Bandeau
charlesfourier.fr
Slogan du site

Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Adam (née Lamber ou Lambert), Juliette
Article mis en ligne le 22 octobre 2015

par Desmars, Bernard

Née le 4 octobre 1836 à Verberie (Oise), décédée le 23 août 1936 à Callian (Var). Ecrivaine tenant un salon prestigieux à la fin du Second Empire et sous la IIIe République. Fille du fouriériste Jean-Louis Lambert et se déclarant elle-même « phalanstérienne » dans son enfance. Elle fréquente la Librairie des sciences sociales dans les années 1860 et entretient des relations amicales avec des disciples de Fourier sans être elle-même fouriériste.

Juliette Lambert est la fille du médecin Jean-Louis Lambert. Elle passe l’essentiel de son enfance chez ses grands-parents à Chauny (Aisne), très hostiles au socialisme.

Juliette Adam (atelier Nadar) (Source : Gallica)

Une éducation phalanstérienne

Elle effectue cependant quelques séjours au domicile de ses parents, à Blérancourt (Aisne) vers 1845-1846 ; là, son père, abonné à La Démocratie pacifique, lui fait lire des articles du quotidien fouriériste, lui parle du phalanstère, de Victor Considerant, d’Alphonse Toussenel et de L’Esprit des bêtes, livre qu’elle apprécie particulièrement. A son retour à Chauny, elle parle à ses camarades d’école et à ses grands-parents « de Fourrier [sic], du phalanstère, de L’Esprit des bêtes », avec un certain succès auprès des premières, mais en suscitant la réprobation des seconds, sa grand-mère étant une orléaniste « juste milieu » et son grand-père un fervent admirateur de l’Empereur et partisan de Louis-Napoléon Bonaparte, auquel il aurait rendu visite au fort de Ham. De même, quand elle passe ses vacances chez ses tantes et qu’elle expose ses « idées réformatrices » : alors, rapporte-t-elle, « ce furent des explosions d’indignation contre mon père ‘’qui gâtait ma cervelle avec de telles insanités’’ » [1].

Mais Jean Louis Lambert veut faire de sa fille « une prêtresse du bien général, du bonheur de l’humanité » [2]. Et quand elle est chez son père, à Blérancourt,

le soir, après notre dîner qui se faisait très tôt, sur la grande place ornée de tilleuls, s’étendant sous les fenêtres de notre maison […] les enfants du quartier se réunissaient, et gamins et gamines, un peu loin, moi en tête, nous jouions à la Révolution.

Les filles et les fils des pères que mon père avait « convertis » [au socialisme] me prêtaient main-forte et les tièdes ou les ignorants finissaient toujours par être brossés ou enrégimentés.

Emportée par la force de persuasion de son père, elle adhère à ses idéaux humanitaires, que quelques décennies plus tard, elle juge plus sévèrement :

La fin de 1847 fixa en moi les convictions politiques que j’ai gardées sans modifications durant plus de trente-cinq ans. Le grand savoir de mon père, sa bonté immense, son amour du peuple, son désintéressement, qui comblaient le vide de ses conceptions, firent longtemps de moi son disciple.

Il croyait et il faisait croire que le peuple possédait à l’état latent toutes les vertus, qu’il suffirait de le mettre en possession de tous ses droits politiques et sociaux pour qu’il se montrât digne des uns et des autres.

Il y avait dans l’enthousiasme de mon père pour « les masses », en même temps que l’affirmation d’un idéal puissant, une grande naïveté, je le reconnais, hélas ! aujourd’hui. Notre sentimentalisme n’était pas fait de sensiblerie, mais d’une foi vaillante en la nécessité de la justice, et de la proportionnalité des faveurs sociales. Contribuer au bonheur du peuple, des peuples, entraînait pour nous, « bourgeois », une part de sacrifice qui n’était pas sans générosité et sans grandeur.

La croyance en la fraternité universelle, l’espoir d’une participation de chaque peuple à la libération de tous les peuples, développaient les plus belles des qualités, celles de l’abnégation et de l’héroïsme chez les hommes qui allaient être ceux 1848.

Dire qu’il entrait des idées pratiques, réalisables, dans les esprits des révolutionnaires de 1847, certes non, puisqu’une jeune personne de onze ans et demi comme moi pouvait être initiée à tous les projets de la Révolution, les comprendre, s’en enthousiasmer, en prêcher l’accomplissement. Ces projets avaient donc quelque chose d’enfantin [3].

