupont, l’un des rédacteurs du Cernéen, et Eugène Leclézio, directeur du Mauricien. Quand Dupont réalise une excursion dans l’île, en janvier 1848, « [son] bon camarade Ernest d’Unienville, brave phalanstérien », l’accompagne sur une partie du trajet ; les deux hommes discutent de la théorie sociétaire et des solutions qu’elle offre aux problèmes économiques de l’île. Ils sont accueillis chez des amis qui interrogent Dupont sur le système phalanstérien :

Chacun demandait une explication sur tel point qui l’avait embarrassé. Je n’y pouvais suffire. Ernest vint à mon secours. En quelques mois, il a parfaitement approfondi les œuvres de Fourier [6].

Ernest a d’ailleurs fait de son frère Alphonse d’Unienville et de plusieurs de ses amis des fouriéristes convaincus. Son épouse est aussi une « phalanstérienne fervente » [7]. Lors d’un banquet organisé à Savanne à l’occasion du passage d’Evenor Dupont, le 10 janvier 1848, plusieurs convives parlent du phalanstère ;

Ernest, qui est non seulement bon musicien, mais encore dessinateur et peintre, a fait une immense aquarelle d’environ quatre pieds carrés, sur laquelle il a représenté le palais du phalanstère, et ses riches domaines arrosés de canaux, couverts de cultures habilement diversifiées et répandues sur plusieurs [milliers] d’arpents. Il avait placé ce dessin contre l’un des panneaux de la boiserie du salon. Des groupes successifs venaient l’examiner tout à tour, et jouissaient déjà, par avance, des merveilles que, grâce à l’Association, nous réserve l’avenir [8].

Des banquets commémorant la naissance de Fourier sont organisés à Port-Louis à partir de 1847. Les noms des participants au premier ne sont pas indiqués. Mais lors du deuxième, le 7 avril 1848, Ernest d’Unienville porte un toast « à l’Industrie » :

A l’industrie coloniale ! L’industrie multiplie les forces, étend les résultats, augmente les bénéfices. L’industrie à Maurice est encore au berceau. Nous demandons aux bras ce que dans d’autres pays on obtient par de simples mécanismes. L’industrie cependant aidée de la vapeur et de l’Association, peut enfanter des prodiges. A l’industrie ainsi appuyée sur la science et le génie [9].

Sa présence n’est pas mentionnée lors des banquets d’avril 1849 et avril 1850. Il est vrai qu’à la différence de la plupart des participants à cette fête, il ne réside pas à Port-Louis, mais au sud de l’île.

Développer l’industrie de la soie

Les difficultés de l’industrie sucrière, au milieu du siècle, suscitent la recherche de nouvelles activités, parmi lesquelles l’industrie de la soie. Une société de l’industrie séricicole, présidée par Evenor Dupont. Une société anonyme est fondée en 1850 afin d’exploiter une filature et une magnanerie ; Ernest d’Unienville fait partie des responsables de la société, aux côtés d’Évenor Dupont, de Virgile Naz et de plusieurs hommes d’affaires. Il parcourt l’île afin de stimuler la plantation de mûriers et reçoit à la filature, dont il est le directeur, les personnes intéressées par ce type de production. Avec Dupont et Naz, il mène une campagne dans la presse afin d’étendre l’industrie séricicole. Les profits de la filature sont cependant modestes et l’entreprise ne survit en 1852 et 1853 que grâce au soutien financier des partisans les plus actifs de la production de soie. La filature doit cependant fermer en 1853.

Il dispose d’une grande influence dans la zone environnant son domicile : Pour Le Cernéen, il est « l’arbitre, le juge de ses petits voisins, le patriarche de son quartier » [10].
En 1870, il quitte Savanne et s’installe à Curepipe où il fait construire un collège. Mais très peu de temps après, il vend cet établissement pour à nouveau investir ses forces dans l’industrie de la soie : il crée une magnanerie et une filature à Curepipe. Lors de l’exposition d’août 1872, il reçoit une médaille d’or pour sa production séricicole.