La fréquentation des fouriéristes parisiens dans les années 1860

Mariée en 1853 – elle a 16 ans et demi – avec un avocat, La Messine, elle s’installe avec son mari d’abord à Soissons, puis à Paris (vers 1855-56). Les deux époux ont un enfant, mais se séparent rapidement. Juliette commence alors sa carrière littéraire, avec un recueil de nouvelles, Blanche de Coucy (1858) et un essai, les Idées anti-proudhoniennes sur l’amour, la femme et le mariage (1858).

Vers le début des années 1860, souffrant de névralgies, elle consulte le médecin de son quartier ; il s’agit d’Arthur de Bonnard, un fouriériste en relation épistolaire avec Jean-Louis Lambert, à propos d’une brochure médicale récemment publiée par ce dernier. « Le docteur de Bonnard devient mon ami » [4] ; il introduit Juliette Lambert dans le salon de Charles Fauvety, où elle rencontre Charles Renouvier, l’un et l’autre amis de plusieurs fouriéristes. Quand elle publie ses Idées anti-proudhoniennes, Bonnard en transmet des exemplaires « au groupe de l’ancienne Démocratie pacifique » ainsi « [qu’]un volume spécial à Toussenel » [5].

J’avais, très jeune, appris mon a-b-c-d politique dans La Démocratie pacifique, et Toussenel tenait toujours en mon esprit la place d’un initiateur. […] Toussenel me félicitait chaleureusement [pour les Idées anti-proudhoniennes]. J’étais l’une des réalisations de la « formule du gerfaut ». On sait que l’auteur de l’Esprit des Bêtes, non sans s’être attiré de nombreuses moqueries ou des protestations indignées, jugeait l’esprit des hommes par celui des animaux. Le gerfaut, l’oiseau supérieur entre tous, fournissait à Toussenel cette observation que le rang des espèces est en proportion de l’intelligence de la femelle. Sa formule du gerfaut se résumait donc ainsi : « Le bonheur des individus est en raison de la supériorité de la femme » et il ajoutait que « la femme guidera dans l’avenir la réconciliation de l’homme avec l’univers » [6].

Juliette Adam, pendant les années 1860, entretient des relations étroites avec le groupe fouriériste parisien : avec Toussenel, qui fréquente son salon ; avec Arthur de Bonnard même si elle recourt à un autre médecin quand elle souffre d’une irritation de la gorge (« certaines fantaisies de mon cher ami, le docteur de Bonnard, sur le traitement des maux de gorge ne m’inspiraient qu’une confiance relative » [7]) ; avec Aimée Beuque, qui tient la Librairie sociétaire dans les années 1850 et au début des années 1860, puis qui assiste Jean-Baptiste Noirot à la Librairie des sciences sociales installée rue des Saints-Pères en 1864.

Dans la seconde moitié des années 1860 et dans les années 1870, son salon accueille des libéraux et des républicains ; elle favorise l’ascension politique de Gambetta. Le décès de La Messine en 1867 lui permet d’épouser l’année suivante Edmond Adam, républicain de 1848, puis député et sénateur inamovible dans les années 1870. Elle est alors devenue une figure importante du monde littéraire – elle écrit elle-même de nombreux ouvrages et collabore à plusieurs journaux – et politique. Elle fonde en 1879 La Nouvelle Revue. Elle s’exprime à plusieurs reprises en faveur de la « Revanche » contre l’Empire allemand et souhaite le développement des relations entre la France et la Russie.

Au début du XXe siècle, elle publie ses Souvenirs, en sept volumes.

(Source : Gallica)

Dans le deuxième (Mes premières armes littéraires et politiques), le troisième (Mes sentiments et nos idées avant 1870) et le cinquième (Mes angoisses et nos luttes), elle propose de précieux portraits de quelques-uns de ses amis fouriéristes [8]. Cependant rédigés tardivement, ces ouvrages comportent des erreurs manifestes : ainsi, Juliette Adam prétend rencontrer vers 1859-1860 à la Librairie sociétaire Victor Hennequin, dont le décès remonte à 1854 [9] ; de même, au moment de la mort de son second « père », le saint-simonien Arlès-Dufour, en janvier 1872, elle écrit qu’Aimée Beuque lui envoie un mot ; or, Aimée Beuque est alors décédée depuis plusieurs mois [10]. Le cinquième volume, qui couvre les années 1871-1873, est le dernier à mentionner ses relations avec les fouriéristes. D’une part, certains de ses proches amis décèdent ; d’autre part, la librairie abandonne en 1870 ses locaux très accueillants de la rue des Saints-Pères et se réduit progressivement à un local au fond d’une cour, puis à une pièce dans un appartement, que ne visitent plus beaucoup de militants ou d’amis.